Pr Bohoussou Marcellin (gynécologue) : “Le sperme n’est pas toxique”

Dans cette interview, le spécialiste explique que les Africains ont beaucoup de préjugés sur l’activité sexuelle de la nourrice.


A partir de quel moment le corps de la nourrice est-il prêt à reprendre les activités sexuelles?
D’un point de vue anatomique, en général, les rapports sexuels peuvent avoir lieu après l’arrêt des lochies. Les lochies, c’est un mélange de sang et d’eau qui provient de l’utérus de la nouvelle maman. Ce sont les pertes après l’accouchement.

Et combien de temps durent les lochies ?

En principe, de 3 semaines à un mois. Scientifiquement après les lochies, s’il n’y a pas eu de déchirure, d’épisiotomie ou de césarienne, la femme peut reprendre l’activité sexuelle. Cependant, chaque être humain a sa physiologie, il se trouve que certaines femmes cicatrisent vite et d’autres non. Mis ensemble, l’activité sexuelle en général reprend entre la 6ème et la 8ème semaines. Toutefois, l’appréciation et la doctrine religieuse ne sont pas à négliger. Cela varie selon les religions. Certaines diront 40 jours, d’autres trois mois… Pour la césarienne, au plus trois mois pour que la plaie se cicatrise. Mais il faut aussi effectuer une radiographie de l’utérus six mois après la césarienne. Mais, les médecins actuels ne le font plus.

Pourquoi ?

Parce qu’il y a quelques années, avant 1990, cet examen était gratuit. Mais après l’instauration des frais de santé, les femmes ne faisaient plus cet examen, quand les médecins le leur demandaient. Au fur et à mesure, ils ont arrêté de le demander.

Qu’arrive-t-il aux femmes qui ne respectent pas cette date ?

Elles ont des infections qui peuvent avoir des complications. En effet, dans le vagin, il y a près de 230 microbes. Ils sont composés de microbes saprophytes (les protecteurs du vagin) et de microbes pathologiques. Et, ce sont ces derniers qui causent les infections. Toutefois, les germes saprophytes peuvent en certaines circonstances (après les déchirures du vagin, les frottements du pénis…) devenir pathologiques.

Il paraît que le lait maternel est empoisonné lorsque la mère a des rapports sexuels. Qu’en est-t-il ?

Les Africains le disent souvent. Il paraît que lorsqu’une femme couche avec son mari, le lait est empoisonné. Et que cela cause des maladies à l’enfant.

Est-ce vrai ?

Pas du tout. Ce sont des constats qui ont été faits. Les Africains ont constaté que lorsqu’une femme couche avec son mari pendant qu’elle allaite, l’enfant fait de la diarrhée. Mais cela n’est pas vrai. C’est sans doute le manque d’hygiène qui provoque cette diarrhée. Et quand ils ont constaté qu’il y avait de nombreux enfants qui mouraient, ils ont voulu rattacher cela à une cause : les relations sexuelles.

Vous voulez dire que le sperme n’est pas toxique

Non, il n’est pas toxique. Le sperme n’a rien à voir avec la morbidité et la mortalité élevées de nouveau-nés.

Et la grossesse ?

Si la grossesse survient, elle n’impose pas le sevrage du bébé allaité. L’allaitement ne présente pas de risques pour le fœtus. Le lait est toujours bon, même s’il disparaît peu à peu pour être remplacé par une autre substance, en général pendant le second trimestre de la grossesse.

Recevez-vous des femmes en consultation qui vous disent que malgré les douleurs qu’elles ressentent, l’époux veut…
Non, les hommes ne sont pas aussi sadiques que vous le croyez. Ils attendent que les douleurs finissent. La plupart des femmes ont surtout peur de tomber enceinte. Car, pour elles, si elles tombent de nouveau enceinte, la santé de leur enfant risque de prendre un coup. Elles ont aussi peur des ‘’qu’en dira-t-on ?’’ Chez les Baoulé, quand une grossesse survient avant le retour des couches, c’est une malédiction. L’enfant est tué ou stigmatisé. On lui donne même un nom : Amien.
Certains époux parlent d’élargissement du vagin à la suite de l’accouchement, qu’en est-t-il ?
Le vagin reprend sa forme deux semaines après l’accouchement. Le vagin n’est pas ouvert. Le vagin a une cavité virtuelle. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de trou. C’est quand il y a pénétration que la verge élargit le vagin. Au moment de l’accouchement, les muscles se dilatent pour laisser passer l’enfant, mais après, ils se contractent.

Quel est le moyen de contraception approprié ?

Dans l’ancien temps, c’était plus facile. Lorsqu’elle accouche (soit la femme rejoignait sa famille et ne revenait que quand l’enfant est sevré, soit l’homme n’était qu’avec sa seconde épouse pour permettre à la première de récupérer. Aussi, l’allaitement exclusif (au moins 8 tétées jour et nuit) lui permettait d’être à l’abri d’une grossesse pendant les six premiers mois. Désormais, tout cela n’est plus possible. Il n’y a plus de séparation du couple et compte tenu des occupations, l’allaitement exclusif est presque inexistant. En outre, le couple peut utiliser des préservatifs, des pilules ou des injectables. Au niveau des injectables, il y a des soucis. Le cycle menstruel est perturbé et souvent, il y a une absence même des règles. En général, quand une femme accouche, une semaine après, je lui fais une injection. A huit semaines, je lui fais une autre qui l’envoie jusqu’à trois mois. Je lui fais une troisième qui la projette à six mois. Et j’arrête. Je passe ensuite à la pilule. Il y a deux catégories de pilules. Les pilules progestatives qu’on peut commencer trois semaines après l’accouchement et les pilules oestro-progestatives. Ces dernières sont plus efficaces mais très dangereuses. Car si la femme les prend, quatre jours après, elle n’a plus de lait. Il existe également d’autres moyens de contraception.

Interview réalisée par A.K.