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Politique Publié le vendredi 9 janvier 2009 | Le Patriote

Interview de Madame Guy-André Kieffer: “Qu’on rende à ma fille, son père!”

Osange Kilou Kieffer est une femme peinée. Sa vie n’est plus celle d’une épouse ordinaire depuis l’enlèvement de son époux, Guy André Kieffer. Malgré tout, elle résiste au stress et au traumatisme du choc. Difficile, mais elle se dit déterminée à mener la bataille jusqu’au bout. Entretien-vérité !

Le 20 février dernier, le cabinet de Mmee Laurent Gbagbo a réagi à la convocation que lui avait adressée le juge Ramaël. Bohoun Bouabré et Simone Ehivet Gbagbo ont refusé de comparaître devant ce juge. Pire, cette dernière a menacé le juge. Contre toute attente, on ne vous a pas entendue. Comment expliquez-vous ce silence de votre part ?

Je suis très étonnée parce que lors de la première convocation adressée à Mme Gbagbo et à M. Bouabré, le conseil de M. Gbagbo s’est présenté au juge le jour J et à l’heure dite, en prétextant que la Première dame n’avait pas reçu la convocation. Et voulait savoir si l’information qui avait été diffusée dans la presse avait été faite de façon directe. Donc, il y a eu rencontre, il y a eu discussions. Et il y a eu un certain nombre de propositions qui ont été faites auxquelles le juge a répondu favorablement. Donc, le juge attendait qu’on lui propose une date afin de rencontrer Mme Gbagbo à Abidjan selon le souhait de son époux. Je m’attendais donc à ce que la Première dame joue le jeu après tout, à titre de témoin. D’autant plus qu’elle a écrit un livre où elle parle de mon mari (Guy-André Kieffer, ndlr) et de moi-même et s’étale sur sa vie depuis le début. Lorsque que vous êtes cité dans un dossier, il va sans dire que le juge demande à vous entendre. C’est une affaire tout à fait banale que le juge cherche à savoir ce que vous savez de l’affaire. Quand une délégation de la justice ivoirienne est arrivée ici (France, ndlr) dans le mois de juin, elle a demandé à nous entendre. Cela s’est passé sans anicroche. Tout s’est déroulé comme sur des roulettes. Les auditions ne se sont même pas faites selon les règles protocolaires, entre guillemets. Mais on s’est prêté au jeu parce que j’ai trouvé tout à fait logique qu’une délégation de la justice ivoirienne vienne enquêter en hexagone sur l’affaire Guy-André Kieffer, puisque nous avons aussi déposé une plainte en Côte d’Ivoire. J’étais donc ravie que la justice de part et d’autre, suive son cours normal. D’ailleurs, je les ai remerciés d’être là. Et lorsqu’ils ont demandé à m’entendre, j’ai bousculé mon emploi du temps pour me rendre à l’entrevue. Mon beau frère est venu de Lyon pour les rencontrer. Robert Ménard entre deux avions s’est également rendu à la convocation. Ainsi, pour vous dire que tout le monde s’est prêté au jeu parce qu’on a estimé que c’était important. Et je pars du principe que mon époux bien que de nationalité Française, a disparu en Côte d’Ivoire. Quand la justice ivoirienne veut faire des investigations dans le sens d’éluder le mystère de sa disparition, je pense qu’il ne faut pas lui mettre des bâtons dans les roues et lui donner le maximum de facilité. Donc, je suis en droit d’attendre la même chose lorsque la justice française veut entendre un Ivoirien. Je pense que des personnes aussi intelligentes que Mme Gbagbo et M. Bouabré doivent savoir que répondre à une audition du juge Ramaël ne signifie pas qu’on va leur mettre des menottes aux poignets et qu’ils seront incarcérés. Personnellement, je suis étonnée et déçue. Je suis obligée de me poser la question de savoir s’ils ont quelque chose à cacher. Est-ce pour cela qu’ils ne veulent pas rencontrer le juge ?
Mme Gbagbo a décidé de porter plainte contre Seydou Berté, le principal témoin de l’affaire pour faux témoignage et même contre le juge Patrick Ramaël. Comment percevez-vous cette contre attaque ?
Mme Gbagbo a tout à fait le droit de déposer une plainte contre M. Berté Seydou. Ce dernier a quand même fait une déclaration dans laquelle il dit être témoin oculaire d’un certain nombre de choses. Il a déposé sous serment. Il a fait des déclarations. Il en a fait à la presse. A deux ou trois reprises, il est revenu sur les mêmes faits. Quand la délégation de la justice ivoirienne est venue ici, elle l’a entendu. J’imagine qu’il leur a tenu les mêmes propos. Alors, si Mme Gbagbo se sent diffamée, c’est donc son droit de déposer une plainte contre M. Berté. Lorsque Mme Gbagbo a diffamé mon époux et moi dans son livre, les gens m’ont proposé de déposer plainte contre elle. Mais, je n’ai pas voulu parce que je n’ai pas envie de rentrer dans ce genre de polémique. J’aurai pu déposer plainte, ainsi que toute la famille de mon mari. Mon beau frère le voulait, mais j’ai dis non parce que je ne voulais pas rentrer dans les petites querelles de chapelle. Ce qui m’intéresse c’est de savoir où est passé mon époux. Et ce qui lui est arrivé. Alors si Mme Gbagbo veut porter plainte contre M. Berté Seydou pour son témoignage, c’est son droit le plus strict. J’ai ouïe dire qu’il y a eu un mandat d’arrêt contre M. Berté. Je dis toujours que j’ai l’impression que chaque fois que nous approchons d’une vérité dans ce dossier, il y a toujours quelqu’un ou quelque chose qui vient faire diversion. Je considère la plainte de Mme Gbagbo contre M. Berté comme une manœuvre de diversion. Berté Seydou a dit un certain nombre de choses lors de sa déposition que le juge a considéré comme crédible. Il a dit les mêmes choses devant la délégation de la justice Ivoirienne ici. Il l’a dit devant les cameras. Je pense que Berté Seydou n’est pas fou pour tenir de tels propos de manière légère ou alors c’est un kamikaze. En tout cas, me concernant le problème n’est pas à ce niveau. On ne va pas extrader Berté parce que c’est un témoin protégé.
N’avez-vous pas l’impression qu’on tourne toujours en rond quatre ans après?
On ne tourne pas vraiment en rond. Les juges travaillent tous les jours sur le dossier. Mon beau frère et moi, nous sommes en permanence aussi sur le dossier. Nous suivons des pistes. Il y a toujours des choses dans les dossiers. Il y a des gens qui se manifestent. Et spécifiquement on vérifie toujours les contacts et tout ce que les gens nous disent. Dès le début, je me rappelle que lorsque j’ai rencontré Robert Ménard sur cette histoire, il m’a dit que la procédure risque d’être très longue. J’en étais aussi consciente connaissant l’environnement politique et économique. Mais, on sait qu’à terme on saura où est passé Guy-André Kieffer. On saura ce qui lui est arrivé de toute façon. Donc pour le moment c’est un dossier qui avance à petit pas. Quelque fois, il y a des coups d’accélération. Et il retombe à petit pas. Mais, ce n’est pas un dossier qui dort contrairement à ce qu’on pourrait croire. C’est un dossier qui évolue tous les jours. Sur les évènements de novembre 2004 en Côte d’Ivoire, l’attaque de Bouaké et les évènements de l’Hôtel Ivoire, des dossiers ont été déclassés par la justice Française. Est-ce que jusque-là il existe des dossiers déclarés secret- défense sur Guy-André Kieffer et qui ne sont pas déclassés ?
Je sais qu’il y a eu une demande de déclassification des pièces qui a été refusée. Je ne sais pas exactement de quelles pièces, il s’agit. Il faut déjà que j’aille consulter les récents dossiers parvenus aux avocats. Lorsque le juge s’est rendu à l’Elysée pour consulter les dossiers parce que ces derniers n’étaient pas à leur place normal, on lui a remis un document dans lequel il n’y avait pas beaucoup d’éléments probants. Il semblerait que depuis, il y a des pièces qui sont classées secret défense. Et pourquoi la déclassification de ces pièces à-t-elle été refusée ? C’est dans ce sens que nous allons interpeller la ministre de l’Intérieur. Est-ce qu’aujourd’hui, sous le régime de Sarkozy, on peut dire que le dossier avance ?
Je sais que depuis l’arrivée de M. sarkozy à l’Elysée, nous lui avons adressé un courrier. Ses conseillers juridiques ont pris attaches avec moi. On a préparé une rencontre avec M. sarkozy. Nous sommes sortis de cette rencontre avec le chef de l’Etat, très rassurés par les propos qu’il avait tenus et par le constat que nous avons fait. Nous nous sommes rendu compte qu’il connaissait le dossier. Et qu’il l’avait étudié avant de nous recevoir. Depuis, j’ai gardé contact avec les conseillers et avec les gens qui travaillent à l’Elysée. Et lorsque j’appelle, on me reçoit très vite si je le demande. Je pense que comme il nous l’a dit, c’est effectivement un dossier qui lui tient à cœur. Et la manière dont le dossier est géré depuis tend à nous prouver qu’il a dit vrai lorsqu’il dit que c’est une priorité pour lui. Ce n’est pas vraiment l’impression qu’on a de l’extérieur. Car contrairement au précédant dossier Ingrid Betancourt, on ne sent pas l’Elysée remuer. On pense qu’il y a plutôt un certain désintérêt de l’Elysée par rapport à ce dossier.
Il est vvrai que la Côte d’Ivoire n’est pas la Colombie. Les rapports de la France avec son pré carré sont des rapports un peu passionnels, d’amour et de haine. Donc, il faut ménager tout cela. Et il est vrai qu’il n y a pas autant de ressortissants Français en Colombie qu’en Côte d’Ivoire. Il est aussi vrai que les intérêts économiques en Colombie par rapport à la Côte d’ Ivoire sont dérisoires. Je tiens compte de tous ces paramètres. Je ne suis pas naïve au point de croire que Sarkozy va jouer les va-t’en guerre. Je l’ai dit depuis le début, je n’ai jamais demandé à la France de déclarer la guerre à la Côte d’Ivoire par rapport au dossier de mon époux. Je suis allée même plus loin, en disant que je ne suis pas en guerre avec la Côte d’Ivoire. Je ne suis pas fâchée avec les Ivoiriens. Pour moi, ils ont toujours été des frères, et une communauté dans laquelle je me suis toujours sentie à l’aise. Je n’ai pas retiré cet amour à la population ivoirienne. Je suis en revanche très en colère avec une poigneé d’individus qui pensent que parce qu’ils ont un pouvoir passager, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Je ne peux pas demander à la France de faire ce que moi-même je ne peux pas faire. Si je ne déclare pas la guerre à la population ivoirienne, je ne peux pas demander à la France de le faire. Mais, je demande au Président Sarkozy de faire ce qu’il peut faire en fonction des contraintes et des exigences politico diplomatiques mais aussi économiques. Et j’ai l’impression qu’il le fait. Je lui demande donc de poursuivre son travail.
Le couple Gbagbo vous reproche de faire de ce dossier un fonds de commerce. Que répondez-vous à cette accusation ?
Je ne vois pas comment je ferai de l’affaire Kieffer un fonds de commerce. Cette histoire me prend énormément de temps. J’ai une gamine chez moi qui fait des cauchemars lorsque la fête de Noël approche. Parce que c’est lors de cette fête de la nativité qu’elle avait un tête-à-tête avec son père. Quand l’anniversaire de l’enlèvement de son père approche, je suis contrainte d’annuler tous mes engagements pour rester chez moi. Idem pour l’anniversaire de son père. Ma fille fait des cauchemars. Je ne fais pas un fonds de commerce de la disparition de mon mari. Je veux bien le donner à Mme Gbagbo. Qu’est-ce que vous savez du beau frère de Mme Gbagbo : Michel Légré ?
Nous avons demandé que Michel Légré soit entendu en France par le juge. Nous n’avons jamais obtenu qu’il le soit sur les bords de la seine dans les conditions propices pour obtenir les informations qu’il avait commencé à donner. D’ailleurs, au début il était d’accord pour effectuer le voyage pour être entendu par le juge. On nous a dit qu’étant donné que c’était un citoyen ivoirien et qu’il n y avait aucune raison qu’il ne soit pas mis à la disposition de la justice française comme le permet la coopération judiciaire entre la France et la Côte d’Ivoire. On nous a dit que c’était faisable. J’en ai parlé au cabinet de M. Kouchner, et on m’a dit que c’était faisable. Donc à cette démarche, il y a une fin de non recevoir. Je ne sais pas pourquoi. On ne peut pas demander d’interroger des ressortissants Français et on accepte le principe. Et quand on demande à interroger un ressortissant ivoirien, ça pose toujours des problèmes comme si la France se comportait comme un pays colonial. Et qui par ses actions tente une néo colonisation de la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas cela. Je pense que si les dirigeants ivoiriens ont à cœur qu’on sache ce qui est arrivé à Guy-André et qu’on puisse clore ce dossier, il faut qu’ils aient la même tolérance par rapport aux demandes des juges français que la partie française a à l’égard de la partie ivoirienne. Pour le moment, il y a des espèces de barrages qui sont érigés systématiquement. Et je suis bien obligée de me poser la question : qui essaie-t-on de protéger ?
Quel message adresserez-vous à vos bourreaux sans visage ?
J’aimerai qu’ils aient suffisamment honte en se regardant dans leur glace le matin. Et qu’ils finissent par me dire où se trouve mon époux. Parce que je n’ai jamais posé aucun acte contre la Côte d’Ivoire et contre la population ivoirienne. Et même avec toute cette histoire, je n’ai jamais posé aucun acte contre la population ivoirienne. J’aimerai bien qu’on rende son père à ma fille.
Bientôt cinq ans que ça dure. Qu’est ce que vous vous dites?
Je dis que j’ai tout mon temps. J’ai une fille à élever. Et j’ai cette histoire. Ce sont mes deux seules priorités dans la vie aujourd’hui. J’ai donc tout mon temps. Je ne sais pas si les gens pensent au moins à ça. Mais moi, j’ai tout mon temps. Le pouvoir ce n’est qu’un temps dans la vie d’un homme. On ne naît pas avec. On peut mourir avec mais on naît rarement avec le pouvoir. Donc ce n’est pas quelque chose de pérenne. A votre demande, vous avez rencontré le Président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Envisagez-vous revenir en Côte d’Ivoire dans le cadre de ce dossier ?
On avait envisagé en avril de l’année dernière, avec Robert Ménard, de nous rendre en Côte d’Ivoire. J’en ai parlé à l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire (André Janier, ndlr). Et il m’a dit qu’il allait prendre la température. Je sais qu’il en a parlé au Président Laurent Gbagbo. Il a dit qu’il ne voyait pas pourquoi je ne viendrais pas. Et qu’il fallait que cela soit fait de manière opportune. Donc je pars du principe qu’en Avril 2009 je décide avec Jean François Julliard qui a remplacé Robert Ménard de me rendre en Côte d’Ivoire pour le cinquième anniversaire de l’enlèvement de mon époux, si on ne l’a pas retrouvé d’ici là, pour délivrer un message, donc j’espère que je ne serai d’aucune manière menacée. Robert Ménard n’est plus à la tête de Reporters sans Frontière. Est-ce que cela ne vous désavantage pas ?
Non pas du tout ! Quand on a commencé à travailler sur le dossier de Guy-André, Jean François Julliard était l’adjoint de Robert Ménard. Il y a une relation qui va au delà du simple dossier de journaliste à traiter par une association de défense des droits des journalistes. Léonard Vincent qui gérait le service Afrique de RSF avait aussi ce dossier en priorité. Donc, quand Robert Ménard est parti et que François Julliard l’a remplacé, Léonard Vincent est devenu l’adjoint de ce dernier. Nous sommes donc dans la même configuration. J’ai rencontré le remplaçant de Léonard Vincent, le Monsieur Afrique de RSF, était à RSF au moment de l’enlèvement de Guy-André. Il s’était déjà occupé du dossier. Il était stagiaire à l’époque. J’ai toujours eu de très bonne relation aussi bien avec Ménard qu’avec Jean François et Léonard. L’intérêt et la détermination de RSF par rapport à cette affaire ne sont pas secondaires. J’ai donc les mêmes relations avec les nouveaux responsables de RSF. Si demain, je disais à Jean François, je voudrais qu’on se rende en Côte d’Ivoire pour y mener une action, il ne me dira pas non. Comment comptez-vous marquer cet anniversaire de 2009?
J’espère le marquer avec une fête parce qu’on aura retrouvé Guy-André. Ou alors on l’ensevelira s’il a été assassiné. Pour le moment c’est ce que j’envisage pour avril 2009.

Interview réalisée à Paris par Coulibaly Brahima
(Envoyé spécial)
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