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Faits Divers Publié le jeudi 2 septembre 2010 | Nord-Sud

Guessiho : Un village déchiré par la violence

La ville de Gagnoa s'est réveillée, ce lundi 30 août 2010, par une information inquiétante selon laquelle le village de Guessiho est en proie à des actes de violence. Selon cette information, un conflit de leadership au sein de la chefferie a dégénéré en heurt, au point que la fille du chef a payé en lieu et place de son père. Pour vérifier cette information, nous nous sommes rendus sur les lieux. Guessiho est situé à 6 km de Gagnoa, sur l'axe Gagnoa-Guiberoua. Nous sommes frappés par le calme qui y règne. Le marché, d'habitude rempli de monde est vide. Aucune commerçante, aucun client. Idem pour les maquis et boutiques du village. Tous les magasins ont baissé rideau. Le bruit des véhicules de transport vient par moment interrompre ce calme pesant. Notre présence attire la curiosité des populations. Nous sommes reconnus comme étant des étrangers, tout le monde se connait plus ou moins au village. Un homme accepte de nous indiquer le domicile du chef, c'est une grande cours. Dès que vous franchissez le portail, à votre gauche, une grotte mariale indique que le propriétaire des lieux est un fervent croyant catholique. Nous implorons la bénédiction de la sainte vierge pour le succès de la mission que nous somme venir accomplir. Une dame nous accueille à l'entrée. Après avoir décliné notre identité, elle nous demande de la suivre. Un sparadrap collé a l'avant bras, elle fait l'effort de supporter une intense douleur. Elle nous conduit à l'arrière cours ou une vingtaine d'hommes et de femmes, assis en cercle, échangent en langue locale. Il s'agit du chef, de sa notabilité et des villageois en réunion de crise. De quelle crise s'agit- t-il ? La réponse nous sera donnée à la fin de la réunion, par Gnahoré Bernard, membre de la chefferie chargé des affaires intérieures. Il parle au nom du chef de Guessiho, Sahiri Agbohoun Jean.

Les raisons de la crise

«La chefferie actuelle a été élue en 2002. A investiture, il y a eu une voix discordante, celle de Nebré Marcel. Il a appelé certains de ses frères à ne pas assister à cette investiture», a regretté le porte-parole du chef. Pourtant, selon celui-ci, Nebré Marcel a été approché pour postuler à la tête du village. « Comme Nebré Marcel a vu que son mot d'ordre n’a pas été suivi pas la population, il n'était pas content. Il fallait mener d'autres actions pour contrer le travail du chef Sahiri», a dénoncé Gnahoré. « Nebré a demandé qu'on fasse le bilan de la gestion des régies financières du village. Ce bilan a été fait et tout le monde l'a apprécié favorablement. Malgré cela, Nebré n’a pas baissé les bras. Il a monté une autre stratégie qui consiste à assiéger la résidence du chef pour demander son départ », a expliqué le porte-parole. Ce dernier avance que les dissidents prennent pour raison la gestion obscure du chef. La situation s'est empirée au point où le préfet de région, préfet du département de Gagnoa, s'est saisi du dossier. Le représentant de l'exécutif a fait appel aux protagonistes. « Le préfet a proposé au chef de recomposer son bureau et de l'élargir à la partie plaignante, mieux, le chef leur a octroyé la gestion des régies financières en précisant qu'il me nommait comme superviseur de toutes ces activités de par ma fonction de chargé des affaires intérieures », nous a confirmé Gnahoré. Cette proposition n'est pas du goût du camp adverse. « Ils veulent être autonomes et ne rendre compte à personne sinon à leur parrain Nebré. Ils sont allés plus loin pour demander ma démission pour cumul de fonctions, à défaut que le chef parte. Pour atteindre ce objectif, ils ont mis en place des moyens ». Selon le porte-parole du chef, on les a accusés de détournement de fonds du village à hauteur de 20 millions de francs. Le dossier transmis au tribunal de Gagnoa a rendu son verdict le 5 février dernier. «Nebré a été débouté puis il s'est empressé de faire appel. En attentant le verdict de la cour d'appel, la chefferie fonctionne mais nous sommes constamment objet de provocation », a-t-il déclaré. «Plus grave, le chef et son bureau ont été séquestrés une journée entière. Il a fallu l'intervention du préfet pour que les gens viennent nous sortir de là », a-t-il accusé. Le chef, selon son porte-parole, a essuyé la colère des jeunes à tel point que sa vie était en danger. « Il rentrait au village en voiture quand celle-ci a été cassée. Ce n'est pas sa voiture qu'ils visaient mais sa personne. La pierre qu'ils ont lancé c'était pour l'assommer mais il a su l'éviter. Cependant, la vitre et le retrouviseur de sa voiture ont volé en éclats», a martelé Gnahoré. A défaut d'atteindre le chef, ils se sont déportés sur sa fille. Sahiri Angèle vit au Canada où elle est éducatrice à la commission scolaire de Montréal. Pendant les vacances scolaires, elle atterrit dans son village à Guessiho. Propriétaire d'un maquis situé à l'entrée principale du village, elle s’y rend chaque matin. Mais pour cette journée du 30 août, les jeunes du village n'ont pas voulu qu'elle ouvre. «Les jeunes m'ont demandé de fermer et j'ai dit pas question. Ils poussaient le portail pour le fermer pendant que moi j'insistais à l'ouvrir. L’un d'entre eux a profité pour me poignarder à l'avant-bras gauche avec un couteau. Dès qu'ils ont vu mon sang couler, ils ont pris du recul», a-t-elle raconté.
Quelle est la part de responsabilité d’Angèle dans ce problème de chefferie ?
« Quel que soit le problème dans un village, il faut savoir faire la part des choses. Certes je suis la fille du chef, mais ce titre ne fait pas de moi quelqu'un qui est au premier plan des problèmes du village. J'ai toujours soutenu mon père, sans jamais faire quelque chose ouvertement. Mais, de là à venir me poignarder, je pense que trop c'est trop. Mon sang ne doit pas couler pour rien. Mon agresseur aurait pu toucher mon cœur et je serais morte. Pour rien au monde, quelqu'un va ôter ma vie parce qu'il veut prendre la place de mon père. Celui qui est derrière tout ça, c'est Nebré Marcel. Je veux que le Côte d'ivoire sache qu'il y a un problème à Guessiho et que si on ne fait rien, il y aura mort d'homme», a prévenu la vacancière. Elle avait à ses cotés Bohui Emmanuel, le secrétaire de son père. Ce dernier nous apprend que cette crise dure depuis 2002, date de l'investiture de Sahiri. Plusieurs tentatives de négociation ont été menées à travers des autorités politiques, administratives et coutumières du département.

La colère des jeunes

Ottro Laurent, PCA de la SIR et Vincent Lokrou sont intervenus. La réconciliation a été scellée autour d'un plat familial. La paix des braves fut célébrée à l'église. On croyait tout rentré dans l'ordre et pourtant. Le feu couvait sous la cendre. Un feu qui s'est propagé en cette matinée du 30 août. Du côté opposé, c'est un autre son de cloche que nous avons entendu. La jeunesse de Guessiho a installé sa base sous un arbre ombrageux, non-loin du rond-point du village. Leur chef, Yobo Arsène, nous présente à son groupe et nous invite à prendre place. Le reproche essentiel fait à la chefferie actuelle dont ils demandent la démission est lié au nerf de la guerre, c'est à dire à l'argent. « Guessiho génère beaucoup d'argent, le marché à lui seul rapporte 8 mille francs par jour, sans compter l'hôpital; les maquis les boutiques
…Chaque fois qu'on demande au chef de rendre compte, il refuse. Vue la situation, le village s'est divisé en deux : d'un côté les jeunes et de l'autre les vieux. Ceux-ci n'ont plus d'avenir, les jeunes se sont levés ce matin parce qu'ils en avaient marre. Ils demandent au chef de rendre le tablier ». C’est ainsi que Arsène a dépeint la situation avant de laisser le parole à Gnedou Kouho Didier, porte-parole du groupe. Pour lui, ils n'ont point agressé la fille du chef. «Aujourd’hui, on a décidé qu’aucun commerce ne doit ouvrir jusqu'à ce que le chef démissionne. Tous les commerçants ont obtempéré il n'y a que la fille du chef qui s'est opposée. Dans la lutte qui nous a apposés, elle s'est blessé avec une pointe du portail », a-t-il démenti les accusations de la victime. Alors que cette dernière nous a affirmé avoir identifié son agresseur du nom de Rougoué Guy. Contre lequel elle a porté plainte après avoir pris un certificat médical. Selon Kouho Didier, bien que ce problème de chefferie soit actuellement en cours à la justice, les jeunes veulent en finir une fois pour toute. « Le premier procès a été truffé de magouilles et on a fait appel. De toutes les façons, nous avons décidé de prendre nos responsabilités. Il faut que notre village soit libéré. Nous avons plus confiance en la justice », a déclaré Didier dans un tonnerre d'applaudissement de ses partisans.
Notre interlocuteur avait du coté de chaque joues deux traits noirs marqués par des traces de charbon. Signe de guerrier au combat. Ses déclarations étaient par moment interrompues par des cris de guerre de ses amis. A la question de savoir si leur attitude n'est pas une rébellion, il a répondu : « loin d'une rébellion c'est une révolution ». Il a tenu à faire remarquer que personne n'est derrière ce mouvement de révolte. Pas même Nebré Marcel. « Le seul report que nous avons avec Nebré, c'est que nous avons la même vision. Notre objectif est de faire partir le chef actuel par n'importe qu'elle moyen », a-t-il dévoilé l'objectif de leur lutte. Lorsque nous quittions le village la tension était encore vive entre les deux parties. Vivement que l'autorité prenne le problème à bras-le-corps pour éviter que le pire advienne. Aux dernières nouvelles Nébré Marcel, a été arrêté hier et conduit à la prison civile de Gagnoa.

Alain Kpapo à Gagnoa
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