Grioo.com revient sur le célèbre livre d'Emmanuel Dongala, ''Johnny Chien Méchant'', plongée dans l'univers des enfants-soldats.
Les lieux s’appellent Kandahar, Koweït, Sarajevo. Les protagonistes se surnomment Rambo, Chuck Norris, Mâle-Lourd, Petit Piment, Caïman ou Chien Méchant. Les ennemis à abattre sont des Tchétchènes ou même parfois des Israéliens. Voici planté le décor de ce qui pourrait être un jeu vidéo, une réalité virtuelle. Et pourtant, rien n’est plus dramatiquement réel.
Nous sommes au Congo-Brazzaville, dans un pays en pleine guerre civile, en plein chaos. D’un côté, de très jeunes miliciens lourdement armés, à peine contrôlés, qui se livrent au quotidien a de pires exactions imaginables; de l’autre, la population civile, exténuée, affamée, terrorisée, en pleine zone de combats, vaste troupeau humain ballotté de quartier en quartier au gré des bombardements et des crépitements d’armes de tous calibres.
Emmanuel Dongala nous propose d’entrer dans la sombre réalité de la guerre civile à travers deux personnages appartenant à chacun des deux groupes antagonistes, les oppresseurs et les opprimés, les prédateurs et les proies. Le livre est donc une partition a quatre mains, écrite par deux adolescents qui narrent alternativement la même réalité à la première personne.
D’un côté, il y a Johnny “Chien Méchant”, alias “Matiti Mabé” (la mauvaise herbe), alias n’importe-quel-nom qui puisse prouver au monde qu’il est un coriace. Il se prend pour un intellectuel (car il a fait le cours élémentaire), et c’est aussi le chef d’une petite bande miliciens dont le quotidien se limite a piller, violer, tuer ou terroriser tous ceux qui croisent son chemin. Tous les miliciens, comme lui, se sont rebaptisés selon les gros bras hollywoodiens, ou selon leur performance en viols ou en meurtres. Dans la même lancée, ils ont aussi rebaptisé les zones de combats et même leurs ennemis selon les mots-clés l’actualité (de guerre) internationale.
De l’autre, il y Laokolé, une jeune lycéenne qui, depuis cette guerre qui a commencé le jour même de son examen de baccalauréat, lutte au quotidien comme des milliers de civils pour sa survie, fuyant sans trop de succès les zones de combat et le contact presque toujours fatal avec les miliciens.
« J’ai d’abord commencé à écrire à la troisième personne, avec un narrateur omniscient. Ça n’a pas marché. Alors, j’ai choisi une voix de garçon, comme dans mon précédent roman. Mais je trouvais le récit trop unilatéral, sans éléments pour transcender la violence, pour s’arrêter un peu et comprendre. Ce n’est que lorsque la deuxième voix, celle de la jeune fille, s’est imposée à moi que, enfin, le roman a démarre », explique Dongala.
C’est là que se trouve l’esprit de ce livre, l’alternance entre la cervelle embrumée de “Chien Méchant” et l’esprit lucide de Laokolé, entre le récit d’une personne qui s’est déconnectée de la réalité, et celui d’une autre qui la vit intensément. Et cette réalité, c’est d’abord une atmosphère d’une inimaginable violence; la violence, tel est le maître mot. Une violence qui se perpètre avec le consentement passif ou actif des élites africaines, avec le soutien politique et logistique de l’occident, avec comme toujours la présence aussi obscène qu’inutile des casques bleus. C’est aussi ici que triomphe le paternalisme philanthropique: les ONGs qui donnent le change en faisant semblant de se dévouer pour la sous-humanité; les médias qui se frottent les mains d’avoir enfin du sang et des larmes à offrir en Prime Time.
Mais Johnny Chien Méchant est aussi la chronique d’une jeunesse trahie. Même si on ne s’en doute pas au premier abord, le destin de “Chien Méchant” n’était pas celui d’incarner la méchanceté. Par exemple, et malgré ses forfaits, il n’admet pas d’être traité de violeur ou d’assassin. Il admire les (vrais) intellectuels, ce sont selon lui des gens si intelligents qu’ils réfléchissent “même quand ils dorment”. Il souhaite tant leur ressembler qu’entre deux viols ou meurtres, il pille des livres, mêmes souillés de sang, pour monter sa propre bibliothèque. A l’intérieur de lui-même, "mauvaise herbe" n’est pas ivraie.
De même, on ne peut qu’être profondément touché par le regard candide mais toujours pertinent que Laokolé pose sur les évènements, sur la société, sur l’Afrique. A travers elle on découvre les aspirations réelles de ces millions de jeunes africains à qui on ne donne jamais la parole. Et l’on se surprend à découvrir une jeunesse responsable, ambitieuse, dynamique, qui n’attend que la simple l’opportunité de s’épanouir.
“Ce sont des larmes qui coulent, dans nos artères”, chantait le poète. L’Afrique résiste encore mais combien de temps cela durera-t-il?
Un livre extraordinaire de réalisme, d’absurdité, de violence, de douceur, de contradictions. Extraordinaire.
Grioo.com
Les lieux s’appellent Kandahar, Koweït, Sarajevo. Les protagonistes se surnomment Rambo, Chuck Norris, Mâle-Lourd, Petit Piment, Caïman ou Chien Méchant. Les ennemis à abattre sont des Tchétchènes ou même parfois des Israéliens. Voici planté le décor de ce qui pourrait être un jeu vidéo, une réalité virtuelle. Et pourtant, rien n’est plus dramatiquement réel.
Nous sommes au Congo-Brazzaville, dans un pays en pleine guerre civile, en plein chaos. D’un côté, de très jeunes miliciens lourdement armés, à peine contrôlés, qui se livrent au quotidien a de pires exactions imaginables; de l’autre, la population civile, exténuée, affamée, terrorisée, en pleine zone de combats, vaste troupeau humain ballotté de quartier en quartier au gré des bombardements et des crépitements d’armes de tous calibres.
Emmanuel Dongala nous propose d’entrer dans la sombre réalité de la guerre civile à travers deux personnages appartenant à chacun des deux groupes antagonistes, les oppresseurs et les opprimés, les prédateurs et les proies. Le livre est donc une partition a quatre mains, écrite par deux adolescents qui narrent alternativement la même réalité à la première personne.
D’un côté, il y a Johnny “Chien Méchant”, alias “Matiti Mabé” (la mauvaise herbe), alias n’importe-quel-nom qui puisse prouver au monde qu’il est un coriace. Il se prend pour un intellectuel (car il a fait le cours élémentaire), et c’est aussi le chef d’une petite bande miliciens dont le quotidien se limite a piller, violer, tuer ou terroriser tous ceux qui croisent son chemin. Tous les miliciens, comme lui, se sont rebaptisés selon les gros bras hollywoodiens, ou selon leur performance en viols ou en meurtres. Dans la même lancée, ils ont aussi rebaptisé les zones de combats et même leurs ennemis selon les mots-clés l’actualité (de guerre) internationale.
De l’autre, il y Laokolé, une jeune lycéenne qui, depuis cette guerre qui a commencé le jour même de son examen de baccalauréat, lutte au quotidien comme des milliers de civils pour sa survie, fuyant sans trop de succès les zones de combat et le contact presque toujours fatal avec les miliciens.
« J’ai d’abord commencé à écrire à la troisième personne, avec un narrateur omniscient. Ça n’a pas marché. Alors, j’ai choisi une voix de garçon, comme dans mon précédent roman. Mais je trouvais le récit trop unilatéral, sans éléments pour transcender la violence, pour s’arrêter un peu et comprendre. Ce n’est que lorsque la deuxième voix, celle de la jeune fille, s’est imposée à moi que, enfin, le roman a démarre », explique Dongala.
C’est là que se trouve l’esprit de ce livre, l’alternance entre la cervelle embrumée de “Chien Méchant” et l’esprit lucide de Laokolé, entre le récit d’une personne qui s’est déconnectée de la réalité, et celui d’une autre qui la vit intensément. Et cette réalité, c’est d’abord une atmosphère d’une inimaginable violence; la violence, tel est le maître mot. Une violence qui se perpètre avec le consentement passif ou actif des élites africaines, avec le soutien politique et logistique de l’occident, avec comme toujours la présence aussi obscène qu’inutile des casques bleus. C’est aussi ici que triomphe le paternalisme philanthropique: les ONGs qui donnent le change en faisant semblant de se dévouer pour la sous-humanité; les médias qui se frottent les mains d’avoir enfin du sang et des larmes à offrir en Prime Time.
Mais Johnny Chien Méchant est aussi la chronique d’une jeunesse trahie. Même si on ne s’en doute pas au premier abord, le destin de “Chien Méchant” n’était pas celui d’incarner la méchanceté. Par exemple, et malgré ses forfaits, il n’admet pas d’être traité de violeur ou d’assassin. Il admire les (vrais) intellectuels, ce sont selon lui des gens si intelligents qu’ils réfléchissent “même quand ils dorment”. Il souhaite tant leur ressembler qu’entre deux viols ou meurtres, il pille des livres, mêmes souillés de sang, pour monter sa propre bibliothèque. A l’intérieur de lui-même, "mauvaise herbe" n’est pas ivraie.
De même, on ne peut qu’être profondément touché par le regard candide mais toujours pertinent que Laokolé pose sur les évènements, sur la société, sur l’Afrique. A travers elle on découvre les aspirations réelles de ces millions de jeunes africains à qui on ne donne jamais la parole. Et l’on se surprend à découvrir une jeunesse responsable, ambitieuse, dynamique, qui n’attend que la simple l’opportunité de s’épanouir.
“Ce sont des larmes qui coulent, dans nos artères”, chantait le poète. L’Afrique résiste encore mais combien de temps cela durera-t-il?
Un livre extraordinaire de réalisme, d’absurdité, de violence, de douceur, de contradictions. Extraordinaire.
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