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Société Publié le samedi 19 décembre 2009 | Nord-Sud

Edouard Yao N’Guessan, (Coordinateur de la Conférence des parties, Cop 15, pour la Côte d’Ivoire sur le changement climatique) : “Le désert avance chaque année de 2 kilomètres vers la Côte d’Ivoire”

En marge du sommet qui se tient à Copenhague sur le réchauffement climatique, Edouard Yao, expert en climatologie, explique les dangers que court la Côte d’Ivoire face à ce phénomène.



Comment l’Afrique en général et la Côte d’Ivoire en particulier subissent les effets du changement climatique ?
Le changement climatique, c’est le climat. Qui parle de climat parle de l’environnement et parle de l’univers. Le changement climatique affecte l’univers entier. Mais, on ne subit pas ces conséquences de la même manière, selon la situation géographique dans laquelle on est. Par exemple, les îles connaîtront beaucoup plus de problèmes d’inondation, parce qu’el­les sont isolées. Si la mer prend un volume inquiétant, elles vont connaître des problèmes d’inondation. Ce qui n’est pas le cas des pays continentaux tels que le Niger, le Burkina Faso, etc. Pour parler de l’Afrique en général, on a les deux aspects. Il y a les pays côtiers pour lesquels le problème du changement climatique va se traduire en envahissement. La mer va s’étendre sur la partie continentale. On parle d’érosion côtière. Quand on parle de changement climatique, ce sont ces phénomènes-là. Nous avons des exemples avec Kpanda du côté de Mono Gaga, Port-Bouët à Abidjan et Assinie à Grand Bassam, où il y a eu des érosions côtières. La mer a occupé une partie de la terre qu’elle n’occupait pas auparavant. En même temps, nous avons le phénomène des inondations. Il pleut beaucoup plus abondamment qu’il ne pleuvait d’habitude.

Justement, qu’est-ce qui explique cela ?
C’est ce qu’on appelle les gaz à effet de serre. C’est comme si vous mettez de l’eau dans une bouteille. Cette eau comporte un certain nombre d’éléments chimiques qui font qu’elle est équilibrée. Mais, si vous ajoutez certaines substances, qui deviennent plus importantes que d’autres, vous provoquez un déséquilibre. L’effet de serre est un phénomène naturel, mais sa stabilité intervient lorsqu’il y a un équilibre entre les différents constituants que sont l’oxygène et le gaz carbonique. Mais, lorsqu’il y a trop de gaz carbonique, cela va déséquilibrer le système. Il va faire plus chaud à certains endroits. Vous savez que la pluie est en corrélation avec la chaleur. Donc cela va provoquer des précipitations beaucoup plus importantes. Vous avez l’exemple du Burkina Faso, le 8 septembre dernier, où il y a eu cette vaste inondation à Ouagadougou. Une grande pluie de 4h à 9h, et la ville était dans l’eau. Imaginez ce que cela aurait donné si la pluie avait duré toute une journée, voire deux à trois jours. Tout ceci est lié aux perturbations dues à ce déséquilibre environnemental.

Il y a eu aussi le cas d’Abidjan.
A Abidjan, on est plus ou moins habitué. En réalité, depuis 2006, chaque année, il y a des morts au mois de juin à Abidjan à cause des éboulements. C’est un problème environnemental. La position de ceraines populations, l’endroit où elles ont construit leurs maisons par rapport à la pédologie et aux dispositions du relief contribuent à provoquer des morts. Même sans la pluviométrie. Nous sommes en décem­bre, mais vous remarquez qu’il pleut presque tous les deux jours. On sait qu’habituellement c’est l’harmattan. Ce sont des changements importants. Et ce qu’on ne remarque pas, c’est que la pluviométrie a considérablement baissée. Il y a d’abord un raccourcissement. Il pleut beaucoup en une période courte, alors qu’habituellement la pluie est étendue sur une certaine durée. Ce qui permetait aux cultures, qui obéissent à ce cycle, d’avoir la pluie nécessaire pour donner le rendement escompté. Le fait que les pluies raccourcissent, empêche ces cultures de donner le rendement voulu. Dans les zones rurales, vous remarquerez que les paysans travaillent beaucoup, mais ne récoltent pas grandes choses à cause de ces perturbations climatiques. Ce sont les effets secondaires importants sur la situation économiques et démographique. Parce que les paysans qui n’arrivent plus à récolter correctement, vont se déverser sur la ville.

Des effets qui, malheureusement, pourront se poursuivre…
Non seulement ils font se poursuivre, mais ils vont surtout s’amplifier. C’est pour cela qu’on parle de la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Si rien n’est fait, on va perturber encore plus le climat. Les effets vont se faire de plus en plus graves et nous n’aurons pas les moyens de faire face aux conséquences.

Vous parlez de réduction, à qui vous vous adressez ?
La réduction concerne prioritairement les premiers et les grands pollueurs, c’est-à-dire les pays développés. Mondialement, nous avons deux grands pollueurs : la Chine et les Etats-Unis. En terme absolue, la Chine est le plus grand pollueur du monde, mais, en terme relatif, les Etats-Unis, qui sont les deuxièmes pollueurs, deviennent les premiers.

Avez-vous des chiffres ?
Les chiffres existent mais, je ne les ai pas exactement.

Peut-on faire un rapport entre la pollution de ces pays et celle de l’Afrique ?
Oui. L’Afrique a une part de pollution. Même si cette part est négligeable par rapport aux à celles des industrialisés, qui utilisent beaucoup l’é­ner­gie fossile. Le plus grand rôle de l’Afrique en matière de pollution, ce sont les feux de brous­se. Ils représentent 20% de la production des gaz à effet de serre en Afrique. Et c’est en Afrique qu’on a le plus gros problème de feu de brousse. Ces feux dégagent du carbone. Donc, l’obligation pour l’Afrique de réduire les émissions de gaz à effet de serre, signifierait en bonne partie la maîtrise des feux de brousse. Et c’est pour cela qu’à Copenhague, il y a eu toute une journée où on a discuté de la conservation de deux grandes forêts dont dispose le monde. La forêt de l’Amazonie, et le Bassin du Congo. Si on arrive à contrôler la déforestation à travers la diminution des feux de brousse, on peut dire que l’Afrique pourrait déjà maîtriser son taux d’émission de gaz à effet de serre. Mais, si nous devons nous développer de la même manière que les pays dits développés, on ne pourra pas échapper à ces émissions de gaz à effet de serre. Nous devons donc pouvoir trouver, nous Africains, un autre type de dé­ve­lop­pement qui soit propre. C’est pour cela que les Africains demandent un financement. Parce que pour avoir ce développement propre, il faut une technologie propre.

Les feux de brousse sont plus fréquents au village. Mais en ville, on constate qu’il y a des véhicules qui fument beaucoup. N’y a-t-il pas d’autres sources de pollution ?
Absolument. Aujourd’hui en Europe, on mesure très facilement le taux de gaz qu’un véhicule peut émettre. Aujourd’hui, il y a des véhicules vieillissant venant d’Europe communément appelés «France au revoir» qu’on déverse dans nos villes et qui constituent une source de pollution. Il y a aussi des pneus qu’on brûle partout, qui participent à l’émission de gaz à effet de serre.

Est-ce qu’il n’est pas possible de prendre des mesures à notre niveau ici pour réduire notre part de pollution ?
Il faut d’abord que les véhicules importés soient réglementés. Dans ce pays on n’autorisait pas à un véhicule d’un certains âge d’être importé. Mais, j’ai été récemment surpris qu’un ami importe un véhicule âgé de 13 ans. Je crois que cette loi a dû être révisée ou n’est pas correctement appliquée. Si nous poursuivons cette importation massive des véhicules importés d’Europe dont les européens se débarrassent pour réduire leur taux d’émission de gaz à effet de serre, nous prenons la relève. Il faut qu’au niveau des Etats, il y ait des dispositions légales qui permettent de contrôler cette entrée massive de véhicules qui sont source de pollution. Quand on parle de risque, l’action qu’il faut d’abord mener, c’est la recherche. Il faut disposer des données sur notre vulnérabilité. Au niveau de la Côte d’Ivoire, on doit pouvoir disposer du rythme de l’occupation de la mer. Savoir qu’à telle période le niveau de la mer monte de tel centimètre. Il faut d’abord qu’on arrive, par des études, à avoir des données viables. Avant de donner des solutions, il faut pouvoir maîtriser le problème scientifiquement. Si je sais que dans 20 ans, la mer va arriver à telle niveau et que je dois construire un ouvrage pour bloquer cela, j’en tiens compte. Nous avons recensé les problèmes. Mais, une chose est de les recenser et une autre est de les étudier, de disposer des données et de trouver des solutions. Or, notre problème est qu’on ne dispose pas d’outil dans ce sens.

Quel est le niveau de la déforestation en Côte d’Ivoire ? On qualifie la forêt du Banco de poumon d’Abidjan. On sait aussi que des personnes y mènent des activités illégales. L’Etat a-t-il les moyens de la protéger ?
Vous savez que les arbres régulent le climat, en ce sens qu’ils absorbent à un moment donné, le gaz carbonique et rejette l’oxygène. La déforestation, qu’elle soit par l’exploitation forestière, où la culture sur brulis est un phénomène réel en termes de changement climatique. D’après les statistiques, le désert du Sahara avancerait de 2 kilomètres chaque année vers la Côte d’Ivoire. Certains disent même que d’ici 2050 il atteindra Bouaké si les choses ne changent pas. Vous savez que la Côte d’Ivoire avait plus de 16 millions d’hectares de forêt avant l’indépendance, nous en sommes à 2 millions aujourd’hui. C’est donc une réalité. A Abidjan, vous remarquez que Abobo est la commune la plus arrosée. C’est la présence de la forêt du Banco qui fait que le climat y est bien régulé. Nous avons été surpris, il y a quelques années, en 2003-2004, d’apprendre qu’une bonne partie de cette forêt, entre 50 et 60 hectares, était sur le point d’être attribuée à des individus comme site d’habitation. C’était sous le ministre Ando Jacques, puis le ministre Ahizi. Des personnes comme le professeur Enyankou de « SOS forêt » se sont battues pour que la forêt ne soit pas vendue, ou qu’on ne commette pas une telle infamie. Je n’ai pas en tête l’avancement du dossier, mais, je crois qu’on a pu empêcher que cette forêt soit vendue. Maintenant, est-ce que des gens ont pu, par d’autres subterfuges, utiliser des moyens pour acquérir cette portion de la forêt ? Je l’ignore. Quoi qu’il en soit, c’est malheureux que l’administration, c’est-à-dire ceux qui devaient garantir la sécurité environnementale, soit les fos­so­yeurs de l’espace qui est aussi vital pour toute une population, comme la forêt du Banco. Nous avons les moyens de protection. C’est une forêt classée. Il suffit tout simplement que chacun de nous veille respecter son pays. Il existe des textes qui régissent la nation pour que cette forêt reste dans l’état. Le problème c’est que ceux-là même qui édictent la loi, ceux qui sont chargés de l’appliquer, sont ceux-là même qui la violent. Quand un maire, un administrateur de l’Etat, le premier responsable d’une commune, ou un député,qui est de surcroit le repré­sentant du peuple, entre dans la forêt pour la détruire, c’est grave. Il faut une volonté politique. Mais, il faut aussi que nous nous sentons citoyens, que nous ayons un comportement citoyen. Il faut connaître ses droits et ses obligations, parce que ce que nous vivons est un problème de civisme. Ce qui est plus malheureux, c’est que ces personnes bénéficient de complicité auprès de certaines autorités.


Quels sont les enjeux de la rencontre de Copenhague, en des termes plus simples?
La survie de l’humanité se joue à Copenhague. Les décisions qui vont s’y prendre dépendent de notre vie à tous. Si nous continuons à produire à ce rythme les gaz à effet de serre qui sont à la base du changement climatique, c’est sûr que nous allons vers un anéantissement de l’humanité. Il s’agit pour le monde entier de pouvoir pousser un ouf en apprenant qu’un accord a été trouvé pour la réduction des taux d’émission des gaz à effet de serre.

Quel est le taux idéal aujourd’hui ?
Vous voulez dire le taux que nous voulons, nous les Africains ? Aujourd’hui, nous verrons les concessions que les uns et les autres vont faire. Mais, pour nous Africains, nous avons un seuil tolérable qui est de 40% à l’horizon 2020 et 80% à l’horizon 2030.

Cela est-il possible ?
C’est une question de volonté.

Nous avons vu dans un documentaire qu’aux Etat-Unies, les gens construisent les maisons avec des matériaux moins polluants pour lutter contre l’émission de gaz à effet de serre, malheureusement ces maisons coûtent trop chère.
A la conférence sur le changement climatique que nous avons suivie au Cires, lors d’un point de presse que nous avons suivi en vidéoconférence à Copenhague, quelqu’un a fait la remarque suivante : « Quand il y avait la traite négrière et que les voix se sont élevées contre ce crime contre l’humanité, ceux qui étaient les exploitants de la traite, avaient évoqué le fait que cela porterait un coup à leur économie. Parce que la traite négrière était liée à l’économie sucrière. Il a fallu l’argument moral pour les amener à laisser tomber la traite des Noirs. Et cela n’a nullement pas fait tomber leur économie ». Le drame avec le réchauffement climatique c’est que si nous ne réduisons pas nos gaz à effet de serre, nous irons tous dans le mur. Autant prendre courageusement la décision de réduire en payant le prix de l’adaptation. Trouver d’autres sources d’énergie aux usines qui polluent. Car la vie n’a pas de prix. L’autre enjeu, c’est que c’est à Copenhague qu’il faut décider les moyens qu’il faut mettre à la disposition des pays en voie de développement pour qu’ils soient en mesure de s’adapter au changement climatique.

Croyez-vous que les pays africains pourront bien utiliser les fameux 200 milliards qu’ils attendent ?
Je suis un peu peiné quand je vois les Africains aller à Copenhague rien que pour réclamer de l’argent. Il faut d’abord qu’ils partent à Copenhague avec leur plan d’adaptation. Avec des statistiques qui indiquent qu’en telle année, il nous faut tel montant pour préparer notre adaptation. Que nous mettions sur la table le montant, le vrai. Aujourd’hui, on va demander 200 milliards de dollars. Qu’est-ce qui prouve que les besoins de l’Afrique en matière d’adaptation au changement climatique se chiffrent à 200 milliards ? Toute littérature que vous lirez sur cette question vous parlera des estimations de la Banque mondiale ou de certains instituts. Mais aucune estimation des pays africains. Ensuite, qu’est-ce qui prouve que ces ressources seront bien gérées ? Surtout que nous n’avons pas de plan. Donc le mécanisme de gestion de ces ressources est le plus grand défi que nous devons pouvoir, nous Africain, relevé. On ne pourra le faire que si la société civile est sensibilisée. Elle doit exiger de l’Etat des pouvoirs publics et des plans d’adaptation.

Est-ce que l’Afrique dispose de ressources pour élaborer un tel plan ?
L’Afrique a des ressources. Nous avons d’éminents chercheurs. Il suffit de mettre les moyens à leur disposition. La Côte d’Ivoire surtout est une mine. Prenez le cas du Bnetd. Son directeur Don Mello disait concernant ce Bureau d’étude que « jamais en Afrique et au monde on ne trouvera, rassembler sur un même plateau, autant d’expertise que constitue le Bnetd ». C’est vrai que l’Afrique a les moyens. Nous avons de grand regroupement, dont la Cedeao. Ce sont des mines d’experts.

Interview réalisée par Cissé Sindou et Raphaël Tanoh
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