Deux mois après les pluies diluviennes qui ont causé plus de 20 morts, les populations racontent leur abandon.
«Nous ne sommes pas des joueurs pour aller habiter au Parc des sports ; nous ne sommes pas des élèves pour aller habiter dans des écoles ! ». Le chef du village d'Agban Attié, encore appelé Banco 1, est dans tous ses états ce lundi. Ako Yapo, la soixantaine consommée, est assis sous un hangar précaire élevé devant sa cour. Une cour de trois petits bâtiments avec de vieilles tôles rouillées sur lesquels pendent pêle-mêle des cordes à linge. Des enfants âgées de 2 à 10 ans jouent entre les marmites de cuisine posées sur les fourneaux à charbon. Une jeune fille prépare le déjeuner. L'un des enfants d'Ako. Elle lance au vieux : « Mais papa, tu es un excellent joueur ». La plaisanterie n'est pas du goût de ce grand-père qui vit avec huit enfants. Le chef du village est sur les nerfs. Vêtu d’un complet pantalon-chemise beige il attend, depuis ce matin, le préfet d'Abidjan, Sam Etiassé. « Dans un communiqué paru à la radio et à la télévision, le préfet a dit qu'il venait rendre visite aux familles de Banco 1 pour leur remettre de l'argent afin qu'ils quittent la zone », explique-t-il. Yapo s'est bien sapé pour l’occasion. Il a même mis au cou sa grosse chaîne argentée qui rajeunie sa petite taille, au visage émacié. Il est 14h, point de préfet à l'horizon. Sam Etiassé semble l'espoir de ce village sinistré où il y a eu 14 morts pendant les pluies du 10 juin. Le record cette année. Et le déguerpissement tant promis ? On n'en sait rien.
Où mettre des familles de 31 personnes ?
Et si le chef Yapo qui habite une maison loin de tout danger d'éboulement avec une canalisation est inquiet, que pourra-t-on penser des autres ?… Nous longeons les ruelles humides du quartier. Ces passages sont envahis par les eaux usées. Des enfants, de tout âge, jouent dans le sable. D'autres, à la marelle. Les plus petits, entre 2 et 6 ans, parcourent les ruelles puantes, pieds nus. Ils vont vers des habitations enfoncées jusqu'aux toits dans des creux. A telle enseigne qu'en marchant, on peut toucher certains toits de la main. Un enfant, le ventre ballonnée, mange à l'entrée de l'une de ces maisons. A l'intérieur, des femmes préparent le déjeuner dans une petite cour que partagent quatre maisons aux murs humides, fissurées et déplorées. La plupart des cours présente cet aspect de précarité. Les maisons qui ne sont pas enfoncées dans des creux, sont sur des collines…comme la maison de l'imam, Fofana Mory, où nous-nous rendons. Il faut monter une ruelle parsemée de vieux pneus qui servent à freiner l'érosion du sol. Fofana est, le porte-parole des sinistrés de Banco 1. Sa cour comprend deux bâtiments. Des femmes et encore des enfants, en grand nombre, sont à l'intérieur. Un jeune garçon, la vingtaine, nous accueille. Il se présente comme le fils de l'imam. Il s'appelle Yaya. Il nous présente les membres de la famille, ceux qui sont présents mais aussi les absents. « Nous sommes 31 personnes à habiter les deux bâtiments de trois pièces chacun », précise-t-il. Devant notre étonnement, Yaya nous fait visiter l'intérieur de l'une des maisons. Une première pièce qui sert de salon et de chambre à coucher. Elle est humide. Il y a un vieux lit-pico et des fils de courant qui pendent sur le toit. Des nattes pliées sont posées sur le mûr. Les deux autres chambres présentent le même aspect. L'imam est absent. Il est à Adjamé pour des funérailles. Nous l'appelons. Le porte-parole des sinistrés n'est pas dérangé de parler au téléphone. Il a effectivement sous son toît 31 proches. Comment compte-t-il se déplacer avec un si grand nombre de personnes au cas où le déguerpissement commence? C'est justement la cause de leur présence encore ici, explique-t-il. Depuis le mois dernier, le préfet a eu une rencontre avec eux à la mairie d'Attecoubé et au Plateau. « Le préfet nous a dit qu'on ne pouvaient plus partir au Parc des sports de Treichville. Parce qu'on est nombreux. Il nous a proposé des écoles où nous serons logés. Comment voulez-vous que des familles aillent habiter dans des écoles, ce n'est pas sérieux », s'indigne l'imam. Les représentants des sinistrés des différents sites sont partis de cette réunion sans une idée concrète de leur sort. « Depuis ce jour, nous n'avons vu personne. On nous a oubliés », ajoute Fofana. D'ailleurs, les grandes pluies ont cessé.
Les fausses promesses
Pourquoi le gouvernement devra-t-il se soucier d'eux encore ? Awa, l'une des résidentes de Banco1, allaite son bébé dans sa cour cet après-midi. C'est une jeune fille. Elle continue d'avoir peur. « Personne ne veux rester ici. Il suffit qu'on nous donne les moyens, un endroit et un délai, nous allons partir », affirme-t-elle. Les moyens, un endroit et un délai, c'est ce qu'on recherche depuis le 10 juin. Comment déplacer des grandes familles comme celle de Fofana et qui habitent pour la plupart leur propre maison ? Où les mettre ? « Le préfet nous a demandé en attendant d'aller habiter chez des amis », signale Fofana Mory. Pour eux, autant leur demander de dormir dans la rue. Doumbia, l'époux d'Awa vit dans la maison de sa mère. « Si je dois quitter cette maison, il me faudra mieux qu'une école », ironise-t-il. Entre les désirs des populations et la volonté de l'Etat, il semble y avoir un énorme fossé. « Où va-t-on quand on a sous la main 31 personnes et qu'on n'a ni endroit où aller ni argent ? », s'interroge l'imam qui habite également sa propre maison. Eh bien on reste là où on est et on attend. Surtout qu'ici le loyer est moins cher. 15.000 Fcfa pour 3 pièces, 7.000 à 8.000 Fcfa les studios…et zéro franc pour la mort.
On veut déplacer le problème à Banco1
Il est 15h, quand nous retrouvons Ako Yapo sous son hangar. Toujours pas de préfet à l'horizon. Deux amis du même âge, M. Athias et Seka Damas sont venus lui tenir compagnie. « Depuis 1967, la pluie tue et seulement pendant des années impairs. Le village existe depuis 1910. En 1967, il y a eu les premiers morts des pluies, puis en 1975, en 1983, en 2005 et cette année», cite M. Athias, courbé par l'âge. «Si l'Etat voulait régler ce problème, ce serait fait depuis. Maintenant qu'ils n'arrivent pas à nous trouver des maisons, on a trouvé un autre problème : les pylônes», explique Seka. Ce sont les énormes poteaux électriques des lignes à haute tension qui parcourent Banco 1. A les attendre, la Compagnie ivoirienne d'électricité (Cie) signale le pylône 62 qui serait sur le point de tomber. « Ils disent que s'il tombe, nous serrons tous grillés. Et qu'il faut partir d'ici», s'inquiète Athias. Sûrement, une autre affaire à suivre de près. En attendant, dans les autres communes sinistrées, on a oublié le plan Orsec et la pluie. La vie poursuit son cours. A Abobo «Monastère», où il y a eu un mort cette année, les résidents ont repris leur train-train quotidien. Pareil pour le quartier précaire « Gobelet » des II-Plateaux qui avait battu le recors des morts des pluies diluviennes en 2008 (6 morts). On a déjà oublié 20 morts. Comme le disait M. Athias, à la prochaine année impaire.
Raphaël Tanoh
«Nous ne sommes pas des joueurs pour aller habiter au Parc des sports ; nous ne sommes pas des élèves pour aller habiter dans des écoles ! ». Le chef du village d'Agban Attié, encore appelé Banco 1, est dans tous ses états ce lundi. Ako Yapo, la soixantaine consommée, est assis sous un hangar précaire élevé devant sa cour. Une cour de trois petits bâtiments avec de vieilles tôles rouillées sur lesquels pendent pêle-mêle des cordes à linge. Des enfants âgées de 2 à 10 ans jouent entre les marmites de cuisine posées sur les fourneaux à charbon. Une jeune fille prépare le déjeuner. L'un des enfants d'Ako. Elle lance au vieux : « Mais papa, tu es un excellent joueur ». La plaisanterie n'est pas du goût de ce grand-père qui vit avec huit enfants. Le chef du village est sur les nerfs. Vêtu d’un complet pantalon-chemise beige il attend, depuis ce matin, le préfet d'Abidjan, Sam Etiassé. « Dans un communiqué paru à la radio et à la télévision, le préfet a dit qu'il venait rendre visite aux familles de Banco 1 pour leur remettre de l'argent afin qu'ils quittent la zone », explique-t-il. Yapo s'est bien sapé pour l’occasion. Il a même mis au cou sa grosse chaîne argentée qui rajeunie sa petite taille, au visage émacié. Il est 14h, point de préfet à l'horizon. Sam Etiassé semble l'espoir de ce village sinistré où il y a eu 14 morts pendant les pluies du 10 juin. Le record cette année. Et le déguerpissement tant promis ? On n'en sait rien.
Où mettre des familles de 31 personnes ?
Et si le chef Yapo qui habite une maison loin de tout danger d'éboulement avec une canalisation est inquiet, que pourra-t-on penser des autres ?… Nous longeons les ruelles humides du quartier. Ces passages sont envahis par les eaux usées. Des enfants, de tout âge, jouent dans le sable. D'autres, à la marelle. Les plus petits, entre 2 et 6 ans, parcourent les ruelles puantes, pieds nus. Ils vont vers des habitations enfoncées jusqu'aux toits dans des creux. A telle enseigne qu'en marchant, on peut toucher certains toits de la main. Un enfant, le ventre ballonnée, mange à l'entrée de l'une de ces maisons. A l'intérieur, des femmes préparent le déjeuner dans une petite cour que partagent quatre maisons aux murs humides, fissurées et déplorées. La plupart des cours présente cet aspect de précarité. Les maisons qui ne sont pas enfoncées dans des creux, sont sur des collines…comme la maison de l'imam, Fofana Mory, où nous-nous rendons. Il faut monter une ruelle parsemée de vieux pneus qui servent à freiner l'érosion du sol. Fofana est, le porte-parole des sinistrés de Banco 1. Sa cour comprend deux bâtiments. Des femmes et encore des enfants, en grand nombre, sont à l'intérieur. Un jeune garçon, la vingtaine, nous accueille. Il se présente comme le fils de l'imam. Il s'appelle Yaya. Il nous présente les membres de la famille, ceux qui sont présents mais aussi les absents. « Nous sommes 31 personnes à habiter les deux bâtiments de trois pièces chacun », précise-t-il. Devant notre étonnement, Yaya nous fait visiter l'intérieur de l'une des maisons. Une première pièce qui sert de salon et de chambre à coucher. Elle est humide. Il y a un vieux lit-pico et des fils de courant qui pendent sur le toit. Des nattes pliées sont posées sur le mûr. Les deux autres chambres présentent le même aspect. L'imam est absent. Il est à Adjamé pour des funérailles. Nous l'appelons. Le porte-parole des sinistrés n'est pas dérangé de parler au téléphone. Il a effectivement sous son toît 31 proches. Comment compte-t-il se déplacer avec un si grand nombre de personnes au cas où le déguerpissement commence? C'est justement la cause de leur présence encore ici, explique-t-il. Depuis le mois dernier, le préfet a eu une rencontre avec eux à la mairie d'Attecoubé et au Plateau. « Le préfet nous a dit qu'on ne pouvaient plus partir au Parc des sports de Treichville. Parce qu'on est nombreux. Il nous a proposé des écoles où nous serons logés. Comment voulez-vous que des familles aillent habiter dans des écoles, ce n'est pas sérieux », s'indigne l'imam. Les représentants des sinistrés des différents sites sont partis de cette réunion sans une idée concrète de leur sort. « Depuis ce jour, nous n'avons vu personne. On nous a oubliés », ajoute Fofana. D'ailleurs, les grandes pluies ont cessé.
Les fausses promesses
Pourquoi le gouvernement devra-t-il se soucier d'eux encore ? Awa, l'une des résidentes de Banco1, allaite son bébé dans sa cour cet après-midi. C'est une jeune fille. Elle continue d'avoir peur. « Personne ne veux rester ici. Il suffit qu'on nous donne les moyens, un endroit et un délai, nous allons partir », affirme-t-elle. Les moyens, un endroit et un délai, c'est ce qu'on recherche depuis le 10 juin. Comment déplacer des grandes familles comme celle de Fofana et qui habitent pour la plupart leur propre maison ? Où les mettre ? « Le préfet nous a demandé en attendant d'aller habiter chez des amis », signale Fofana Mory. Pour eux, autant leur demander de dormir dans la rue. Doumbia, l'époux d'Awa vit dans la maison de sa mère. « Si je dois quitter cette maison, il me faudra mieux qu'une école », ironise-t-il. Entre les désirs des populations et la volonté de l'Etat, il semble y avoir un énorme fossé. « Où va-t-on quand on a sous la main 31 personnes et qu'on n'a ni endroit où aller ni argent ? », s'interroge l'imam qui habite également sa propre maison. Eh bien on reste là où on est et on attend. Surtout qu'ici le loyer est moins cher. 15.000 Fcfa pour 3 pièces, 7.000 à 8.000 Fcfa les studios…et zéro franc pour la mort.
On veut déplacer le problème à Banco1
Il est 15h, quand nous retrouvons Ako Yapo sous son hangar. Toujours pas de préfet à l'horizon. Deux amis du même âge, M. Athias et Seka Damas sont venus lui tenir compagnie. « Depuis 1967, la pluie tue et seulement pendant des années impairs. Le village existe depuis 1910. En 1967, il y a eu les premiers morts des pluies, puis en 1975, en 1983, en 2005 et cette année», cite M. Athias, courbé par l'âge. «Si l'Etat voulait régler ce problème, ce serait fait depuis. Maintenant qu'ils n'arrivent pas à nous trouver des maisons, on a trouvé un autre problème : les pylônes», explique Seka. Ce sont les énormes poteaux électriques des lignes à haute tension qui parcourent Banco 1. A les attendre, la Compagnie ivoirienne d'électricité (Cie) signale le pylône 62 qui serait sur le point de tomber. « Ils disent que s'il tombe, nous serrons tous grillés. Et qu'il faut partir d'ici», s'inquiète Athias. Sûrement, une autre affaire à suivre de près. En attendant, dans les autres communes sinistrées, on a oublié le plan Orsec et la pluie. La vie poursuit son cours. A Abobo «Monastère», où il y a eu un mort cette année, les résidents ont repris leur train-train quotidien. Pareil pour le quartier précaire « Gobelet » des II-Plateaux qui avait battu le recors des morts des pluies diluviennes en 2008 (6 morts). On a déjà oublié 20 morts. Comme le disait M. Athias, à la prochaine année impaire.
Raphaël Tanoh