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Société Publié le lundi 26 janvier 2009 | Nord-Sud

Jardin botanique de l`Université de Cocody : Un musée végétal en détresse

Au cœur d’Abidjan, l'un des conservatoires forestiers du pays, est aujourd'hui menacé. Depuis près de 50 ans, le jardin botanique du campus de Cocody souffre d'un manque d'attention et perd progressivement sa richesse naturelle.

Le territoire universitaire de Cocody regorge d’essences diverses de la végétation ivoirienne. Manguiers, palmiers, cocotiers, acacia, bois bété, iroko, acajou, plantes grimpantes, etc. Ce lieu de découverte et de promenade surprend le visiteur par son étendue en pleine ville 18 hectares. C'est de loin l'un des plus grands jardins botaniques universitaires d'Afrique.

Ce mercredi matin, une balade à l'intérieur permet de sentir le parfum pur et apaisant de la nature. Les centaines d'arbres, de cette belle forêt, éblouissent par leurs tailles et leurs dimensions. Il y en a de plusieurs espèces. Un baobab par exemple, importé des savanes, y mène une existence bien singulière dans un milieu qui n'est pas le sien. Cela a retardé la croissance de l'arbre et il demeure beaucoup plus petit que ses frères qu'on peut trouver à Korhogo ou à Boundiali. Par contre, les acacias, les palmiers et les manguiers s'y sentent à l’aise et se sont épanouis. Par endroit des termitières en rajoutent au caractère naturel du lieu. En avançant au milieu des arbres, le silence et la densité de la végétation font redouter une présence de bêtes. Mais, il n'y en pas dans ce jardin.



Près de 600 espèces végétales…

Pas de roucoulement de pigeons, ni de cris d'insectes, rien que ce calme plat, comme un espace primitif jamais violé. A certains endroits moins denses, les rayons solaires, qui filtrent entre les cimes touffues des arbres, font scintiller les feuilles. Un peu plus loin, on ne tarde pas à découvrir entre les feuillages, des maisons, notamment le siège de l'Ong « Sos-forêt » et la Direction du jardin botanique. Une demi-dizaine de jeunes se baladent entre les arbres. Ils fouinent au sol entre les feuilles mortes qui gémissent sous leurs pas. Quelques uns tiennent des feuilles ou des plastiques. Ils sont silencieux comme s'ils évitaient de troubler le calme de ce sanctuaire. Ils examinent quelques plantes, les écorces, les racines, parfois les feuillages. Ces étudiants en botanique de l'université de Cocody, option biologie végétale, mènent des études sur certaines espèces. Ils expliquent que le jardin botanique leur offre toujours ce qu'ils cherchent. «Il regroupe une large palette de plantes différentes», explique M.K., l'un d'entre eux sans pouvoir dénombrer les différentes espèces. Ils ne sont pas les seuls apprenants de l'université à fréquenter ce lieu. Les étudiants en licence de botanique, option écologie végétale, ceux en génétique, option végétale et tous les autres apprenants des sciences végétales y viennent pour des recherches. «C'est un espace que nous fréquentons très souvent. Il nous arrive aussi de faire des sorties avec nos professeurs ici», indique un étudiant qui prend des notes. Mais, à part ces chercheurs, rares sont les personnes qui s'y aventurent. Pis, la plupart des autres étudiants semblent ignorer l'existence du bois. «Le jardin botanique ? Je ne connais pas», ont répondu plusieurs étudiants que nous avons interrogés sur l'emplacement de cette petite forêt. Certains en ont juste entendu parler. «Je suis en lettres modernes, il faut voir avec les étudiants en botanique », explique une étudiante. Pourtant, ce conservatoire du patrimoine végétal ivoirien doit jouer, au-delà de son rôle de lieu de recherche, celui de musée végétal culturel. À l'exemple du jardin botanique de l'université de Strasbourg (France), de celui de l'université de Reading (Londres) ou de Berne (Suisse), le conservatoire de l'université de Cocody doit être un lieu de curiosité. Selon un enseignant en écologie et biologie végétales de l'université, ce sont environ 600 espèces que renferme ce jardin botanique. C'est-à-dire, à peu près toutes les espèces végétales que comportent les forêts ivoiriennes. Les chercheurs ont tenté de reproduire ces espèces dans ce conservatoire ex-situ (ex-situ signifie que les espèces ont été déplacées de leur milieu vers un autre). Cette petite forêt est ainsi désignée par le terme «forêt artificielle» du fait de son mode d'implantation. Environ 4 hectares sur les 18 hectares disponibles ont été plantés, les 14 autres sont en jachère. Presque toutes les espèces d'arbres du pays s'y trouvent. Du bois bété à l'acacia en passant par le fromager, selon Pr Mathieu Wadja, chercheur à l'université de Cocody. « Les étudiants trouvent toutes les espèces qu'ils veulent dans le jardin botanique, car nous ne prélevons rien », explique-t-il. Mais, avec 18 hectares, ce jardin botanique pourrait aller au-delà de la diversité de plantes qu'il représente. Ainsi, bien que vaste, il présente le plus souvent un panorama d'arbres du même type. Dr Wadja explique qu'en le créant, au lendemain de l'indépendance du pays, les enseignants en botanique de l'université avaient trouvé dans ce lieu un campement et une forêt. Le souci d'offrir aux étudiants un jardin botanique renfermant une diversité de plantes utiles pour leurs études a entraîné la naissance de la Direction du jardin botanique, basée à l'université. Comme une réserve nationale, le lieu a été protégé de toute forme de pratique illégale. Mais, ces actions ne suffisent pas à préserver ce musée végétal. En effet, depuis plus de 40 ans qu'elles vivent, certaines plantes du jardin ont fini par mourir. «L'homme meurt au bout d'un certain temps, c'est pareil pour la plante», explique M. Wadja.


... demandent protection

Mais le vrai danger, selon lui, c'est le fait qu'il n'y ait aucun moyen pour conserver les graines. «Quand une espèce est représentée par une seule plante et qu'elle vient à disparaître, c'est pour de bon», constate-t-il. Ainsi, bien que protégée de la malveillance humaine, il faut craindre que le temps et la nature même ne soient, à la longue, des ennemis pour cette verdure. Des plantes, aux valeurs inestimables, s'écroulent parfois pendant des tempêtes. Et ce sont des trésors qui disparaissent ainsi de notre patrimoine forestier. Ce musée se meurt à petit feu. Quelques étudiants, qui en sont conscients, proposent des mesures adéquates. «La Côte d'Ivoire doit mettre une équipe scientifique en place pour conserver les grains des plantes qui poussent sur son territoire», avance un étudiant en génétique, option végétal. Les professeurs ne sont pas en reste. Un enseignant en botanique, qui préfère garder l'anonymat, abonde dans le même sens. «Nous avons un programme qui nous permet de sortir sur le terrain avec les étudiants pour leur permettre d'identifier les plantes. Le jardin botanique est donc très utile pour l'université, il faut le protéger. C'est en levant le pied que l'Etat a laissé aisément la liberté à des personnes de détruire le jardin botanique de Bingerville. Actuellement, il n'y a plus rien dedans. Les gens ont coupé le bois», dénonce-t-il.

Est-ce de l'insouciance ? Comment comprendre que le troisième pont, l'un des projets phares du «Grand Abidjan», voulu par le chef de l'Etat, doit entraîner la destruction d'une partie du jardin botanique de l'université de Cocody. «Nous avons manifesté pour demander que l'Etat nous donne les moyens de déplacer les plantes qui seront détruites par le pont qui passe à cet endroit. Les moyens ne sont pas encore disponibles», témoignent certains responsables de l'université. En attendant, ceux qui peuvent protéger ce jardin, le font tant bien que mal.

Parmi ces protecteurs, le Centre national de floristiques (Cnf) et l'Ong «SOS forêt», créée en 1996. Selon les responsables de cette ONG, les espèces en voie de disparition doivent être protégées. Ce sont entre autre le bois bété, l'iroko, scientifiquement appelé chlorophora regia. Il faut citer également le caecal pinia bonduc (qui produit les grains du jeu awalé). Au total, ce sont une quarantaine d'espèces végétales qui sont menacées, selon l'Ong. Quant aux espèces endémiques, c'est-à-dire les plantes qui ont des écosystèmes particuliers et qui sont également menacées de disparition, on en compte une vingtaine. Parmi elles, le garcinia kola (arbre fruitier polyvalent), l'alafia multiflora (un fruitier à vertus médicinales), l'Aphania sénéga ensuis, etc. D'où l'importance non seulement des réserves et parc nationaux mais aussi des jardins botaniques comme celui de l'université de Cocody. Que ce soit par conservation ex-situ ou par des conservatoires in-situ, les espèces végétales ivoiriennes ont besoin de protection. Ce besoin est d'autant plus urgent que le taux de déforestation ne cesse de grimper. L'Ong «SOS forêt», consciente du phénomène, a créé une forêt d'environ un hectare dans l'enceinte de l'Université regroupant quelques espèces diverses. La structure a vu grandir cette verdure plantée en 2000. Elle est protégée par des barbelés. C'est une façon de montrer son amour pour la végétation. Pendant qu'en Europe les jardins botaniques sont de véritables musées visités tous les jours, en Côte d'Ivoire, nombreux sont les étudiants qui ignorent qu'il existe un jardin botanique riche au sein du temple du savoir de Cocody. Triste !

Raphaël Tanoh
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