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Société Publié le vendredi 9 décembre 2011 | Nord-Sud

Reportage/Enfants et apprentis-gbaka: A 9 ans, ils défient la route

De plus en plus, les enfants de moins de 15 ans sont utilisés comme apprentis-Gbaka. Ce phénomène prend de l’ampleur notamment à Yopougon. Une incursion dans la vie de ces gamins dévoile des secrets.

« Adjamé, Adjamé par Banco !». Sa voix juvénile et à peine audible est couverte par les bruits de moteurs, de klaxons, bref, le brouhaha de la gare. C’est un gamin filiforme âgé de dix ans environ, avec une liasse de billets de mille francs entre les doigts. Il donne de la voix pour attirer les clients. Difficile de déterminer les vraies couleurs de sa culotte et de son sous-vêtement, tant ils sont sales. Ses yeux sont rouges. Est-ce l’effet de la fatigue ou de la consommation d’excitants ? Il faut le voir s’accrocher à la portière du véhicule et se livrer aux traditionnelles acrobaties des apprentis-gbaka ! Le mot est enfin lâché. C’est un apprenti-gbaka. Mais le môme est si frêle et si jeune qu’il fallait du temps pour croire qu’il exerce ce métier. Nous sommes à Yopougon-sable. Ce vendredi 18 novembre, certains passants sont aussi surpris que nous de voir un si petit bonhomme dans un si grand rôle. Renseignement pris, il se nomme Hamed. Chaque jour, le gamin effectue le trajet Gesco-Adjamé pendant que beaucoup d’enfants de son âge sont en classe, jouent aux billes ou au ‘’saute-mouton’’ pendant la récréation. Le plus étonnant, c’est qu’il a débuté le métier à 9 ans. Il frappe la porte du véhicule du poing pour signaler au conducteur qu’un client est en vue. « Madame, c’est où, Adjamé ? », interroge-t-il.

Entre cigarettes et stupéfiants

Il négocie les prix avec habileté. Hamed nous confie qu’il commence à 5 h du matin pour ne finir qu’à 22 h. « Mon rêve, c’est devenir un chauffeur. J’économise pour passer mon permis », explique-t-il avec une passion innocente. L’école, ce petit garçon n’y a jamais mis les pieds. Pour lui, c’est une perte de temps. Il préfère gagner l’argent ‘’kabakaba’’, selon son expression. C`est-à-dire rapidement. Quand il ne roule pas, il passe ses journées à la station d’essence juste au carrefour du sable. Là, il flâne toute la journée avec ses potes du même âge en attendant qu’il soit appelé par son chauffeur. En effet, à l’instar d’Hamed, ils sont nombreux ces enfants apprentis-gbaka à Yopougon. Le phénomène prend de l’ampleur dans la commune. Leurs âges varient de 9 à 15 ans. Le petit Baky en fait partie. Ce vendredi, il ne travaille pas. Et, il est à la station d’essence. Lorsque nous le rencontrons, il est avec d’autres amis du même âge. Ils apprennent à jouer aux grands. Certains s’essayent à la cigarette. Fofana Amadou dit Levié est un autre apprenti-gbaka qui se repose aujourd’hui. Il fait sortir de la fumée de cigarette par ses narines comme pour dire qu’il n’est plus un bambin. Baky qui a 12 ans affirme qu’il a arrêté ses études en classe de CE1. Il sait à peine lire et écrire. Orphelin de père, il s’est très vite retrouvé comme apprenti dans un atelier de couture. Ce métier ne lui plaisait pas. Ce qu’il voulait, c’était de devenir apprenti-gbaka. Il a de l’admiration pour un grand-frère chauffeur dans son quartier de Wassakara, dans la même commune. « Je veux devenir comme lui. C’est pourquoi je suis en apprentissage avec lui ». Pour cela, il est prêt à tout, cigarette, café noir. «  Quand c’est (le café) très serré, cela permet d’être éveillé », confesse-t-il. Mais, il fait en sorte que son frère ne sache pas qu’il consomme des excitants. « Je me cache ». Chaque soir, après la recette, il lui remet 2.500 f Cfa.  Souvent, plus, « sans oublier, les jetons.» Une bonne manne journalière pour le gamin qu’il est. Ce qu’il fait de sa paie ? « Je donne une partie à ma mère et je gère le reste », affirme-t-il avec fierté.

Les patrons s’expliquent

Tout comme lui, les autres enfants apprentis-gbaka sont livrés à eux-mêmes. Sans grand soutien des parents. Déscolarisés, sans éducation, ils s’adonnent à toutes sortes de débauche comme la consommation de boissons alcoolisées et de stupéfiants. A Adjamé, sur le boulevard Nangui-Abrogoua, près de la mosquée, Karim, 12 ans, est aussi un apprenti-gbaka. Il charge pour Yopougon-Siporex. Pour Karamoko Ladji, un chauffeur qui fait la ligne Yopougon-Sideci-Adjamé, c’est une aubaine de travailler avec ces enfants. Ils sont plus malléables. Et faciles à diriger. « Ils ne cherchent pas à faire de grosses retenues sur les recettes », se réjouit-il. Ce chauffeur ne voit pas d’inconvénients à ce que les enfants soient des apprentis. Et il ne sait pas que le travail des mineurs est une faute grave. Sa philosophie : « un métier, ça s’apprend en étant jeune. Quand on est grand, les choses ne rentrent pas vite (Ndlr : s’assimilent). Les personnes âgées ne se laissent pas crier dessus. Moi, j’ai commencé très tôt. Et aujourd’hui, j’ai mon camion (son minicar) ». Cet autre chauffeur, Madougbè Cissé, 35 ans, ne trouve pas, lui non plus, de mal à voir un enfant devenir apprenti-gbaka. «  C’est vrai qu’ils se cachent pour consommer des stupéfiants. La faute ne nous incombe pas », se contente-t-il de dire. F.S, membre de l`organisation ‘’Le Bien-être des employés’’ et auxiliaires du transport de Côte d’Ivoire (Beat-ci) qui a requis l’anonymat, déplore cette situation. Pour lui, ce sont de véritables gangsters en devenir. « La population ne se rend pas encore compte de la gravité de la situation. A leur jeune âge, ils ont déjà des comportements peu recommandables. Il faudrait que l’Etat réagisse pour empêcher ce fléau. De plus en plus d’enfants sont utilisés dans le milieu du transport. Il faut baliser les choses. Imposer un âge pour devenir apprenti-gbaka », souhaite-t-il.

Ce que dit la loi

Le 20 novembre dernier, la Côte d’ivoire célébrait le 22ème anniversaire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (Cde). Cette convention, adoptée le 20 novembre 1989 par les Nations-unies, et ratifiée par la Côte d’Ivoire le 4 février 1991, est un instrument de droit international visant à assurer à tous les enfants, en tant qu’êtres humains particulièrement vulnérables, la reconnaissance de droits sociaux, économiques, civiles et politiques. A cette occasion, la ministre de la Famille, la femme et de l’enfant, Raymonde Goudou Koffi, a noté que d’importants progrès ont été enregistrés dans la reconnaissance et le respect des droits fondamentaux de l’enfant. En effet, le cadre juridique de protection de l’Enfant a été renforcé par des protocoles additionnels à la Cde. «Il s’agit du protocole relatif à l’implication des enfants dans les conflits armés, en août 2011,du Protocole se rapportant à la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en octobre 2011. Des lois ont été également adoptées dans des domaines spécifiques notamment la loi n° 2010- 272 du 30 septembre 2010, portant interdiction de la traite et des pires formes de travail des enfants », a-t-elle souligné. Cette loi a permis d’assurer la protection des enfants victimes de traite et de pires formes de travail et leur a offert des moyens de recours. Sur le plan institutionnel, le président de la République de Côte d’Ivoire a signé un décret n°2011-365 du 3 novembre 2011 mettant en place un comité interministériel de lutte contre la traite des enfants aux fins de coordonner les actions des acteurs clés et assurer la mise en œuvre des programmes et projets en vue de l’éradication de la traite et du travail des enfants. « Il est plus qu’impérieux de conjuguer les efforts Etat-parents-partenaires au développement et société civile pour renforcer la lutte contre toutes ces violations qui font obstacle au bien-être et à l’épanouissement de nos enfants », conseille la ministre.


S.S (stagiaire)
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