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Société Publié le lundi 11 mai 2009 | Nord-Sud

Rites et traditions - Dr Yoro Marcel(Anthropologue) : “Les coureurs de jupons ne se trouvent pas que chez les Bété”

Dans la première partie de cette interview qui s'inscrit dans le cadre de notre débat sur les rites initiatiques, Dr Yoro Marcel, enseignant au département d'anthropologie de l'université de Cocody a présenté le processus de socialisation de l'individu en pays bété. Dans cette seconde partie, il parle de l'importance de la beauté dans cette société.


•On constate que les Bété accordent beaucoup d'importance à la beauté et à l'élégance. En témoigne le concours traditionnel du “bagnon”. Pouvez-vous rappeler les critères de beauté chez un homme et chez une femme en pays bété ?

Le bel homme chez les Bété a des mollets bien bâtis, il est grand de taille, et a un cou bien séparé de son thorax. Il a aussi de belles dents blanches avec une brèche et de bras longs. C'est un gaillard bien bâti. La belle femme est également une femme bien bâtie, avec deux paires de fesses bien dégagées du corps, avec de belles dents blanches. Elle est de préférence de teint clair. Mais les critères de beauté chez les Bété ne sont pas uniquement physiques. Il y a aussi la beauté morale et la beauté dans le discours. C'est le côté artistique de la beauté chez les Bété. Parce que celui qui est beau est aussi un artiste. Le bel homme, pour danser, n'a pas besoin de faire plusieurs gestes. Il lui suffit de faire un petit geste pour que toute l'assistance soit satisfaite.


•Est-ce cette importance du teint clair qui amène certains hommes chez les Bété à se dépigmenter la peau ?

On naît beau. Donc tous ceux qui utilisent aujourd'hui les produits pour se dépigmenter, je ne peux dire qu'ils le font sous l'effet de la modernité. Quand on parle d'homme ou de femme au teint clair chez les Bété, c'est un teint naturel. Cette dépigmentation peut avoir son origine dans le fait que dans l'imaginaire populaire bété, on pense que le mari d'une femme de teint clair ne meurt pas vite. On pense qu'il ne vieillit pas vite parce qu'une femme au teint clair reste toujours brillante. Donc, même quand elle est vieille, elle parait jeune. C'est-à-dire que la jeunesse de la femme rejaillit sur le mari de la femme claire. Le mari d'une femme claire ne vieillit jamais chez nous les Bété. Deuxièmement, il ne meurt pas tôt. Qui aimerait mourir et laisser derrière lui une aussi belle femme entre les bras d'un autre homme ? Donc, quand il est malade, il se bat pour guérir. Il refuse la mort.


•Y a-t-il des astuces traditionnelles pour avoir le teint clair, avoir de gros mollets etc. ?
Non. La beauté dont je parle est une beauté naturelle. Elle n'est pas du tout artificielle.


•Pourquoi alors autant de belles personnes chez les Bété ?

Non, tout le monde n'est pas beau. Et puis, la beauté, elle est relative !


•On retrouve pourtant beaucoup de gros mollets chez les hommes. Et des femmes au teint clair avec des jambes bien charnues …

Je pense que les biologistes sont mieux placés pour expliquer cela.


•Est-ce le goût très prononcé pour la beauté qui amène les hommes bété à ne pas se retenir devant les belles femmes ? Les Bété ont la réputation d'êtres des coureurs de jupons…

Les coureurs de jupons, il y en a dans tous les groupes socioculturels. On parle plus des Bété parce qu'ils font beaucoup de funérailles. Or, les funérailles sont des lieux de rencontres. Parce qu'à des funérailles bété, il y a toujours un ou plusieurs chansonniers présents. Donc, tout en y allant pour exprimer sa douleur, on y va aussi pour écouter de belles chansons, voir l'artiste. Cela attire même des personnes qui ne sont pas des proches du défunt. Et, là où il y a rencontres, il y a évidemment des femmes et des hommes. Tout naturellement, il y a des échanges. Et ainsi de suite.


•On parle aussi de ''doubeï'' chez les Bété. De quoi s'agit-il exactement ?

Les doubéï d'un homme, ce sont les femmes du même patrilignage que lui. Vous êtes complices, mais, il n'y a pas de relations sexuelles entre vous. Vous vous rendez service. Le garçon va par exemple cueillir des régimes de banane pour la fille qui en retour lave ses habits et fait la cuisine pour lui. Mais avec l'évolution des choses, les jeunes générations ont travesti cette tradition. Ils vont jusqu'aux rapports sexuels. Sinon, à l'origine cette relation était juste fraternelle.


•Quelle avenir finalement pour toutes ces valeurs?

Franchement, je dois dire que ces valeurs sont en pleine mutation à l'image de tous les groupes socioculturels. En principe, en pays bété, la justice est aux mains des hommes. Quand on vient juger un conflit, les hommes sont dans un cercle tandis que les femmes sont derrière. Aujourd'hui, comme je l'ai dit, après le patrilignage, l'affaire est portée devant l'instance villageoise. Et désormais, au lieu que ce soit l'instance tribale qui soit l'étape suivante, elle est remplacée par l'administration, c'est-à-dire le préfet ou le sous-préfet. Or, parmi ces autorités administratives, figurent aujourd'hui des femmes. De telle sorte qu'aujourd'hui, les femmes prennent une part active dans le règlement des conflits. Des femmes sont même propriétaires de plantation. Ce qui n'existait pas dans le passé. Il en est de même pour les interdits. A quoi sert-il aujourd'hui d'avoir des interdits que certains respectent et d'autres pas. Avec la mondialisation, les télévisions partout, les habitudes ont changé au village. Même la manière de faire l'amour a changé. Puisque l'on veut copier ce qui est vu à la télévision. Dans la société traditionnelle, tu ne pouvais pas parler d'embrassade et de baiser. Aujourd'hui, je suis sûr qu'il y a des vieux qui font plus au village. C'est cela la mondialisation, la globalisation. C'est ce que nous, les anthropologues, appelons une acculturation. C'est-à-dire qu'on laisse certains éléments de notre propre culture pour épouser des éléments d'autres cultures. Donc on est en pleine acculturation.


•Que font les Bété pour sauvegarder leur culture?

Ce qui peut être sauvé est sauvé. Mais, il y a ce qui ne peut pas l'être. Par exemple, le bois sacré qui est du domaine de la religion. La religion judéo chrétienne a envahi tous les villages. Il ne sert plus à rien d'aller adorer une forêt ou une rivière. Je peux vous citer l'exemple de la prohibition de l'inceste. Elle est toujours en vigueur dans la tradition. Mais, il y a des jeunes qui tissent des relations amoureuses en ville. Et lorsqu'ils viennent au village on se rend compte qu'ils ont des liens de parenté. Lorsqu'il s'avère que le jeune homme est nanti, les parents ferment les yeux sur cette relation. Il y a plusieurs cas. Normalement, dans la société traditionnelle, ce mariage doit être détruit. Aujourd'hui, on devient tolérant vis-à-vis de cela pour des raisons matérielles.


Interview réalisée par Cissé Sindou
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