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Politique Publié le jeudi 10 décembre 2009 | Nord-Sud

Présidentielle Kalilou Thiero (Ex-collaborateur d`Houphouët) : “Comment les Maliens ont fait le Fpi ”

Pendant 40 ans, Kalilou Thiero, a côtoyé le père de l'indépendance ivoirienne et différents acteurs politiques de ce pays. Il a décidé de nous entretenir quand on lui a rappelé que le 7 décembre consacrait le 16ème anniversaire du décès d'Houphouët Boigny. Aussi, Bakalilou (papa Kalilou, ndlr), chef du Secteur Thierola (Mali), livre son avis sur les candidats à l'élection présidentielle ivoirienne.


Comment un jeune Malien de Ségou a-t-il été le chauffeur du grand Houphouët-Boigny ?

C'était aux années d'indépendance en 1960. Je servais déjà à l'Ambassade de France en Côte d'Ivoire. Houphouët-Boigny était alors venu voir son Excellence Raphaël Leygues pour lui demander de lui donner un chauffeur très intelligent qui savait lire et écrire. L'Ambassadeur l’a donc averti que celui qu'il proposait n'est pas Ivoirien mais bien Malien. Houphouët lui a dit ne pas donner une importance à la nationalité, puis Raphaël a demandé mon avis, lequel était plutôt de rester à l'Ambassade. Mais, sur ses conseils, je suis allé au Palais Présidentiel de Côte d'Ivoire. Dès mon arrivée, Houphouët-Boigny m'a parlé ainsi : « Mon fils, tu es chez toi. Chez moi, il n'y a pas de question de nationalité encore moins d'ethnie baoulé ou agni ou dioula. Fais bien ton travail et considère-moi comme ton père ». Cependant, le Président avait besoin de me tester. Il m'a informé de l'arrivée d'un véhicule Citroën type ID (c'est comme ça qu'on l'appelait à l'époque) chez un concessionnaire français (la SICA) installé à Abidjan. En compagnie de son aide de camp, je devais le ramener au Palais quand bien même, dans tout Abidjan, un seul Blanc avait l'habitude de le conduire. Le véhicule était très sophistiqué puisqu'il n'avait pas de levier. Devant des hommes blancs ahuris, j'ai contrôlé l'eau et l'huile, puis je me suis engouffré dans la voiture et au grand étonnement de tous, je l'ai mis en marche avant de faire un bon tour. Ma prouesse m'a précédé au Palais où Houphouët m'a accueilli en ces termes : « Mon fils, je suis content. Ce véhicule t'appartient désormais ! ». Mon aventure avec Houphouët venait de démarrer. Sur les routes cahoteuses qui mènent à Yamoussoukro, Houphouët admirait ma conduite et me le disait


Cela veut dire que vous conversiez beaucoup avec lui…

De part ma profession, c'est toujours lui qui peut entamer une conversation. Généralement, Houphouët qui appréciait que je maîtrise sa langue maternelle, le Baoulé, ne parle avec nous que pour donner des conseils ou pour donner son avis sur nos prestations. Quelques rares fois, il me raconte ses amitiés et son combat menés avec des Maliens comme Mamadou Konaté ou Modibo Kéita. Je me rappelle qu'en 1968, quand Moussa Traoré a renversé Modibo Kéita, il m'a dit : « Mon fils, Modibo doit être tranquille. C'est son destin. Je ne choisirai pas Moussa comme mon ennemi car lui aussi suit son destin…. ». Dans le véhicule, il nous fait part de ses états d'âme mais rarement nous engageons avec lui une longue discussion. C'est un homme qui voulait beaucoup être écouté et on peut s'en apercevoir lors de ses échanges avec des invités dans le véhicule. Mais, la plupart du temps, dès que cela relève de la confidence ou du privé, il appuie sur un bouton qui permet d'afficher une vitre qui nous sépare afin que nous n'entendions rien.


Selon vous, ses qualités et ses défauts se résument à quoi ?

Beaucoup le disent régulièrement. La générosité d'Houphouët est sans limite. Dès qu'il vous porte dans son cœur, il s'emploie à casser toute barrière entre vous. C'est le genre de berger qui, sans communiquer avec son animal, sait de quoi il souffre ou ce dont il a besoin. Il sait lire dans la pensée d'autrui. C'est vrai, il n'aime jamais être contrarié, c'est son défaut mais, je pense que c'est parce qu'il est issu d'une famille de chef et qu'il dirige la nation. Il aime beaucoup qu'on le respecte.


C'est pour cela alors qu'il n'a pu s'entendre avec Thomas Sankara ? Quelles étaient ses relations avec les autres présidents : Senghor, Sékou Touré?

Houphouët n'avait vraiment pas la même idéologie que Senghor. Rien qu'à entendre souvent leur débat où Houphouët se voyait vexé par la manière philosophique de Senghor d'aborder les sujets. Et puis, Houphouët se définissait toujours devant Senghor comme un héritier d'une chefferie. Les conceptions du pouvoir n'étaient pas les mêmes. A peu près, c'est la même chose qu'avec Sékou Touré qui lui demandait d'opter pour un régime de révolution qui fait fi du colonisateur. Pour Sankara, je peux attester qu'Houphouët avait le sommeil troublé. La révolution de Sankara le dérangeait. Depuis une colère noire piquée contre son ministre, Jean Baptiste Mockey qui ne fut pas satisfait d'un réaménagement technique du gouvernement, je n'ai jamais vu Houphouët, régulièrement colérique qu'avec Sankara.


Et avec son opposition, particulièrement Laurent Gbagbo ou ses deux fils que sont Alassane Ouatarra et Henri Konan Bédié…

Laurent Gbagbo c'est moi ! Je peux dire que même nous les Maliens, c'est nous qui avons créé le Fpi (Front Populaire Ivoirien). En Côte d'Ivoire, tous les Maliens étaient Pdci-Rda, le parti qui dirigeait le pays. Mais avec la carte de séjour, nous avons tous basculé au Fpi. Cette carte de séjour existait, mais c'est Alassane Ouattara qui l'a appliquée aux étrangers. Je me rappelle que j'ai pris mon courage à deux mains pour dire à Houphouët : « Mais Papa, affaire d'Alassane, c'est trop fort ! ». Il m'a dit : « Mon fils, c'est vrai, Alassane a mal fait mais qu'est-ce que tu me proposes ? ». Je lui ai dit que les étrangers, surtout les Maliens, ne peuvent pas payer 10.000 F Cfa, déjà qu'on avait à payer 3 000 F Cfa pour la pièce d'identité malienne. Je lui propose 4.000 F ou 5.000 F Cfa. Il me regarde et semble convaincu. Du coup, je le vois appeler Alassane et lui dire « Bon, Alassane, désormais tu mets la carte à 5 000 F Cfa. Il ne faut pas qu'avec cette carte nos militants partent chez Gbagbo ». Malgré tout ce qu'on peut dire, Houphouët aimait et admirait Gbagbo. C'est l'un des rares politiciens qui lui disait la vérité. Ça faisait mal à Houphouët mais en prenant du recul, il adhère à ses critiques. C'est le cas d'une milice d'Houphouët-Boigny que Gbagbo a combattue et à la fin, Houphouët s'en était débarrassé. C'est le cas, et rarement on en parle, de certains remaniements ministériels dont les critiques de Gbagbo sont à l'origine. En ce qui concerne Alassane, ses relations avec Houphouët datent de son séjour en tant que fonctionnaire international à Dakar puis à Abidjan (...). A cette époque, tout était presque au point pour qu'Houphouët désigne Gbagbo comme Chef du gouvernement. Pour le cas de Bédié, rien à dire, Houphouët l'avait élevé et adopté.


Et vous, aviez vous eu des relations particulières avec ces 3 personnalités ?

J'ai connu personnellement Gbagbo. Nos chemins se sont croisés lors d'une élection municipale. Un de ses candidats à la mairie de Treichville, un certain Sylla, était un Malien. Gbagbo avait donc invité la communauté malienne que je dirigeais pour avoir son appui. Je ne me gênais pas pour dire à Gbagbo ceci : « votre démarche est louable mais les Maliens de Côte d'Ivoire ne se reconnaissent pas dans votre candidat. Il ne s'est jamais intéressé à ses compatriotes ; il avait la chance de côtoyer les Maliens lors de nos réunions, puisque nous lui envoyions des invitations, il ne s'est jamais présenté. Nous préférons voter pour un ivoirien que de voter pour Sylla ». Gbagbo a admiré ce jour-là mon courage public. S'agissant de Alassane, on ne s'est pas approché concrètement, et puis sa fameuse carte de séjour, dès ses premiers jours à la Primature, ont contribué à ce qu'on l'évite sincèrement, même lorsqu'il voulait faire un clin d'œil à notre communauté. Le pont était totalement coupé. Quant à Bédié, nous étions presque dans la même famille chez Houphouët. Je l'emmenais à l'école. Ce n'est pas un ingrat. C'est un homme de reconnaissance qui a hérité des qualités de largesse de son père spirituel. Je me rappelle que lorsqu'on a eu l'intention de construire la mosquée de Treichville, il est venu nous donner 20 millions de Fcfa. Connaissant mon expérience, il n'hésitait pas à recourir à mes services pour l'encadrement de ses chauffeurs.


Ce sont ces trois-là qui sont le plus attendus vers la fin février pour l'élection présidentielle ivoirienne. Votre pronostic?

Il n'y a aucun doute. Les jeux sont déjà faits et tout va bien se passer, contrairement à ce que l'on peut penser. Les Ivoiriens ont fait leur choix il y a bien longtemps (...) . Si un deuxième tour arrive à se jouer, Bédié et Gbagbo iront en duel et il y a un grand avantage pour Gbagbo de se succéder à lui-même. Il va être très difficile à Bédié de revenir au pouvoir avec cette élection puisque son parti a connu une déchirure profonde et les plus influents des démissionnaires sont avec Gbagbo. Beaucoup d'Ivoiriens reconnaissent que Gbagbo a trimé avec eux depuis plus de 40 ans mais mieux, la plupart reconnaissent en lui son amour et son patriotisme pour le pays dans les moments les plus difficiles de la crise.

Source : Le Segovien
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