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Politique Publié le mardi 18 mai 2010 | Le Patriote

Réponse à Jean-Baptiste Akrou : Oui, la Côte d’Ivoire est une dictature !

Chaque fois que des voix s’élèvent – ainsi que des plumes se manifestent – pour affirmer que la Côte d’Ivoire est une dictature et que celui qui en incarne l’intégrité n’est rien moins qu’un dictateur, il s’en trouve toujours des personnes pour porter la contradiction. De bonne guerre, convenons-en, puisque ces contradicteurs sont en général des caudataires du régime en question et de son chef.

Ainsi, dans son édition d’hier, un confrère qu’on ne saurait, malgré les apparences qu’il se donne, exclure du conglomérat des journaux dits bleus, défenseurs acharnés du FPI et de Gbagbo, a tenté de battre en brèche cette assertion.

Voici en substance le postulat qui sous-tend l’éditorial dont ce confrère se fend : notre pays n’est pas une dictature et Laurent Gbagbo encore moins un dictateur, parce que les journalistes qui le traitent comme tel à longueur de journées, ne sont pas inquiétés outre mesure. Ils ne sont pas jetés en prison malgré l’impertinence, l’irrévérence, voire l’incivisme dont ils feraient preuve dans leurs écrits à l’égard de ce pouvoir.

Jean-Baptiste Akrou, puisqu’il faut le nommer, estime qu’on ne saurait parler de dictature s’agissant d’un régime qui fait preuve de mansuétude vis-à-vis d’une corporation (la presse), laquelle, selon lui, dans le contexte qui est celui de la Côte d’Ivoire, dont l’opposition politique à récemment appelé à une marche, a « repris à (son) compte des appels (de cette opposition) à l’insurrection et à la guerre civile ».

Furia destructrice

Le patron de Fraternité Matin se demande où est donc la dictature dans un pays où la démocratie est criante du seul fait que la presse est (laissée) trop libre de ses mouvements. Pour lui donc, un pays démocratique est un pays où les journalistes ne sont pas empêchés de relayer l’opinion ou les activités des partis politiques dont ils s’estiment proches. On est en démocratie, à en croire notre confrère, quand les journaux, proches de l’opposition notamment, fustigent le pouvoir et qu’il ne leur arrive rien. Tient-il le même raisonnement lorsqu’il s’agit des journaux proches du pouvoir qui injurient et jettent quotidiennement l’opprobre sur les dirigeants de l’opposition comme on le voit dans ce pays ? Sur cet aspect de la question, l’ancien pourfendeur du FPI reste malheureusement muet.

Mais s’il reste muet, c’est qu’il sait qu’il se prête à un jeu de manipulation de l’opinion, qui ne saurait faire recette. Car, pour lui qui parle de la liberté de la presse sous Gbagbo, les Ivoiriens lui poseront la question de savoir où sont Jean Hélène et Kieffer ? Ils lui demanderont d’expliquer la furia destructrice que le régime FPI a enclenché naguère contre les journaux et journalistes proches de l’opposition qui ont vu leurs locaux incendiés, leurs journaux déchirés dans les kiosques, leurs animateurs pourchassés et molestés. Ils voudront savoir pourquoi pour avoir critiqué Gbagbo dans un maquis, un citoyen a été jeté en prison et pourquoi certains confrères font actuellement l’objet de harcèlement à Gagnoa. En outre, ils l’interrogeront sur le sens de la liberté de la presse dans un pays où la télévision d’Etat est entre les mains d’un seul parti et de ses satellites. Akrou s’expliquera aussi sur le parti pris manifeste de Fraternité Matin, quotidien de service public alimenté par le contribuable ivoirien, pour Gbagbo et le FPI.

A la vérité, l’éditorialiste du journal progouvernemental est dans un jeu de diversion. Il réduit volontairement la notion de démocratie – ou de dictature, c’est selon – à la pratique journalistique pour ne pas avoir à répondre aux questions de fond qui sont les suivantes : pourquoi les journaux proches de l’opposition fustigent-ils tant le pouvoir ? La réponse en est simple : eh bien, tout naturellement parce qu’ils sont justement proches de cette opposition dont ils ont pour rôle de porter la voix.

Pourquoi donc la voix de cette opposition est-elle si verte et tonitruante à l’égard du pouvoir ? Pourquoi traite-t-elle le régime Gbagbo de dictature, de répressif, de policier, de violent, de sanguinaire ? Eh bien, parce qu’elle se souvient comme si c’était hier, des événements de mars 2004 où la soldatesque de Gbagbo n’a pas hésité à massacrer plus de 500 personnes pour la simple raison qu’elles voulaient organiser une marche pacifique. Elle a en outre, en mémoire, l’odieux charnier de Yopougon, les tueries gratuites opérées par les escadrons de la mort, celles non moins infâmes qui ont entouré les audiences foraines. Elle n’a pas encore fini de faire le deuil des assassinats collectifs de Gagnoa et Daloa consécutifs aux marches pacifiques pour protester contre la double dissolution de la CEI et du gouvernement.

Sans élection

Une dictature a-t-elle une carte d’identité autre que celle qui présente l’hideux faciès de ces atrocités d’un autre âge ? Que pèse diantre une hypothétique liberté de la presse sous un régime qui n’a aucun égard pour la vie humaine, celle des masses populaires pour le bien-être de qui il est censé travailler ? Qu’un journal se faisant l’écho d’une déclaration du RDR écrive à sa Une : «Gbagbo est un dictateur, il doit être chassé », cela est-il plus condamnable que le fait même que Gbagbo pose des actes de dictature préjudiciable à son peuple ? Qu’elle est bien curieuse, cette théorie « akrouenne » de la démocratie (ou de la dictature) qui veut qu’on dénonce celui qui, blessé dans sa chair, crie au forfait plutôt que celui qui en pose les actes ravageurs ! Le régime Gbagbo, n’en déplaise à Akrou, est une dictature. Une autre preuve en est que depuis plus de cinq ans, usant et abusant de tous les subterfuges du monde, ce cher « enfant des élections » refuse de se soumettre à ce qui reste le nerf sciatique de toute démocratie : les élections. A moins qu’il ne soit résigné à mourir de sa belle mort, comment un peuple peut-il dans ces conditions rester sans réagir ? C’est François Mitterrand qui le disait : « Un dictateur n’a pas de concurrent à sa taille tant que le peuple ne relève pas le défi ». Il faut croire que l’ancien président français n’avait pas tort en émettant cette réflexion, qui épouse bien les contours désespérants d’une Côte d’Ivoire prisonnière d’un homme qui a décidé de ramener tout à sa seule personne.

Koré Emmanuel
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