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Société Publié le lundi 10 mai 2010 | Nord-Sud

Transport Urbain - Ablo : Sourd-muet et apprenti-gbaka

Insolite ? À vous d'en juger. Notre équipe de reportage a fait la connaissance d'un apprenti-chauffeur sourd-muet qui a accepté de nous livrer ses secrets.

Dans le gbaka (véhicule de transport commun) qui roule vers Bingerville, les passagers n'en reviennent toujours pas. Depuis la gare de Bingerville, du '' marché Gouro'' où le véhicule a été chargé, ils n'ont cessé d'échanger sur la condition de l'apprenti-gbaka. C'est un garçon proche de la trentaine. Il porte un tee-shirt un peu long et un pantalon Jeans qu'il a coupé au niveau du tibia et qui met bien en exergue ses petits pieds minces terminés par des lèkè : (chaussure en plastique). Il n'entend pas et ne parle pas : c'est un sourd-muet. Comment peut-il choisir de faire un métier aussi compliqué que celui d'apprenti-gbaka où la communication est un élément fondamental ? D'ailleurs, l'apprenti ne les entend pas, attelé comme il est à la portière du gbaka. Son visage, très noir avec deux gros yeux, est cependant souriant. Quand on arrive à un arrêt, le passager qui doit descendre crie à haute voix au chauffeur et non à l'apprenti. Celui-ci gare, mais le passager paye à l'apprenti. Le garçon sait parfaitement combien il faut payer aux différents arrêts. À un arrêt, il prend le billet qu'un client lui tend, fait la monnaie pendant que le passager le regarde avec étonnement. Le gbaka repart. A Bingerville, quand tous les passagers descendent, il se pose un problème de monnaie entre un client et l'apprenti-gbaka. Difficile de se comprendre. L'apprenti ouvre sa main qui contient des pièces d'argent pour montrer au passager qu'il n'a pas la monnaie. Celui-ci regarde dans la paume du sourd-muet, prend des pièces et s'en va. L'apprenti-gbaka ne dit rien. Dans le brouhaha de la gare d'Adjamé à Bingerville, il faut charger le véhicule de nouveau pour Adjamé, ''marché Gouro''. L'apprenti, avec sa petite tête ronde sur environ un mètre soixante-dix, est à pied d'œuvre. Il frappe la portière du gbaka, court vers d'éventuels usagers, leur fait des gestes de main pour dire qu'il charge pour Adjamé. Certains le comprennent, vont monter dans le véhicule ; d'autres, par contre, ne décodent pas son message. Le chauffeur qui reste près de la voiture a l'œil sur lui. Il apporte des précisions aux passagers qui n'arrivent pas à communiquer avec son apprenti. Quand le véhicule fait son plein de passagers, on retourne à Adjamé ''marché-Gouro''.

Un apprenti qui ne parle pas aux clients

Et, nous nous posons cette même question que les passagers de tout à l'heure : qui est donc ce garçon, pour le moins curieux ? L'apprenti-gbaka, lui-même, ne saurait apporter de réponse à cette interrogation. Il faut s'en référer au conducteur du véhicule, Touré Bouako. « Il s'appelle Kéita Abdoulaye et je travaille avec lui depuis 1994 », explique le chauffeur. Kéita Abdoulaye a fêté ses 29 ans, le 14 mars dernier. À l'origine, c'est un jeune qui chargeait les véhicules à Adjamé-Liberté. Il avait alors treize ans, quand Bouako l'a rencontré un jour dans le bouillonnement des gares de wôrô-wôrô et de gbaka. Ce qui joue en ce moment en faveur d'Ablo, c'est son courage, « sa connaissance de l'argent », comme aime le dire Bouako. « J'ai décidé de lui venir en aide puisqu'il savait déjà compter ». Mais, il savait depuis ce moment que ce ne serait pas facile et que son geste serait purement social. D'abord, Abdoulaye commence en tant que chargeur, puis, après deux semaines, Bouako décide qu'il a très vite gravi les échelons. Il est désormais son apprenti-gbaka, son préféré. Après deux ans, le garçon se déconnecte. Il fait une année à la maison avant de revenir. Aujourd'hui, Abdoulaye a environ 15 ans de métier. Et, à force de se fréquenter, Bouako a fini par connaître le langage du sourd-muet et à pouvoir échanger facilement avec lui. Le chauffeur, jugeant qu'il a suffisamment fait l'apprenti-gbaka, lui a déjà proposé d'apprendre à conduire afin de devenir un jour chauffeur. « Il m'a expliqué qu'il n'entend pas et, donc, qu'il ne peut conduire ». Bouako, qui est lui-même en contrat, est conscient qu'un jour ou l'autre Abdoulaye devrait choisir de faire autre chose. Il sait que d'autres chauffeurs de gbaka ne voudront pas de lui comme apprenti. Il a déjà essayé. « Ils m'ont dit qu'il les ralentit dans le travail », explique Bouako. Sa difficulté de communiquer avec les clients constitue un handicap sérieux, reconnaît le chauffeur. Qui voudrait d'un apprenti-gbaka qui ne parle pas ? Il n'y a que lui seul qui accepte de le faire. Et encore, parce qu'il est devenu très attaché à Abdoulaye. Cependant, contrairement à ce qu'on peut penser, les clients adorent Abdoulaye. Sa situation démontre, aux yeux de beaucoup, la volonté du garçon de vouloir travailler. Quand on sait que plusieurs jeunes dans sa situation préféreraient encore aller mendier, il est honnête de lui tendre la perche. Pour l'anecdote, un jour, une dame qui était montée dans le gbaka et qui a découvert que le garçon était sourd-muet, lui a donné 3.000 Fcfa pour l'encourager. « Les clients lui donnent fréquemment de l'argent pour son courage et sa politesse». Malheureusement, certains ne l'aiment pas tant que ça. « Un jour, un client lui a porté main pour une affaire de monnaie. Je lui ai réglé son compte ». Il vaut mieux le savoir, qui touche à un cheveu d'Abdoulaye aura affaire à Bouako. Et Bouako, c'est un costaud de quarante ans tout en muscles. Pour ceux qui s'inquiètent de l'avenir du garçon, le chauffeur rassure : plus économiste que lui, tu meurs. Il possède deux baby-foots à Abobo où il habite. Bien qu'il vive chez sa grand-mère, Abdoulaye est marié et père d'un charmant garçon d'un an. Le problème, c'est qu'il est un peu…sélectif: sa femme est sourde-muette. Pourvu que l'enfant n'hérite pas des handicaps de ses parents. Prions Dieu.


Raphaël Tanoh
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