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Société Publié le lundi 8 mars 2010 | Nord-Sud

Veuve et battante - Justine : le miroir de la femme émancipée

A l'occasion de la journée mondiale de la femme qui sera célébrée aujourd'hui, Nord-Sud quotidien à ouvert une lucarne sur une battante : Kabran Logbichi Justine. Portrait d'une femme au cœur de garçon.

Emerveillés par son courage, ce sont ses propres enfants qui lui lancent un jour : « maman, tu es un garçon ». Kabran Logbochi Justine est tenancière du restaurant « Chez Justine » encore appelé « La bâche verte », à Cocody-Angré, 7ème tranche. Elle se bat comme un homme pour faire oublier à ses quatre enfants l'absence de leur père, décédé en 2005. A peine sa période de veuvage terminée, la mère a ouvert ce restaurant, l'un des plus grands de la zone, qui porte son nom. Il emploie environ 14 personnes et offre divers plats, du petit-déjeuner jusqu'au dîner : bouillie, riz, foutou, tcheps, grillades, crudités, etc. « La bâche verte » qui grandit de jour en jour, est épaulé par un service traiteur. Le restaurant fait des « livraisons à domicile », on fait appel à ses services pour le déjeuner lors de séminaires. Tous les jours ouvrables, les travailleurs se disputent les places pour prendre le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner « Chez Justine ». La qualité de des plats fait presque l'unanimité. L'hygiène est de mise. Plusieurs fois, cette « dame incline à la rigueur» sillonne les rangées de tables, pour questionner deux ou trois clients sur la qualité du service. Et beaucoup répondent sûrement en se demandant : « tiens, qui c'est cette femme simple au regard attentionné qui s'occupe tant de ses clients? Quel est son secret ? »

Dans le foyer, ce sont les deux mains qui se lavent

Un secret ? Cette femme Abbey de 48 ans, née à Treichville, n'en a pas. C'est une femme qui a tout simplement le goût du risque. Elle n'a jamais aimé travailler pour quelqu'un. Sa devise : « Pour réussir, il faut se battre. » Cette phrase a rimé toute sa vie. Fille d'une commerçante et d'un menuisier, Justine a continuellement été mise à l'épreuve. Après un cursus scolaire assez bref, entre Agboville et Abidjan, elle réussit à intégrer l'Institut Flaubert à Yopougon comme enseignante. Mais, très vite, il lui faut choisir entre l'enseignement, le commerce de vivriers, de condiment et d'eau en sachet qu'elle fait. Elle abandonne l'enseignement. En ce temps, d'ailleurs, elle tient l'un des premiers tabliers d'Angré dans les années 1989, puis l'une des premières cabines téléphoniques dans le coin. Le sens du commerce qu'elle hérite de sa mère (elle vendait de l'huile rouge à Adjamé) va lui servir. Après son mariage à un cadre du pays, elle ne fait pas de sa situation matrimoniale un privilège. Justice continue de vendre. Elle participe aux frais de la maison, avec ses économies: factures d'électricité et d'eau, fournitures des enfants, etc. Ce qui lui vaut le respect de son mari. Ce dernier, à chaque fois qu'il revient du travail dans la soirée, gare son véhicule et l'aide à transporter ses marchandises à la maison. « Une bonne femme doit aider son mari. Dans le mariage, ce sont les deux mains qui se lavent. Il ne faut pas compter sur le salaire de son époux. » Ce que Justine appelle « l'émancipation de la femme », c'est cela. Arriver à se battre sans l'homme, afin que le jour où ce dernier n'est pas là, la femme puisse prendre la relève. Elle n'a pas tord de penser ainsi. En 2005, l'homme de sa vie passe l'arme à gauche. Devenue veuve, elle doit s'occuper de la villa qu'il leur a laissée et surtout de l'avenir des enfants. Elle est naturellement effondrée. Sa fille cadette, Emmanuelle, aussi bien éduquée que la mère, lui dit un jour : « maman, est-ce que tu pourras prendre le salaire de papa ? » La génitrice lui répond que non. Emmanuelle ajoute : « ne pleure pas, maman, fais un restaurant, comme-ça tu pourras t'occuper de nous. » Voilà d'où part l'histoire de « La bâche verte ». Justine reprend très vite du poil de la bête, après seulement trois mois de veuvage. Elle n'a pas eu besoin de millions de Fcfa pour se lancer dans l'affaire. Comme elle le dit à n'importe quelle femme : « Beaucoup pensent qu'on a besoin de millions pour travailler ; or, le petit commerce commence avec n'importe quoi.» Grâce à son sens des affaires, elle élève une bâche devant sa villa. En ce moment, il n'y a pas de restaurant dans les environs. Cette situation lui permet de conquérir le cœur des clients, la qualité des plats et l'accueil aidant. Mais, ce qui joue le plus en sa faveur, c'est sa persévérance. « C'est une femme qui ne se décourage jamais. Même quand les activités démarrent timidement, elle reste sereine. Je vois en elle un modèle», explique Emilienne, épouse Dadié, la sœur cadette de Justice qui travaille aujourd'hui à ses côtés. Après ses diplômes à l'université, Emilienne est restée sans emploi pendant 10 ans ! Justine lui a dit un jour: « que fais-tu à la maison ? Viens travailler avec moi. » Au début, à une bâche, elle est passée à deux bâches, et bientôt elle ouvrira une pâtisserie. Si Justine a réussi, c'est grâce à sa rigueur et son savoir-faire. C'est elle qui forme ses cuisinières. Quand les filles paressent, elle n'hésite pas à prendre la partie technique et à préparer elle-même pour montrer l'exemple.

La rigueur au rendez-vous

« Une patronne qui ne sait rien faire, ne peut pas donner de conseils à ses employés », affirme-t-elle. Pour l'anecdote, un jour, alors que deux de ses cuisinières se battaient pendant l'heure de travail, Justine s'est emparée d'une ceinture et a foncé dans le tas pour leur administrer des coups, comme une mère. Elles ne se sont plus jamais battues. « C'est une femme très rigoureuse, et elle ne garde pas rancune. Après les réprimandes, on oublie tout. C'est un modèle, elle est comme une mère pour moi », explique Alima, une de ses cuisinières. Ouverte, celle qu'on appelle aussi la « tantie », a su se faire respecter par son travail. Grâce à cette entreprise, elle est parvenue à offrir une meilleure éducation à ses enfants : trois filles, un garçon. Ils fréquentent des universités privées, certains étudient au Maroc. Et quand ses filles sont en vacances, elles n'hésitent pas à l'aider dans les tâches du restaurant. Justice leur a transmis l'éducation qu'elle pense d'une femme. « La femme ce n'est pas forcement celle qui a le savoir, mais, celle qui est intelligente », précise-t-elle. Et l'intelligence passe par l'éducation. Quand elle était petite, elle s'est habituée à voir sa mère aider son père. Et elle a compris : « Pour qu'un homme te respecte il faut travailler. » Il lui arrive de donner des conseils à certaines femmes dans ce sens. Mais, elle reconnaît que beaucoup d'entre elles ont besoin d'aide. Le ministère de la Famille, de la famille et des affaires sociales, pour elle, doit tendre la main aux femmes qui ont des idées, comme elle. Un autre mariage ? Cette méthodiste modérée n'y songe pas pour le moment. Sa richesse, ce sont ses enfants. Et si un homme voudrait conquérir son cœur à 48 ans, il devra d'abord conquérir ceux de ses enfants.

Raphaël Tanoh
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