Pratiques de pêches destructrices, pression démographique… le lac d’Ayamé, symbole du canton Djandji est aujourd’hui au centre de toutes les violences. Entre les jeunes pêcheurs autochtones et les Bozos, « je t’aime moi non plus».
Jolie matinée d’harmattan en ce vendredi de janvier. Au tréfonds d’un brouillard clair-obscur, le soleil ricane sur Aboisso, chef-lieu de région du Sanwi. En quelques minutes de route seulement, et voilà Ayamé la capitale du Djandji composée aussi de Bianouan et de Yaou. La belle petite bourgade, enfouie dans ce relief accidenté, est connue pour ses barrages hydroélectriques mais surtout pour son lac artificiel de 197 kilomètres carrés, réalisé en 1959 sur la rivière Bia. Aucun déboisement n’ayant précédé la mise en eau, le lac se présente comme un grand plan d’eau sombre d’où émergent des troncs d’arbres restés debout. II se présente aussi sous forme d’un barrage voûté s’appuyant d’un côté sur la montagne et de l’autre sur une digue de surélévation en terre compactée. Cap sur ce site, mère nourricière d’au moins 14 villages. Une vaste étendue d’eau de 91 mètres de côte. Rendez-vous sur l’un des débarcadères. On y découvre d’énormes trous à poissons en descendant le bassin. Mais derrière ce beau spectacle, un conflit oppose des Maliens appelés bozos aux autochtones. Deux communautés de pêcheurs qui utilisent les mêmes techniques de capture. Les rixes ne manquent pas. Il y a une dizaine de jours, le vase a débordé.
Le vase déborde
Une horde de jeunes gens, le visage grimé, la main armée de bouts de bois et de machettes ont pris à partie les pêcheurs bozos. Bilan, plusieurs blessés, des biens emportés, au moins 8 pirogues et des filets de pêche incendiés. Heureusement, les Bozos, malgré les préjudices subis, se sont abstenus de riposter pour ne pas envenimer une situation déjà volatile. A l’origine de toutes ces brutalités, l’exploitation du lac. Les Bozos sont ceux qui ravitaillent le plus efficacement les marchés en poissons. Les jeunes pêcheurs autochtones qui n’ont ni la science ni l’ardeur à ce type de labeur n’en peuvent plus de la cohabitation. Malgré les 60 millions Fcfa et les équipements mis à disposition par le gouvernement, les résultats n’ont pas été à la hauteur des promesses. Ils estiment que les étrangers sont à la base de l’échec. «Ils font des fétiches contre nous », explique Etienne, un jeune pêcheur. «Nous sommes des boucs-émissaires », rétorque Farba Soumaré, un Bozo. En réalité, il n’y a jamais eu d’amour entre les deux groupes, mais plutôt de la tolérance. Ce conflit, il faut le rappeler, ne date pas d’aujourd’hui. En 1998, les Bozos avaient été mis au ban de la ville. Les autochtones les accusaient d’avoir enfreint à leurs coutumes et profané des objets sacrés. A l’époque, leur capacité accrue de pêche permettait d’approvisionner les marchés alors que les pêcheurs locaux, plus petits, ne pouvaient en capturer que quelques kilogrammes à peine. Ce qui a entraîné une forte spéculation, obligeant une partie des populations notamment les femmes à réclamer le retour des Bozos. Revenus pour reprendre leurs activités, ils sont toujours lorgnés. Ils sont à nouveau confrontés aux mêmes élans xénophobes. Les jeunes autochtones opposent un refus catégorique de les voir exploiter ce qu’ils considèrent comme un bien exclusif à leur seul usage. Ils accusent aussi le maire de la ville d’être de connivence avec les Bozos et d’avoir manœuvré pour leur retour. «Je ne travaille pas au détriment de mes frères. Ce que je veux, c’est de leur donner les moyens afin de devenir compétitifs », se défend le président du conseil municipal, Louis Blaise Aka Brou.
L’imbroglio continue
Cette profession de foi n’a pas permis d’annihiler les velléités de conflit sur le lac. Et tous les moyens sont bons : pagaies, coupe-coupe, bâtons, machettes parfois. Sur le terrain, la Coopérative des jeunes pêcheurs d’Ayamé maintient son interdiction faite aux Bozos d’utiliser le lac. Une coopérative fictive, objecte le ministre des Ressources animales et halieutiques, Kobena Kouassi Adjoumani. Après avoir vainement plaidé à perdre la voix, les pêcheurs maliens répliquent : «nous ne partirons pas ». A plusieurs reprises, les Bozos ont fait des compromis et accepté des mesures restrictives et/ou des mesures de surveillance accrues au point où le seul compromis qui leur reste à faire est de se retirer complètement de la zone de pêche. A l’évidence, c’est l’objectif des jeunes et, bien entendu, cela n’est pas une option pour tous ! En premier lieu, les femmes dont le commerce prospère grâce aux Bozos.
“Les Maliens nous aident et ce serait suicidaire de les mettre dehors”, explique Jeanne Konan, une vendeuse autochtone. «On est des pêcheurs de père en fils. On aime notre métier et on doit avoir le droit de l’exercer en toute sécurité. On ne peut pas laisser faire ceux qui veulent nous empêcher de gagner notre pain », observe Fodi Mandé. Que faire pour régler la situation ? Faire appliquer les textes, dire la vérité, c’est-à-dire dénoncer le laxisme, affirme le préfet de région, Seydou Gogoua. Le ministre Adjoumani a déjà donné le ton. Pour lui, les Bozos ont le droit de pêcher légalement. Mais il faut le respect de la loi : le permis, les engins de pêche, les niveaux de captures. Bref, la réglementation. «Ils savent que leur équipement et leur technique ont besoin d’être modernisés », dit-il. Malheureusement, il y a énormément de résistance au changement, même si cela est censé améliorer la qualité du produit au bout du compte. Les Bozos sont extrêmement inquiets pour la survie de leur flotte. Ils continuent de subir des pressions de toutes sortes même s’ils veulent respecter les consignes. «Ils harcèlent nos pirogues, coupent les amarres de la petite embarcation. Ils endommagent nos pirogues en y tirant différents projectiles en acier. C’est sûr que nous avons perdu notre saison de pêche au complet», souligne Adama Baldé. Du point de vue opérationnelle, les services de pêches reconnaissent que le lac ne peut supporter que 300 pêcheurs mais les autochtones considèrent que les étrangers ont dépassé les bornes. Richard Tokré, secrétaire général de la coopérative des jeunes pêcheurs, ne renonce pas à ses textes. «Pour pêcher, il faut être membre de notre coopérative. Pour être membre de la coopérative, il faut être ivoirien», insiste-t-il. Un labyrinthe. Pour l’heure, les deux parties refusent de bouger de leurs positions respectives. Mais les discussions continuent. «Nous sommes conscients qu’il n’existe pas de solution magique et qu’il n’en existera pas tant et aussi longtemps que les autochtones ne voudront pas sentir les autres », fait remarquer le président du conseil général, Aka Aouélé. Mais, pour le ministre, il faut faire respecter la réglementation. «Le conflit doit être réglé à tout prix », croit M. Adjoumani. Qui est d’avis que toutes ces palabres sont alimentées par un discours politique irréaliste. En attendant, les usagers ont absolument besoin de ressources pour survivre et prospérer. L’imbroglio reste total voire intenable!
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial à Ayamé
Jolie matinée d’harmattan en ce vendredi de janvier. Au tréfonds d’un brouillard clair-obscur, le soleil ricane sur Aboisso, chef-lieu de région du Sanwi. En quelques minutes de route seulement, et voilà Ayamé la capitale du Djandji composée aussi de Bianouan et de Yaou. La belle petite bourgade, enfouie dans ce relief accidenté, est connue pour ses barrages hydroélectriques mais surtout pour son lac artificiel de 197 kilomètres carrés, réalisé en 1959 sur la rivière Bia. Aucun déboisement n’ayant précédé la mise en eau, le lac se présente comme un grand plan d’eau sombre d’où émergent des troncs d’arbres restés debout. II se présente aussi sous forme d’un barrage voûté s’appuyant d’un côté sur la montagne et de l’autre sur une digue de surélévation en terre compactée. Cap sur ce site, mère nourricière d’au moins 14 villages. Une vaste étendue d’eau de 91 mètres de côte. Rendez-vous sur l’un des débarcadères. On y découvre d’énormes trous à poissons en descendant le bassin. Mais derrière ce beau spectacle, un conflit oppose des Maliens appelés bozos aux autochtones. Deux communautés de pêcheurs qui utilisent les mêmes techniques de capture. Les rixes ne manquent pas. Il y a une dizaine de jours, le vase a débordé.
Le vase déborde
Une horde de jeunes gens, le visage grimé, la main armée de bouts de bois et de machettes ont pris à partie les pêcheurs bozos. Bilan, plusieurs blessés, des biens emportés, au moins 8 pirogues et des filets de pêche incendiés. Heureusement, les Bozos, malgré les préjudices subis, se sont abstenus de riposter pour ne pas envenimer une situation déjà volatile. A l’origine de toutes ces brutalités, l’exploitation du lac. Les Bozos sont ceux qui ravitaillent le plus efficacement les marchés en poissons. Les jeunes pêcheurs autochtones qui n’ont ni la science ni l’ardeur à ce type de labeur n’en peuvent plus de la cohabitation. Malgré les 60 millions Fcfa et les équipements mis à disposition par le gouvernement, les résultats n’ont pas été à la hauteur des promesses. Ils estiment que les étrangers sont à la base de l’échec. «Ils font des fétiches contre nous », explique Etienne, un jeune pêcheur. «Nous sommes des boucs-émissaires », rétorque Farba Soumaré, un Bozo. En réalité, il n’y a jamais eu d’amour entre les deux groupes, mais plutôt de la tolérance. Ce conflit, il faut le rappeler, ne date pas d’aujourd’hui. En 1998, les Bozos avaient été mis au ban de la ville. Les autochtones les accusaient d’avoir enfreint à leurs coutumes et profané des objets sacrés. A l’époque, leur capacité accrue de pêche permettait d’approvisionner les marchés alors que les pêcheurs locaux, plus petits, ne pouvaient en capturer que quelques kilogrammes à peine. Ce qui a entraîné une forte spéculation, obligeant une partie des populations notamment les femmes à réclamer le retour des Bozos. Revenus pour reprendre leurs activités, ils sont toujours lorgnés. Ils sont à nouveau confrontés aux mêmes élans xénophobes. Les jeunes autochtones opposent un refus catégorique de les voir exploiter ce qu’ils considèrent comme un bien exclusif à leur seul usage. Ils accusent aussi le maire de la ville d’être de connivence avec les Bozos et d’avoir manœuvré pour leur retour. «Je ne travaille pas au détriment de mes frères. Ce que je veux, c’est de leur donner les moyens afin de devenir compétitifs », se défend le président du conseil municipal, Louis Blaise Aka Brou.
L’imbroglio continue
Cette profession de foi n’a pas permis d’annihiler les velléités de conflit sur le lac. Et tous les moyens sont bons : pagaies, coupe-coupe, bâtons, machettes parfois. Sur le terrain, la Coopérative des jeunes pêcheurs d’Ayamé maintient son interdiction faite aux Bozos d’utiliser le lac. Une coopérative fictive, objecte le ministre des Ressources animales et halieutiques, Kobena Kouassi Adjoumani. Après avoir vainement plaidé à perdre la voix, les pêcheurs maliens répliquent : «nous ne partirons pas ». A plusieurs reprises, les Bozos ont fait des compromis et accepté des mesures restrictives et/ou des mesures de surveillance accrues au point où le seul compromis qui leur reste à faire est de se retirer complètement de la zone de pêche. A l’évidence, c’est l’objectif des jeunes et, bien entendu, cela n’est pas une option pour tous ! En premier lieu, les femmes dont le commerce prospère grâce aux Bozos.
“Les Maliens nous aident et ce serait suicidaire de les mettre dehors”, explique Jeanne Konan, une vendeuse autochtone. «On est des pêcheurs de père en fils. On aime notre métier et on doit avoir le droit de l’exercer en toute sécurité. On ne peut pas laisser faire ceux qui veulent nous empêcher de gagner notre pain », observe Fodi Mandé. Que faire pour régler la situation ? Faire appliquer les textes, dire la vérité, c’est-à-dire dénoncer le laxisme, affirme le préfet de région, Seydou Gogoua. Le ministre Adjoumani a déjà donné le ton. Pour lui, les Bozos ont le droit de pêcher légalement. Mais il faut le respect de la loi : le permis, les engins de pêche, les niveaux de captures. Bref, la réglementation. «Ils savent que leur équipement et leur technique ont besoin d’être modernisés », dit-il. Malheureusement, il y a énormément de résistance au changement, même si cela est censé améliorer la qualité du produit au bout du compte. Les Bozos sont extrêmement inquiets pour la survie de leur flotte. Ils continuent de subir des pressions de toutes sortes même s’ils veulent respecter les consignes. «Ils harcèlent nos pirogues, coupent les amarres de la petite embarcation. Ils endommagent nos pirogues en y tirant différents projectiles en acier. C’est sûr que nous avons perdu notre saison de pêche au complet», souligne Adama Baldé. Du point de vue opérationnelle, les services de pêches reconnaissent que le lac ne peut supporter que 300 pêcheurs mais les autochtones considèrent que les étrangers ont dépassé les bornes. Richard Tokré, secrétaire général de la coopérative des jeunes pêcheurs, ne renonce pas à ses textes. «Pour pêcher, il faut être membre de notre coopérative. Pour être membre de la coopérative, il faut être ivoirien», insiste-t-il. Un labyrinthe. Pour l’heure, les deux parties refusent de bouger de leurs positions respectives. Mais les discussions continuent. «Nous sommes conscients qu’il n’existe pas de solution magique et qu’il n’en existera pas tant et aussi longtemps que les autochtones ne voudront pas sentir les autres », fait remarquer le président du conseil général, Aka Aouélé. Mais, pour le ministre, il faut faire respecter la réglementation. «Le conflit doit être réglé à tout prix », croit M. Adjoumani. Qui est d’avis que toutes ces palabres sont alimentées par un discours politique irréaliste. En attendant, les usagers ont absolument besoin de ressources pour survivre et prospérer. L’imbroglio reste total voire intenable!
Lanciné Bakayoko, envoyé spécial à Ayamé