Adulé par les uns, abhorré par les autres, le prédicateur malien Chérif Ousmane Madani Haïdara, fondateur du mouvement Ançar-Dine, en ce moment en tournée en Côte d'Ivoire, ne laisse personne indifférent dans son pays, le Mali. Qui est cet homme dont le nom évoque tant de passion ? Nord-Sud Quotidien est allé dans la famille du mythique prédicateur.
Chérif Ousmane Madani Haïdara, de l'ethnie Bambara (Bamanan, au Mali, Ndlr) est né vers 1955 à Tamani (région de Ségou). Il a su profiter de sa grande maîtrise du « Bamanan kan », langue mandingue parlée dans la presque totalité des pays de l'Afrique de l'Ouest avec des variantes locales (Dioula en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso, Malinké au Sénégal, en Gambie et en Guinée, entre autres) pour véhiculer un message simple, souvent provocateur qui lui a valu une notoriété certaine dans cet espace linguistique, et même au-delà. Il a fait ses études à la medersa « Sabilil Falah » de Ségou dirigé par Ustaz Saad Touré. Un des précurseurs de l'enseignement arabe et islamique au Mali.
Le mouvement «Ançar Dine»
L'aura et le charisme de Chérif permettent la mise sur pied d'un vaste mouvement dénommé « Ançar Dine ». Les adhérents sont presque qu'exclusivement des commerçants et des paysans même si l'on y compte des ouvriers, des fonctionnaires et même des militaires. Ançar Dine est surtout fort d'une jeunesse en quête de repères depuis la fin de la révolution de mars 1991 et en conflit de génération avec les parents dont les pratiques religieuses ne sont pas à l'abri de toute critique. Les adeptes sont particulièrement sensibles aux prêches de Haïdara, en raison de sa fougue et de son talent d'orateur.
Les Ançar Dine prient dans les mêmes mosquées que les autres musulmans, se réclament de la Sunna et revendiquent l'héritage du Prophète Mohammed (PSL) et de ses compagnons à Médine (en Arabie) d'où leur nom. Ils se distinguent des autres par une ferme volonté de purifier l'Islam de toutes les pratiques blâmables, sous l'égide de leur guide spirituel. Pour eux, il est indispensable aux croyants de faire le « Baya », un serment d'allégeance pour se purifier de leurs souillures en décidant de pratiquer un Islam à l'image de celui pratiqué par le prophète et ses compagnons de Médine. « Je n'associerai rien à Dieu, je ne volerai jamais, je ne commettrai point d'adultère, je ne tuerai point mes enfants, je ne calomnierai point, je ne désobéirai point au prophète » Coran (LX, 12). Ce crédo de leur engagement missionnaire, est aussi un serment d'allégeance au Maître, Chérif Ousmane Madani Haïdara. Ainsi la religion serait dépouillée de toute corruption. Le ''Baya'' est la condition d'adhésion au mouvement des ''Ançar Dine'', comme l'est la Shahada (profession de foi) pour la conversion à l'Islam. Une pratique condamnée par bien des ''opposants'' au prédicateur pour lesquels la Shahada suffit largement pour devenir musulman.
Les Ançar Dine ne rêvent pas d'une conquête de pouvoir ou d'une islamisation de l'Etat, mais ils ont leurs opinions sur la gestion de la chose publique. Et ils ne se privent pas de prendre position dans les débats de société et même de politique partout où le mouvement est implanté, mais principalement au Mali
Le message de Cherif Ousmane
Haïdara est l'un des prédicateurs maliens qui a le plus innové. L'innovation fondamentale n'est pas dans les apparences mais dans les transformations subtiles à la fois dans les répertoires de la prédication et des formes de la religiosité sur lesquelles cette prédication s'appuie et qu'elle renforce en retour. Sa prédication, comme dans la plupart des mouvements charismatiques, est fixée sur l'individu, sur un culte de l'intériorité, sur la recherche de la paix de l'âme, cette âme « qu'il faut nourrir comme le corps ». C'est pour cela autant que par souci de distinction du prêche traditionnel qu'il renonce au « jeu sur la peur ». En lieu et place d'un Dieu vengeur ou punitif il préfère la vision d'un Dieu Amour : « l'amour de Dieu envers ses adorateurs », mais aussi l'amour de ceux-ci entre eux. Or il ne peut se développer que dans le cadre de groupes pieux unifiés A l'instar des nouveaux prédicateurs du Maghreb, Haïdara a su contourner l'espace traditionnel de la prédication, en investissant l'ensemble des supports médiatiques offerts par les nouvelles technologies de la communication. Ainsi, il n'est pas rare d'entendre dans les « grins » autour du thé, dans les gares routières et les marchés, les conférences prêches et sermons, enregistrées sur des cassettes et cd audio, parallèlement aux chansons des grandes vedettes de la musique malienne. Sans compter les interventions sur la multitude de radios privées du Mali. Et le chef du mouvement Ançar Dine n'est pas de ceux qui gardent leurs langues dans la poche. Le commentaire du verset précité conduit à des développements qui touchent à tous les sujets : subornation, mystification et corruption des marabouts ; associationnisme, mensonge et injustice des hommes politiques ; adultère, meurtre, vols et autres tares de la société. Si Haïdara s'attaque aux maux de la société malienne, son discours a une portée internationale et chacun des maux évoqués se retrouve dans les pays de la sous-région Ouest africaine.
Chaque année, à l'occasion du Maouloud (anniversaire de la naissance du prophète Mohamed), ce sont des milliers de personnes venues de tous ces pays qui affluent à Bamako pour cette fête musulmane dont la célébration est pour les Ançar Dine une expression d'identité et pour le Chérif une démonstration d'influence. Au-delà du discours purement religieux et des enseignements sur la vie du saint prophète de l'Islam, ces rencontres annuelles sont aussi des occasions d'interpellation des pouvoirs politiques sur la gestion de la chose publique et la moralisation de la société.
Lors du Maouloud 2008, dans le Stade Modibo Kéita plein à craquer (25.000 places assises) Chérif Ousmane Madani Haïdara déclarait : « Comme Dieu ne peut pas venir gérer directement les hommes sur terre, il a choisi certains de nos semblables pour nous gouverner, en leur imposant l'obligation de prendre soins des pauvres ». Et Baní (c'est son sobriquet) d'indiquer qu' « aucun pouvoir n'est éternel ». A propos de la justice malienne, l'homme de Dieu a asséné : "Elle fait pleurer le pauvre au profit des riches et des titulaires d'une parcelle de pouvoir". Aussi a-t-il invité ATT à veiller à la saine distribution de la justice sous son mandat.
« Le premier responsable du Mali doit s'assurer que la justice est bien rendue entre les Maliens, car il n'y aura pas de bonheur dans notre pays tant que la justice ne sera pas saine et tant que les pauvres continueront à subir des décisions iniques » interpelle-t-il. S'agissant de la crise mondiale, il a déclaré récemment que « le cas du Mali est particulier, parce que s'il n'y a pas eu une bonne saison de pluies, les gens ne sauront pas quoi faire.
C'est pourquoi je demande au gouvernement de redoubler d'effort pour faire en sorte que les denrées de première nécessité soient à des prix abordables pour les Maliens. Nous demandons aux commerçants de ne pas majorer les prix des produits, car on constate que c'est pendant le mois de carême que tout devient cher. »
Les musulmans, assure-t-il, doivent s'entendre, s'unir « s'aimer, se donner la main, travailler pour le pays. Nous ne gagnerons rien dans l'égoïsme. (…) les chefs religieux ne s'entendent pas. Les musulmans constituent au Mali une majorité silencieuse, nous ne sommes consultés par personne. (…) Comment on peut être nombreux et qu'on ne soit pas écouté par les pouvoirs publics. Parce qu'ils savent qu'on ne s'entend pas. Les musulmans de notre pays doivent s'unir, s'ils veulent être écoutés par l'Etat. »
Le nouveau Haïdara
Les ulémas maliens que nous avons rencontrés ont presque tous évité de parler du prédicateur. C'est que Chérif Ousmane Madani Haïdara dérangeait, même si, aux dires d'un Ustaz de Sikasso qui ne l'aimait guère, le discours du prédicateur a changé positivement. Il est devenu plus courtois, plus conciliant et moins tranchant. «Il est devenu très humble depuis un certain temps et a même reconnu des erreurs dans certains de ses prêches», assure-t-il. Un autre, à Bamako, assure que les violences verbales étaient nécessaires à Baní pour se faire une notoriété et beaucoup d'argent. «Maintenant qu'il est riche comme Crésus, il s'est calmé», explique-t-il. C'est que Chérif se démarque des propos affirmant que le dénuement constitue un signe de pureté préparant les lendemains qui chantent dans l'Au-delà. Au contraire, la richesse pour lui n'est pas une tare, mais une chance pour le croyant car, grâce à elle, il peut exceller en matière de foi. En allouant une partie de ses ressources aux œuvres de bienfaisance. Le message est clair: «n'ayez plus honte de votre richesse, mais faites en bon usage.»
Chérif Haïdara, bien qu'œuvrant à la conversion à l'Islam de nombreux animistes, est un homme ouvert au dialogue interreligieux. ''Pour lui, le musulman doit respecter tous ceux qui ont reçu le Livre : Juifs et chrétiens''. Ambassadeur de la paix, l'homme travaille à la cohésion sociale dans son pays et même au-delà. L'homme abhorre le fanatisme religieux qui assassine les pauvres et détruit les nations.
Ousmane Diallo Envoyé spécial à Bamako
Chérif Ousmane Madani Haïdara, de l'ethnie Bambara (Bamanan, au Mali, Ndlr) est né vers 1955 à Tamani (région de Ségou). Il a su profiter de sa grande maîtrise du « Bamanan kan », langue mandingue parlée dans la presque totalité des pays de l'Afrique de l'Ouest avec des variantes locales (Dioula en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso, Malinké au Sénégal, en Gambie et en Guinée, entre autres) pour véhiculer un message simple, souvent provocateur qui lui a valu une notoriété certaine dans cet espace linguistique, et même au-delà. Il a fait ses études à la medersa « Sabilil Falah » de Ségou dirigé par Ustaz Saad Touré. Un des précurseurs de l'enseignement arabe et islamique au Mali.
Le mouvement «Ançar Dine»
L'aura et le charisme de Chérif permettent la mise sur pied d'un vaste mouvement dénommé « Ançar Dine ». Les adhérents sont presque qu'exclusivement des commerçants et des paysans même si l'on y compte des ouvriers, des fonctionnaires et même des militaires. Ançar Dine est surtout fort d'une jeunesse en quête de repères depuis la fin de la révolution de mars 1991 et en conflit de génération avec les parents dont les pratiques religieuses ne sont pas à l'abri de toute critique. Les adeptes sont particulièrement sensibles aux prêches de Haïdara, en raison de sa fougue et de son talent d'orateur.
Les Ançar Dine prient dans les mêmes mosquées que les autres musulmans, se réclament de la Sunna et revendiquent l'héritage du Prophète Mohammed (PSL) et de ses compagnons à Médine (en Arabie) d'où leur nom. Ils se distinguent des autres par une ferme volonté de purifier l'Islam de toutes les pratiques blâmables, sous l'égide de leur guide spirituel. Pour eux, il est indispensable aux croyants de faire le « Baya », un serment d'allégeance pour se purifier de leurs souillures en décidant de pratiquer un Islam à l'image de celui pratiqué par le prophète et ses compagnons de Médine. « Je n'associerai rien à Dieu, je ne volerai jamais, je ne commettrai point d'adultère, je ne tuerai point mes enfants, je ne calomnierai point, je ne désobéirai point au prophète » Coran (LX, 12). Ce crédo de leur engagement missionnaire, est aussi un serment d'allégeance au Maître, Chérif Ousmane Madani Haïdara. Ainsi la religion serait dépouillée de toute corruption. Le ''Baya'' est la condition d'adhésion au mouvement des ''Ançar Dine'', comme l'est la Shahada (profession de foi) pour la conversion à l'Islam. Une pratique condamnée par bien des ''opposants'' au prédicateur pour lesquels la Shahada suffit largement pour devenir musulman.
Les Ançar Dine ne rêvent pas d'une conquête de pouvoir ou d'une islamisation de l'Etat, mais ils ont leurs opinions sur la gestion de la chose publique. Et ils ne se privent pas de prendre position dans les débats de société et même de politique partout où le mouvement est implanté, mais principalement au Mali
Le message de Cherif Ousmane
Haïdara est l'un des prédicateurs maliens qui a le plus innové. L'innovation fondamentale n'est pas dans les apparences mais dans les transformations subtiles à la fois dans les répertoires de la prédication et des formes de la religiosité sur lesquelles cette prédication s'appuie et qu'elle renforce en retour. Sa prédication, comme dans la plupart des mouvements charismatiques, est fixée sur l'individu, sur un culte de l'intériorité, sur la recherche de la paix de l'âme, cette âme « qu'il faut nourrir comme le corps ». C'est pour cela autant que par souci de distinction du prêche traditionnel qu'il renonce au « jeu sur la peur ». En lieu et place d'un Dieu vengeur ou punitif il préfère la vision d'un Dieu Amour : « l'amour de Dieu envers ses adorateurs », mais aussi l'amour de ceux-ci entre eux. Or il ne peut se développer que dans le cadre de groupes pieux unifiés A l'instar des nouveaux prédicateurs du Maghreb, Haïdara a su contourner l'espace traditionnel de la prédication, en investissant l'ensemble des supports médiatiques offerts par les nouvelles technologies de la communication. Ainsi, il n'est pas rare d'entendre dans les « grins » autour du thé, dans les gares routières et les marchés, les conférences prêches et sermons, enregistrées sur des cassettes et cd audio, parallèlement aux chansons des grandes vedettes de la musique malienne. Sans compter les interventions sur la multitude de radios privées du Mali. Et le chef du mouvement Ançar Dine n'est pas de ceux qui gardent leurs langues dans la poche. Le commentaire du verset précité conduit à des développements qui touchent à tous les sujets : subornation, mystification et corruption des marabouts ; associationnisme, mensonge et injustice des hommes politiques ; adultère, meurtre, vols et autres tares de la société. Si Haïdara s'attaque aux maux de la société malienne, son discours a une portée internationale et chacun des maux évoqués se retrouve dans les pays de la sous-région Ouest africaine.
Chaque année, à l'occasion du Maouloud (anniversaire de la naissance du prophète Mohamed), ce sont des milliers de personnes venues de tous ces pays qui affluent à Bamako pour cette fête musulmane dont la célébration est pour les Ançar Dine une expression d'identité et pour le Chérif une démonstration d'influence. Au-delà du discours purement religieux et des enseignements sur la vie du saint prophète de l'Islam, ces rencontres annuelles sont aussi des occasions d'interpellation des pouvoirs politiques sur la gestion de la chose publique et la moralisation de la société.
Lors du Maouloud 2008, dans le Stade Modibo Kéita plein à craquer (25.000 places assises) Chérif Ousmane Madani Haïdara déclarait : « Comme Dieu ne peut pas venir gérer directement les hommes sur terre, il a choisi certains de nos semblables pour nous gouverner, en leur imposant l'obligation de prendre soins des pauvres ». Et Baní (c'est son sobriquet) d'indiquer qu' « aucun pouvoir n'est éternel ». A propos de la justice malienne, l'homme de Dieu a asséné : "Elle fait pleurer le pauvre au profit des riches et des titulaires d'une parcelle de pouvoir". Aussi a-t-il invité ATT à veiller à la saine distribution de la justice sous son mandat.
« Le premier responsable du Mali doit s'assurer que la justice est bien rendue entre les Maliens, car il n'y aura pas de bonheur dans notre pays tant que la justice ne sera pas saine et tant que les pauvres continueront à subir des décisions iniques » interpelle-t-il. S'agissant de la crise mondiale, il a déclaré récemment que « le cas du Mali est particulier, parce que s'il n'y a pas eu une bonne saison de pluies, les gens ne sauront pas quoi faire.
C'est pourquoi je demande au gouvernement de redoubler d'effort pour faire en sorte que les denrées de première nécessité soient à des prix abordables pour les Maliens. Nous demandons aux commerçants de ne pas majorer les prix des produits, car on constate que c'est pendant le mois de carême que tout devient cher. »
Les musulmans, assure-t-il, doivent s'entendre, s'unir « s'aimer, se donner la main, travailler pour le pays. Nous ne gagnerons rien dans l'égoïsme. (…) les chefs religieux ne s'entendent pas. Les musulmans constituent au Mali une majorité silencieuse, nous ne sommes consultés par personne. (…) Comment on peut être nombreux et qu'on ne soit pas écouté par les pouvoirs publics. Parce qu'ils savent qu'on ne s'entend pas. Les musulmans de notre pays doivent s'unir, s'ils veulent être écoutés par l'Etat. »
Le nouveau Haïdara
Les ulémas maliens que nous avons rencontrés ont presque tous évité de parler du prédicateur. C'est que Chérif Ousmane Madani Haïdara dérangeait, même si, aux dires d'un Ustaz de Sikasso qui ne l'aimait guère, le discours du prédicateur a changé positivement. Il est devenu plus courtois, plus conciliant et moins tranchant. «Il est devenu très humble depuis un certain temps et a même reconnu des erreurs dans certains de ses prêches», assure-t-il. Un autre, à Bamako, assure que les violences verbales étaient nécessaires à Baní pour se faire une notoriété et beaucoup d'argent. «Maintenant qu'il est riche comme Crésus, il s'est calmé», explique-t-il. C'est que Chérif se démarque des propos affirmant que le dénuement constitue un signe de pureté préparant les lendemains qui chantent dans l'Au-delà. Au contraire, la richesse pour lui n'est pas une tare, mais une chance pour le croyant car, grâce à elle, il peut exceller en matière de foi. En allouant une partie de ses ressources aux œuvres de bienfaisance. Le message est clair: «n'ayez plus honte de votre richesse, mais faites en bon usage.»
Chérif Haïdara, bien qu'œuvrant à la conversion à l'Islam de nombreux animistes, est un homme ouvert au dialogue interreligieux. ''Pour lui, le musulman doit respecter tous ceux qui ont reçu le Livre : Juifs et chrétiens''. Ambassadeur de la paix, l'homme travaille à la cohésion sociale dans son pays et même au-delà. L'homme abhorre le fanatisme religieux qui assassine les pauvres et détruit les nations.
Ousmane Diallo Envoyé spécial à Bamako