En dépit de manoeuvres de diversions plus ou moins grossières, l`instruction progresse. Et l`étau se resserre sur l`appareil sécuritaire de la présidence ivoirienne.
Le marathon de "l`affaire Kieffer" toucherait-il à sa fin? Tout porte à le croire. A commencer par la cascade de coups de théâtre récents, entre vrais aveux, écrans de fumée et douteuses diversions. Qu`elle carbure à l`intox ou pas, la machine s`emballe...
Mercredi soir, le procureur d`Abidjan Raymond Tchimou, cité par l`Agence France-Presse, émet des doutes quant au décès du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, disparu le 16 avril 2004. "On ne cherche plus un homme mort, hasarde le magistrat, mais quelqu`un qui a été exfiltré de la Côte d`Ivoire et qui vit actuellement."
Bizarrement, la dépêche de l`AFP tombe moins d`une heure après la diffusion, dans le 19/20 de France 3, d`extraits du témoignage crucial d`Alain Gossé, un ex-sergent-chef de l`armée ivoirienne, recueilli par le reporter Joseph Tual et rendu public par la même chaîne dès le 22 juillet.
Le sous-officier, affecté au "service logistique de la présidence" à l`époque des faits, affirme avoir conversé brièvement avec "GAK", alors détenu dans une cellule située au sous-sol du palais présidentiel. Il indique aussi que le journaliste, qui enquêtait notamment sur la corruption au sein de la filière café-cacao, a été transféré le 19 avril dans un village proche d`Abidjan, où il aurait été tué par balle accidentellement, lors d`un interrogatoire musclé. "Une bavure", soutient Gossé.
Comme l`a révélé L`Express du 26 août, ce sergent-chef a livré six jours plus tôt un récit détaillé au juge d`instruction français Patrick Ramaël, à la faveur d`une audition organisée au Bénin. Récit qui corrobore et complète la version confiée en 2007 au même Joseph Tual (France 3) par Berté Seydou, le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, chef présumé du commando soupçonné d`avoir perpétré l`enlèvement.
Pourquoi inculper deux Français?
Autant dire que les "révélations" du juge Tchimou, qui s`efforce depuis plusieurs mois d`accréditer la thèse d`une "piste hexagonale", au point d`avoir inculpé en août deux citoyens français, n`ébranlent nullement Bernard Kieffer, le frère de Guy-André, ni son avocat.
"Nous voyons là le reflet d`un affolement, indiquait ce matin Me Alexis Gublin. Comme si les autorités ivoiriennes, sans doute conscientes que l`on est très proche de la vérité, faisaient feu de tout bois. De deux choses l`une: ou elles détiennent des preuves, et elles les produisent ; ou elles n`en détiennent pas. Dans ce cas, il est inacceptable au regard de la famille de laisser planer un tel espoir."
De fait, il faudra bien a minima que Raymond Tchimou élucide ce paradoxe: pourquoi inculper deux Français pour "complicité d`arrestation arbitraire, enlèvement et séquestration" -et projeter d`en incriminer plusieurs autres- si Guy-André Kieffer coule incognito des jours tranquilles dans une mystérieuse retraite?
Le "scoop" du juge abidjanais appelle une autre remarque: jusqu`alors, celui-ci s`employait, tout comme le procureur militaire Ange Kessi ou Me Rodrigue Dadjé, avocat de Simone Gbagbo -l`épouse du chef de l`Etat-, à discréditer Alain Gossé, relégué au rang d`imposteur burkinabé.
"Parlons d`un disparu,pas d`un mort"
Or, Tchimou se borne désormais à dénoncer un témoignage qui "n`apporte rien de nouveau à notre dossier très épais" et "vise à amuser la galerie". Il est vrai qu`entre-temps, France 3 a produit à l`écran des documents, dont une carte d`identité ivoirienne, attestant la nationalité et le statut militaire de l`intéressé. Reste que le juge Tchimou, déçu d`une mission infructueuse conduite à Paris en août -toujours la fameuse "piste française"-, aurait l`intention de rééditer la tentative au cours de ce mois d`octobre. Afin d`inculper entre autres Berté Seydou pour "faux témoignage" et... Bernard Kieffer pour "complicité de faux témoignage et subornation de témoin". Projet dévoilé le 24 septembre, au prix d`une insolite confusion des genres, non par le magistrat lui-même, mais par le conseil de Simone Gbagbo. Le scénario, hélas chimérique, d`un "GAK" rescapé, a déjà beaucoup servi. La "Première dame" récuse ainsi l`assassinat. En avril dernier, lorsque le juge Ramaël l`interroge à Abidjan, que lui objecte-t-elle? Ceci: "Pourquoi me parlez-vous d`un mort? Rien ne prouve qu`il le soit. Parlons d`un disparu, pas d`un mort."
Autre argument invoqué: l`absence de cadavre à ce stade. Pour autant, la vieille martingale -"Pas de corps, donc pas de meurtre; pas de meurtre, donc pas d`affaire"- demeure aléatoire. D`autant que les juges d`instruction Patrick Ramaël et Nicolas Blot n`ont pas renoncé à localiser la dépouille.
Nicolas Sarkozy et la vérité
"Côté français, souligne Bernard Kieffer, l`enquête n`a jamais cessé d`avancer". Exact. Mais sans doute se heurte-t-elle encore, entre autres, à un écueil de nature politique. Le témoignage d`Alain Gossé tend à dédouaner le président ivoirien et son épouse de toute responsabilité, au moins directe. "Mme Gbagbo n`est pas trop impliquée", avance l`ancien sergent-chef, avant de pointer l`index sur "son cabinet" et "sa garde rapprochée". Allusion transparente à Anselme Seka Yapo, chef de la garde rapprochée de "Simone", et à Patrick Bahi, réputé proche de "Laurent". Pour solder la douloureuse énigme, Laurent Gbagbo devra bien "sacrifier" l`un ou l`autre membre de l`entourage présidentiel, pivot de l`appareil sécuritaire ou conseiller d`un ministre naguère influent. Est-il disposé à payer un tel prix, à quelques mois d`une échéance présidentielle incertaine? Mystère. Une certitude: Nicolas Sarkozy a clairement signifié à la famille du disparu qu`il n`y aurait pas de normalisation pleine et entière entre Paris et Abidjan avant qu`éclate la vérité. Tôt ou tard, elle éclatera. Assez tôt, selon toute vraisemblance. Et l`impact de la déflagration fera vaciller plus d`un personnage supposé intouchable.
Vincent Hugeux, in l`Express (01/10/2009)
NB: Le titre et le surtitre sont de la rédaction
Le marathon de "l`affaire Kieffer" toucherait-il à sa fin? Tout porte à le croire. A commencer par la cascade de coups de théâtre récents, entre vrais aveux, écrans de fumée et douteuses diversions. Qu`elle carbure à l`intox ou pas, la machine s`emballe...
Mercredi soir, le procureur d`Abidjan Raymond Tchimou, cité par l`Agence France-Presse, émet des doutes quant au décès du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, disparu le 16 avril 2004. "On ne cherche plus un homme mort, hasarde le magistrat, mais quelqu`un qui a été exfiltré de la Côte d`Ivoire et qui vit actuellement."
Bizarrement, la dépêche de l`AFP tombe moins d`une heure après la diffusion, dans le 19/20 de France 3, d`extraits du témoignage crucial d`Alain Gossé, un ex-sergent-chef de l`armée ivoirienne, recueilli par le reporter Joseph Tual et rendu public par la même chaîne dès le 22 juillet.
Le sous-officier, affecté au "service logistique de la présidence" à l`époque des faits, affirme avoir conversé brièvement avec "GAK", alors détenu dans une cellule située au sous-sol du palais présidentiel. Il indique aussi que le journaliste, qui enquêtait notamment sur la corruption au sein de la filière café-cacao, a été transféré le 19 avril dans un village proche d`Abidjan, où il aurait été tué par balle accidentellement, lors d`un interrogatoire musclé. "Une bavure", soutient Gossé.
Comme l`a révélé L`Express du 26 août, ce sergent-chef a livré six jours plus tôt un récit détaillé au juge d`instruction français Patrick Ramaël, à la faveur d`une audition organisée au Bénin. Récit qui corrobore et complète la version confiée en 2007 au même Joseph Tual (France 3) par Berté Seydou, le chauffeur de Jean-Tony Oulaï, chef présumé du commando soupçonné d`avoir perpétré l`enlèvement.
Pourquoi inculper deux Français?
Autant dire que les "révélations" du juge Tchimou, qui s`efforce depuis plusieurs mois d`accréditer la thèse d`une "piste hexagonale", au point d`avoir inculpé en août deux citoyens français, n`ébranlent nullement Bernard Kieffer, le frère de Guy-André, ni son avocat.
"Nous voyons là le reflet d`un affolement, indiquait ce matin Me Alexis Gublin. Comme si les autorités ivoiriennes, sans doute conscientes que l`on est très proche de la vérité, faisaient feu de tout bois. De deux choses l`une: ou elles détiennent des preuves, et elles les produisent ; ou elles n`en détiennent pas. Dans ce cas, il est inacceptable au regard de la famille de laisser planer un tel espoir."
De fait, il faudra bien a minima que Raymond Tchimou élucide ce paradoxe: pourquoi inculper deux Français pour "complicité d`arrestation arbitraire, enlèvement et séquestration" -et projeter d`en incriminer plusieurs autres- si Guy-André Kieffer coule incognito des jours tranquilles dans une mystérieuse retraite?
Le "scoop" du juge abidjanais appelle une autre remarque: jusqu`alors, celui-ci s`employait, tout comme le procureur militaire Ange Kessi ou Me Rodrigue Dadjé, avocat de Simone Gbagbo -l`épouse du chef de l`Etat-, à discréditer Alain Gossé, relégué au rang d`imposteur burkinabé.
"Parlons d`un disparu,pas d`un mort"
Or, Tchimou se borne désormais à dénoncer un témoignage qui "n`apporte rien de nouveau à notre dossier très épais" et "vise à amuser la galerie". Il est vrai qu`entre-temps, France 3 a produit à l`écran des documents, dont une carte d`identité ivoirienne, attestant la nationalité et le statut militaire de l`intéressé. Reste que le juge Tchimou, déçu d`une mission infructueuse conduite à Paris en août -toujours la fameuse "piste française"-, aurait l`intention de rééditer la tentative au cours de ce mois d`octobre. Afin d`inculper entre autres Berté Seydou pour "faux témoignage" et... Bernard Kieffer pour "complicité de faux témoignage et subornation de témoin". Projet dévoilé le 24 septembre, au prix d`une insolite confusion des genres, non par le magistrat lui-même, mais par le conseil de Simone Gbagbo. Le scénario, hélas chimérique, d`un "GAK" rescapé, a déjà beaucoup servi. La "Première dame" récuse ainsi l`assassinat. En avril dernier, lorsque le juge Ramaël l`interroge à Abidjan, que lui objecte-t-elle? Ceci: "Pourquoi me parlez-vous d`un mort? Rien ne prouve qu`il le soit. Parlons d`un disparu, pas d`un mort."
Autre argument invoqué: l`absence de cadavre à ce stade. Pour autant, la vieille martingale -"Pas de corps, donc pas de meurtre; pas de meurtre, donc pas d`affaire"- demeure aléatoire. D`autant que les juges d`instruction Patrick Ramaël et Nicolas Blot n`ont pas renoncé à localiser la dépouille.
Nicolas Sarkozy et la vérité
"Côté français, souligne Bernard Kieffer, l`enquête n`a jamais cessé d`avancer". Exact. Mais sans doute se heurte-t-elle encore, entre autres, à un écueil de nature politique. Le témoignage d`Alain Gossé tend à dédouaner le président ivoirien et son épouse de toute responsabilité, au moins directe. "Mme Gbagbo n`est pas trop impliquée", avance l`ancien sergent-chef, avant de pointer l`index sur "son cabinet" et "sa garde rapprochée". Allusion transparente à Anselme Seka Yapo, chef de la garde rapprochée de "Simone", et à Patrick Bahi, réputé proche de "Laurent". Pour solder la douloureuse énigme, Laurent Gbagbo devra bien "sacrifier" l`un ou l`autre membre de l`entourage présidentiel, pivot de l`appareil sécuritaire ou conseiller d`un ministre naguère influent. Est-il disposé à payer un tel prix, à quelques mois d`une échéance présidentielle incertaine? Mystère. Une certitude: Nicolas Sarkozy a clairement signifié à la famille du disparu qu`il n`y aurait pas de normalisation pleine et entière entre Paris et Abidjan avant qu`éclate la vérité. Tôt ou tard, elle éclatera. Assez tôt, selon toute vraisemblance. Et l`impact de la déflagration fera vaciller plus d`un personnage supposé intouchable.
Vincent Hugeux, in l`Express (01/10/2009)
NB: Le titre et le surtitre sont de la rédaction