Venu du Sénégal pour participer au pré-colloque sur le cinquantenaire qui s'est déroulé du 26 au 28 avril dernier à San Pedro, Makhtar Diouf, enseignant à l'Université Cheick Anta Diop du Sénégal, a commenté le niveau de développement de certains pays africains, après cinquante ans d'indépendance. L'intellectuel estime que le retard de ces Etats incombe à la fois à l'ancien colon et aux dirigeants africains.
•Un demi-siècle après les indépendances, où pensez-vous que les Etats africains en général se trouvent en termes de démocratie, de développement ?
Tout ce qu'on peut constater, c'est que la situation n'est pas du tout reluisante. Dans les années 1960, on disait que l'Afrique noire est mal partie. Quand on regarde le point de départ de l'époque et le point d'arrivée d'aujourd'hui, il ne s'est pas passé grand-chose. La situation de l'Afrique ne s'est franchement pas améliorée, particulièrement au plan socio-économique. La population n'est pas la même entre 2010 et 1960. Mais, il est difficile de dire qu'aujourd'hui, elle vit mieux que celle de 1960 au début des indépendances.
•Avez-vous donc le sentiment qu'il y a plutôt eu un recul ?
Disons qu'il n'y a pas eu tellement de progrès. Je ne dis pas qu'il y a eu un recul, mais si on a stagné, ce n'est pas mieux.
•Qu'est-ce qui, à votre avis, pourrait expliquer cette stagnation ?
Il n'y a pas eu de véritable politique de développement. Pour faire le développement, il faut d'abord éviter le gaspillage. Or, les économies africaines n'ont été gérées que dans le gaspillage. Un gaspillage énorme que n'ont jamais connu les pays occidentaux maintenant développés ni les pays asiatiques comme le Japon. Et puis, les infrastructures de développement n'ont pas été mises en place. La remise en cause des structures de l'époque coloniale n'a pas été faite. Elles sont restées intactes. L'agriculture n'a jamais été véritablement connectée avec l'industrie. Or, ça, c'est la base du développement : un développement agricole connecté avec le développement industriel. Que l'agriculture serve à la fois de débouché et de matière première pour l'industrie. Pour cela aussi, il faut avoir une énergie bon marché, mais des infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires surtout. Mais sur ce plan… Qu'est-ce qui a été construit comme chemin de fer en Afrique depuis l'indépendance ? Rien du tout. Les seules voies ferrées que nous avons, datent de l'époque coloniale. Or, le chemin de fer est le mode de transport le plus performant, le moins coûteux, le plus durable. Mais rien n'a été fait.
•Certains politiques et intellectuels rendent l'Occident responsable de ce retard. Pensez-vous que la faute doit être rejetée sur l'ancien colonisateur?
C'est une responsabilité partagée. L'Occident n'a jamais voulu qu'on se développe. Mais les Africains eux-mêmes, du moins ceux qui pilotent les économies africaines, ont aussi refusé le développement. Ils disent qu'ils font des projets de développement. Mais en réalité, ce qu'ils font, c'est de la politique au jour le jour qui n'a rien à voir avec le développement.
•Vous parliez à l'instant de gaspillage des ressources. Mettez-vous dans ce lot l'organisation du cinquantenaire avec faste ou encore la construction par le président Abdoulaye Wade, de la Statue de la Renaissance africaine qui a coûté environ 14 milliards de francs Cfa ? N'aurait-il pas été plus utile d'investir tout cet argent dans l'éducation et la santé ?
Absolument ! Quand on dépense presque 15 milliards de francs Cfa, comme s'il n'y avait pas de besoin prioritaire au Sénégal, ça reflète tout simplement ce que j'ai appelé l'absence de politique de développement. Une telle somme aurait pu servir à ériger des cellules photovoltaïques pour produire de l'énergie solaire en vue de pallier les insuffisances de l'énergie thermique qui était utilisée jusque-là. Parce que la statue là, elle ne sert à rien du tout. Surtout qu'elle a même soulevé beaucoup de controverses au plan religieux. Le Sénégal est un pays musulman à plus de 90%.
•Avez-vous aussi le sentiment d'être considérés par les dirigeants comme des empêcheurs de tourner en rond?
Nos réflexions sont dans le vide. Les intellectuels en Afrique sont considérés comme des ennemis. Dès que vous dites que ça ne va pas, on dit ''Il est contre nous''. Mais nous, nous ne sommes pas contre le pays. Mais contre ceux qui sous-développement le pays. Ils (les dirigeants, ndlr) n'admettent aucune réflexion, aucune critique. Quand vous allez aux Etats-Unis, en Europe, là-bas, les intellectuels sont associés à tout ce qui se fait. On les écoute. Mais en Afrique, il y a deux types d'intellectuels. Les intellectuels mercantiles qui ne regardent que du côté de l'argent. Qui se mettent à plat ventre devant les politiciens et qui leur servent des discours qu'ils aiment, qui les caressent dans les sens du poil. Ils entérinent tout ce qu'ils font. Quand bien même ils savent que ce n'est pas bon. Pourvu que ça fasse plaisir aux politiques. Les politiciens leur donnent ce qu'ils veulent : les honneurs, l'argent. Mais en réalité, ils les méprisent. Ils n'ont aucune considération pour eux. Et puis, il y a les autres. Ceux qui sont en dehors du système. Qui critiquent, non pas de façon négative, qui ne critiquent pas pour le plaisir de le faire, mais qui dénoncent ce qui ne va pas. Avec uniquement, le souci d'améliorer l'état des choses.
•Les politiques ne vous écoutent toujours pas. Pourtant, les résolutions de pré-colloque devront être appliquées par eux. Ne craignez-vous pas qu'elles soient remises aux calendes grecques ?
J'ai recommandé dans ce sens que le pré-colloque ne se termine pas sans formuler des propositions concrètes. Mais de toute façon, ce ne sera pas la première fois. J'ai eu à participer à beaucoup d'instances, de réunions, d'études par exemple sur les problèmes d'intégration économique régionale. Nous avons fait énormément de propositions qui dorment actuellement dans les tiroirs. C'est la même chose au niveau national dans les pays. Les critiques, les propositions faites par les intellectuels dans les pays respectifs ne sont pas pris en compte. Malheureusement.
•Si les institutions économiques sous-régionales ne servent à rien, comme vous dites, comment les pays arriveront-ils à l'indépendance économique qui est au centre de cette rencontre ?
L'indépendance économique, il faut la vouloir. D'abord, accepter de se déconnecter de l'extérieur. Ce qui ne se fait pas en ce moment. Les pays africains vivent d'importations. Surtout les élites. Tout ce qu'ils consomment est importé. Leurs nombreux voyages, c'est uniquement pour aller faire des achats à l'extérieur. C'est une forme d'importation. Mais il n'y a aucune valorisation des ressources locales qui permettent de créer des richesses, de la valeur ajoutée. Et ça, c'est l'étape cruciale du développement.
Propos recueillis par Bamba K. Inza
•Un demi-siècle après les indépendances, où pensez-vous que les Etats africains en général se trouvent en termes de démocratie, de développement ?
Tout ce qu'on peut constater, c'est que la situation n'est pas du tout reluisante. Dans les années 1960, on disait que l'Afrique noire est mal partie. Quand on regarde le point de départ de l'époque et le point d'arrivée d'aujourd'hui, il ne s'est pas passé grand-chose. La situation de l'Afrique ne s'est franchement pas améliorée, particulièrement au plan socio-économique. La population n'est pas la même entre 2010 et 1960. Mais, il est difficile de dire qu'aujourd'hui, elle vit mieux que celle de 1960 au début des indépendances.
•Avez-vous donc le sentiment qu'il y a plutôt eu un recul ?
Disons qu'il n'y a pas eu tellement de progrès. Je ne dis pas qu'il y a eu un recul, mais si on a stagné, ce n'est pas mieux.
•Qu'est-ce qui, à votre avis, pourrait expliquer cette stagnation ?
Il n'y a pas eu de véritable politique de développement. Pour faire le développement, il faut d'abord éviter le gaspillage. Or, les économies africaines n'ont été gérées que dans le gaspillage. Un gaspillage énorme que n'ont jamais connu les pays occidentaux maintenant développés ni les pays asiatiques comme le Japon. Et puis, les infrastructures de développement n'ont pas été mises en place. La remise en cause des structures de l'époque coloniale n'a pas été faite. Elles sont restées intactes. L'agriculture n'a jamais été véritablement connectée avec l'industrie. Or, ça, c'est la base du développement : un développement agricole connecté avec le développement industriel. Que l'agriculture serve à la fois de débouché et de matière première pour l'industrie. Pour cela aussi, il faut avoir une énergie bon marché, mais des infrastructures routières, énergétiques, ferroviaires surtout. Mais sur ce plan… Qu'est-ce qui a été construit comme chemin de fer en Afrique depuis l'indépendance ? Rien du tout. Les seules voies ferrées que nous avons, datent de l'époque coloniale. Or, le chemin de fer est le mode de transport le plus performant, le moins coûteux, le plus durable. Mais rien n'a été fait.
•Certains politiques et intellectuels rendent l'Occident responsable de ce retard. Pensez-vous que la faute doit être rejetée sur l'ancien colonisateur?
C'est une responsabilité partagée. L'Occident n'a jamais voulu qu'on se développe. Mais les Africains eux-mêmes, du moins ceux qui pilotent les économies africaines, ont aussi refusé le développement. Ils disent qu'ils font des projets de développement. Mais en réalité, ce qu'ils font, c'est de la politique au jour le jour qui n'a rien à voir avec le développement.
•Vous parliez à l'instant de gaspillage des ressources. Mettez-vous dans ce lot l'organisation du cinquantenaire avec faste ou encore la construction par le président Abdoulaye Wade, de la Statue de la Renaissance africaine qui a coûté environ 14 milliards de francs Cfa ? N'aurait-il pas été plus utile d'investir tout cet argent dans l'éducation et la santé ?
Absolument ! Quand on dépense presque 15 milliards de francs Cfa, comme s'il n'y avait pas de besoin prioritaire au Sénégal, ça reflète tout simplement ce que j'ai appelé l'absence de politique de développement. Une telle somme aurait pu servir à ériger des cellules photovoltaïques pour produire de l'énergie solaire en vue de pallier les insuffisances de l'énergie thermique qui était utilisée jusque-là. Parce que la statue là, elle ne sert à rien du tout. Surtout qu'elle a même soulevé beaucoup de controverses au plan religieux. Le Sénégal est un pays musulman à plus de 90%.
•Avez-vous aussi le sentiment d'être considérés par les dirigeants comme des empêcheurs de tourner en rond?
Nos réflexions sont dans le vide. Les intellectuels en Afrique sont considérés comme des ennemis. Dès que vous dites que ça ne va pas, on dit ''Il est contre nous''. Mais nous, nous ne sommes pas contre le pays. Mais contre ceux qui sous-développement le pays. Ils (les dirigeants, ndlr) n'admettent aucune réflexion, aucune critique. Quand vous allez aux Etats-Unis, en Europe, là-bas, les intellectuels sont associés à tout ce qui se fait. On les écoute. Mais en Afrique, il y a deux types d'intellectuels. Les intellectuels mercantiles qui ne regardent que du côté de l'argent. Qui se mettent à plat ventre devant les politiciens et qui leur servent des discours qu'ils aiment, qui les caressent dans les sens du poil. Ils entérinent tout ce qu'ils font. Quand bien même ils savent que ce n'est pas bon. Pourvu que ça fasse plaisir aux politiques. Les politiciens leur donnent ce qu'ils veulent : les honneurs, l'argent. Mais en réalité, ils les méprisent. Ils n'ont aucune considération pour eux. Et puis, il y a les autres. Ceux qui sont en dehors du système. Qui critiquent, non pas de façon négative, qui ne critiquent pas pour le plaisir de le faire, mais qui dénoncent ce qui ne va pas. Avec uniquement, le souci d'améliorer l'état des choses.
•Les politiques ne vous écoutent toujours pas. Pourtant, les résolutions de pré-colloque devront être appliquées par eux. Ne craignez-vous pas qu'elles soient remises aux calendes grecques ?
J'ai recommandé dans ce sens que le pré-colloque ne se termine pas sans formuler des propositions concrètes. Mais de toute façon, ce ne sera pas la première fois. J'ai eu à participer à beaucoup d'instances, de réunions, d'études par exemple sur les problèmes d'intégration économique régionale. Nous avons fait énormément de propositions qui dorment actuellement dans les tiroirs. C'est la même chose au niveau national dans les pays. Les critiques, les propositions faites par les intellectuels dans les pays respectifs ne sont pas pris en compte. Malheureusement.
•Si les institutions économiques sous-régionales ne servent à rien, comme vous dites, comment les pays arriveront-ils à l'indépendance économique qui est au centre de cette rencontre ?
L'indépendance économique, il faut la vouloir. D'abord, accepter de se déconnecter de l'extérieur. Ce qui ne se fait pas en ce moment. Les pays africains vivent d'importations. Surtout les élites. Tout ce qu'ils consomment est importé. Leurs nombreux voyages, c'est uniquement pour aller faire des achats à l'extérieur. C'est une forme d'importation. Mais il n'y a aucune valorisation des ressources locales qui permettent de créer des richesses, de la valeur ajoutée. Et ça, c'est l'étape cruciale du développement.
Propos recueillis par Bamba K. Inza