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Économie Publié le samedi 14 novembre 2009 | Notre Voie

Assurance-Maladie universelle (AMU) - Un expert répond à Mabri Toikeusse

Albert Mabri Toikeusse, ministre des Transports nommé par Laurent Gbagbo et candidat à la prochaine élection présidentielle pour le compte de l’UDPCI, s’est aventuré, mardi, dans les colonnes du journal pro-RDR, L’Expression, à une attaque contre l’Assurance-Maladie universelle (AMU) proposée par le président Laurent Gbagbo pour que tous les habitants de la Côte d’Ivoire puissent avoir une couverture maladie. Malheureusement, le candidat de l’UDPCI a étalé sa méconnaissance du sujet. Et cela est démontré à travers cette analyse pertinente de cet expert en AMU qui démonte point par point les hérésies de M. Mabri Toikeusse. Dans une interview accordée au journal L’Expression, dans sa livraison du mardi 10 novembre dernier, le ministre Mabri affirme ne pas encourager l’AMU pour au moins trois raisons. La première est en rapport avec l’expérimentation qui, selon lui, ne répondrait pas aux conditions pouvant nous dire si c’est performant ou pas. Le deuxième grief qui oppose le ministre Mabri à l’AMU telle que proposé, par le président Laurent Gbagbo, c’est que le schéma de mobilisation des ressources n’est pas un schéma pertinent en ce sens qu’il ne s’appuie que sur le domaine agricole. Et le ministre de poursuivre : “Le schéma de l’AMU, c’est la collecte de ressources au niveau du reste de la communauté nationale qui ne fait pas l’objet d’une visibilité précise”. Le ministre pense qu’on cherchait à appliquer en Côte d’Ivoire des systèmes qui ont échoué ailleurs. En troisième lieu, le ministre Mabri s’oppose à la nature universelle même de l’AMU pour proposer un système de proximité à travers la mutualisation sur une base tantôt géographique, tantôt professionnelle. En clair selon le ministre Mabri, il n’y aura pas de mutuelle nationale de santé où tout le monde va s’engager. Ces propos tenus dans un contexte de campagne ou de précampagne électorale par un candidat déclaré à la prochaine présidentielle de notre pays méritent qu’on s’y arrête, tant le sujet abordé, c'est-à-dire la couverture maladie, constitue un véritable enjeu de développement. D’entrée de jeu, nous nous réjouissons que le ministre ne mette pas en cause l’idée d’une couverture maladie pour les Ivoiriens. Ce qui signifie que, même dans l’opposition au président de la République, à qui il faut reconnaître le mérite d’avoir le premier proposé un système de protection de la santé des Ivoiriens, il y a des voix qui soutiennent cette initiative. Cependant, il nous apparaît plus qu’urgent d’apporter notre jugement en tant qu’expert dans le domaine des politiques de santé du financement et de la décentralisation des systèmes de santé, aux propos tenus par le ministre Mabri. Trois points saillants ont retenu notre attention dans son intervention, à savoir (i) la phase d’expérimentation de l’AMU, (ii) la mobilisation des ressources appelée en des termes plus appropriés et plus techniques, le recouvrement et, enfin, (iii) l’option de mutualisation sur une base géographique et, ou professionnelle, en opposition au modèle proposé par le président Gbagbo. Pour ce qui concerne la phase d’expérimentation, deux sites (Bondoukou et Soubré) ont été retenus comme l’atteste le ministre. Cependant, cette phase d’expérimentation, comme devait le savoir le ministre, n’a pas été menée à son terme, car, à la faveur du changement survenu à la tête du département des Affaires sociales, les sites ont été purement et simplement fermés par Madame le ministre Jeanne Peuhmond pour des raisons non rendues publiques. Pire, les locaux de l’AMU l’ont été par la même occasion. Ces deux faits majeurs ont vite fait de reléguer ce précieux projet aux calendres grecques. Il serait donc temps que les personnes ayant porté un coup d’arrêt au projet d’expérimentation de l’AMU (PEXAMU) nous donnent des informations précises sur les raisons ayant motivé l’arrêt du projet qui ne sont nullement du fait ni du président de la République ni de ses conseillers en la matière. En ce qui concerne la mobilisation des ressources, nous prions Monsieur le Ministre de se référer à la loi 2001-636 du 9 octobre 2001 portant institution, organisation et fonctionnement de l’AMU en Côte d’Ivoire votée par notre Assemblée nationale dont le Dr. Mabri est un honorable membre. Cette loi, en son article 6, fait mention de deux (2) régimes d’assurance-maladie : un régime pour le secteur agricole et un régime pour les autres secteurs parmi lesquels on dénombre les salariés, le secteur informel et les demandeurs sociaux. Nous ne comprenons pas d’où lui est donc venue l’idée selon laquelle l’AMU serait exclusivement financée par le secteur agriculture. Ceci est la preuve de la méconnaissance du cadre juridique de mise en œuvre de l’AMU. Le ministre, soit par méconnaissance, soit de façon très consciente, induit le jugement des Ivoiriens en erreur en professant du faux. Plus loin, la loi, en son article 13, mentionne qu’ il est créé, au titre des deux régimes objet de l’article 6, deux caisses : la Caisse sociale agricole (CSA) et la Caisse nationale d’Assurancem-Maladie (CNAM). Les recouvrements au titre des deux caisses étant assurés par le Fonds national d’Assurance- Maladie universelle (FNAMU). La même loi, en son article 40, précise que le service des prestations et la couverture des frais de gestion sont assurés par les cotisations, les majorations et les intérêts moratoires, les revenus des placements effectués par le FNAMU, les dons et legs, les emprunts ou obligations et, éventuellement, les contributions exceptionnelles au titre du budget de l’Etat. Il convient donc de reconnaitre que, contrairement aux propos non fondés du ministre Mabri, le schéma de recouvrement des fonds est très clairement défini dans la loi et les autres documents subséquents. Dans le souci d’éclairer le grand public, qui risque de se laisser abuser par ces propos peu rassurants du ministre Mabri, une précision mérite d’être faite. En économie de la santé et en matière de recouvrement des coûts des frais de santé ou des cotisations des adhérents à un système d’assurance, il est admis que le système peut être considéré comme viable si au moins 70 % des cotisations sont recouvrés, toute chose égale par ailleurs (absence de détournement et limitation de la sélection adverse et des surconsommations). Car en effet, le montant de la cotisation représente la somme des coûts suivants : la prime pure (celle qui sert à payer les frais encourus par les soins) + la charge de sécurité + le coût unitaire de fonctionnement + l’excédent unitaire. La charge de sécurité et l’excédent unitaire permettent au système de réaliser des excédents qui peuvent servir soit à constituer des réserves soit à mener des actions sociales ou des actions de promotion de la santé. Le tout résidant dans la maitrise des coûts, la responsabilisation et la qualité des prestations. La maîtrise des coûts implique une minimisation des dépenses corrélée à un accroissement constant des taux de recouvrement. Il existe des méthodes éprouvées pour arriver à des taux de recouvrement des cotisations permettant de mettre le système à l’abri de la faillite ou du déficit. En dernier point, le Ministre propose un système mutualiste qui regrouperait des adhérents soit sur une base géographique (région, département ou commune), soit sur une base corporatiste (mutuelle santé des journalistes, pour prendre l’exemple du ministre Mabri). Selon lui, ce système serait meilleur que celui proposé par le président-candidat Laurent Gbagbo. Encore une fois aucune preuve de cette affirmation n’est apportée aux lecteurs. Il est important que les Ivoiriens sachent à quoi ramène le système mutualiste proposé par le Dr. Mabri. Premièrement, en dehors des systèmes mutualistes à base corporative ou professionnelle, l’adhésion à une mutuelle est libre et volontaire. Ce seul principe de liberté d’adhésion, comme on le sait, laissera, à n’en point douter, plusieurs de nos compatriotes n’ayant adhéré à aucune mutuelle sans couverture maladie et fera d’eux nécessairement des exclus. En effet, le fait d’avoir le choix d’adhérer ou non à une mutuelle constitue un grand risque quand on la prétention de couvrir toute la population vivant en Côte d’Ivoire. Or ce n’est pas ce que veut le président de la République, qui, partant du principe d’égalité et de solidarité entre les habitants de ce pays a voulu un système universel et obligatoire comme cela se fait dans tous les pays, avancés et développés. Le deuxième risque de la mutualisation géographique, c’est que cette stratégie porte en elle-même les germes d’une prévisible dichotomie et d’une inégalité sociale quand on sait que les différentes régions de la Côte d’Ivoire n’ont pas les mêmes potentialités économiques. Les habitants de certaines régions plus nanties seraient plus financièrement pourvus pour faire face aux cotisations, alors que d’autres le seront moins. Ce qui aura pour conséquence une faible fréquentation des structures sanitaires des zones moins nanties comparées à celles qui le sont le plus. Le principe d’égalité des individus vis-à-vis de la maladie et du handicap ne peut, à un niveau aussi important que la nation, s’accommoder d’une telle stratégie minimaliste (la mutualisation) pour impulser une politique sociale de cette envergure. Prôner la mutualisation géographique, c’est encore une fois élargir le fossé des contrastes socio économiques et sanitaires entre les différentes régions du pays. Or, ce que veut le président Laurent Gbagbo, c’est la mise en place d’un outil national de solidarité autour de la maladie afin, une fois pour toutes, de corriger une des faiblesses de l’Initiative de Bamako, à savoir améliorer l’accessibilité financière des structures de soins, en augmentant les taux de fréquentation et en améliorant les plateaux techniques des structures sanitaires (utilisation des excédents). Ce que nous proposons, en lieu et place de la mutualisation géographique ou professionnelle, c’est un système fortement décentralisé qui permette des prises de décision rapides en évitant les lourdeurs d’une gestion centralisée. Pour conclure, nous voudrions signaler que, même si, comme le soutient le Dr. Mabri, la Sécu est déficitaire en France, les Français et autres habitants de la France sont toujours soignés. En France, personne n’a encore renvoyé un patient chez lui parce que la Sécu serait déficitaire. Les Etats-Unis, pays le plus puissant du monde, sous Obama, travaillent, depuis quelques mois, dans le cadre de la réforme du système de santé, pour mettre en place un système de couverture maladie universelle. Plus près de nous, des pays comme la Tunisie mettent en œuvre, avec succès, à travers la Caisse nationale d’Assurance- Maladie (CNAM), un système de couverture maladie universelle. Le débat aujourd’hui sur l’AMU devrait plutôt se focaliser sur sa mise en œuvre effective et la recherche intelligente des voies et moyens pour en assurer la durabilité. Il est possible en Côte d’Ivoire de mettre en place l’AMU en respectant certaines étapes fondamentales du processus et certaines stratégies clés, gages de la réussite de cet ambitieux projet. Encore une fois, il ne s’agit pas de courir, mais de mettre en place un système durable et fiable en boule de neige ou en tache d’huile qui permette d’enrôler progressivement les habitants de ce pays dans la base de données de l’AMU et de contribuer à améliorer l’état de santé des populations à travers un meilleur accès à des structures de soins de qualité. Par Dr. Anicet BEUGRE, MD-Mph Expert International en Politiques et Programmes de Santé Economiste de la Santé, Spécialiste en financement et Décentralisation des Systèmes de Santé. beugranicet79@gmail.com NB : Le titre et le chapeau sont de la rédaction
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