Dans son livre " Devoir de mensonges : crise à l'Ivoirienne ", l'écrivain ivoirien Faustin Toha, lève un coin de voile sur ce qui a été peut-être l'un des derniers échanges publics entre le journaliste et le politicien.
L'écrivain a en effet relaté dans des détails insoupçonnés, cette rencontre. Dans le chapitre " Signe indien ", on lit à partir de la page 148, les révélations. " Le vendredi 24 octobre 2003, la présidence organise une rencontre entre le président Laurent Gbagbo et les journalistes de la presse internationale exerçant sur le sol ivoirien dans l'un de ses bureaux, au palais présidentiel. Quelques jours auparavant, c'est-à-dire le 21 octobre 2003, Jean Hélène, le correspondant de RFI, avait été abattu devant la Direction générale de la Police, au Plateau. Officiellement, le sergent Sery Dago n'avait pas obéi aux ordres donnés par sa hiérarchie et était passé à l'acte. Après plus d'une heure de vérités crues entre le chef de l'Etat ivoirien et les journalistes, une trêve est réclamée. A l'analyse, les rapports entre les différents chefs d'Etat ivoiriens et les médias étrangers ont toujours eu des dessous qui peuvent à la fois combiner l'admiration et la haine. La rencontre était prévue pour 16 heures. Les confrères de la presse internationale ont laissé planer, durant quelques minutes, le suspense. Il n'était pas question pour ces journalistes de faire allégeance à Laurent Gbagbo. Surtout pas. Il s'agissait de parler de leur sécurité en Côte d'Ivoire. La mort de Jean Hélène était encore vivace dans l'esprit de chacun. Une fois dans la salle, la vingtaine de journalistes sous le choc, rencontre un président qui demande à tous ceux qui oveulent s'exprimer, de prendre la parole. Laurent Gbagbo, comme à l'accoutumée, tutoie ses hôtes. " Toi, on se connaît, on était ensemble hier ", lance-t-il là Cyril Ben Simon, l'envoyé spécial de RFI qui, a accompagné, la veille, le PDG de la radio mondiale, Paul Cluzel, chez le président Gbagbo. Ils sont pratiquement tous là, les journalistes de l'AFP, RFI, BBC, Reuters, AP et la Voix de l'Amérique. Ils sont, pour la plupart, les correspondants des journaux européens, notamment, français, à Abidjan. Laurent Gbagbo, qui fait un long développement après l'introduction de Jacques Lhuillery, le directeur local de l'AFP, jure la main sur le cœur qu'il ne comprend pas les raisons du meurtre de Jean Hélène. "Je ne trouve pas encore mon compte dans ce que raconte ce policier. En tant qu'être humain, je cherche une explication rationnelle (...) ". Les journalistes étrangers, qui ne manquent pas d'accuser Laurent Gbagbo et ses partisans, estiment qu'il doit s'investir personnellement pour faire baisser la tension. " Vous êtes le président de la République, vous pouvez aider les Journalistes à travailler dans un climat de sérénité", lui suggère Virginie Gomez, de RFI. Le président de la République rétorque : " Madame, quelle solution préconisez-vous ? Dites-moi et nous discuterons ensemble". Les journalistes étrangers, pendant les échanges, se disent terrorisés par leurs confrères de la presse nationale proches de Laurent Gbagbo. La question du traitement de l'information divise et le chef de l'Etat rappelle à ses hôtes quelques titres de la presse française au lendemain du meurtre de Jean Hélène. "J'étais avec le PDG de RFI quand j'ai demandé à voir les titres des journaux français. Libération a titré "La haine au pouvoir" à la une, et me compare à Saddam Hussein avec le dessin du célèbre Plantu ". Il rappelle un autre titre avant le meurtre du journaliste français. " Le journal Le Monde a, dans le temps, barré sa une avec le titre "Les escadrons de la mort de Gbagbo".
Quand cela vient d'un journal qui est considéré comme une référence, on se perd sur le traitement professionnel de l'information. Que voulez-vous que l'on dise ? Depuis le début de cette crise, on me tire dessus. Ils sont nombreux les Ivoiriens qui pensent que vous faites les mêmes choses que ce que vous reprochez aux journaux ivoiriens qui, il faut le rappeler, ne me portent pas tous dans leur cœur. Mais je n'ai jamais voulu intervenir dans le traitement qu'ils font de l'information ". Devant la volonté des journalistes qui veulent qu'il impose un ordre, Laurent Gbagbo souligne :
" Je suis trop orgueilleux pour emprisonner un journaliste. J'ai demandé à ce qu'on n'emprisonne plus de journalistes. Il y a une loi qui doit être votée. Mais présentement, celle en vigueur permet l'emprisonnement. Voici pourquoi je ne porte pas plainte ici. Mais quand c'est en France, où les journalistes ne sont pas menacés d'aller en prison, je porte plainte. C'est ce que j'ai fait avec les journaux La Croix et le Parisien". Entre le tutoiement de Laurent Gbagbo et le vouvoiement des journalistes, les deux camps ne manquent pas l'occasion de se dire des vérités parfois dans un langage direct. " Monsieur le Président, qu'est-ce qui a motivé le limogeage du directeur de la police ? ", questionne un journaliste américain. " Les décisions prises par un gouvernement sont du ressort de ce gouvernement. Ce n'est pas avec vous que je vais discuter de cela ". Une réponse sèche qui ne décourage pas les confrères pour autant. " C'est la guerre des journaux qui se livrent à un jeu de ping-pong ", répond Laurent Gbagbo. Les journalistes de la presse étrangère s'engagent dans le débat sans réussir à convaincre le président ivoirien. Ils comptent d'ailleurs sur son arbitrage lors d'un forum censé rassembler les journalistes étrangers et nationaux. "On souhaiterait vous voir à cette rencontre", reprennent-ils en chœur, avec cette volonté de voir tout le monde mettre balle à terre. Mais séance tenante, une journaliste qui a travaillé pour la BBC et qui est sous contrat à la Deutsche welle s'y oppose catégoriquement. " Cette rencontre ne peut rien donner, je connais certains confrères qui ne m'adressent plus la parole. Ils me traitent d'assaillante. Pourtant, nous nous connaissons depuis des décennies...". Elle ne finit pas son propos car elle est rappelée à l'ordre par certains journalistes qui estiment qu'elle personnalise le débat. Au final, quelques tapes sur l'épaule des journalistes qu'il reconnaît, il s'avance vers l'un d'entre eux. " Kieffer, tu es là ? Avant, tes papiers étaient intéressants, mais maintenant tu écris des conneries ", déclare Laurent Gbagbo sur un ton blagueur. " Monsieur le Président, je n'écris pas de conneries ", rétorque Kieffer (P151) "
La conclusion de l'écrivain, qui il faut le préciser a été journaliste avant d'être coopté au Port autonome d'Abidjan, d'où il a été d'ailleurs viré, curieusement après la sortie de son livre, est sans ambiguïté : " . Les deux hommes semblent bien se connaître ".
Il précise qu' " Il était difficile, à ce moment-là, d'imaginer que Guy André Kieffer, le Journaliste franco-canadien serait, quelques mois après, une autre victime disparue sans laisser de traces ".
Faustin Toha lève donc un coin de voile, dans son livre, sur les relations qu'entretenait Guy-André Kieffer avec le pouvoir ivoirien, précisément avec Laurent Gbagbo. Cette séquence du bref dialogue, est d'autant plus importante que le chef de l'Etat ivoirien avait tenté de faire croire qu'il ne connaissait pas le journaliste disparu et probablement tué, avant de revenir sur ses premières déclarations.
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr
L'écrivain a en effet relaté dans des détails insoupçonnés, cette rencontre. Dans le chapitre " Signe indien ", on lit à partir de la page 148, les révélations. " Le vendredi 24 octobre 2003, la présidence organise une rencontre entre le président Laurent Gbagbo et les journalistes de la presse internationale exerçant sur le sol ivoirien dans l'un de ses bureaux, au palais présidentiel. Quelques jours auparavant, c'est-à-dire le 21 octobre 2003, Jean Hélène, le correspondant de RFI, avait été abattu devant la Direction générale de la Police, au Plateau. Officiellement, le sergent Sery Dago n'avait pas obéi aux ordres donnés par sa hiérarchie et était passé à l'acte. Après plus d'une heure de vérités crues entre le chef de l'Etat ivoirien et les journalistes, une trêve est réclamée. A l'analyse, les rapports entre les différents chefs d'Etat ivoiriens et les médias étrangers ont toujours eu des dessous qui peuvent à la fois combiner l'admiration et la haine. La rencontre était prévue pour 16 heures. Les confrères de la presse internationale ont laissé planer, durant quelques minutes, le suspense. Il n'était pas question pour ces journalistes de faire allégeance à Laurent Gbagbo. Surtout pas. Il s'agissait de parler de leur sécurité en Côte d'Ivoire. La mort de Jean Hélène était encore vivace dans l'esprit de chacun. Une fois dans la salle, la vingtaine de journalistes sous le choc, rencontre un président qui demande à tous ceux qui oveulent s'exprimer, de prendre la parole. Laurent Gbagbo, comme à l'accoutumée, tutoie ses hôtes. " Toi, on se connaît, on était ensemble hier ", lance-t-il là Cyril Ben Simon, l'envoyé spécial de RFI qui, a accompagné, la veille, le PDG de la radio mondiale, Paul Cluzel, chez le président Gbagbo. Ils sont pratiquement tous là, les journalistes de l'AFP, RFI, BBC, Reuters, AP et la Voix de l'Amérique. Ils sont, pour la plupart, les correspondants des journaux européens, notamment, français, à Abidjan. Laurent Gbagbo, qui fait un long développement après l'introduction de Jacques Lhuillery, le directeur local de l'AFP, jure la main sur le cœur qu'il ne comprend pas les raisons du meurtre de Jean Hélène. "Je ne trouve pas encore mon compte dans ce que raconte ce policier. En tant qu'être humain, je cherche une explication rationnelle (...) ". Les journalistes étrangers, qui ne manquent pas d'accuser Laurent Gbagbo et ses partisans, estiment qu'il doit s'investir personnellement pour faire baisser la tension. " Vous êtes le président de la République, vous pouvez aider les Journalistes à travailler dans un climat de sérénité", lui suggère Virginie Gomez, de RFI. Le président de la République rétorque : " Madame, quelle solution préconisez-vous ? Dites-moi et nous discuterons ensemble". Les journalistes étrangers, pendant les échanges, se disent terrorisés par leurs confrères de la presse nationale proches de Laurent Gbagbo. La question du traitement de l'information divise et le chef de l'Etat rappelle à ses hôtes quelques titres de la presse française au lendemain du meurtre de Jean Hélène. "J'étais avec le PDG de RFI quand j'ai demandé à voir les titres des journaux français. Libération a titré "La haine au pouvoir" à la une, et me compare à Saddam Hussein avec le dessin du célèbre Plantu ". Il rappelle un autre titre avant le meurtre du journaliste français. " Le journal Le Monde a, dans le temps, barré sa une avec le titre "Les escadrons de la mort de Gbagbo".
Quand cela vient d'un journal qui est considéré comme une référence, on se perd sur le traitement professionnel de l'information. Que voulez-vous que l'on dise ? Depuis le début de cette crise, on me tire dessus. Ils sont nombreux les Ivoiriens qui pensent que vous faites les mêmes choses que ce que vous reprochez aux journaux ivoiriens qui, il faut le rappeler, ne me portent pas tous dans leur cœur. Mais je n'ai jamais voulu intervenir dans le traitement qu'ils font de l'information ". Devant la volonté des journalistes qui veulent qu'il impose un ordre, Laurent Gbagbo souligne :
" Je suis trop orgueilleux pour emprisonner un journaliste. J'ai demandé à ce qu'on n'emprisonne plus de journalistes. Il y a une loi qui doit être votée. Mais présentement, celle en vigueur permet l'emprisonnement. Voici pourquoi je ne porte pas plainte ici. Mais quand c'est en France, où les journalistes ne sont pas menacés d'aller en prison, je porte plainte. C'est ce que j'ai fait avec les journaux La Croix et le Parisien". Entre le tutoiement de Laurent Gbagbo et le vouvoiement des journalistes, les deux camps ne manquent pas l'occasion de se dire des vérités parfois dans un langage direct. " Monsieur le Président, qu'est-ce qui a motivé le limogeage du directeur de la police ? ", questionne un journaliste américain. " Les décisions prises par un gouvernement sont du ressort de ce gouvernement. Ce n'est pas avec vous que je vais discuter de cela ". Une réponse sèche qui ne décourage pas les confrères pour autant. " C'est la guerre des journaux qui se livrent à un jeu de ping-pong ", répond Laurent Gbagbo. Les journalistes de la presse étrangère s'engagent dans le débat sans réussir à convaincre le président ivoirien. Ils comptent d'ailleurs sur son arbitrage lors d'un forum censé rassembler les journalistes étrangers et nationaux. "On souhaiterait vous voir à cette rencontre", reprennent-ils en chœur, avec cette volonté de voir tout le monde mettre balle à terre. Mais séance tenante, une journaliste qui a travaillé pour la BBC et qui est sous contrat à la Deutsche welle s'y oppose catégoriquement. " Cette rencontre ne peut rien donner, je connais certains confrères qui ne m'adressent plus la parole. Ils me traitent d'assaillante. Pourtant, nous nous connaissons depuis des décennies...". Elle ne finit pas son propos car elle est rappelée à l'ordre par certains journalistes qui estiment qu'elle personnalise le débat. Au final, quelques tapes sur l'épaule des journalistes qu'il reconnaît, il s'avance vers l'un d'entre eux. " Kieffer, tu es là ? Avant, tes papiers étaient intéressants, mais maintenant tu écris des conneries ", déclare Laurent Gbagbo sur un ton blagueur. " Monsieur le Président, je n'écris pas de conneries ", rétorque Kieffer (P151) "
La conclusion de l'écrivain, qui il faut le préciser a été journaliste avant d'être coopté au Port autonome d'Abidjan, d'où il a été d'ailleurs viré, curieusement après la sortie de son livre, est sans ambiguïté : " . Les deux hommes semblent bien se connaître ".
Il précise qu' " Il était difficile, à ce moment-là, d'imaginer que Guy André Kieffer, le Journaliste franco-canadien serait, quelques mois après, une autre victime disparue sans laisser de traces ".
Faustin Toha lève donc un coin de voile, dans son livre, sur les relations qu'entretenait Guy-André Kieffer avec le pouvoir ivoirien, précisément avec Laurent Gbagbo. Cette séquence du bref dialogue, est d'autant plus importante que le chef de l'Etat ivoirien avait tenté de faire croire qu'il ne connaissait pas le journaliste disparu et probablement tué, avant de revenir sur ses premières déclarations.
André Silver Konan
kandresilver@yahoo.fr