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Économie Publié le mercredi 23 décembre 2009 | Le Nouveau Navire

Phare - Exploitation des ressources naturelles en Côte d’Ivoire (fin) : Comment les barons ont appauvri les acteurs - * Le cas du cacao

Dans la deuxième et dernière partie de notre dossier, appréciez vous-mêmes comment les planteurs de la filière cacao subissent le diktat des barons.

La filière cacaoyère ou le rôle déclinant des intérêts français
la filière cacaoyère constitue un exemple emblématique du recul de l’influence de l’ancienne puissance colonisatrice sur l’économie de la Côte d’Ivoire. La culture du cacao fait vivre, directement ou indirectement, environ quatre millions d’individus. Les fèves récoltées sont acheminées vers les dépôts des grands négociants internationaux à proximité des deux ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro par des petits transporteurs de brousse. Ce dernier rôle important est joué par des Libanais et Maliens. Les lieux de stockage des ports sont à leur tour proche d’unités de première transformation des fèves (séchage, sélection et ensachage). Ces unités de production, au nombre d’une dizaine équitablement réparties sur les deux ports, emploient, chacune, entre 400 et 600 travailleurs et appartiennent aux négociants internationaux. Enfin, les fèves sont transportées par mer vers leurs destinations finales par des flottes de navires étrangers. “ Les activités de transport et de manutention portuaire sont dominées par le groupe Bolloré, qui contrôle plus de la moitié du transport maritime de fèves au travers de sa filiale Delmas et quelque 95 % de la manutention des ports de San Pedro et d’Abidjan par ses sociétés SDV et Saga ”, selon le journal”Les Échos du 17 novembre 2004”.
Les acheteurs internationaux occupent une place prépondérante dans la filière du cacao. “ La commercialisation du cacao est aux mains de huit grands groupes internationaux dont l’encadrement est essentiellement composé de Français ”, résume le journal. Toujours d’après cet article, “ l’essentiel des intérêts économiques de la filière est solidement entre les mains de négociants et transformateurs européens parmi lesquels les Français occupent encore une place de tout premier ordre. Aujourd’hui, sociétés étrangères, dont 5 négociants et 3 transformateurs, assurent la commercialisation d’environ 80 % de la récolte ivoirienne de cacao (1,45 million de tonnes produites et exportées, soit quelque 40 % de l’offre mondiale). L’Europe absorbe 70 % des exportations ivoiriennes. Au sein des 8 grands acteurs, la plupart du personnel d’encadrement est français ”. Langue oblige.
Les grands acteurs étrangers de la filière
En milliers de tonnes de fèves exportées Sociétés Activité Volume d’achat
Cargill (États-Unis) Négociant et transformateur local (semi-produits) 210 Touton (France) Négociant 150
ADM (Etats-Unis) Négociant et transformateur local 150
EDF&Man (Royaume-Uni) Négociant 110
Cacao Barry (Suisse) Transformateur local 90
Continat (Pays-Bas) Négociant 80
Olam (Inde) Négociant 75
Cemoi-Cantalou (France) Chocolatier 65
Noble (Suisse à capitaux de Hong Kong) Négociant 50
Armajoro Royaume-Uni) Négociant 50. Ce tableau montre clairement que les entreprises françaises font face à une concurrence grandissante de la part de concurrents anglo-saxons et hollandais. Les géants américains du négoce de matières premières agricoles, Cargill et ADM, en 2003, ont exporté pour 360.000 tonnes de fèves, plus du double de Touton, le seul grand négociant hexagonal resté implanté dans le pays. Même les négociants anglais ED&F Man et Armajaro (160.000 tonnes ensemble) font mieux que Touton. Quant aux destinations finales du cacao ivoirien, “ les Pays-Bas absorbent à eux seuls 43 % des exportations de cacao en fèves ”, éclaire la Mission économique de l’Ambassade de France. Parmi les autres grands consommateurs du produit tropical de ce pays africain, on trouve également la Suisse avec ses géants de l’industrie chocolatière mondiale. Dans ce contexte, l’État ivoirien n’intervient que pour piller les paysans pauvres, “ Sur le cacao, le paysan ivoirien gagne la moitié de ce que gagne son homologue camerounais ou ghanéen ”, révèle un négociant. “ La spoliation des paysans par le régime ne fait aucun doute. La Bourse du café et du cacao, dont l’un des rôles essentiels est de prélever les taxes sur la production, extorquerait aux producteurs près de 320 francs CFA le kilo alors qu’ils ne recevraient, pour chaque kilo de fèves vendues, que 300 francs CFA en moyenne, raconte un familier de la filière ”, lit-on dans les colonnes du journal du patronat français. Les producteurs ne peuvent s’en sortir qu’en contournant le circuit officiel pour échapper à cette imposition monstrueuse. C’est ainsi que par exemple le Ghana a pratiquement doublé ses exportations sans guère augmenter sa production. Le 4 janvier 2005, la BCC a fait un geste symbolique à l’endroit des agriculteurs en portant son prix indicatif de 385 à 390 francs CFA, soit 0,6 euro. Sur le New York Board of Trade (NYBOT), place de négociation américaine qui définit le cours mondial, le kilo de cacao pour livraison en mars 2005 se traite autour de 1,5 dollar, correspondant à environ 1,2 euro au taux de change actuel établi entre ces deux devises (1 = 1,3 $). Le plus souvent, ce prix est trois fois supérieur au prix réel consenti aux agriculteurs ivoiriens.

Les fèves de la colère
En 1960, après l’indépendance, on parle de “ miracle ivoirien ”. De 1970 à 1979, le PIB du pays enregistre une croissance moyenne de 6,7 %. Dès l’indépendance, afin de développer l’agriculture de plantation qui nécessite une main d’œuvre importante, Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire ‘libérée’, ouvre le pays à l’immigration étrangère. En 1970, alors que les autochtones se plaignent déjà de ‘l’occupation de leurs terres par des étrangers’, le Président déclare que “ la terre appartient à celui qui la met en valeur ” et en décrète la redistribution. Cette politique va accroître les tensions entre autochtones et allogènes, qui dégénéreront ici et là en confrontations violentes. Pour éviter des désordres intérieurs plus graves, le gouvernement crée, en 1978, un ministère du Travail et de l’Ivoirisation qui permettra la création de postes réservés aux seuls Ivoiriens d’origine en particulier au sein de la fonction publique. La crise mondiale du début des années 80 frappe rudement la Côte d’Ivoire. Le gouvernement de Félix Houphouët-Boigny, avec l’assentiment français, compense la baisse de la rente cacaoyère par des emprunts au FMI et à la Banque mondiale. Cela permettra au régime de surmonter les difficultés, au moyen aussi d’une politique bienveillante de l’ancienne puissance colonisatrice. Néanmoins, le semblant équilibre retrouvé ne durera pas. Dix ans après, une nouvelle grave crise mondiale entraînera de lourdes conséquences sur la fragile économie ivoirienne. Au début des années 90, nombre d’autochtones, montés dans les villes car ayant bénéficié du programme gouvernemental de 1978, dit d’Ivoirisation de la fonction publique, sont forcés de revenir dans leurs villages d’origine suite à la suppression de nombreux emplois administratifs. Ils se retrouvent ainsi en concurrence directe avec les ‘étrangers’, immigrés ou Ivoiriens du nord, dans l’exploitation des ressources naturelles. Ils commencent alors à réclamer un droit de priorité pour accéder à ce qu’ils considèrent être leur propre terre. Le décès de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, sera suivi, courant janvier 1994, par la dévaluation de moitié du franc CFA décidée à Paris par le gouvernement d’Édouard Balladur. Cette seule mesure suffira à la relance de la production ivoirienne car ses marchandises, redevenues attrayantes en termes de prix à l’exportation, se vendront beaucoup plus facilement en Europe et, en particulier, en France. De 1995 à 1998, le PIB ivoirien croit, en moyenne, d’environ 6 % par an. En revanche, les importations, surtout de produits alimentaires, deviendront, pour la même raison monétaire, nettement plus chère. Emblématique le cas du secteur rizicole, où la dépendance ivoirienne envers l’extérieur n’a pas cessé de croître depuis. Selon la Mission économique de l’Ambassade de France, la Côte d’Ivoire importe 50 % de ses besoins en riz, et les projections Jumbo faites en avril 2004 prévoient un accroissement exponentiel du volume d’importation pour les années à venir. La crise économique dépassée, les affaires reprennent et l’État se jette à nouveau sur la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles.

Sériba Koné seriba67@yahoo.fr
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