Village rasta : L`univers des hommes aux dreadlocks

Le soleil est au Zénith lorsque nous arrivons à l'entrée du village rasta. Nous remarquons la présence de quelques pneus disposés de sorte à marquer un arrêt pour se conformer aux différents usages. C'est-à-dire payer un droit de passage, qu'ils appellent le ticket d'entrée. Après avoir décliné nos identités, nos hôtes du jour, accoutrés de façon hétéroclite aux couleurs de la Jamaïque (Jaune-Rouge-Vert), arborant des coupes de cheveux longs et fantasmagoriques, nous ordonnent d'entrer en acquiesçant par un coup de poignée. Ce signe, disent-ils, est une manière de démontrer son appartenance au Rastafarisme. "Jah Rastafari" ont-ils lancé en chœur pour nous dire bonne arrivée au village rasta.

Loin des innombrables entreprises industrielles,"Shashamané" s'étend sur près d'une dizaine d'hectares, en pleine bordure de mer dans la commune de Port-Bouet. Le hameau des fils d'Hailé Sélassié est construit de cases et de hangars sous les cocotiers. Les gens y vivent et apparemment s'y confortent. Ce village est avant tout un site touristique et culturel où vivent les Rastas. Ces personnages qui sont très souvent marginalisés à cause de leur idéologie et de leur doctrine liées à Haïlé Selassié reconnaissent ce dernier comme la seconde manifestation du Christ. Certains portent des dreadlocks, d'autres ont des cheveux tondus. A quelques mètres de nous, un groupe de jeunes qui, sûrement, profite de l'air frais que souffle la mer, s'alarme à notre vue. Après les avoir rassurés sur l'objet de notre visite, ces derniers se prêtent donc à nos questions. C'est ainsi que Ras Gban des monts (Lion de Judah, roi des 12 tribus d'Israël) que nous avons rencontré au quartier spirituel et royal "Shashamané" (Village Rasta), nous informe que le village a été créé depuis 1996. Le chef actuel du village s'appelle Zagadou Mathurin. Il a succédé à Saint Clair ensuite à Ras Manezi du Ghana qui, selon Ras Goody, artiste chanteur reggae, a, pour la petite histoire, expliqué que " Le village devait être situé à Yopougon. Mais dans le temps, le Maire Doukouré Moustapha a opposé un refus en précisant que nous sommes jeunes dans un monde vieux" C'est ainsi que la commune de Port-Bouet accueille les "enfants de Jah". Cependant, le site ne présentait pas fière allure à cause des nombreux immondices qui s'y trouvaient. Mais cela n'était pas un fait à décourager Saint Clair qui voulait faire de ce lieu un site touristique. "Il a insisté pour que l’on nettoie le lieu malgré toutes les ordures qui s'y trouvaient. Après la fermeture de l'Hôtel Akwaba, Saint Clair a reçu une allocation d'occupation provisoire de la part de la mairie de Port-Bouet"dit-il fièrement. Les habitants du bourg des adeptes des dreadlocks sont en majorité ivoiriens. Pour Grec Simplice, batteur du groupe "Wadada Spirit"; l'existence du village est l'accomplissement de la prophétie de Haïlé Sélassié qui dit "Un jour viendra où les fils de la Nouvelle Jérusalem se rassembleront pour vivre ensemble". Mais comment vivent-ils ? Ce sont des maisons construites de façon artisanale c'est-à-dire des logis couverts de pailles pour certains et des pénates modestement bâties pour donner un air de génie créateur.


Ce village paisible où art et originalité cohabitent


Plongé dans une lecture profonde, Ras Garvey, un homme aux longs cheveux dreadlocks, nous accueille avec un sourire plein d’hospitalité. Le décor traduit aisément la fonction de notre hôte : "Ici, nous faisons tout ce qui est artistique. Moi, je suis un artiste peintre et créateur d'œuvres d'art". S'est-il exprimé, assis sous son hangar de fortune. Ce sont entre autres des sandales originales faites à la main, des colliers confectionnés à base de pierres authentiques, des portraits des personnes ayant marqué la négritude et la musique "Reggae" qu'offrait l'artiste à ses éventuels clients. On y compte également plusieurs sortes d'artistes à savoir, les peintres, les musiciens, les chanteurs, les teinturiers et les fabricants de pommade à base de "Marijuana" qui, paraît-il, fait croître les cheveux, pour ne citer que ceux-là : "Nos clients sont les grossistes et les touristes. Ce sont des jeunes qui vendent devant les boîtes de nuit, les espaces de Reggae, etc.… Parce qu'ici les prix sont moins chers. En plus, nous avons des commandes de l'extérieur" a poursuivi notre interlocuteur pour justifier leurs différentes sources de revenus. La vente des tickets d'accès qui varient selon les jours et les occasions (250 f les jours ordinaires et 500f à 1000f les jours de grandes célébrations, les vendredi soir ou dimanche soir) contribue à la collecte de fonds pour l'entretien du site. "Les week-ends, nous organisons les reggae sound system avec des artistes qui prestent en live. C'est un moment de grande fête parce que nous avons la présence de quelques touristes qui viennent de partout. Et cela nous permet d'être en contact avec certaines personnes qui voient les Rastas autrement" a indiqué Usher, artiste chanteur reggae. Les hôtes de la journée qui, à un moment donné, ressentent le besoin de se nourrir naturellement avec l'herbe de Dieu, m'invitent à me joindre à eux. Mais avec mon refus poli, ils ont vite compris que je ne consomme pas ce produit. Ils se sont gardés cependant, de me blâmer. C'est dans une ambiance conviviale que les fils de Jah ont parlé de leur lien avec Haïlé Sélassié.


Hailé Sélassié pour les Rastas

Parmi les disciples du Rastafarisme qui est un mouvement spirituel qui s'est répandu dans les années 1930 en Jamaïque sous l'influence du mouvement "Back to Africa" de Marcus Garvey, Hailé Sélassié est considéré comme un messie noir qui conduira la diaspora et les peuples noirs vers la liberté. Pour beaucoup de rastas, Sélassié est encore vivant et la mise en scène médiatique de sa mort fait partie d'un complot visant à discréditer leur spiritualité. "Son impérial Majesté Haïlé Sélassié est le roi des rois d'Ethiopie, seigneur des seigneurs, lion conquérant de la tribu de Judah, lumière du monde, élu de Dieu, le 225ème descendant de la tribu de Salomon et de la Reine Sabbad d'Egypte. Donc, pour nous c'est comme le Messie, c'est notre seigneur ", a précisé fièrement Ras Fy P. D'autres affirment que "Jah" c'est-à-dire Dieu est toujours vivant bien que la présence terrestre de Sélassié ne sont plus visible. "La plus vieille église du monde qui se trouve en Ethiopie reconnaît Hailé Sélassié comme la seconde manifestation de Jésus Christ" a soutenu Ras Goody Brown.

Morgan Ekra
morgans_co@hotmail.com