Le commerce de la ferraille est devenu un négoce à part entière. Chaque jour, des camions lourdement chargés déversent dans les entrepôts d'Abidjan le “fer mort“ ramassé à travers le pays. Qui sont ces ferrailleurs ? Comment s'approvisionnent-ils ? A quels risques ? Gagnent-ils de l'argent ? Notre incursion dans un monde à risques mais rentable.
Nous sommes à Yirikoro, dans un dépôt comme il y en a plus d'une vingtaine, repartis dans tous les quartiers de Yamoussoukro. Une dizaine de jeunes gens travaillent à trier les métaux et à les compacter avec des gros marteaux. Le gérant, M. Traoré discute longuement au téléphone avec un client. Non loin de lui, l'éternelle théière où bout du thé vert de Chine qui est servi à intervalles réguliers. « Nous achetons et revendons du ''fer mort'', c'est-à-dire le fer qui ne peut plus être utilisé par les mécaniciens et autres utilisateurs qui s'en débarrassent », explique Moussa Touré. A la casse, poursuit-il, « on démonte les véhicules pour en tirer toutes les pièces en bon état susceptibles d'être réutilisées. Ici, c'est différent. Le fer qui nous arrive est trié, découpé, compacté et classé pour être cédé au poids. » En effet, une bonne dizaine de jeunes gens sont à pied d'œuvre.
Munis de marteaux et de burins, certains sont en train de découper une vieille Renault 5.
La ferraille différente de la casse
On se croirait chez le forgeron du village, tant ils battent le fer. Les morceaux de fer qu'ils découpent sont aussitôt recueillis par un autre groupe dont les éléments, avec de grosses masses, les frappent comme des sourds pour les aplatir au maximum. Les coups portés au fer le débarrassent d'une bonne partie de la peinture et de la rouille. Dans le monticule de ferraille qui s'élève, on dénombre des métaux de toutes sortes et de toutes origines. « Nous préférons ''le fer lourd'' comme les jantes, les essieux, les pare-chocs et autres amortisseurs qui pèsent et qui peuvent être recyclés facilement», explique Moussa. Mais aussi, sur le tas, il y a des vieux cadres de vélos et de motos, des guidons, des plaques de tôles, des barres et des tuyaux en fer etc. Les autres métaux sont classés par qualité : acier, cuivre, aluminium, laiton, inox et divers autres alliages. Car ici, les prix diffèrent selon le genre, mais aussi leur densité. Pour se procurer le fer mort, les ferrailleurs s'approvisionnent auprès de fournisseurs variés. « En ville, explique Bamba Issouf, un autre ferrailleur, nous pouvons acheter des carcasses de voitures et autres engins que nous transportons au dépôt pour les conditionner. » En effet, outre la Renault 5, plusieurs autres vieux véhicules sont entassés sur le trottoir. Et c'est là où souvent le néophyte confond la ferraille et la casse. Puisqu'il n'est pas rare qu'un tôlier vienne acheter des vitres, une portière, un tableau de bord ou des sièges. Ou un mécanicien, une pièce qu'il n'aurait pu trouver ailleurs. Car à la ferraille, on trouve des véhicules dont la fabrication est arrêtée par les producteurs. Les ferrailleurs s'approvisionnent aussi sur les chantiers et dans les anciennes usines. Au-delà, il y a les fournisseurs individuels : ce sont des jeunes gens et même des femmes qui passent la journée à ramasser ce qu'ils trouvent comme ferraille en ville et au bord des routes. C'est ainsi que disparaissent peu à peu les véhicules accidentés et abandonnés en rase campagne. Et dans la soirée, ils viennent à la pesée pour vendre le fruit de leur prospection. Si les véhicules sont achetés à « des prix à débattre », les métaux envoyés par ces jeunes sont payés selon leur qualité et leur poids. Le cuivre (900 à 2000F/Kg), l'aluminium (600 à 700 F/Kg), le laiton (300 à 400F/Kg), l'inox et le zinc (100 à150 F/Kg). Quant à l'acier, il est pris aujourd'hui à 50F/Kg à l'achat. Ces prix fluctuent au gré du marché abidjanais qui, lui aussi subit les fluctuations des cours internationaux.
L'Inde, le principal client
Le fer acheté, conditionné et classé est convoyé dans des grands dépôts à Abidjan. « Jusqu'en 2007, c'était bien payé. Et les Abidjanais venaient eux-mêmes chercher le fer dans l'arrière pays. Certains préfinançaient les acheteurs comme on le fait avec les pisteurs de café cacao. Avec la chute des prix aujourd'hui, c'est différent », regrette Bamba. Le cuivre, explique-t-il, se vendait naguère à Abidjan jusqu'à 3.000 Fcfa/Kg, l'aluminium entre 1.000 et 1.200 Fcfa/Kg, le laiton qui coûtait souvent plus cher que l'aluminium avec 1.500 - 1.600 Fcfa/Kg revient aujourd'hui à 350 ou 400 Fcfa/Kg ! L'acier, autrefois vendu à 150 ou 160 Fcfa/Kg est pris aujourd'hui à tout au plus 85 Fcfa/Kg. Outre les frais de transport (de 250.000 à 300.000 Fcfa/ par camion), il faut compter 50.000 Fcfa pour les chargeurs, 55.000 Fcfa pour les taxes diverses (Cciat, douane, police, gendarmerie, Ocpv). « A ce niveau, les charges se sont amoindries avec la disparition du Cciat et la diminution des barrages routiers », reconnait-il. « Nous vendons au plus offrant. Il n'y a pas de client fixe. Avant de quitter Yamoussoukro, nous sommes informés sur les prix affichés par les différents dépôts d'Abidjan si bien que nous n'avons pas trop de problèmes.'' Ces dépôts sont gérés généralement par des nationaux même si l'on y trouve aussi des Libanais, mais surtout des Hindous. ''Ils ont du gros matériel avec lequel ils compactent le fer et les mettent dans des containers 8 pieds pour l'exportation'' explique-t-il. L'Inde est la destination la plus citée dans les dépôts d'Abidjan. Et ce sont les Hindous qui fixent les prix selon le cours du fer sur leur marché. « On parle aussi du Japon, mais, je n'en ai jamais vu» dit-il. Alors qu'il n'était pas rare de voir des hommes d'affaires Hindous aller de dépôt en dépôt pour acquérir le fer et même préfinancer les achats.
Si les ferrailleurs avouent que leur métier leur permet de vivre décemment malgré la baisse des prix de revient, ils n'occultent pas les risques auxquels ils doivent faire face. « D'abord, il faut savoir avec qui acheter le fer si l'on ne veut pas avoir de problèmes avec la justice », explique Nanourou qui travaille à la ferraille du marché Mô Faitai. Selon lui, ils sont souvent victimes de fournisseurs pas très sérieux qui volent les métaux. Parmi ces gens sans scrupule, il compte ceux qui déterrent les câbles téléphoniques et même qui sectionnent, nul ne sait comment, les fils électriques en cuivre. Les acheteurs qui ne sont pas regardants sur l'origine du cuivre qu'on leur vend ont très souvent maille à partir avec la justice. Il y a ceux qui enlèvent les panneaux de signalisation routière. Tout dernièrement, l'imam de la Grande mosquée a interpellé dans un sermon « ceux qui enlèvent les écriteaux en fer que les parents des défunts plantent sur les tombe » ! Il y a aussi l'ignorance des ouvriers qui ne savent souvent rien du matériel qu'ils manipulent. « C'est ce qui est arrivé à la casse de Yirikoro. L'ouvrier qui a voulu découper une roquette avec un burin est aujourd'hui borgne et amputé de deux doigts, sans compter les blessés légers», regrette Nanourou. De même, la manipulation du fer expose les travailleurs au tétanos. Or, rares sont ceux qui se vaccinent. Ce n'est qu'après les blessures que certains achètent le sérum antitétanique. D'autres se contentent de recouvrir leur plaie de cendre ! Autre risque : les cambrioleurs sont généralement bien informés sur les transactions qui se font dans les ferrailles. Ainsi, plusieurs ferrailleurs, après une bonne affaire, ont reçu des visites de bandits armés qui les ont dépouillés.
Dangereux mais rentable
Plusieurs familles vivent autour des dépôts de ferrailles. Outre le responsable, il y a les manœuvres journaliers (1.000 Fcfa à 1.500 Fcfa/jour) et les chargeurs (50.000 Fcfa, la remorque). Il y a aussi des pousse-pousse qui se sont spécialisés au transport de la ferraille. Ainsi, il n'est pas rare de voir une voiture transportée par un pousse-pousse ! À ceux-là, il faut ajouter les jeunes chômeurs qui se sont reconvertis en chercheurs de fer à travers la ville et dans les campagnes. Quand on sait qu'avec la paupérisation et le chômage plusieurs personnes vivent du salaire d'un seul travailleur, il est aisé de voir combien de familles vivent autour d'un dépôt de ferraille. En définitive, c'est une activité utile à plusieurs titres. Non seulement elle nourrit son homme, elle débarrasse les villes des tas de ferrailles. Ainsi, les opérateurs du fer mort participent, à leur manière, à la lutte contre l'insalubrité.
Ousmane Diallo
Nous sommes à Yirikoro, dans un dépôt comme il y en a plus d'une vingtaine, repartis dans tous les quartiers de Yamoussoukro. Une dizaine de jeunes gens travaillent à trier les métaux et à les compacter avec des gros marteaux. Le gérant, M. Traoré discute longuement au téléphone avec un client. Non loin de lui, l'éternelle théière où bout du thé vert de Chine qui est servi à intervalles réguliers. « Nous achetons et revendons du ''fer mort'', c'est-à-dire le fer qui ne peut plus être utilisé par les mécaniciens et autres utilisateurs qui s'en débarrassent », explique Moussa Touré. A la casse, poursuit-il, « on démonte les véhicules pour en tirer toutes les pièces en bon état susceptibles d'être réutilisées. Ici, c'est différent. Le fer qui nous arrive est trié, découpé, compacté et classé pour être cédé au poids. » En effet, une bonne dizaine de jeunes gens sont à pied d'œuvre.
Munis de marteaux et de burins, certains sont en train de découper une vieille Renault 5.
La ferraille différente de la casse
On se croirait chez le forgeron du village, tant ils battent le fer. Les morceaux de fer qu'ils découpent sont aussitôt recueillis par un autre groupe dont les éléments, avec de grosses masses, les frappent comme des sourds pour les aplatir au maximum. Les coups portés au fer le débarrassent d'une bonne partie de la peinture et de la rouille. Dans le monticule de ferraille qui s'élève, on dénombre des métaux de toutes sortes et de toutes origines. « Nous préférons ''le fer lourd'' comme les jantes, les essieux, les pare-chocs et autres amortisseurs qui pèsent et qui peuvent être recyclés facilement», explique Moussa. Mais aussi, sur le tas, il y a des vieux cadres de vélos et de motos, des guidons, des plaques de tôles, des barres et des tuyaux en fer etc. Les autres métaux sont classés par qualité : acier, cuivre, aluminium, laiton, inox et divers autres alliages. Car ici, les prix diffèrent selon le genre, mais aussi leur densité. Pour se procurer le fer mort, les ferrailleurs s'approvisionnent auprès de fournisseurs variés. « En ville, explique Bamba Issouf, un autre ferrailleur, nous pouvons acheter des carcasses de voitures et autres engins que nous transportons au dépôt pour les conditionner. » En effet, outre la Renault 5, plusieurs autres vieux véhicules sont entassés sur le trottoir. Et c'est là où souvent le néophyte confond la ferraille et la casse. Puisqu'il n'est pas rare qu'un tôlier vienne acheter des vitres, une portière, un tableau de bord ou des sièges. Ou un mécanicien, une pièce qu'il n'aurait pu trouver ailleurs. Car à la ferraille, on trouve des véhicules dont la fabrication est arrêtée par les producteurs. Les ferrailleurs s'approvisionnent aussi sur les chantiers et dans les anciennes usines. Au-delà, il y a les fournisseurs individuels : ce sont des jeunes gens et même des femmes qui passent la journée à ramasser ce qu'ils trouvent comme ferraille en ville et au bord des routes. C'est ainsi que disparaissent peu à peu les véhicules accidentés et abandonnés en rase campagne. Et dans la soirée, ils viennent à la pesée pour vendre le fruit de leur prospection. Si les véhicules sont achetés à « des prix à débattre », les métaux envoyés par ces jeunes sont payés selon leur qualité et leur poids. Le cuivre (900 à 2000F/Kg), l'aluminium (600 à 700 F/Kg), le laiton (300 à 400F/Kg), l'inox et le zinc (100 à150 F/Kg). Quant à l'acier, il est pris aujourd'hui à 50F/Kg à l'achat. Ces prix fluctuent au gré du marché abidjanais qui, lui aussi subit les fluctuations des cours internationaux.
L'Inde, le principal client
Le fer acheté, conditionné et classé est convoyé dans des grands dépôts à Abidjan. « Jusqu'en 2007, c'était bien payé. Et les Abidjanais venaient eux-mêmes chercher le fer dans l'arrière pays. Certains préfinançaient les acheteurs comme on le fait avec les pisteurs de café cacao. Avec la chute des prix aujourd'hui, c'est différent », regrette Bamba. Le cuivre, explique-t-il, se vendait naguère à Abidjan jusqu'à 3.000 Fcfa/Kg, l'aluminium entre 1.000 et 1.200 Fcfa/Kg, le laiton qui coûtait souvent plus cher que l'aluminium avec 1.500 - 1.600 Fcfa/Kg revient aujourd'hui à 350 ou 400 Fcfa/Kg ! L'acier, autrefois vendu à 150 ou 160 Fcfa/Kg est pris aujourd'hui à tout au plus 85 Fcfa/Kg. Outre les frais de transport (de 250.000 à 300.000 Fcfa/ par camion), il faut compter 50.000 Fcfa pour les chargeurs, 55.000 Fcfa pour les taxes diverses (Cciat, douane, police, gendarmerie, Ocpv). « A ce niveau, les charges se sont amoindries avec la disparition du Cciat et la diminution des barrages routiers », reconnait-il. « Nous vendons au plus offrant. Il n'y a pas de client fixe. Avant de quitter Yamoussoukro, nous sommes informés sur les prix affichés par les différents dépôts d'Abidjan si bien que nous n'avons pas trop de problèmes.'' Ces dépôts sont gérés généralement par des nationaux même si l'on y trouve aussi des Libanais, mais surtout des Hindous. ''Ils ont du gros matériel avec lequel ils compactent le fer et les mettent dans des containers 8 pieds pour l'exportation'' explique-t-il. L'Inde est la destination la plus citée dans les dépôts d'Abidjan. Et ce sont les Hindous qui fixent les prix selon le cours du fer sur leur marché. « On parle aussi du Japon, mais, je n'en ai jamais vu» dit-il. Alors qu'il n'était pas rare de voir des hommes d'affaires Hindous aller de dépôt en dépôt pour acquérir le fer et même préfinancer les achats.
Si les ferrailleurs avouent que leur métier leur permet de vivre décemment malgré la baisse des prix de revient, ils n'occultent pas les risques auxquels ils doivent faire face. « D'abord, il faut savoir avec qui acheter le fer si l'on ne veut pas avoir de problèmes avec la justice », explique Nanourou qui travaille à la ferraille du marché Mô Faitai. Selon lui, ils sont souvent victimes de fournisseurs pas très sérieux qui volent les métaux. Parmi ces gens sans scrupule, il compte ceux qui déterrent les câbles téléphoniques et même qui sectionnent, nul ne sait comment, les fils électriques en cuivre. Les acheteurs qui ne sont pas regardants sur l'origine du cuivre qu'on leur vend ont très souvent maille à partir avec la justice. Il y a ceux qui enlèvent les panneaux de signalisation routière. Tout dernièrement, l'imam de la Grande mosquée a interpellé dans un sermon « ceux qui enlèvent les écriteaux en fer que les parents des défunts plantent sur les tombe » ! Il y a aussi l'ignorance des ouvriers qui ne savent souvent rien du matériel qu'ils manipulent. « C'est ce qui est arrivé à la casse de Yirikoro. L'ouvrier qui a voulu découper une roquette avec un burin est aujourd'hui borgne et amputé de deux doigts, sans compter les blessés légers», regrette Nanourou. De même, la manipulation du fer expose les travailleurs au tétanos. Or, rares sont ceux qui se vaccinent. Ce n'est qu'après les blessures que certains achètent le sérum antitétanique. D'autres se contentent de recouvrir leur plaie de cendre ! Autre risque : les cambrioleurs sont généralement bien informés sur les transactions qui se font dans les ferrailles. Ainsi, plusieurs ferrailleurs, après une bonne affaire, ont reçu des visites de bandits armés qui les ont dépouillés.
Dangereux mais rentable
Plusieurs familles vivent autour des dépôts de ferrailles. Outre le responsable, il y a les manœuvres journaliers (1.000 Fcfa à 1.500 Fcfa/jour) et les chargeurs (50.000 Fcfa, la remorque). Il y a aussi des pousse-pousse qui se sont spécialisés au transport de la ferraille. Ainsi, il n'est pas rare de voir une voiture transportée par un pousse-pousse ! À ceux-là, il faut ajouter les jeunes chômeurs qui se sont reconvertis en chercheurs de fer à travers la ville et dans les campagnes. Quand on sait qu'avec la paupérisation et le chômage plusieurs personnes vivent du salaire d'un seul travailleur, il est aisé de voir combien de familles vivent autour d'un dépôt de ferraille. En définitive, c'est une activité utile à plusieurs titres. Non seulement elle nourrit son homme, elle débarrasse les villes des tas de ferrailles. Ainsi, les opérateurs du fer mort participent, à leur manière, à la lutte contre l'insalubrité.
Ousmane Diallo