Le Directeur national de campagne-adjoint du candidat Laurent Gbagbo, chargé des Ivoiriens de l’étranger, l’ambassadeur ministre Gnamien Yao, par ailleurs conseiller spécial du président de la République et membre de la cellule diplomatique de la présidence, dévoile dans cette interview sa stratégie pour la victoire de son champion. Face au blocage actuel, il propose un nouveau pacte républicain autour de Gbagbo.
Vous venez d’Europe et aux Etats-Unis. Quelle vision ont les Ivoiriens de l’étranger de l’évolution de la situation de leur pays?
Le président Laurent Gbagbo nous a mis en mission pour s’adresser à tous les Ivoiriens de l’étranger. Au cours de nos meetings, nous n’avons pas contrôlé les cartes d’appartenance à la majorité présidentielle ou aux partis qui soutiennent le président Gbagbo.
Les préoccupations qui ont été abordées, tournent autour de la survie de la Côte d’Ivoire. La première des questions pertinentes a été la souveraineté de notre pays. Sur ce point, on est d’accord, qu’on n’a pas besoin d’être d’un bord ou d’un autre pour se mettre ensemble pour éviter de scier la branche sur laquelle on est tous assis : la Côte d’Ivoire.
Toujours par rapport à la survie du pays, nous avons prêché l’union, l’entente et le pardon des offenses. Je pense que notre message a été entendu. Parce que, partout où nous sommes passé, nous avons été acclamé.
Deuxièmement, nous avons expliqué aux Ivoiriens de l’étranger que la façon de battre campagne quand on est à l’extérieur n’a pas la même signification que quand on est à l’intérieur. A l’extérieur, le seul document qui compte c’est le passeport qui porte la mention : République de Côte d’Ivoire. Donc, tous les candidats à la présidentielle doivent être respectés, parce qu’ils sont tous porteurs d’idéal pour la Côte d’Ivoire, et il nous appartient d’être attentifs à leurs différents projets pour la Côte d’Ivoire, afin qu’en connaissance de cause, nous puissions nous mobiliser pour les voter.
Troisièmement, nous avons dit que, c’est vrai qu’a priori, en tant qu’électorat, leur nombre, c’est-à-dire ceux qui sont à l’extérieur, n’est pas très élevé, mais ils constituent ce que nous appelons « électorat de prestige, électorat diplomatique », ce petit quelque chose qui vient bonifier la victoire du candidat à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. En tant que tel, leur rôle est déterminant. Et donc, il faudrait qu’ils s’organisent pour que les élections se déroulent dans la quiétude et faire en sorte que, de par leur comportement, les pays dans lesquels ils se trouvent respectent davantage la Côte d’Ivoire.
Le dernier point sur lequel nous avons insisté c’est la paix dans notre pays. En terme de paix, les Ivoiriens de l’étranger sont inquiets et sont impatients de savoir comment est-ce qu’on peut parler de sortir de crise, et aller aux élections en ayant deux chefs d’état major ? Ça, c’est un paradoxe, parce qu’ils vivent au quotidien là-bas la démocratie. Donc, ils ont du mal à comprendre que dans un pays où ils deux chefs d’état major on veuille aller aux élections.
L’autre préoccupation, et ça, je l’ai longuement dit à Paris et Philadelphie où je m’adressais à mes compatriotes qui voulaient investir en Côte d’Ivoire, c’est en termes de gouvernance, d’unicité de caisse. Ils sont un peu gênés que jusqu’à présent l’unicité des caisses soit un slogan et que ça ne se traduise pas en réalité. Voici en gros quelques préoccupations d’ordre général rencontrées.
Continuent-ils de se plaindre de l’enrôlement ?
Il faut reconnaître que l’enrôlement de nos compatriotes s’est très mal passé, de sorte qu’en France sur plus ou moins 100.000 personnes, il y a seulement 16.000 personnes qui ont été enrôlées. Aux Etats-Unis, il y a seulement 3.000 personnes qui ont été enrôlées, ainsi de suite. La question qui m’a été posée à chacune de mes étapes est : Qu’est-ce que ceux qui n’ont pas été enrôlés deviennent ?
Nous avons donc dû mettre en place un conseiller spécial, chargé des Ivoiriens non enrôlés qui soient favorables au président Laurent Gbagbo pour qu’ils ne se sentent pas exclus du processus électoral. Ce conseiller-là est au travail.
Les préoccupations sont-elles les mêmes aux Etats-Unis qu’en France ?
Evidemment, cela ne peut pas être les mêmes. Paris, c’est Treichville.
Vous sentez qu’en France, le débat est comme ce qu’on vit à Abidjan. Les positions sont quelquefois très radicales, maximalistes.
Par contre, j’ai eu beaucoup de satisfaction aux Etats-Unis où c’est le pragmatisme anglo-saxon. Là, les gens comprennent mieux l’idée de majorité présidentielle. Ils estiment qu’un parti politique n’est pas une prison, si ton candidat n’est pas à la hauteur, tu peux décider d’accorder ton suffrage à un autre candidat sans qu’on ne te taxe d’être vendu ou d’avoir trahi.
Donc, l’idée de majorité présidentielle a été très bien perçue aux Etats-Unis, tandis qu’en France, il a fallu un peu plus de temps pour que je puisse convaincre, surtout les militants du Pdci.
Il semble qu’il a été aussi difficile de convaincre certains militants du Fpi du fait que vous étiez sincère pour Gbagbo…
C’est tout à fait normal. Il faut être aussi honnête, quand ceux-là soutenaient le président Gbagbo aux premières heures du multipartisme, nous autres, nous étions ses opposants. Donc, c’est tout à fait normal qu’avant de m’accepter, ils me fassent subir quelques épreuves, c’est tout à fait normal. Mais, je crois qu’à travers vos dires, à travers vos actes, on peut tout de suite comprendre si vous êtes dans le vrai ou si vous êtes dans le faux, parce que comme les Anglais le disent the truth is never wrong, c’est-à-dire que la vérité n’est jamais fausse. Et la vérité, c’est que ce n’est pas la première fois dans notre pays que quelqu’un qui est d’un parti A porte son choix sur le candidat d’un parti B. Et ça, j’ai puisé dans l’histoire politique de notre pays pour dire que dans les années 50, le patriarche Gon Coulibaly dans le Nord de la Côte d’Ivoire a eu à choir entre son fils Béma Coulibaly et le président Félix Houphouët-Boigny. Il a choisi Félix Houphouët-Boigny. Et ça, je pense que j’ai été longuement ovationné et ils m’ont accepté en tant que tel.
Quelle leçon tirez-vous de ce voyage ?
Beaucoup de leçons. Premièrement, nos compatriotes ne sont pas des
automates déshumanisés, ils savent ce que c’est, ils suivent l’actualité, et pour rien au monde, qu’on soit de tel ou de tel bord, ils ne veulent brader la Côte d’Ivoire. Cela m’a vraiment plu.
La deuxième leçon qu’il faut tirer, c’est qu’à l’étranger, ils ne vivent pas la différence que nous vivons ici. A l’étranger, ils sont un, ils forment une famille.
A l’étranger, les élections se présentent comme un facteur de rassemblement plutôt qu’un facteur de division. Dans tous les cas, ils sont convaincus que c’est le meilleur d’entre nous qui les dirigera, qu’il soit de tel ou de tel bord, excusez-moi du peu, ça ne changera pas trop leur statut là-bas.
La leçon que nous retenons aussi c’est qu’ils comprennent que le président Laurent Gbagbo est un homme courageux. En rentrant d’Italie alors que son pays était attaqué, il a posé un acte historique majeur qui fait que où qu’on se trouve, on devrait pouvoir se mobiliser pour lui accorder notre suffrage. Et ça, c’est quelque chose d’important qui n’est pas discriminatoire, qui est objectif. C’est-à-dire que n’importe lequel de nous à la place de Laurent Gbagbo aurait bénéficié du suffrage de ses compatriotes s’il agissait comme ça. Je retiens cela.
Les Ivoiriens de l’extérieur croient-ils en cette élection-là, surtout dans les délais donnés, c’est-à-dire fin février début mars 2010 ?
Comme moi, je suis le Dnc-adjoint du candidat Gbagbo et que j’ai ma feuille de route, j’ai essayé de leur expliquer un peu les délais qui nous étaient impartis. Mais leur esprit critique et le fait qu’ils pratiquent les élections dans les pays dans lesquels ils se trouvent, les amènent à me poser beaucoup de questions. Et je crois que l’affaire Beugré Mambé n’est pas faite pour les rassurer. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on voterait en 2010. Partout j’ai eu du mal à les convaincre que les élections se tiendront dans les délais fixés.
Vous-même, vous-y croyez ?
L’objectif, c’est les élections : fin février – début mars 2010. C’est donc par rapport à ça que je suis en train de travailler. Quand le CPC arrête une décision, elle est valable dans certaines conditions de pression et de température, c’est valable dans un environnement. Si l’environnement change, les données changent. Pour le moment, ma feuille de route, c’est fin février – début mars. Et c’est par rapport à cela que j’ai travaillé.
Quelle est la cote de votre candidat à l’extérieur ?
Là-bas, l’esprit de majorité présidentielle, c’est-à-dire le soutien républicain au président Laurent Gbagbo est une réalité. Pourquoi ? Quand vous prenez la France, il y a eu le général de Gaule. La France était sous occupation allemande, et il s’est trouvé un homme pour dire « nous, nous ne méritons pas cela ». Et toute la France s’est mobilisée derrière De Gaule, de sorte qu’il y a des gaullistes de gauche, des gaullistes de droite, il y a des gaullistes du centre.
En France, je leur ai dit que le président Gbagbo est notre De Gaule. C’est-à-dire quelqu’un qui a dit « non, la Côte d’Ivoire ne mérite pas d’être ravalée au rang d’appendice de quelques puissances que ce soit. » Ils comprennent bien quand je leur parle de cette façon-là. Donc, le président Gbagbo a la cote. L’élection du président Laurent Gbagbo, c’est la réhabilitation de la souveraineté de notre pays.
Aux Etats-Unis, mon discours était facilité, parce que les Etats-Unis ont connu ce que nous appelons la guerre de sécession, donc, ils savent que lorsque votre pays est menacé de division, vous devez vous unir pour réunir le pays, et puis après, on parle. Ils ont vécu tout récemment le 11 septembre 2001, ils ont vu comment cet événement a fait que tous les Américains se sont rassemblés autour de leur président quels que soient leurs clivages politiques, même les médias.
Il s’agit de dire quels que soient nos problèmes, rassemblons-nous autour de celui qui a lutté pour que la Côte d’Ivoire reste debout, et puis après, on verra.
Et si on proposait que ce rassemblement se fasse autour Ouattara et Bédié, vu que le pays est divisé actuellement?
On est comme sur un terrain de foot en train de jouer, et puis, subitement, il se met à pleuvoir. Premièrement, vidons d’abord l’eau du stade. Une fois l’eau vidée, on peut reprendre le match.
Nous estimons que le président Bédié, le Premier ministre Ouattara, normalement devaient même surseoir à leurs candidatures. Ils devaient se mettre avec le président Gbagbo pour réhabiliter la Côte d’Ivoire, et une fois que le pays est réhabilité, le débat s’engage. Tant que nous avons deux chefs d’état major dans notre pays, tant que nous n’avons pas l’unicité des caisses, ça ne sert à rien de vouloir être candidat. Parce que, de toute façon, à supposer que le Premier ministre Ouattara gagne avec deux chefs d’état major, que Bédié gagne avec les mêmes chefs d’état major et sans unicité des caisses, ils mèneront le même combat que Laurent Gbagbo, c’est-à-dire le combat pour la réunification de la Côte d’Ivoire.
Moi, mon plaidoyer c’est que le président Bédié et le Premier ministre Ouattara acceptent de se mettre autour du président Gbagbo pour sauver le pays.
Une fois la réunification avec une seule armée, on a la paix, l’unicité des caisses, on est respecté dans le monde parce que nous ne sommes pas un pays à problèmes. En ce moment-là, le jeu démocratique est possible, une fois qu’on a retrouvé cela, je retourne au PDCI. Mais tant qu’on n’a pas réussi cela, je suis mobilisé pour la défense de la République de Côte d’Ivoire.
Je le dis souvent à mes enfants, dans la vie, chacun a sa chance, chacun a son destin. Hier, c’était Henri Konan Bédié avec l’article 11 de la Constitution, toute la Côte d’Ivoire s’est mobilisée autour du président Bédié pour l’article 11, même ceux qui ne voulaient pas qu’on applique l’article 11 de la Constitution, on est tous descendus dans la rue pour que Bédié soit le président. Aujourd’hui, c’est le tour de Gbagbo. Il faut respecter sa chance.
Le constat que l’on a fait, c’est que vous avez mis un accent particulier sur les Ivoiriens d’Europe, et vous ne prenez pas en compte les pays d’Afrique. Quel est votre plan d’action à ce niveau ?
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une élection est une compétition qui obéit à plusieurs enjeux. C’est donc en fonction des enjeux qu’on définit les priorités. Si c’est un enjeu numérique, la France représente 40% de l’électorat à l’étranger. C’est tout à fait normal qu’on s’intéresse à la France. Parce que, en termes de réservoir des voix, l’Hexagone représente 40% de l’ensemble des Ivoiriens qui peuvent voter à l’étranger.
Maintenant, si c’est un enjeu diplomatique, Paris vient en premier lieu. Paris, c’est un enjeu diplomatique. Quand tu as gagné à Paris, tu te sens bien dans ta peau pour des raisons historiques. Notre histoire, notre géographie et même notre actualité nous imposent de gagner en France pour le président Gbagbo. C’est donc un impératif pour nous.
Ensuite, quand vous prenez les capitales des multilatéralismes : New York, nous pensons que le président Gbagbo doit gagner à New York. Ça fait bien de gagner à New York où se trouve le siège des Nations-Unies. Quand tu gagnes aux USA où se trouve le siège des Nations-Unies, où se trouve le Fonds monétaire international où l’on parle de bonne gouvernance, on parle de droit de l’Homme, où se trouve la Banque mondiale… tu te sens bien. Nous ne pensons pas que dans ces pays-là qu’on dise vous avez triché, vous avez contraint les gens… De façon libre, ils vont voter. Et quand vous gagnez à Bruxelles, siège de l’Union européenne, vous vous sentez aussi bien dans votre peau.
Quels sont en définitive, les défis que nous devons relever pour sortir le pays de l’ornière ?
A un moment donné, de l’histoire du pays , les anciens se sont dit qu’il faut taire notre adversité, repousser l’ennemi qui est de l’extérieur, et puis après, on va voir. C’est comme cela qu’en 1951, qu’on s’appelle Sékou Sanogo, qu’on s’appelle Adrien Dignan Bailly, qu’on s’appelle Houphouët-Boigny, qu’on s’appelle Gon Coulibaly… ils se sont tous rassemblés autour de Houphouët-Boigny.
Ce pacte a permis à la Côte d’Ivoire de vivre au moins 40 ans de stabilité.
Deuxième défi, nous avons encore connu le multipartisme en 1990. Et, au jour d’aujourd’hui, c’est le même scénario des années 50 qui est là. Il y a un candidat originaire du Nord, un candidat originaire du Centre-Ouest, un candidat originaire du Centre, un candidat originaire des 18 montagnes… cela veut dire que le tableau des années 50 est là, faisons très attention. C’est la raison pour laquelle, le plaidoyer que nous faisons, c’est qu’il y ait un nouveau pacte républicain, évidemment, autour du candidat Laurent Gbagbo pour que nos enfants et petits-enfants puissent vivre le multipartisme comme nous le souhaitons.
Moi, je suis convaincu que si on pouvait réussir ce pacte républicain autour du président Laurent Gbagbo, pour les 100 prochaines années, un homme du Nord peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus ; un homme de l’Ouest peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus ; un musulman peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus. Parce que nos enfants, excusez-moi, ils n’auront rien à faire avec les origines de qui que ce soit. Pour nos enfants, ou bien tu as des valeurs pour nous diriger ou bien tu n’as pas de valeur. Et en cela, je pense que le président Obama aux Etats-Unis a fait mentir tous ceux qui pensaient qu’il y avait des impossibles sur cette terre. Houphouët-Boigny nous rappelle que tous les changements les plus souhaités ont leur mélancolie. Mais le président ajoute que « tous les changements sont possibles pourvu qu’ils se déroulent dans la paix, dans l’ordre et surtout dans la discipline. »
Il appartient à nos aînés que sont le président Bédié, le Premier ministre Ouattara ou le président Laurent Gbagbo de nous tracer des sillons pour que demain nos enfants et petits-enfants puissent élargir ces sillons dans la paix et dans la prospérité.
Une grande majorité des Ivoiriens aujourd’hui redoute encore les démons du passé qui sont en train de ressurgir…
Non ! Je vais vous dire une chose. Normalement, moi, j’ai 50 ans bientôt, je suis un enfant de l’indépendance. Je suis gêné que la Côte d’Ivoire ait la chance d’avoir un ancien président de la République, combien d’anciens Premiers ministres… et que les problèmes de la Côte d’Ivoire se traitent hors de la Côte d’Ivoire. Le président Houphouët dans sa tombe est en train de se tourner là-bas. Parce qu’on ne peut pas être du pays de l’apôtre du dialogue et aller chercher les vertus du dialogue ailleurs. C’est-à-dire, nous sommes dans l’eau, et puis, on a soif!
Moi, je pense que normalement le dialogue devait nous amener à nous retrouver pour nous parler quel que soit le problème. Et puis, je m’inscrits en faux par rapport à tous ceux qui pensent que la crise ivoirienne est une crise identitaire. C’est plutôt un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, on n’a pas de problème identitaire, je suis désolé. Chez nous ici, les Baoulé ont épousé des Sénoufo, des Sénoufo ont épousé des Agni, des Agni ont épousé des Bété… on est tellement imbriqués les uns dans les autres que le problème identitaire n’est rien d’autre qu’un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire. Parce que dès qu’on agite ça, tout arrête de marcher, on se dresse les uns contre les autres. Or, nous sommes dans un environnement qui est tel qu’on vous dresse les uns contre les autres pour vous empêcher d’avancer. Parce que les premiers n’ont pas envie d’être rattrapés. Nous pouvons dire que les dérives identitaires ou les pseudo-dérives identitaires ne sont rien d’autre qu’un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire.
Pensez-vous donc que le délit de patronyme n’est pas justifié ?
Non, ça, ce n’est pas justifié. Ce sont des choses qu’on peut régler entre nous ici. Pourquoi ? Chaque Ivoirien a un village…
Donc, vous prônez le retour au village ?
Non ! Je dis que chaque Ivoirien a un village. Cela veut dire qu’ici en Côte d’ Ivoire, on ne peut pas dire que parce que tu t’appelles Cissé tu n’es pas Ivoirien ! Moi, j’ai des parents qui sont de Prakro, un village de Dimbokro, qui s’appellent Cissé, et pourtant, ce sont des Baoulé bon teint.
Quand vous allez à Bocanda, vous avez là des Daouda Yao. Et puis, moi qui vous parle, j’ai des cousins, des nièces et des oncles Traoré qui vivent à Bouaké. En fonction de quoi vous allez dire que comme ils s’appellent Traoré ils ne sont pas Ivoiriens…
Justement, on ne comprend pas pourquoi le camp présidentiel dresse des listes pour les traquer…
C’est pourquoi je dis que le président Bédié, le Premier ministre Ouattara, le président Gbagbo, le Premier ministre Soro… nous tous, nous devons nous mobiliser, trouver des solutions. C’est la seule trouvaille que les ennemis de la Côte d’Ivoire ont pu inventer pour pouvoir nous dresser les uns contre les autres quand nous voulons être unis pour avancer.
Qui sont ces ennemis, Excellence?
Ecoutez ! Dans les relations internationales, un pays fait face à plusieurs types de menaces : il y a des menaces extérieures, il y a des menaces intérieures. Et aujourd’hui, lorsque vous voulez rattraper les premiers [qui ne sont pas forcément les Etats, les premiers peuvent être des acteurs non étatiques, ça peut être des puissances d’argent, ça peut être la mafia, ça peut être des groupes religieux, ça peut être des sectes…], ils peuvent inventer toutes sorte de choses pour vous empêcher d’évoluer, et c’est ce complot-là qui guette la Côte d’Ivoire. Faisons attention !
Interview réalisée par Traoré M. Ahmed
Vous venez d’Europe et aux Etats-Unis. Quelle vision ont les Ivoiriens de l’étranger de l’évolution de la situation de leur pays?
Le président Laurent Gbagbo nous a mis en mission pour s’adresser à tous les Ivoiriens de l’étranger. Au cours de nos meetings, nous n’avons pas contrôlé les cartes d’appartenance à la majorité présidentielle ou aux partis qui soutiennent le président Gbagbo.
Les préoccupations qui ont été abordées, tournent autour de la survie de la Côte d’Ivoire. La première des questions pertinentes a été la souveraineté de notre pays. Sur ce point, on est d’accord, qu’on n’a pas besoin d’être d’un bord ou d’un autre pour se mettre ensemble pour éviter de scier la branche sur laquelle on est tous assis : la Côte d’Ivoire.
Toujours par rapport à la survie du pays, nous avons prêché l’union, l’entente et le pardon des offenses. Je pense que notre message a été entendu. Parce que, partout où nous sommes passé, nous avons été acclamé.
Deuxièmement, nous avons expliqué aux Ivoiriens de l’étranger que la façon de battre campagne quand on est à l’extérieur n’a pas la même signification que quand on est à l’intérieur. A l’extérieur, le seul document qui compte c’est le passeport qui porte la mention : République de Côte d’Ivoire. Donc, tous les candidats à la présidentielle doivent être respectés, parce qu’ils sont tous porteurs d’idéal pour la Côte d’Ivoire, et il nous appartient d’être attentifs à leurs différents projets pour la Côte d’Ivoire, afin qu’en connaissance de cause, nous puissions nous mobiliser pour les voter.
Troisièmement, nous avons dit que, c’est vrai qu’a priori, en tant qu’électorat, leur nombre, c’est-à-dire ceux qui sont à l’extérieur, n’est pas très élevé, mais ils constituent ce que nous appelons « électorat de prestige, électorat diplomatique », ce petit quelque chose qui vient bonifier la victoire du candidat à l’intérieur de la Côte d’Ivoire. En tant que tel, leur rôle est déterminant. Et donc, il faudrait qu’ils s’organisent pour que les élections se déroulent dans la quiétude et faire en sorte que, de par leur comportement, les pays dans lesquels ils se trouvent respectent davantage la Côte d’Ivoire.
Le dernier point sur lequel nous avons insisté c’est la paix dans notre pays. En terme de paix, les Ivoiriens de l’étranger sont inquiets et sont impatients de savoir comment est-ce qu’on peut parler de sortir de crise, et aller aux élections en ayant deux chefs d’état major ? Ça, c’est un paradoxe, parce qu’ils vivent au quotidien là-bas la démocratie. Donc, ils ont du mal à comprendre que dans un pays où ils deux chefs d’état major on veuille aller aux élections.
L’autre préoccupation, et ça, je l’ai longuement dit à Paris et Philadelphie où je m’adressais à mes compatriotes qui voulaient investir en Côte d’Ivoire, c’est en termes de gouvernance, d’unicité de caisse. Ils sont un peu gênés que jusqu’à présent l’unicité des caisses soit un slogan et que ça ne se traduise pas en réalité. Voici en gros quelques préoccupations d’ordre général rencontrées.
Continuent-ils de se plaindre de l’enrôlement ?
Il faut reconnaître que l’enrôlement de nos compatriotes s’est très mal passé, de sorte qu’en France sur plus ou moins 100.000 personnes, il y a seulement 16.000 personnes qui ont été enrôlées. Aux Etats-Unis, il y a seulement 3.000 personnes qui ont été enrôlées, ainsi de suite. La question qui m’a été posée à chacune de mes étapes est : Qu’est-ce que ceux qui n’ont pas été enrôlés deviennent ?
Nous avons donc dû mettre en place un conseiller spécial, chargé des Ivoiriens non enrôlés qui soient favorables au président Laurent Gbagbo pour qu’ils ne se sentent pas exclus du processus électoral. Ce conseiller-là est au travail.
Les préoccupations sont-elles les mêmes aux Etats-Unis qu’en France ?
Evidemment, cela ne peut pas être les mêmes. Paris, c’est Treichville.
Vous sentez qu’en France, le débat est comme ce qu’on vit à Abidjan. Les positions sont quelquefois très radicales, maximalistes.
Par contre, j’ai eu beaucoup de satisfaction aux Etats-Unis où c’est le pragmatisme anglo-saxon. Là, les gens comprennent mieux l’idée de majorité présidentielle. Ils estiment qu’un parti politique n’est pas une prison, si ton candidat n’est pas à la hauteur, tu peux décider d’accorder ton suffrage à un autre candidat sans qu’on ne te taxe d’être vendu ou d’avoir trahi.
Donc, l’idée de majorité présidentielle a été très bien perçue aux Etats-Unis, tandis qu’en France, il a fallu un peu plus de temps pour que je puisse convaincre, surtout les militants du Pdci.
Il semble qu’il a été aussi difficile de convaincre certains militants du Fpi du fait que vous étiez sincère pour Gbagbo…
C’est tout à fait normal. Il faut être aussi honnête, quand ceux-là soutenaient le président Gbagbo aux premières heures du multipartisme, nous autres, nous étions ses opposants. Donc, c’est tout à fait normal qu’avant de m’accepter, ils me fassent subir quelques épreuves, c’est tout à fait normal. Mais, je crois qu’à travers vos dires, à travers vos actes, on peut tout de suite comprendre si vous êtes dans le vrai ou si vous êtes dans le faux, parce que comme les Anglais le disent the truth is never wrong, c’est-à-dire que la vérité n’est jamais fausse. Et la vérité, c’est que ce n’est pas la première fois dans notre pays que quelqu’un qui est d’un parti A porte son choix sur le candidat d’un parti B. Et ça, j’ai puisé dans l’histoire politique de notre pays pour dire que dans les années 50, le patriarche Gon Coulibaly dans le Nord de la Côte d’Ivoire a eu à choir entre son fils Béma Coulibaly et le président Félix Houphouët-Boigny. Il a choisi Félix Houphouët-Boigny. Et ça, je pense que j’ai été longuement ovationné et ils m’ont accepté en tant que tel.
Quelle leçon tirez-vous de ce voyage ?
Beaucoup de leçons. Premièrement, nos compatriotes ne sont pas des
automates déshumanisés, ils savent ce que c’est, ils suivent l’actualité, et pour rien au monde, qu’on soit de tel ou de tel bord, ils ne veulent brader la Côte d’Ivoire. Cela m’a vraiment plu.
La deuxième leçon qu’il faut tirer, c’est qu’à l’étranger, ils ne vivent pas la différence que nous vivons ici. A l’étranger, ils sont un, ils forment une famille.
A l’étranger, les élections se présentent comme un facteur de rassemblement plutôt qu’un facteur de division. Dans tous les cas, ils sont convaincus que c’est le meilleur d’entre nous qui les dirigera, qu’il soit de tel ou de tel bord, excusez-moi du peu, ça ne changera pas trop leur statut là-bas.
La leçon que nous retenons aussi c’est qu’ils comprennent que le président Laurent Gbagbo est un homme courageux. En rentrant d’Italie alors que son pays était attaqué, il a posé un acte historique majeur qui fait que où qu’on se trouve, on devrait pouvoir se mobiliser pour lui accorder notre suffrage. Et ça, c’est quelque chose d’important qui n’est pas discriminatoire, qui est objectif. C’est-à-dire que n’importe lequel de nous à la place de Laurent Gbagbo aurait bénéficié du suffrage de ses compatriotes s’il agissait comme ça. Je retiens cela.
Les Ivoiriens de l’extérieur croient-ils en cette élection-là, surtout dans les délais donnés, c’est-à-dire fin février début mars 2010 ?
Comme moi, je suis le Dnc-adjoint du candidat Gbagbo et que j’ai ma feuille de route, j’ai essayé de leur expliquer un peu les délais qui nous étaient impartis. Mais leur esprit critique et le fait qu’ils pratiquent les élections dans les pays dans lesquels ils se trouvent, les amènent à me poser beaucoup de questions. Et je crois que l’affaire Beugré Mambé n’est pas faite pour les rassurer. Tout ce qu’on sait, c’est qu’on voterait en 2010. Partout j’ai eu du mal à les convaincre que les élections se tiendront dans les délais fixés.
Vous-même, vous-y croyez ?
L’objectif, c’est les élections : fin février – début mars 2010. C’est donc par rapport à ça que je suis en train de travailler. Quand le CPC arrête une décision, elle est valable dans certaines conditions de pression et de température, c’est valable dans un environnement. Si l’environnement change, les données changent. Pour le moment, ma feuille de route, c’est fin février – début mars. Et c’est par rapport à cela que j’ai travaillé.
Quelle est la cote de votre candidat à l’extérieur ?
Là-bas, l’esprit de majorité présidentielle, c’est-à-dire le soutien républicain au président Laurent Gbagbo est une réalité. Pourquoi ? Quand vous prenez la France, il y a eu le général de Gaule. La France était sous occupation allemande, et il s’est trouvé un homme pour dire « nous, nous ne méritons pas cela ». Et toute la France s’est mobilisée derrière De Gaule, de sorte qu’il y a des gaullistes de gauche, des gaullistes de droite, il y a des gaullistes du centre.
En France, je leur ai dit que le président Gbagbo est notre De Gaule. C’est-à-dire quelqu’un qui a dit « non, la Côte d’Ivoire ne mérite pas d’être ravalée au rang d’appendice de quelques puissances que ce soit. » Ils comprennent bien quand je leur parle de cette façon-là. Donc, le président Gbagbo a la cote. L’élection du président Laurent Gbagbo, c’est la réhabilitation de la souveraineté de notre pays.
Aux Etats-Unis, mon discours était facilité, parce que les Etats-Unis ont connu ce que nous appelons la guerre de sécession, donc, ils savent que lorsque votre pays est menacé de division, vous devez vous unir pour réunir le pays, et puis après, on parle. Ils ont vécu tout récemment le 11 septembre 2001, ils ont vu comment cet événement a fait que tous les Américains se sont rassemblés autour de leur président quels que soient leurs clivages politiques, même les médias.
Il s’agit de dire quels que soient nos problèmes, rassemblons-nous autour de celui qui a lutté pour que la Côte d’Ivoire reste debout, et puis après, on verra.
Et si on proposait que ce rassemblement se fasse autour Ouattara et Bédié, vu que le pays est divisé actuellement?
On est comme sur un terrain de foot en train de jouer, et puis, subitement, il se met à pleuvoir. Premièrement, vidons d’abord l’eau du stade. Une fois l’eau vidée, on peut reprendre le match.
Nous estimons que le président Bédié, le Premier ministre Ouattara, normalement devaient même surseoir à leurs candidatures. Ils devaient se mettre avec le président Gbagbo pour réhabiliter la Côte d’Ivoire, et une fois que le pays est réhabilité, le débat s’engage. Tant que nous avons deux chefs d’état major dans notre pays, tant que nous n’avons pas l’unicité des caisses, ça ne sert à rien de vouloir être candidat. Parce que, de toute façon, à supposer que le Premier ministre Ouattara gagne avec deux chefs d’état major, que Bédié gagne avec les mêmes chefs d’état major et sans unicité des caisses, ils mèneront le même combat que Laurent Gbagbo, c’est-à-dire le combat pour la réunification de la Côte d’Ivoire.
Moi, mon plaidoyer c’est que le président Bédié et le Premier ministre Ouattara acceptent de se mettre autour du président Gbagbo pour sauver le pays.
Une fois la réunification avec une seule armée, on a la paix, l’unicité des caisses, on est respecté dans le monde parce que nous ne sommes pas un pays à problèmes. En ce moment-là, le jeu démocratique est possible, une fois qu’on a retrouvé cela, je retourne au PDCI. Mais tant qu’on n’a pas réussi cela, je suis mobilisé pour la défense de la République de Côte d’Ivoire.
Je le dis souvent à mes enfants, dans la vie, chacun a sa chance, chacun a son destin. Hier, c’était Henri Konan Bédié avec l’article 11 de la Constitution, toute la Côte d’Ivoire s’est mobilisée autour du président Bédié pour l’article 11, même ceux qui ne voulaient pas qu’on applique l’article 11 de la Constitution, on est tous descendus dans la rue pour que Bédié soit le président. Aujourd’hui, c’est le tour de Gbagbo. Il faut respecter sa chance.
Le constat que l’on a fait, c’est que vous avez mis un accent particulier sur les Ivoiriens d’Europe, et vous ne prenez pas en compte les pays d’Afrique. Quel est votre plan d’action à ce niveau ?
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une élection est une compétition qui obéit à plusieurs enjeux. C’est donc en fonction des enjeux qu’on définit les priorités. Si c’est un enjeu numérique, la France représente 40% de l’électorat à l’étranger. C’est tout à fait normal qu’on s’intéresse à la France. Parce que, en termes de réservoir des voix, l’Hexagone représente 40% de l’ensemble des Ivoiriens qui peuvent voter à l’étranger.
Maintenant, si c’est un enjeu diplomatique, Paris vient en premier lieu. Paris, c’est un enjeu diplomatique. Quand tu as gagné à Paris, tu te sens bien dans ta peau pour des raisons historiques. Notre histoire, notre géographie et même notre actualité nous imposent de gagner en France pour le président Gbagbo. C’est donc un impératif pour nous.
Ensuite, quand vous prenez les capitales des multilatéralismes : New York, nous pensons que le président Gbagbo doit gagner à New York. Ça fait bien de gagner à New York où se trouve le siège des Nations-Unies. Quand tu gagnes aux USA où se trouve le siège des Nations-Unies, où se trouve le Fonds monétaire international où l’on parle de bonne gouvernance, on parle de droit de l’Homme, où se trouve la Banque mondiale… tu te sens bien. Nous ne pensons pas que dans ces pays-là qu’on dise vous avez triché, vous avez contraint les gens… De façon libre, ils vont voter. Et quand vous gagnez à Bruxelles, siège de l’Union européenne, vous vous sentez aussi bien dans votre peau.
Quels sont en définitive, les défis que nous devons relever pour sortir le pays de l’ornière ?
A un moment donné, de l’histoire du pays , les anciens se sont dit qu’il faut taire notre adversité, repousser l’ennemi qui est de l’extérieur, et puis après, on va voir. C’est comme cela qu’en 1951, qu’on s’appelle Sékou Sanogo, qu’on s’appelle Adrien Dignan Bailly, qu’on s’appelle Houphouët-Boigny, qu’on s’appelle Gon Coulibaly… ils se sont tous rassemblés autour de Houphouët-Boigny.
Ce pacte a permis à la Côte d’Ivoire de vivre au moins 40 ans de stabilité.
Deuxième défi, nous avons encore connu le multipartisme en 1990. Et, au jour d’aujourd’hui, c’est le même scénario des années 50 qui est là. Il y a un candidat originaire du Nord, un candidat originaire du Centre-Ouest, un candidat originaire du Centre, un candidat originaire des 18 montagnes… cela veut dire que le tableau des années 50 est là, faisons très attention. C’est la raison pour laquelle, le plaidoyer que nous faisons, c’est qu’il y ait un nouveau pacte républicain, évidemment, autour du candidat Laurent Gbagbo pour que nos enfants et petits-enfants puissent vivre le multipartisme comme nous le souhaitons.
Moi, je suis convaincu que si on pouvait réussir ce pacte républicain autour du président Laurent Gbagbo, pour les 100 prochaines années, un homme du Nord peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus ; un homme de l’Ouest peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus ; un musulman peut, demain, être président de la République sans que le ciel ne nous tombe dessus. Parce que nos enfants, excusez-moi, ils n’auront rien à faire avec les origines de qui que ce soit. Pour nos enfants, ou bien tu as des valeurs pour nous diriger ou bien tu n’as pas de valeur. Et en cela, je pense que le président Obama aux Etats-Unis a fait mentir tous ceux qui pensaient qu’il y avait des impossibles sur cette terre. Houphouët-Boigny nous rappelle que tous les changements les plus souhaités ont leur mélancolie. Mais le président ajoute que « tous les changements sont possibles pourvu qu’ils se déroulent dans la paix, dans l’ordre et surtout dans la discipline. »
Il appartient à nos aînés que sont le président Bédié, le Premier ministre Ouattara ou le président Laurent Gbagbo de nous tracer des sillons pour que demain nos enfants et petits-enfants puissent élargir ces sillons dans la paix et dans la prospérité.
Une grande majorité des Ivoiriens aujourd’hui redoute encore les démons du passé qui sont en train de ressurgir…
Non ! Je vais vous dire une chose. Normalement, moi, j’ai 50 ans bientôt, je suis un enfant de l’indépendance. Je suis gêné que la Côte d’Ivoire ait la chance d’avoir un ancien président de la République, combien d’anciens Premiers ministres… et que les problèmes de la Côte d’Ivoire se traitent hors de la Côte d’Ivoire. Le président Houphouët dans sa tombe est en train de se tourner là-bas. Parce qu’on ne peut pas être du pays de l’apôtre du dialogue et aller chercher les vertus du dialogue ailleurs. C’est-à-dire, nous sommes dans l’eau, et puis, on a soif!
Moi, je pense que normalement le dialogue devait nous amener à nous retrouver pour nous parler quel que soit le problème. Et puis, je m’inscrits en faux par rapport à tous ceux qui pensent que la crise ivoirienne est une crise identitaire. C’est plutôt un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, on n’a pas de problème identitaire, je suis désolé. Chez nous ici, les Baoulé ont épousé des Sénoufo, des Sénoufo ont épousé des Agni, des Agni ont épousé des Bété… on est tellement imbriqués les uns dans les autres que le problème identitaire n’est rien d’autre qu’un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire. Parce que dès qu’on agite ça, tout arrête de marcher, on se dresse les uns contre les autres. Or, nous sommes dans un environnement qui est tel qu’on vous dresse les uns contre les autres pour vous empêcher d’avancer. Parce que les premiers n’ont pas envie d’être rattrapés. Nous pouvons dire que les dérives identitaires ou les pseudo-dérives identitaires ne sont rien d’autre qu’un nouveau visage de la guerre contre la Côte d’Ivoire.
Pensez-vous donc que le délit de patronyme n’est pas justifié ?
Non, ça, ce n’est pas justifié. Ce sont des choses qu’on peut régler entre nous ici. Pourquoi ? Chaque Ivoirien a un village…
Donc, vous prônez le retour au village ?
Non ! Je dis que chaque Ivoirien a un village. Cela veut dire qu’ici en Côte d’ Ivoire, on ne peut pas dire que parce que tu t’appelles Cissé tu n’es pas Ivoirien ! Moi, j’ai des parents qui sont de Prakro, un village de Dimbokro, qui s’appellent Cissé, et pourtant, ce sont des Baoulé bon teint.
Quand vous allez à Bocanda, vous avez là des Daouda Yao. Et puis, moi qui vous parle, j’ai des cousins, des nièces et des oncles Traoré qui vivent à Bouaké. En fonction de quoi vous allez dire que comme ils s’appellent Traoré ils ne sont pas Ivoiriens…
Justement, on ne comprend pas pourquoi le camp présidentiel dresse des listes pour les traquer…
C’est pourquoi je dis que le président Bédié, le Premier ministre Ouattara, le président Gbagbo, le Premier ministre Soro… nous tous, nous devons nous mobiliser, trouver des solutions. C’est la seule trouvaille que les ennemis de la Côte d’Ivoire ont pu inventer pour pouvoir nous dresser les uns contre les autres quand nous voulons être unis pour avancer.
Qui sont ces ennemis, Excellence?
Ecoutez ! Dans les relations internationales, un pays fait face à plusieurs types de menaces : il y a des menaces extérieures, il y a des menaces intérieures. Et aujourd’hui, lorsque vous voulez rattraper les premiers [qui ne sont pas forcément les Etats, les premiers peuvent être des acteurs non étatiques, ça peut être des puissances d’argent, ça peut être la mafia, ça peut être des groupes religieux, ça peut être des sectes…], ils peuvent inventer toutes sorte de choses pour vous empêcher d’évoluer, et c’est ce complot-là qui guette la Côte d’Ivoire. Faisons attention !
Interview réalisée par Traoré M. Ahmed