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Économie Publié le vendredi 14 janvier 2011 | Le Mandat

La monnaie ivoirienne de la résistance / mir : Une monnaie mort-née

© Le Mandat
Un jeune supporter du President Laurent Gbagbo, affiche les notes spécimen dans une monnaie fictive ivoirien, dans le quartier de Yopougon à Abidjan
Ce n’est plus un secret pour personne. Depuis, leur débâcle au 2ème tour de la présidentielle le 28 novembre dernier, Gbagbo et son clan sont au labo pour la création d’une nouvelle monnaie. M. Daniel Anikpo, Économiste de formation, démonte ce cynique projet

Depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle controversée en Côte d’Ivoire, un courant de pensée propose, dans une improvisation folklorique, la création d’une nouvelle monnaie appelée « Monnaie Ivoirienne de la Résistance, MIR ». Le problème qui se pose est celui de sa faisabilité dans ce contexte de crise post électorale. Contexte caractérisé par la non reconnaissance de la personnalité juridique internationale de l’Autorité et de l’administration de Laurent GBABGO. La réponse est sans ambiguïté. Cette faisabilité est quasi nulle. Et même si par extraordinaire, une telle monnaie naissait, elle serait une mauvaise monnaie, qui sera rejetée par tous, parce sans aucune valeur juridique, économique, monétaire et financière d’une part et d’autre part, une monnaie qui devra faire face, à court terme, aux problèmes techniques et institutionnels insurmontables qui se dresseront sur le chemin de son fonctionnement. Dans cet article, notre examen ne portera pas sur les problèmes théoriques des sciences économiques et financières. Le lecteur désireux d’approfondir ces aspects pourrait toujours se référer à notre livre « La méga économie, revoir le développement » où sont traités les questions relatives à la création de la monnaie, de sa masse et de sa stabilisation. Nous nous intéresserons ici à deux problématiques : l’environnement et l‘urgence. Nous analyserons, à grands traits, le contexte de crise post électorale, ses répercussions juridiques, économiques, monétaires, financières internationales, régionales et nationales sur la possibilité ou non de créer une nouvelle Monnaie Ivoirienne de Résistance, MIR. Sans oublier les aspects techniques et institutionnels qui se dressent comme des obstacles infranchissables à sa réalisation à court terme, vu l’urgence signalée d’une création improvisée. Il faut rappeler que la monnaie est un bien qui joue le rôle d’équivalent général ou universel. Elle constitue une des institutions qui garantit la souveraineté internationale d’un pays. On comprend alors, pourquoi l’on dessine et circule des photocopies de spécimen de monnaie nouvelle, dans le présent contexte de crise post électorale, où la notion de souveraineté intervient dans tous les propos, sans revêtir nécessairement le même sens ni servir les mêmes objectifs. Et pourtant, il y a péril à appréhender la notion de souveraineté monétaire de manière légère et démagogique. La création de la monnaie, instrument de la souveraineté suppose donc l’existence préalable d’une administration établie et reconnue. La question de l’urgence revêt une valeur cardinale, vu le contexte de crise post électorale actuelle. Un contexte inapproprié pour créer une nouvelle monnaie. Surtout pour un pouvoir qui a laissé, dans l’oubli total, dix années durant, la question de la souveraineté monétaire. Le moment est il opportun?

CONTEXTE DE CRISE POST ELECTORALE ET CREATION DE LA MONNAIE IVOIRIENNE MIR IMPOSSIBLE FAISABILITE

Problèmes relatifs à la non reconnaissance de la souveraineté juridique internationale de l’Administration de GBAGBO La Côte d’Ivoire, personnalité juridique qui a une souveraineté reconnue par la Communauté internationale et ayant toujours son territoire de 322362 km2, dont le Président légitime reconnu est le Dr Alassane Dramane Ouattara. La monnaie de cette Côte d’Ivoire-là, reste le Franc CFA. La nouvelle monnaie MIR ne dispose pas de zone monétaire légitime et légale réelle. Dès lors, la Côte d’Ivoire de GBAGBO sera une zone monétaire virtuelle qui n’existe pas réellement et sans réalité juridique internationale. En conséquence, elle sera hors de l’espace Mondialisation : ONU, PNUD, Banque Mondiale, FMI et donc hors du système monétaire et financier international. Hors aussi, de l’espace africain, régional et sous-régional. Conséquences : la MIR n’aura pas de valeur internationale, pas de convertibilité, pas une monnaie d’exportation de biens échangeables, ni d’importations de biens et d’équipements, de machines, d’appareils et de biens industriels pour le développement. En outre, la MIR ne jouira pas des bénéfices de la stabilité monétaire et financière du Fonds monétaire international dans sa mission de gendarme de la finance mondiale, en cas de crise monétaire ou/et financière de la MIR. Une monnaie orpheline, sans la tutelle du FMI et donc, exposée aux vagues meurtrières destructrices de la finance mondiale.

Problèmes institutionnels relatifs au réseau bancaire de distribution de la MIR
Ne faisant pas partie du système monétaire international, africain et régional, la monnaie MIR ne bénéficiera pas non plus du réseau bancaire régional de la BCEAO ni des prestations bancaires de l’APBEFCI (Association professionnelle des Banques et Établissements financiers de Côte d’Ivoire). La faisabilité de la nouvelle monnaie MIR exigera la création préalable d’un nouveau réseau bancaire interne ivoirien. Politique qui demandera des ressources financières considérables (capitaux propres et capitaux permanents) non disponibles actuellement. La création d’un tel réseau ne se faisant pas avec de la monnaie banque centrale, mais plutôt avec de l’épargne réelle des ménages et des entreprises ou de l’État. Puisque la BCEAO a bloqué tous les comptes bancaires de la Côte d’Ivoire portant la signature Laurent GBAGBO, d’une part, et vu qu’aucune épargne ou réserve n’existe, à ce jour, en monnaie MIR, se présentent les problèmes non seulement d’incapacité institutionnelle mais aussi de problèmes financiers aigus.

Problèmes techniques relatifs à la création préalable de l’usine de fabrication de la nouvelle monnaie MIR

La monnaie c’est un bien industriel comme le pain. Il faut la fabriquer. Pour fabriquer du pain, il faut au préalable créer une boulangerie, acheter de la farine, former les travailleurs et leurs patrons et enfin, fabriquer du pain. Mais avant, il faut réaliser des études de faisabilité technique, économique et financière pour mettre en évidence la rentabilité de l’entreprise en question.
Il en est de même pour la création d’une nouvelle monnaie. Il faut créer l’usine de fabrication de la monnaie, acheter les matières premières (papier, minéraux et métaux bruts, former les techniciens ou les recruter, mettre en place une administration, fabriquer la monnaie (billets de différentes coupures, pièces de différentes valeurs). Les pays industrialisés capables de fabriquer une monnaie sécurisée et non falsifiable, refuseront de le faire du fait de la non reconnaissance de la souveraineté internationale de l’Administration de GBAGBO. La création endogène d’une nouvelle monnaie demanderait des années de travail technique et industriel. Un délai de réponse trop long au regard de l’urgence signalée. L’on est en droit de se demander pourquoi n’y avoir pas pensé au cours de ces dix dernières années, période nettement plus propice à la mise en œuvre d’une décision de cette importance. Il aurait fallu y penser dès l’accession au pouvoir suprême en 2000.. Actuellement, le Franc CFA est fabriqué par la France, parce que les deux régions monétaires UEMOA et BEAC n’ont pas une technologie fiable pour produire un FCFA sécurisé non falsifiable par les faussaires. La monnaie MIR produite localement courrait de grands risques qui, s’ils se réalisaient, provoqueront la faillite économique et financière totale de l’économie ivoirienne et sa banqueroute.

Problèmes économiques de la valeur de la MIR

La MIR ne jouissant pas de la reconnaissance internationale, ne peut avoir une valeur internationale et donc ne peut jouer sa fonction définitionnelle de moyens d’échange universel et d’équivalent général. C’est une monnaie sans valeur économique internationale. La MIR n’aura pas non plus de valeur économique d’échange au plan national. Pourquoi? L’économie nationale reconnue a pour monnaie légale le FCFA. Qui cohabitera avec la MIR. Tous les biens agricoles exportés, le pétrole, les mines et autres, ne peuvent l’être que par le canal du FCFA qui est géré par l’Administration Ouattara. Les revenus qui en seront issus, rentreront dans le giron financier de l’administration Ouattara qui a la signature sur les comptes d’opérations au Trésor français et de la banque centrale BCEAO où se fait le change. Il en sera de même pour toutes les importations de biens industriels qui emprunteront le même canal. La faiblesse de la monnaie MIR sera d’autant plus prononcée qu’elle court le risque de se cantonner dans une partie seulement du pays (le Sud) et ne porter que sur les biens non échangeables (biens produits et consommés localement). Or, cet ensemble de biens non échangeables de cet espace réduit, est surtout le fait du secteur informel. Donc, même si par extraordinaire, l’Administration GBAGBGO arrivait à créer la MIR, elle ne procurera pas une fiscalité importante et suffisante pour payer les fonctionnaires, équiper, moderniser et gérer le pays. Ce secteur informel n’étant pas organisé pour le payement des impôts. L’assiette fiscale sera très réduite. En gros, ce sera une monnaie inutile et sans valeur économique d’échange capable de jouer sa fonction cardinale d’équivalent général (national et international). D’autant plus que le secteur de l’agriculture d’exportation, du pétrole, des mines et des importations des biens industriels qui constituent le secteur des biens échangeables, rentre dans le giron économique et financier de l’administration de Ouattara, reconnu internationalement. C’est-à-dire, la quasi-totalité de l’économie ivoirienne moderne. La MIR ne reposera sur rien. Donc sans valeur, une monnaie mort-née.

Problèmes monétaires liés à la fausseté de la MIR et à la cohabitation monétaire avec le FCFA, au plan national ou régional
Ici encore, si par extraordinaire, la monnaie MIR était créée, elle cohabiterait avec le FCFA à l’interne et ou le FCFA au niveau CDEAO. Dans une cohabitation avec le FCFA, la MIR sera une mauvaise monnaie rejetée par tous, parce que non convertible. Les entreprises vont la rejeter, les pays voisins vont aussi la rejeter. Tout le monde, sans exception (ménages et entreprises) la rejetteront et rechercheront le FCFA. Le FCFA deviendra très rare et la monnaie MIR que personne ne veut, sera surabondante parce que sans valeur monétaire. C’est ainsi qu’on dit ‘’la mauvaise monnaie chasse la bonne’’. La MIR sera une fausse monnaie. Le taux d’inflation de la MIR connaîtra une course vertigineuse à la vitesse de la monnaie du Zimbabwe, le ZIM-DOLLAR qui a pu atteindre un taux d’inflation de 2000000 %. Comme le Zimbabwe, ‘’la Côte d’Ivoire de Gbagbo’’ sera obligée d’abandonner la MIR que personne ne voudra pour demander à un pays ami de lui prêter sa monnaie. C’est le cas du Zimbabwe qui a rejeté son Zim-dollar au profit du Rand sud africain et du dollar américain. Ainsi, la monnaie outil d’une souveraineté recherchée se transformera en un outil d’esclavage monétaire et financier. Est-ce ce sort que la mouvance Gbagbo voudrait imposer à la Côte d’Ivoire ?

Problèmes financiers induisant le pays dans un sous-développement perpétuel et le chaos
Toute monnaie est un instrument financier qui joue la fonction de réserve et d’investissement. C’est pour cette fonction de développement que la monnaie fait partie des attributs de souveraineté nationale. En effet, qui dit développement dit industrialisation. Et qui dit industrialisation, dit investissement. En macro économie, investir, c’est créer des biens d’équipement et des machines. Et l’on n’investit qu’avec l’épargne et non avec la monnaie banque centrale. Et comme la Côte d’Ivoire ne produit pas de biens industriels sur place et qu’elle doit les acheter auprès des pays industrialisés, il faut une monnaie convertible ayant une valeur internationale pour pouvoir les acheter. Ce qui est impossible avec la MIR. En d’autres termes, avec la MIR, toute politique d’industrialisation et de développement est impossible. Les raisons sont les suivantes : pas de réserve (épargne) en MIR, pas d’investissement ni d’équipement, ni d’industrialisation et enfin, sans possibilité d’utilisation de l’épargne de la Diaspora du fait de la non convertibilité de la MIR. Or, pour la stabilité de la monnaie, la doctrine économique orthodoxe veut que l’épargne nationale soit égale à l’investissement. Cette identité fondamentale, épargne = investissement qui conditionne et induit le développement sera impossible. La MIR créée dans les conditions de la crise postélectorale actuelle ne pourra servir de monnaie d’investissement, d’industrialisation et de développement. C’est pourquoi, on n’improvise pas la création d’une monnaie nationale. A l’heure de la mondialisation et des grands ensembles économiques et financiers, à l’heure des efforts d’intégration de l’Union Africaine, la création de nouvelles monnaies nationales devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie et de recherche de caution des citoyens. Pour terminer, La création et la gestion de la monnaie sont une chose importante pour être confiées à des mains non expertes qui ont par contre démontré leur incapacité à soutenir la compétition, à gagner la bataille de la productivité et de la lutte contre la corruption systématique. La MIR risque de nous conduire dans une prison économique, monétaire et financière. Voire dans l’esclavage.
Daniel Anikpo,
Economiste,
Ancien ministre du Commerce
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