Le ministre Joël N’Guessan: “Aucun Président ne peut vivre replié sur lui-même”

L’ancien ministre des Droits de l’Homme, Joël N’Guessan est un connaisseur de la vie politique ivoirienne. Nous l’avons rencontré pour le sortir de son silence depuis le résultat de l’élection présidentielle du 28 novembre et face à la situation que traverse le pays.
Monsieur le Ministre ! On ne vous a pas beaucoup entendu ces temps- ci Pourquoi ce silence ?
Vous savez, la parole est sacrée ! On m’a enseigné que parfois, il vaut mieux se taire pour observer les évènements et ne pas se précipiter. Ce que nous vivons en ce moment nous oblige à rentrer au plus profond de nous mêmes pour bien apprécier avant de donner une opinion juste loin de toutes les passions.

Que vous inspire la situation de blocage actuel ?
Le blocage actuel intervenu à la suite de l’élection du Président Alassane OUATTARA prouve que pendant plusieurs années, Monsieur Laurent GBAGBO a berné les Ivoiriens et la communauté internationale. Il s’est présenté dans l’arène politique comme un démocrate. Ce qui a séduit plus d’un. La réalité est toute autre aujourd’hui Il est tout , sauf un démocrate. La démocratie était pour lui un slogan pour duper les masses. Son désir profond, depuis plusieurs décennies, c’était d’être au pouvoir et de s’y maintenir par tous les moyens. Le constat est cruel et ceux qui ont cru en lui, n’ont que leurs yeux pour pleurer.

Selon vous pourquoi Laurent Gbagbo s’agrippe au pouvoir ?
Laurent Gbagbo n’est pas le seul à s’agripper au pouvoir. Il est encouragé en cela par sa famille proche, par ses collaborateurs et par toute une cour de gens qui voient en son départ la perte d’énormes avantages et privilèges matériels et financiers qu’ils se sont créés en 10 ans de pouvoir. En plus, il craint des poursuites devant les juridictions internationales telles le TPI. N’oublions pas également les poursuites qui pourraient être engagées pour crimes économiques contre tous ceux qui se sont enrichis indûment sous le règne de Laurent Gbagbo. C’est tout cet ensemble qui pousse les refondateurs à s’agripper par tous les moyens au pouvoir.

Pensez vous que les pressions internationales auront raison lui ?
Je reste convaincu qu’aucun Président ne peut vivre replié sur lui-même. Il est révolu le temps où l’on pouvait se permettre de prétendre vivre en autarcie. Tôt ou tard, Laurent Gbagbo devra se résoudre à quitter le pouvoir pour céder la place au Président Alassane OUATTARA qui a été élu démocratiquement par les Ivoiriens. Tout est une question de temps.

Que répondez vous quand Laurent Gbagbo soutient que c’est lui le Président élu, car il a été proclamé vainqueur par le Conseil Constitutionnel?
J’ai suivi avec beaucoup de peine les accrobaties de Paul Yao N’dré pour tenter de légitimer le candidat Laurent Gbagbo qui a perdu l’élection présidentielle. Vous savez, les problèmes que connaît la Côte d’Ivoire sont dûs au fait que les personnes qui président les plus grandes juridictions nationales ne se sont pas montrées crédibles. Souvenez-vous que le sieur Tia Koné, Président de la Cour Suprême, a eu le même comportement en éliminant les principaux candidats sérieux à l’élection présidentielle de 2000. Il a refusé de dire le Droit. La suite, on la connait. En 2010, en refusant de dire le Droit dans un esprit de Justice et de Vérité, Paul Yao Ndré a créé le lit d’une guerre civile. L’histoire retiendra que ces deux personnalités ont contribué à accentuer la fracture sociale. Les milliers de morts depuis 2000 sont à mettre à leurs actifs. Pour en revenir à votre question, je dirai que le clan Gbagbo devrait avoir honte en utilisant des artifices juridiques pour dénier à plus de 630 000 ivoiriens le droit de choisir leur Président de la République. Comment Laurent Gbagbo compte-t-il gouverner quand son ami Paul Yao N’dré, Président du Conseil Constitutionnel a volontairement annulé le vote dans 7 grands départements de Côte d’Ivoire ? Pourquoi tous les soi-disant juristes du clan Gbagbo font l’impasse sur l’article 64 du nouveau code électoral qui indique la voie à suivre en cas de contentieux électoral? Vous savez, en matière de Droit, quand la mauvaise foi, le mensonge et la démagogie prennent le pas sur la Justice et la Vérité, on crée le contexte propice à la contestation. Laurent Gbagbo sait lui-même qu’il n’a pas gagné l’élection présidentielle. Ce sont ses suiveurs qui cherchent à justifier l’injustifiable. Et cela l’arrange.

Dans le camp du RHDP, certains préconisent l’option militaire pour faire partir Laurent Gbagbo du pouvoir. La CEDEAO n’exclut pas non plus, cette option. Dans le camp de Gbagbo, on parle de plus en plus de guerre civile si l’option militaire était employée. Les porte -voix de Gbagbo menacent de s’en prendre aux ressortissants de la CEDEAO présents en Côte d’Ivoire. Que pensez-vous de tout cela ?
Personnellement je suis attristé quand j’entends toutes ces déclarations de gens qui, pour la plupart, n’ont jamais entendu tonner un canon. Ils prônent la guerre alors qu’ils ne seront pas en première ligne le jour des combats. Depuis le début de cette crise, vous n’avez pas entendu le Président de la République Alassane OUATTARA inviter les ivoiriens à la guerre. Il n’est pas un chef de guerre. Il est un Président élu démocratiquement qui souhaite que la raison habite enfin son adversaire d’hier pour qu’il cède paisiblement le fauteuil présidentiel. C’est pourquoi, dans toutes ses interventions, il appelle à l’union de tous les fils de la Côte d’Ivoire. J’entends certains dire que si Laurent Gbagbo s’en va, il y aura la guerre civile. Ces individus qui profèrent ces menaces sont aux abois. Ils ont perdu tout repère moral, psychologique et spirituel. Sinon, comment comprendre que quelqu’un qui est encore en pleine possession de ses facultés mentales et qui est supposé craindre Dieu puisse souhaiter une guerre civile en Côte d’Ivoire ? Je crois qu’il ya eu trop de morts depuis 11 ans. Il faut mettre fin à ce type de dérives verbales aux conséquences incalculables pour tous. Les Ivoiriens, dans leur grande majorité, aspirent à la paix et non à la guerre.

Le Haut Conseil des Droits de l’Homme a fait état de plus de 173 tués entre le 16 et le 21 décembre, de plusieurs blessés et disparus. Ces chiffres sont contestés par le Ministre de l’Intérieur. Par ailleurs, l’ONU reconnaît que des rebelles libériens sont aux côtés des FDS pour commettre les assassinats. Quelle est votre opinion en tant qu’ancien Ministre des Droits de l’Homme sur ces tueries et exactions ?
Je suis écœuré et meurtri quand j’apprends toutes ces tueries. Ce sont quand même des êtres humains comme vous et moi qui sont tués ou blessés. Si l’on a encore un peu d’humanité en soi, on devrait mettre tout en œuvre pour que cessent ces atrocités. Concernant le Ministre de l’Intérieur, si un de ses proches avait été tué pendant ces évènements, il se serait tu. Ce n’est pas décent de sa part de contester ces chiffres que les organisations des Droits de l’Homme présentes en Côte d’Ivoire ont avancé avec preuves à l’appui. Concernant les supplétifs libériens, il faut s’étonner que les FDS en soient réduites à se faire aider par eux pour assassiner des Ivoiriens. Ce sont des chiens de guerre qui n’hésiteront pas à retourner les armes qu’on leur a fournies contre ceux qui les emploient en ce moment. Ce qui compte pour eux, c’est l’argent. Alors, il faut espérer que ceux qui au sein de notre armée ont encore un sens élevé de la République et de la morale militaire prennent des dispositions pour mettre fin à l’ utilisation des mercenaires sur l’ensemble du territoire national car cela n’est pas à l’honneur d’une armée qui se dit républicaine.

En disant cela, ne craignez vous pas d’être la cible des rebelles libériens et ceux qui les emploient ? Surtout que nous constatons que vous n’avez pas bougé de votre domicile ?
Effectivement, il a toujours un risque à dire la vérité surtout dans l’environnement actuel où les gens ont la gâchette facile et où les passions sont plus fortes que la raison. Ceci étant, ce n’est pas un acte de bravoure insensé que je pose en ayant à mes côtés toute ma famille qui est arrivée de France pour passer la fête de Noël avec moi. Je considère qu’il ne faut pas donner raison à ceux qui installent dans les cœurs et les esprits la peur. La peur est un vilain sentiment qui vous empêche de réfléchir. Je n’ai aucune crainte car Celui qui me garde est au dessus de tous ceux qui n’ont pour seule intelligence que la violence et les tueries.

Avez-vous espoir que la crise prendra fin bientôt ?
Oui, j’ai espoir que le cauchemar des Ivoiriens prendra fin très bientôt. L’implication de la CEDEAO, de l’Union Africaine, de l’Union Européenne, de l’ONU et du Conseil de Sécurité de l’ONU ainsi que le rôle actuellement joué par les autorités religieuses et traditionnelles, permettront de convaincre Laurent Gbagbo et son camp qu’il est temps de se plier au verdict des urnes pour abréger les souffrances des populations. Le Président de la République Alassane OUATTARA a promis qu’il ne fera pas de chasse aux sorcières. Il est un homme de parole. Donc, il ne faut pas qu’ils aient peur. Qu’ils acceptent de partir. Il ne leur arrivera rien.
Réalisée par
George Amani