Il est 22h 15mn ce samedi 13 février 2010, lorsque nous mettons le cap sur l’un des endroits branchés de la capitale de la Vallée du Bandaman. Nous prenons d’abord attache avec notre concierge qui, au départ très prudente, finit fort heureusement à délier sa langue après moult hésitations. « Il faut aller au centre ville. Demandez le Centre Ivoire. C’est notre rue Princesse. Là-bas, vous pouvez trouver tout ce que vous voulez. Même le paradis sur terre ! », a-t-il recommandé d’une voix pleine d’hilarité. Dès que nous sortons de notre hôtel situé au quartier commerce - centre ville, des individus assis sur des motocyclettes, proposent leurs services. « Au Centre Ivoire ! », lançons. Après lui avoir payé 100FCFA, le taxi-moto nous y conduit. Un endroit grouillant de monde. Aux bruits sonores provenant des différents maquis, s’ajoutent un synchro de klaxons et de vrombissements de moteurs. Des tumultes de tous genres. Devant l’ex-cinéma Centre Ivoire devenu place de référence, le décor est celui des vendeuses de poulets braisés, d’APF (d’attiéké poisson fumé) et de fruits, des tabliers, des gérants de kiosques à journaux et à café, des boutiques, etc. Non loin des commerces, se vautrent dans l’obscurité des silhouettes de tout profil : des obèses, des sveltes, des courtes et des grandes. Quand nous nous approchons, point besoin de faire un dessin. «Mon frère, je suis occupée. Il faut avancer. Il faut aller à ‘’l’hôtel de la radio’’ », nous lâche une jeune fille, la vingtaine révolue, dont l’accoutrement était assez évocateur. Curieux de savoir ce qui s’y passe, nous avançons dans une sorte de labyrinthe non éclairé. A quelques encablures de l’ex-cinéma, se trouve ‘’l’hôtel de la radio’’. Un lupanar à ciel ouvert. Un indicateur de taille nous situe automatiquement sur la dangerosité de cet environnement. Nous humons des odeurs infectes de plantes enflammées. Des petits bâtons allumés et enfumés éclairaient le visage de certains corps difficilement identifiables. Non loin delà, alors que certaines filles se suivaient à la queue leu-leu, d’autres, par contre, déambulaient dans tous les sens. Nonobstant l’effroi, nous décidons d’avancer. Du coup, nous sommes pris d’assaut par une meute de filles de joie. Ces filles nous proposent des tarifs que nous jugeons onéreux. « Pourquoi êtes-vous aussi cher à Bouaké ? A Abidjan, on paye mille francs CFA. Souvent, quand ça ne marche pas. On revoit le prix à la hausse», expliquons-nous à une jeune fille dépigmentée qui jouait la cigarette. « Mon frère, ici c’est Bouaké ! Ce que les gens font à Abidjan, nous on s’en fout de ça ! On fait passage à cinq mille (5000) francs CFA. Quand c’est la nuit, on prend quinze mille francs CFA », se défend sur un ton irascible T. Adjaratou. Résidente du quartier Odiénékourani, celle-ci ajoute : « Pendant la guerre, on gagnait beaucoup d’argent. Les hommes de l’Onuci venaient nous prendre. Moi, je gagnais trente-cinq mille (35000) francs CFA par client. Le jour que Dieu est avec toi, tu peux gagner soixante mille (60000) francs CFA. Aujourd’hui là, on ne gagne plus rien. On ne sait pas pourquoi les Blancs-là ne viennent plus comme avant (…) On prend deux mille (2000) francs CFA avec les clients. Ce n’est pas beaucoup mais, c’est mieux que zéro ». Ainsi, proposons-nous une promesse à notre interlocutrice qui commence à rouspéter. Adjaratou est méfiante. Elle demande à se faire accompagner. « Hé ! Monsieur, si tu ne veux pas ‘’mougou’’ (Ndlr : faire l’amour en Nouchi), il faut partir ‘’pahé’’ (Ndlr : parce que) tu parles trop dêh. Si tu vas payer notre transport, nous allons te suivre. Parce qu’il ne faut pas perdre notre temps », fait savoir Adjaratou soutenue par ses consœurs aux mœurs légères et avec une colère dont elles seules en connaissent l’intensité. Nos hôtes nous conduisent dans un maquis ‘’Beaujolais’’. L’endroit fait mauvaise impression. Des individus assis devant des tables parfois peu garnies, filtrent tous les mouvements, les entrées et sorties. Nous nous asseyons autour d’une table. « Que prenez-vous à boire ? De la liqueur ? De la bière ou de la sucrerie ? », proposons-nous. « Non ! On ne boit pas la bière. On va prendre des sucreries », répliquèrent mes invités de la soirée. « Etes-vous sûr ? Ne vous gênez pas ! », insistons-nous pour mettre nos hôtes en confiance. Celles-ci n’ont pas eu le temps de décapsuler leurs différentes bouteilles que nous posons cette question : « Pourquoi ce ne sont que les filles dioula seulement que nous voyons faire tout ça ? ». « Qui t’as dit que ce sont les filles dioula seulement ? Il y a les filles baoulé. Mais, elles n’ont pas le courage de faire comme nous. Les filles baoulé aiment les Blancs. Au lieu de venir au Centre Ivoire, ici, elles vont attendre les Blancs de Onuci devant leurs camps ou les clients dans les hôtels. Moi, j’ai une camarade qui a donné son numéro à plusieurs gérants d’hôtels. Quand les clients ont besoin d’elle, ils les appellent et elles font le géh des gérants là (Ndlr : donner le pourboire des gérants en Nouchi)», a révélé T. Adjaratou. Au moment où les filles vidaient leurs sacs, les individus ont commencé à courir dans tous les sens sous la menace d’une fine pluie. « Ça rafle vers l’hôtel de la radio », nous lance un passant en prenant la poudre d’escampette. C’est ainsi que sans nous faire prier, nous regagnons notre chambre d’hôtel, lorsque l’horloge fixait 02h 37mn du matin. Assurément, nous partons un peu déçus de n’avoir pas pu tirer aussi loin que possible nos ficelles. Car, au lever du jour nous prenions la route pour regagner Abidjan.
Krou Patrick, envoyé spécial
Krou Patrick, envoyé spécial