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Économie Publié le lundi 16 février 2009 | Nord-Sud

Filière hévéicole : Bataille autour de la réserve de prudence

Les relations entre les planteurs d'hévéas et les usiniers ne sont pas au beau fixe. Sur fond de baisse des cours mondiaux, les producteurs reprochent aux dirigeants du Fonds interprofessionnel de solidarité de ne pas les protéger.

La chute des cours du latex plonge les acteurs dans le désarroi. Le secteur de l'hévéa est frappé de plein fouet par la crise internationale, en raison de sa forte dépendance au secteur de la construction automobile soit 60% de sa production. C'est l'un des plus durement affectés. En quelques semaines, les prix de certains produits bruts de l'hévéa ont été divisés par trois. Au mois d'octobre, le prix d'une tonne de caoutchouc solide qui atteignait 3.300 dollars, à la deuxième semaine de décembre, ne s'écoulait plus qu'à 900 dollars .Ce plongeon est la conséquence des premiers effets sur la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs. On relève, par exemple, qu'en Europe, l'Allemagne a vu l'immatriculation de ses voitures réduites de 18%. Au Brésil, la production automobile est de -34%. En Asie, le marché japonais a également connu, en novembre, une forte baisse de vente d'automobiles à -27,3% sur un an. Cette situation, si elle se prolonge, sera difficile à supporter pour les entrepreneurs de l'hévéaculture notamment ivoiriens. Sur le marché local en effet, l'impact est net. Pendant plusieurs mois, le kilogramme de caoutchouc frais a dégringolé à 198 Fcfa avant d'enregistrer une fragile remontée dans l'ordre de 230 Fcfa ces dernières semaines. Cette conjoncture soulève les vieilles querelles entre les différents opérateurs de la filière ivoirienne. Les planteurs imputent leur galère aux dirigeants du Fonds interprofessionnel de solidarité hévéa (Fish), accusés de ne pas jouer leur rôle. Cet organisme créé par l'Etat sert à la fois à fixer les prix d'achat bord champ et surtout à les garantir en cas de dépression sur le marché international. Un fonds de stabilisation, en filigrane. Alimenté par des prélèvements de 11Fcfa sur chaque kilo de caoutchouc vendu, il est composé en parité de planteurs et d'usiniers. Il gère aujourd'hui plus de 3,8 milliards Fcfa domiciliés à Cobaci, à la Bfa et à Chatered Bank.

«L'absence de transparence dans la gestion de ce fonds nous est préjudiciable», explique le président de l'Association des producteurs de caoutchouc naturel de Côte d'Ivoire (Aprocanci) Honnest Wadjas. A l'évidence un procès contre les usiniers. En effet, en dépit de sa composition paritaire, le fonds est contrôlé par ces derniers. Les représentants des producteurs sont en majorité de gros planteurs qui ont des actions dans les sociétés de traitement de l'hévéa.


Grosse polémique

Les industriels se défendent en invoquant la baisse constante des cours du caoutchouc sur le marché international. Mieux, ils expliquent que l'argent collecté doit servir à créer des unités de transformation et pas nécessairement à soutenir les prix. Selon des sources, l'argent litigieux est logé dans des comptes bloqués avec un taux d'intérêt d'au moins 6% prenant à témoin les administrateurs Zadi Godou et Essuéky Gnamien. Cette explication ne rassure pas les paysans qui crient à une tentative de «hold-up». L'Aprocanci estime que l'on aurait dû activer la caisse de solidarité pour suppléer l'instabilité des cours mondiaux, ajoutant que le fonds de garantie ne fait rien pour améliorer les conditions de vie des paysans. En somme, croient-ils, les usiniers travaillent contre les planteurs qui continuent de supporter les nombreuses charges. En effet, les usiniers ivoiriens appliquent une décote sur le prix payé au planteur. Motif : le caoutchouc africain a mauvaise réputation sur le marché international car le Nigeria n'a pas veillé à la qualité de son produit. Par ricochet, la production ivoirienne subit de multiples contrôles, d'où des délais de livraison trop longs et de gros frais d'emballage et de conditionnement. Dans cette bataille de chiffonniers, les planteurs sont mis à l'index au niveau notamment des pratiques culturales. On leur reproche d'abandonner le traitement primaire du latex à des ouvriers peu qualifiés qui ne prêtent pas attention aux impuretés et ne le protègent pas des rayons solaires qui altèrent sa qualité. Ils sont pour ainsi dire pénalisés pour cette négligence. Quoiqu'il en soit, les petits planteurs s'estiment floués mais semblent ne disposer d'aucun moyen de pression sur les autres protagonistes dont ils sont totalement tributaires. Leur revendication aujourd'hui : mettre fin à ce système et prendre le contrôle du fonds. Malgré cet imbroglio, des observateurs pensent que la situation des principaux hévéaculteurs ivoiriens, certes moins juteuse qu'il y a quelques mois, est loin d'être désespérée. Un spécialiste agricole assure qu'avec un prix situé autour de 1.000 dollars pour une tonne de latex concentré, le secteur est encore loin de la faillite et les compagnies ne risqueraient pas de fermer. Selon lui, les entrepreneurs du caoutchouc continuent de gagner de l'argent, même si les montants en jeu sont aujourd'hui moindres. Cet expert en veut pour preuve sa propre expérience : avec un cours du caoutchouc au plus bas d'environ 400 dollars pour une tonne, en 1998 et 1999, alors que le prix du baril d'essence se situait autour de 65 dollars, il parvenait encore à tirer des bénéfices de 2 à 3%.


Encore de l'espoir

Un retour sur investissement certes moins important que les taux d'intérêt d'un placement sur un compte bancaire rémunéré à 5 ou 6%, souligne-t-il, mais qui permettait de maintenir l'activité sans grande difficulté. Aujourd'hui, compte tenu des coûts de production et du fait que le prix de l'essence sur le marché international a chuté à près de 45 dollars par baril, les entrepreneurs du secteur peuvent générer des bénéfices quasiment équivalents aux taux d'intérêt bancaires, calcule-t- il, plaidant en faveur d'une réduction des taxes d'exportation sur les produits issus de l'hévéaculture. Notre expert propose de les faire passer du taux de 10% du prix de vente du latex concentré sur le marché à un montant forfaitaire à déterminer par consensus par tonne. Les autorités du ministère de l'Agriculture font le même calcul. A la sortie d'un séminaire sur la formation rurale, un conseiller d'Amadou Gon Coulibaly affirme que la chute actuelle des cours du caoutchouc ne menaçait pas la survie de la filière ivoirienne, rappelant lui aussi la crise de 1998 à laquelle le secteur a résisté. « Nous savons que des entrepreneurs connaissent actuellement des difficultés, en raison de la situation mondiale. Mais je crois que le prix du caoutchouc augmentera de nouveau parce que les besoins quotidiens de cette matière première sont importants dans le monde », a-t-il déclaré, sans écarter l'éventualité d'une baisse des taxes d'exportation. Il y a peut-être urgence. D'autant que la baisse des cours ne touchent pas seulement les producteurs, mais aussi les petits récoltants notamment les petits saigneurs. Ils touchent un revenu à la dérive dans les exploitations. Le ministre Gon Coulibaly devrait en discuter plus profondément avec le ministre de l'Economie et des Finances, dont c'est la "responsabilité". Avec ou sans réduction douanière, le latex concentré ivoirien continue en tout cas de trouver des débouchés, particulièrement en Chine, au Vietnam, en Malaisie, à Singapour et, dans une moindre mesure, dans les pays européens dont l'Allemagne et la Belgique. « Tout le latex ivoirien finit de toute façon par être exporté vers la Chine, analyse-t-il. Même quand nous vendons notre production au Vietnam, celui-ci le transforme et l'exporte vers la Chine... C'est l'un des plus grands consommateurs de caoutchouc au monde... ». Pour profiter de l'appétit croissant du géant chinois et être moins vulnérable aux fluctuations des cours, le secteur ivoirien de l'hévéaculture devra peut-être passer à une autre phase : la transformation du latex en produit à forte valeur ajoutée.

Lanciné Bakayoko
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