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International Publié le mercredi 25 février 2009 | Fraternité Matin

Monsef Cheick Rouhou, Professeur Hec Paris : “N’imitons pas les yeux fermés, ce qui s’est fait en Occident”

Vous êtes l’invité spécial à la 33e assemblée générale de la Fanaf. Qu’est-ce que cela représente pour vous de participer pour la première fois aux assises de cette organisation?

C’est d’abord le bonheur d’être en Côte d’Ivoire où je sens une chaleur humaine et une interaction avec mes collègues de très haut niveau. En deuxième lieu, c’est un très grand honneur d’être ici avec la Fanaf qui m’a donné l’occasion de prononcer la conférence inaugurale sur l’Afrique et l’économie mondiale. Il s’agissait de dire quels sont les défis auxquels l’Afrique doit faire face et les opportunités qui se présentent à elle dans ce contexte de crise économique. Puisque j’appartiens à ce continent, j’ai essayé avec beaucoup de conviction et de cœur ce que nous voyons à partir de Paris, notamment de Hec où j’exerce comme enseignant-chercheur. Etre à cette grande rencontre où se trouvent des personnes impliquées sérieusement dans le financement de l’économie de leur pays, c’est pour moi un grand bonheur et une source d’échanges extrêmement riches.

Professeur, pouvez-vous revenir sur les opportunités dont vous avez parlé tantôt?

Même si j’ai mis un bémol, après avoir préparé ma conférence, à cause des chiffres publiés par le Fmi avant-hier, n’empêche qu’en 2009-2010, l’Afrique continuera à croître plus rapidement que le reste du monde. Les premières statistiques de décembre dernier nous permettaient d’espérer que le continent connaîtrait un taux de croissance supérieur à de moyenne des six dernières années. L’Afrique a crû en 2008, en moyenne à 5,5%. Nous espérions garder au moins ce chiffre, voire l’améliorer à 6%. Maintenant, à cause de ce qui se passe chez les pays importateurs de produits africains, l’Afrique ne connaîtra qu’une croissance de 3%. Mais, en 2010, nous espérons une croissance qui va remonter au moins à 5%. Ce n’est pas du tout ce qui est prévu ni pour l’Europe, ni pour l’Amérique, ni pour le Japon. Les pays émergeants se débattent aussi dans des problèmes extrêmement difficiles.

Cette chance de l’Afrique d’être relativement déconnectée ou découplée partiellement de la crise mondiale en fait une opportunité. Les Africains qui ont toujours envie de créer de la richesse ont une opportunité que les acteurs d’Asie, d’Europe ou d’Amérique n’ont pas actuellement. Mais pour transformer cet essai, comme le diraient les joueurs de rugby, il faut faire un certain nombre de choses. A ce sujet, j’ai été heureux de noter dans le discours du Président Gbagbo, ce matin, le mot coopération interafricaine. Cela est très important. Parce qu’une seule main n’applaudit pas. Nous avons besoin de nous présenter face à l’économie mondiale comme un marché plus large avec des opportunités plus nombreuses. Cela va attirer l’investissement et consolider la diversification nécessaire pour gérer les risques. De sorte que nous allons devenir des partenaires crédibles, capables d’attirer la technologie. Toutes choses favorables à la création d’emplois pour les jeunes.

L’opportunité réside surtout dans le fait que l’Afrique est restée relativement prémunie de cette crise d’instruments financiers toxiques, et autres «subprimes». Il s’agit pour elle de continuer à mobiliser ses propres ressources pour développer ses projets à partir de méthodes et d’instruments non toxiques. N’imitons pas ce qui s’est fait, les yeux fermés, à New York, Londres. Mais prenons les instruments que notre économie exige à un niveau que nous, Africains, maîtrisons avec notre sens de l’éthique. Evitons d’acheter des produits dérivés que nous ne comprenons pas et qui le plus souvent contiennent des risques cachés. Il y a 5 ans, quelqu’un aurait acheté des «subprimes», les yeux fermés. Aujourd’hui, face à de telles offres, le commun des mortels en Afrique devrait pouvoir dire : attention, il y a anguille sous roche.

Je suis convaincu que si l’Afrique reste en dehors de ces instruments financiers toxiques et qu’elle se met à mobiliser ses ressources propres et les ressources internationales, le reste du monde viendra la supplier d’accepter ses investissements. L’Afrique n’a pas besoin d’aide. Elle a des idées de projets. Mon expérience de 20 ans de banque me permet de dire que l’argent court derrière les bonnes idées et jamais les bonnes idées derrière l’argent.

Croyez-vous réellement que l’Afrique a son mot à dire dans le développement de l’économie mondiale eu égard aux crises politiques, militaires ou sociales qu’elle vit au quotidien?

Et puis, croyez-vous que les relations interafricaines marquées par les divergences d’intérêt puissent vraiment favoriser les choses?

Merci beaucoup pour la franchise et le courage de cette question. Il y a effectivement des divergences. Nous n’avons pas encore un Etat fédéral africain. Des pays comme le Brésil et l’Inde qui font partie des Etats émergeants, sont des Etats fédéraux. Malgré les divergences et les problèmes de gouvernance, l’Afrique à des opportunités. Il est évident que si nous arrivions à gérer ces problèmes pour avoir un mouvement fédéré, nous pourrions gagner jusqu’à deux points de croissance annuelle. C’est-à-dire qu’on va créer la richesse. Et cela va régler le problème des migrations. Les jeunes Africains ne vont plus quitter l’Afrique dans des coques de noix, s’exposant à la mort, pour aller à la conquête d’un rêve en Europe.

Je suis relativement serein pour dire que les pays d’Afrique subsaharienne, notamment ceux de la Bceao ont montré le chemin. Je le dis parce que la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest a montré que des pays ont accepté d’abandonner une partie de leur souveraineté pour dire : nous préférons avoir une banque commune. Je voudrais voir d’autres zones du monde émergeant accepter d’abandonner leur souveraineté sur leur banque centrale. Cette expérience a vraiment réussi en Afrique. Je dis qu’on peut aller un peu plus loin. Je ne suis pas d’un optimisme béat. Mais je dis : construisons sur nos réussites. La construction doit d’abord être l’affaire des autorités. Mais le constat est que les administrations ne sont pas, le plus souvent, disposées à le faire. Il y a tout de même le travail des médias. Vous êtes les pédagogues de la construction de la société. Le débat est très important pour l’évolution de celle-ci. Le troisième acteur important dans cette affaire, ce sont les hommes et les femmes responsables d’entreprises .économiques. De la plus petite entreprise familiale à la plus grande firme, les gérants sont ceux qui in fine vont mettre ensemble du capital, de la main-d’œuvre et des ressources pour créer de la richesse. Ces derniers ont tous intérêt à ce que leurs projets grandissent dans un marché économique plus large. C’est pour cela que je dis que ce qui se passe en Côte d’Ivoire est important. Mais la Côte d’Ivoire n’est pas seule. Elle doit regarder à sa droite et à sa gauche. Et si elle écoute les hommes d’affaires, elle les entendra dire : on s’intéresse à ce qui se passe au Ghana. La transition démocratique qui s’y déroule intéresse les hommes d’affaires parce qu’elle s’accompagne d’une stabilité. La stabilité est bel et bien une voie de création de prospérité.

Comme quoi, le problème de l’instabilité politique reste une entrave à l’émergence économique de l’Afrique?

Je suis conscient qu’il y a des problèmes, certes, mais les pays des autres continents ont aussi des problèmes. A l’intérieur de l’Union européenne, il y a des problèmes. 17 mille milliards de dollars de revenus, c’est le plus haut niveau de revenu au monde, mais malheureusement, elle a les mains liées. Parce que l’Europe n’est pas arrivée à se doter d’une gouvernance européenne. Vous imaginez si elle arrivait à se doter d’une banque centrale. L’Europe de la politique fiscale et budgétaire n’existe pas. Bruxelles n’a pas le droit d’avoir un budget pour toute l’Europe. Chaque Etat a son propre budget. Alors qu’aux Etats-Unis, c’est la Maison blanche qui gère le budget. Même si chaque Etats a son petit budget.

Vous voyez donc que l’Europe a du chemin à parcourir. Je sais qu’en Afrique, les choses ne vont pas se régler du jour au lendemain. Mais je pense que la vision des choses est en train de s’éclaircir. Je suis convaincu qu’avec votre travail d’éclairage des débats et les interpellations des autorités par les opérateurs économiques sur les opportunités, les politiques s’approprieront la coprospérité. L’Afrique l’a montré sur le plan monétaire. Elle est en train de le montrer sur le plan des échanges. C’est pour cela que, lorsque Hec a créé l’école de coton, nous espérions voir des projets interafricains.

C’est ce qui m’intéresse avec la Fanaf qui traite les problèmes qui préoccupent les compagnies africaines d’assurances depuis 33 ans.



Propos recueillis par Alakagni Hala et N’dri Célestin
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