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Politique Publié le vendredi 11 décembre 2009 | L’expression

Immigration clandestine- Gouléi Stéphane Fabrice: “J’ai vécu l’enfer sur la route de l’aventure”

Nanti de 215.000 F Cfa, Gouléi Stépahane voulait se rendre en Europe en passant par le Maghreb par la route. Le jeune Ivoirien raconte, dans cet entretien, la galère qui l’a conduit, comme d’autres jeunes Africains, d’Abidjan à Sousse en Tunisie.

Qu’est-ce qui vous a poussé à emprunter le chemin de l’immigration clandestine ?
Franchement, je n’ai jamais pensé quitter la Côte d’Ivoire de cette façon. Je vivais avec mon oncle Témoin Maurice, un commandant des Fanci qui a été décapité lors de l’attaque de Daloa par les rebelles. Il était le seul soutien de la famille qui s’est éparpillée après sa mort dans des conditions tragiques. J’ai été encouragé par mon cousin qui voulait aussi se rendre en Europe. Je n’avais que 215.000 Fcfa en poche.

Comment avez-vous organisé ce départ pour l’aventure ?
Je suis parti d’Abidjan par la route. Cela n’a pas été facile. Nous sommes arrivés au Niger à Zinder d’où nous avons embarqué pour la frontière d’Algérie à bord d’une Land Rover qui fait le trajet une fois par semaine. Chaque jour, ce sont de nouveaux immigrants qui arrivent par centaines à Zinder. Parmi nous, d’autres clandestins n’avaient que leur transport pour se rendre au Niger. Toute l’Afrique de l’Ouest y est réunie. A l’heure où je vous parle, ce sont de nouvelles vagues qui y débarquent. La Land Rover a été modifiée pour pouvoir transporter huit personnes. Mais c’est plus que le double des passagers qui s’engouffre dans le véhicule. Il faut se battre pour avoir une place puisqu’il n’y a qu’un seul voyage par semaine. Les pieds sont ankylosés et on n’arrive pas à marcher à l’arrivée.

Quelle a été la suite du parcours?
Arrivé à la frontière de l’Algérie, chacun emprunte la piste pour entrer dans le pays. Certains peuvent marcher pendant deux semaines dans le désert. Ils dorment là où la nuit les surprend. Personne ne sait où se trouve mon cousin qui était du voyage avec moi, Bah Yadé Kella, neveu du député de Duékoué Dehé Gnahou. S’il est en vie, il pensera que je suis mort. Je pense aussi qu’il n’est plus de ce monde parce qu’il a emprunté une piste où les garde-frontières tiraient sur les clandestins. On a appris qu’il y a eu des morts de ce côté. Il y a des nombreux Ivoiriens qui sont dans cette situation. J’ai été raflé dans la première ville d’Algérie.

Où précisément ?
Je ne me rappelle pas le nom de la ville. J’étais obligé de travailler pour les douaniers qui étaient au corridor ; on lavait leurs treillis, préparait leur thé, puisait l’eau pour remplir les fûts pendant deux semaines. Nous nous sommes rendus ensuite en mars 2005 au Maroc, à Agadir où j’ai passé deux ans à me chercher. Il faut préciser que je ne suis pas arrivé au Maroc avec tous ceux qui ont embarqué d’Abidjan avec moi. Certains ont pu joindre Israël, d’autres n’ont pas pu traverser le Niger. On a fait le « djossi » à Agadir puis, on s’est rendu à Sousse en Tunisie en 2007 grâce aux conseils de Ouattara Mariam (décédée en Tunisie). On a passé deux jours à Monastir (Tunisie) où la vie était plus dure.

Quelle était votre destination ?
De Sousse, on cherchait à se rendre à Malte. Mais nous n’avons pas pu traverser la Méditerranée et nous avons été rapatriés à Bamako au Mali en septembre 2008.

Comment viviez-vous dans la capitale malienne ?
Ceux qui étaient malades ont été admis à l’hôpital grâce à la Première dame, Maman Lobo Traoré qui nous a totalement pris en charge pendant des mois. D’autres compatriotes sont allés vers l’ambassade de Côte d’Ivoire où on leur a appris qu’il n’y a plus d’aide sociale depuis l’éclatement de la crise. Chacun s’est débrouillé comme il le pouvait.

Vous avez, semble-t-il, contacté les autorités ivoiriennes. Quelle réponse avez-vous reçue ?
J’ai adressé plusieurs courriers électroniques sur le site de la présidence de la République pour expliquer notre détresse. Nous avons reçu instantanément des réponses nous rassurant. Mais après, plus rien. La présidence n’a rien fait pour nous. M. Silvère Nébout (Ndlr : conseiller en communication de la présidence) que j’ai rencontré lors d’un sommet de l’Uemoa, m’a tourné en rond à l’hôtel Libya à Ouaga. Dans ses propos comme dans ceux de nos ambassades, j’ai senti que les autorités n’aiment pas qu’un Ivoirien parte à l’aventure. Mais ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai quitté mon pays. Qui aime souffrir ? Qu’est-ce qu’un Ivoirien peut aller chercher au Mali, au Burkina, au Niger ? Si on était à l’aise ici, on ne serait jamais partis à l’aventure. Je n’avais jamais pensé me laver avec de l’eau de puits, à plus forte raison, à en consommer. D’autres Ivoiriens sont morts dans cette aventure. Les ambassades qui disposent d’un budget et du personnel ivoirien doivent aider leurs compatriotes en situation difficile.

Combien de temps avez-vous passé à Ouagadougou ?
J’ai passé plus de six mois dans la capitale burkinabé. C’est grâce au footballeur Didier Zokora que Samson Dié, une fille yacouba appelée “Sarah” et moi sommes rentrés à Abidjan. Il nous a remis 120.000 Fcfa pour notre transport. Mais cette somme n’a pas été utilisée car nous avons voyagé gratuitement dans le car des supporters du match Burkina contre les Eléphants. Nous avons constaté que la plupart des Ivoiriennes qui se prostituent à Ouaga sont convoyées depuis Ferké dans un maquis appelé « Stade de France ». On leur promet d’aller travailler dans les boîtes de nuit de Wattao à 5000 Fcfa par jour. Mais sur le terrain, elles sont livrées à elles-mêmes. Ces filles sont obligées de se prostituer pour 500 Fcfa.

Quel conseil pouvez-vous donner à ceux qui veulent tenter l’aventure européenne par l’immigration clandestine ?
Je tiens à dire à tous ceux qui veulent aller à l’aventure de ne pas emprunter cette voie dangereuse. Ceux qui sont tentés d’entrer clandestinement en Europe ne savent peut-être pas tous les dangers qu’ils courent. Mais ils doivent écouter les conseils de ceux comme nous qui avons déjà vécu l’enfer. Quand tu quittes Abidjan, il n’est pas sûr que tu atteigne le Maghreb. Les passeurs organisent des attaques pour vous dépouiller de votre argent. Parfois, on tire sur les clandestins qui veulent franchir la frontière de certains pays. Il est mieux de passer par la voie normale pour se rendre en Europe. Je ne conseillerai pas à mon pire ennemi de tenter l’immigration clandestine.

Avez-vous été victimes des passeurs ?
Oui. Les guides ont téléguidé des voleurs qui nous ont tout arraché. Dans la Land Rover, on était entassés comme du bétail. Des têtes se retrouvaient entre des cuisses, des fesses sur des ventres etc. On a remis de l’argent pour acheter de quoi à boire mais c’est l’eau sale qui nous a été servie. La situation était plus compliquée pour les Ivoiriens. On a entendu pas mal de choses. Les forces de l’ordre nous ont fouillés pour nous dépouiller de notre argent à Aflao, à la frontière togolaise. Au Mali, quand Didier Drogba marque un but, des inconnus viennent nous gifler en nous arrosant d’insultes.

En dehors de Zokora, qui d’autre a volé à votre secours?
Il y a la Première dame du Mali qui a pris en charge nos soins de santé à Bamako. Touré Téhé, officier à la police criminelle ; Sébastien Koliabo de la mairie de Treichville ; Jean Paul Ako, homme d’affaires en Tunisie, ont fait beaucoup pour nous. Tiken Jah a assuré le transport de Bamako à Abidjan pour certains, Charles Konan Banny a remis 1,2 millions Fcfa aux clandestins qui étaient au Niger. Nous remercions toutes ces bonnes volontés .

Interview réalisée par Nomel Essis
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