Deux visites d’échanges et de travail du président Laurent Gbagbo à leurs domiciles respectifs ont suffi. Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara ont déclaré, l’un à la suite de l’autre, leur volonté de baisser la garde, d’abandonner l’étroit chemin de la violence. Comment Laurent Gbagbo a-t-il pu ramener le putschiste Ouattara et son rancunier allié Bédié à la raison démocratique ? Les supputations vont bon train sur la potion magique pourtant évidente et simple. La paix définitive est-elle véritablement en marche sur la Côte d’Ivoire ? Nul ne le sait, mais l’inattendu (heureux) s’est accompli en deux actes. Acte 1 : le samedi 15 mai 2010, les jeunes du Rhdp n’ont pas marché. Soixante douze heures avant cette date, une déclaration conjointe signée de MM. Henri Konan Bédié (président du Pdci-Rda) et Alassane Ouattara (président du Rdr) a mis fin au projet fou de la jeunesse de cette coalition politique de l’opposition ivoirienne soutenant la rébellion armée du 19 septembre 2002. A vingt quatre autres heures de la date de la marche fatidique étouffée, le président Henri Konan Bédié se soumettait, pour une des rares fois, peut-être même la toute première dans sa longue carrière politique, à une conférence de presse dans l’optique d’expliquer le report sine die de la manifestation pacifique annoncée avec tant de mots chargés de violence. Ce qui a fait dire à Bédié que “l’esprit, l’objectif et les conditions de préparation de cet évènement qui se voulait pacifique ont été dévoyés. Ils étaient de nature à nous conduire à l’affrontement, à la chienlit, aux pertes en vies humaines et au risque de replonger notre pays dans la plus imprévisible des aventures”. Sous le fallacieux prétexte de marcher “pacifiquement pour arracher la date des élections au chef de l’Etat”, alors que la proposition de cette date est du ressort de la Commission électorale indépendante présidée par le ministre Youssouf Bakayoko, cadre du Pdci, parti membre du Rhdp, ces jeunes de la coalition de l’opposition promettaient ouvertement “d’occuper la rue pendant 15 jours pour faire tomber le régime Fpi”. L’intermédiation du ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, n’y a rien fait. Le ministre a été envoyé en vain auprès des candidats à la “chienlit” (dixit Bédié) par le président de la République et le Premier ministre, aux fins d’obtenir le report de l’évènement à cause des assemblées générales annuelles de la Bad. Et Innocent Kobénan Anaky, président du fantoche Mouvement des Forces d’avenir (Mfa), heureux de voir des jeunes jouer sur le terrain de l’extrémisme qu’il affectionne, avait jubilé, aux anges : “Le 15 mai, il se passera quelque chose !”. Quelle chose !? Pour le bonheur de la Côte d’Ivoire, on ne le saura peut-être jamais. Et pour cause. Acte 2 : le lundi 17 mai, Alassane Ouattara déclare à la presse : “Nous sommes d’accord pour avoir une liste électorale propre”. Rideau ! Tout ce qui s’est passé avant et pendant ces deux déclarations est à mettre au compte des préparatifs de cet autre miracle à l’ivoirienne, la paix des braves, qui vient de se réaliser. Souhaitons pour de bon. Mais comment cela a-t-il été possible ? Comment a-t-on obtenu la chute de la tension sociale, alors que, quelques jours auparavant, tout semblait concourir à un affrontement sanglant entre des jeunesses extrémistes de l’opposition décidées, selon Henri Konan Bédié, “à en découdre avec le pouvoir” et les Forces de défense et de sécurité décidées à ne pas permettre l’installation de la chienlit ? Qu’est-ce qui a motivé ce retour à la sagesse là où tout semblait perdu dans les abîmes des poussées de fièvres sataniques ? Tout s’est sûrement joué autour du 10 mai 2010. Quelque vingt quatre heures avant, le président Gbagbo a demandé et obtenu une rencontre avec le président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié. Le chef de l’Etat ivoirien souhaitait la séance d’échanges et de travail sous la supervision de M. Boureima Badini, représentant du président du Faso, Blaise Compaoré, facilitateur du processus de paix interivoirien. Au départ, c’est chez le diplomate burkinabé que la rencontre avait été programmée. Mais, revirement du président Gbagbo au dernier moment. “La rencontre se passera chez Bédié. Je suis le demandeur du rendez-vous et j’irai rencontrer le président Bédié chez lui !”, tranche finalement l’imprévisible président de la IIème République ivoirienne. Laurent Gbagbo, le chef d’Etat, a 64 ans. Son interlocuteur, Bédié, ancien président, en a 76. Dans cette Afrique des préséances gérontocratiques en maints domaines, la proposition empreinte d’humilité et de patriotisme du cadet a fait son effet chez l’aîné héritier constitutionnel de feu Félix Hoyphouet-Boigny. Le président du Pdci-Rda est désormais prêt à tout écouter et le fondateur du Front populaire ivoirien le pressent. Alors, à quelques heures de la rencontre, Laurent Gbagbo lui déroule l’ordre du jour en trois points. Primo, la confection de la liste électorale comme condition primordiale pour aller aux élections. Deuxio, la réunification du pays comme condition à l’organisation légale des élections. Et, tertio, la marche projetée par les jeunes du Rhdp le 15 mai 2010. Autre petit acte aux grands effets, le document de l’ordre du jour envoyé par le président Gbagbo à Bédié est assorti d’un bon petit paquet de preuves irréfutables de la présence de nombreux fraudeurs, surtout des ressortissants bon teint de la Cedeao, sur la liste électorale dite pourtant blanche et prête à l’usage. Selon des sources très crédibles, c’est avec ce document mis à sa disposition par le président Gbagbo et compulsé par ses propres experts que le président Henri Konan Bédié a réalisé l’ampleur de la fraude dénoncée jusque-là par les militants du Fpi et de La Majorité présidentielle. Alors, sur le sujet, Laurent Gbagbo trouve Henri Konan Bédié “déjà totalement acquis à la cause de l’urgence d’un sérieux nettoyage de la liste électorale !”. Le premier point de la rencontre est ainsi rapidement bouclé avant même d’être véritablement entamé et les deux hommes passent immédiatement à la nécessité de la réunification du pays avant l’élection présidentielle. Sur le sujet, le chef de l’Etat ivoirien trouve en Bédié un étonnant chantre de l’organisation des élections dans un pays totalement réunifié. Le président du Pdci-Rda va même plus loin que les exigences des partisans de La Majorité présidentielle focalisées jusqu’ici sur les conditions sécuritaires du vote : “Je suis entièrement d’accord. Il faut réaliser le désarmement, il faut que tout le personnel administratif et de sécurité, ainsi que l’administration douanière et fiscale soient redéployés et installés”, déclare le président Bédié. Qui se tourne vers le Premier ministre Guillaume Soro Kigbafori et l’interpelle avec insistance, sous les regards de l’assistance, comme pour lui signifier l’urgence de ce chronogramme. Ne restait alors que le sujet de la marche projetée par les jeunes. Dans son exposé, le président Gbagbo rassure Henri Konan Bédié qu’il n’entend pas interdire la manifestation de la jeunesse du Rhdp comme les rumeurs nées de la médiation du ministre Tagro l’ont laissé croire. Il en sollicite tout simplement le report afin que les assemblées générales annuelles de la Banque africaine de Développement se tiennent dans un environnement propice à la décision du retour des activités opérationnelles de cette institution à son siège à Abidjan. Enfin, retraçant les péripéties qui ont abouti à la décision de l’organisation de cette réunion à Abidjan, Laurent Gbagbo rappelle à Konan Bédié que, contrairement à ce que l’on fait croire, c’est à la suite du coup d’Etat qui l’a renversé le 24 décembre 1999 que la campagne pour faire partir la Bad de son siège d’Abidjan a été entamée. Il lui précise que la rébellion du 19 septembre 2002 n’a fait que permettre d’achever le complot déjà ourdi contre la Côte d’Ivoire à la suite du coup d’Etat dont la gestion n’a pas répondu à certaines mesquines attentes. “Dès le 12 mai, les premiers fonctionnaires de la Bad arrivent à Abidjan. Organiser des manifestations violentes le 15 mai, c’est comme une participation des Ivoiriens que nous sommes à saboter nos propres efforts pour le retour de l’institution dont le monde entier nous a confié la garde”, explique à peu près, Laurent Gbagbo pourconclure. Ici encore, le discours du chef de l’Etat a fait mouche. Henri Konan Bédié est coincé et reconnaît la nécessité de ne point gêner les assemblées générales annuelles de la Bad. Il balbutie que la marche du 15 mai sera pacifique et qu’elle ne peut être reportée. Cependant, le président du Pdci promet à Laurent Gbagbo de convaincre les jeunes du Rhdp de marcher loin des zones sensibles d’Abidjan-sud.“La marche ne sera pas reportée, mais elle va se dérouler à Yopougon, Abobo, Adjamé et à l’intérieur du pays. Il ne se passera rien à Port-Bouët à cause de l’aéroport, au Plateau et à Cocody, lieux d’hébergement et de travail des hôtes de la Bad!”, fait entendre Bédié. Le président Gbagbo ne croit visiblement pas en la capacité de son interlocuteur à faire avaler une telle pilule aux autres responsables et aux jeunes du Rhdp. Mais il ressort de chez le président du Pdci-Rda, ce 10 mai 2010, avec la satisfaction d’avoir posé la dynamite qui allait faire exploser et annuler la marche en gestation. Il se convainc que l’ordre du jour de la rencontre avec Bédié, à quelques exceptions près, doit être porté à l’attention d’Alassane Ouattara… Vingt quatre heures après la séance de travail entre le président Gbagbo et M. Bédié, une rencontre des leaders du Rhdp s’est achevée dans la bagarre entre pro et anti-marcheurs au siège du Pdci-Rda. La veille, la même rencontre appelée à décider de l’opportunité ou non de la marche des jeunes Rhdp s’était achevée en queue de poisson. Et la réunion du 11 mai était organisée pour “prendre une décision finale”. C’est justement à cette réunion que de nombreux cadres modérés du Pdci-Rda et du Rdr d’Alassane Ouattara se sont rendus compte qu’ils étaient pris en otage par l’aile extrémiste du Rhdp. “Nous avons découvert qu’il se tramait des opérations bizarres autour de cette marche”, relate un cadre du Rhdp. Les informations et quelques détails sur ces “bizarreries” sont parvenus aux oreilles d’Henri Konan Bédié, mettant le président du Pdci hors de lui. “Ça ne se passera pas comme ça!”, aurait pesté Bédié. La suite est connue. Le miracle, on l’a dit, s’est produit. Pourvu que ça dure. Car, les Ivoiriens continuent de garder un amer souvenir de ces genres de rencontres et de dialogues. Au lendemain du Forum pour la réconciliation nationale, les “Quatre Grands” de la politique ivoirienne, Laurent Gbagbo, Konan Bédié, Robert Guéi et Alassane Ouattara, s’étaient retrouvés sur les restes de feu Félix Houphouet-Boigny à Yamoussoukro. De leur conclave, est sorti un chronogramme d’actions pour ramener la paix dans le pays. L’application de cet accord avait commencé, le 5 août 2002, par le 2ème gouvernement Affi N’Guessan marqué par l’entrée du Rdr d’Alassane Ouattara dans l’équipe gouvernementale. Les Ivoiriens croyaient en la fin de leur souffrance quand, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, ils ont été tirés de leur rêve d’une Côte d’Ivoire paisible par la sale rébellion qui dure depuis huit ans ! Le seul souvenir qui leur est resté au travers de la mémoire est que pendant que, Gbagbo s’humilie pour ramener la paix, les autres font des calculs pour l’enlever du palais présidentiel par un coup d’Etat. Peut-on, dans ce cas, croire en la dernière potion politique de l’historique opposant à Houphouet ? Ce miracle de la mi-mai peut-il constituer l’exception à la règle ? Qui vivra verra ! César Etou cesaretou2002@yahoo.fr
Politique Publié le jeudi 20 mai 2010 | Notre Voie
Pour ramener Bédié et Ouattara à la raison - Voici la potion magique de Gbagbo
© Notre Voie Par Cecom RDRSortie de crise: ADO a reçu le président Gbagbo
Lundi 17 mai 2010. Abidjan, Cocody. Résidence du Dr Alassane Dramane Ouattara. Le président du RDR reçoit le président Laurent Gbagbo