Les militaires le savent, pour détourner l’attention sur l’objectif principal, il faut ouvrir un ou plusieurs fronts périphériques. Cette tactique pousse l’adversaire à s’épuiser sur ces théâtres de moindre importance ; et quand l’offensive décisive sur la cible réelle est déclenchée, l’opération devient un jeu d’enfant. Sans être un soldat de carrière, Laurent Gbagbo a le mérite d’avoir accompli son service militaire. Il a eu de nombreux officiers comme amis. Et l’homme est entouré de spécialistes, dont certains autoproclamés comme tels, en stratégie militaire. C’est donc à bon escient que les attaques contre la Commission électorale indépendante, CEI, ont été déclenchées en ce moment. En visant la personne de son président, Robert Mambé Beugré, le chef de l’Etat, et candidat déclaré aux élections présidentielles, amorce une opération dont les visées vont bien au-delà de la CEI. La commission électorale indépendante est un maillon important, mais un maillon seulement de l’édifice de sortie de crise en Côte d’ivoire. Ce processus a pour premier responsable le Premier ministre. L’Accord politique de Ouagadougou qui a abouti à un exécutif a deux têtes, d’une part le chef de l’Etat qui dispose de la possibilité d’être dans le starting block, ce que Gbagbo ne troquerait contre rien, même pas pour le prix de la paix dans le pays, et de l’autre le chef du gouvernement garant de l’ensemble des opérations de sortie de crise avec en point d’orgue des élections libres, transparentes et ouvertes auxquelles il ne peut être candidat, a mis en place une base aux contours et aux rôles assez précis. C’est fort de cela que le locataire de la Maison Blanche au Plateau, Soro Guillaume, a pu conduire les étapes cruciales des audiences foraines et de l’enrôlement des populations. Dans le pays également règne depuis l’APO, signé le 4 mars 2007, une paix relative que le pays n’avait pas connue depuis un certain 19 septembre 2002, jour du déclenchement de la rébellion des Forces nouvelles. Pour le chef de l’Etat ivoirien, ces acquis sont tout bénef. Comme en sont temps, il avait su quitter les consensus de Marcoussis, ceux d’Accra ou Pretoria, les accords politiques pour Gbagbo, c’est juste pour en tirer un profit nécessaire à un moment donné. Les Ivoiriens se souviennent du Front républicain, une alliance entre le Front populaire de Gbagbo et Le Rdr de Alassane Ouattara. Le chef de l’Etat ivoirien se projette déjà dans l’après Ouagadougou. Décapiter la CEI ouvrira la porte à de nouvelles tensions qui lui permettront de reprendre pied. Les Ivoiriens, les partis politiques, les ex-belligérants et la société civile seront alors dans l’obligation d’obtenir un nouveau consensus pour faire avancer les choses. Et le médiateur dans tout ça ? Laurent Gbagbo a signé les Accords de Ouagadougou pour sortir la communauté internationale, notamment la France qu’il juge lui être trop défavorable dans le dossier ivoirien. Il a eu pour souci également de se rapprocher d’un vieil ami, le président du Burkina Faso réputé un soutien des ex rebelles des Forces nouvelles. Afin de donner des gages au Beau Blaise, il a poussé à la signature d’un traité d’amitié entre les deux pays ; une action qui vient renforcer « ses bonnes prédispositions » pour le pays des Hommes Intègres amorcées par la suppression de la carte de séjour. Le Burkina et son président qui ont beaucoup fait pour la paix en Côte d’ivoire ne sortent donc pas du dossier les mains vides. La nouvelle crise en cours, et qui passe par la CEI sonne donc quasiment le requiem de Ouagadougou et de son APO. Et comme le Burkina a lui-même de la matière au plan domestique en cette année 2010, il est question de modifier la Constitution avant les élections présidentielles prévues cette année, ce qui promet de belles empoignades à Ouagadougou, Blaise n’aura pas le temps de s’occuper de la Côte d’Ivoire. Il comprendra d’ailleurs que, après avoir sorti les Blancs et ramener le dossier aux Africains qui en ont suffisamment fait, il faut que les Ivoiriens eux-mêmes s’approprient la crise et lui trouvent la solution définitive. Exit donc le gouvernement, son chef et tout le dispositif de sortie de crise actuelle. Ceux qui pensent que c’est la tête de Beugré Mambé le problème du prince n’ont qu’à se raviser. Le ministre de l’intérieur vient de rouvrir le contentieux de la liste électorale avec ses préfets et sous-préfets. Tagro Désiré, un homme qui sait exactement où va son chef, Laurent Gbagbo, applique déjà l’après Ouaga à sa convenance : les élections à nouveau aux mains du ministre de l’intérieur. Tout l’enjeu est là.
D. Al Seni
D. Al Seni