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Économie Publié le mardi 16 mars 2010 | Notre Heure

Déchets toxiques - Des victimes dénoncent une indemnisation opaque

Intoxiqués en 2006 par le déversement de résidus chimiques, des dizaines de milliers d’habitants d’Abidjan espéraient dédommagement, mais les conditions d’indemnisation font planer de forts soupçons de détournements.

Annoncée comme l’épilogue du scandale du Probo Koala ( ce cargo) qui avait déversé en 2006 des déchets toxiques en pleine ville d’Abidjan, entraînant la mort de 17 personnes, l’indemnisation des victimes tourne à la farce tragique. C’est dans l’enceinte d’une villa du quartier chic de Cocody que six personnes, en tout et pour tout, délivrent au compte-gouttes les chèques attendus par les 29 000 victimes recensées. Jeudi 11 mars, la Coordination nationale des victimes des déchets toxiques (CNVDT) prévoyait d’en verser 2800 en un jour.
Et si probablement plus de 2000 personnes étaient bien présentes, sous un soleil de plomb, les insuffisances de l’organisation rendaient impensable de tenir un tel objectif. « Cet argent nous est dû, qu’on nous le verse dans la dignité, s’indigne Ahmed, habitant du quartier de Bingerville. J’ai passé la nuit ici, depuis l’aube je cuis au soleil, et déjà on me dit qu’il va falloir revenir dans une semaine, alors que j’ai déjà perdu une journée de salaire, c’est une honte ! » Alors que le cabinet d’avocats londoniens Leigh Day & Co était censé assurer la distribution des 33 millions d’euros pour les victimes (après avoir conclu la transaction avec l’armateur Trafigura), une décision de la justice ivoirienne a ordonné le transfert du pactole sur un compte bancaire de la CNVDT. Finalement, un arrangement a été conclu en février par cette dernière avec le cabinet londonien, dont les honoraires ne sont pas connus, pas plus que les termes de la transaction qu’il a conclue avec la société néerlandaise Trafigura.

La Fesci règne par la terreur sur les campus abidjanais

C’est donc la CNVDT qui est censée verser à chaque victime recensée les 750 000 francs CFA (1145€) promis. Mais sur les chèques ne figure que la somme de 727 000 francs – 3% sont déduite pour les « frais de fonctionnement » des associations de victimes. Ce qui représente tout de même plus d’un million d’euros au total… La CNVDT, qui affirme fédérer 43 associations locales, est dirigée par un homme de 28 ans, Claude Gohourou, sans autre expérience professionnelle que son appartenance de longue date à la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). « Ce fut mon tremplin, déclare-t-il à La Croix. C’est là que je me suis formé sur le plan syndical et en matière d’organisation. » Ce sont d’ailleurs des « fescistes » qui assurent une partie du service d’ordre sur les lieux du retrait des indemnisations. Dénoncée pour ses méthodes miliciennes et mafieuses, la Fesci règne par la terreur sur les campus abidjanais, et notamment sur les cités universitaires. C’est dans un de ses bastions, la « Cité rouge » de Cocody, que Claude Gohourou a basé son quartier général. Là-bas, tout un quartier est sous le contrôle de la Fesci, qui se finance en rackettant les commerçants et en s’arrogeant l’attribution des logements étudiants. «Vous êtes proches du parti au pouvoir, vous n’êtes pas inquiété» Autrefois dirigée par Guillaume Soro, chef de l’ex-rébellion et actuel premier ministre, la Fesci a été au centre de la mobilisation en faveur du camp présidentiel, notamment lors des émeutes antifrançaises de novembre 2004. Elle est aujourd’hui divisée entre deux factions, « essentiellement en raison de rivalités financières », assure André Kamaté Bahouman, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme. Les liens entre Claude Gohourou et la « galaxie présidentielle » expliquent sans doute son peu d’empressement à réclamer des sanctions pénales contre les responsables ivoiriens du déversement des déchets toxiques. « Une procédure a eu lieu et la justice s’est prononcée », se contente-t-il de déclarer. Seul le responsable de la société ayant procédé à l’épandage des 581 tonnes de boues toxiques, de nationalité nigériane, est aujourd’hui en prison. Suspendus par le premier ministre d’alors, le directeur du Port autonome d’Abidjan, le directeur général des douanes et le gouverneur du district d’Abidjan, tous proches du président Laurent Gbagbo, avaient été immédiatement rétablis dans leurs fonctions par ce dernier. « Ce sont les petits bonnets qui ont été condamnés, constate André Kamaté Bahouman. On a présenté comme une erreur collective des fautes individuelles. Le message est clair : vous êtes proches du parti au pouvoir, vous n’êtes pas inquiété. »
«C’est quand même une somme»

S’ajoutent maintenant les doutes sur les conditions d’indemnisation. Amnesty International avait, d’avance, dit « craindre que les fonds ne soient pas alloués dans le délai imparti et que la CNVDT finisse par partir de toute façon avec l’argent. » Un précédent existe : l’accord amiable conclu en 2007 entre Trafigura et l’État ivoirien, qui mit fin aux poursuites en contrepartie du versement d’une indemnisation de plus de 150 millions d’euros. Un quart seulement de cette somme était allée aux victimes. Selon la presse ivoirienne, Claude Gohourou ferait depuis septembre dernier l’objet d’une enquête judiciaire sous le soupçon d’avoir indûment détourné une partie de ce premier dédommagement. Le jeune homme n’entend pourtant pas en rester là et évoque maintenant le chiffre de « 100 000 victimes » attendant réparation. Les 33 millions « ne sont qu’un acompte », proclame-t-il. Assez conscientes du parfum d’escroquerie entourant l’indemnisation, les victimes qui sont parvenues à toucher leur chèque s’en félicitent néanmoins – elles sont issues pour la plupart des quartiers les plus pauvres de la capitale. « Malgré toutes ces injustices, c’est quand même une somme, déclare Amara, étudiant de 26 ans qui fut victime d’affections oculaires. Avec ça, je vais essayer de monter un petit projet. Mais la famille attend aussi quelque chose. »

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