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Société Publié le mardi 1 juin 2010 | L’expression

Pré collecte d’ordures ménagères - Un boulot humiliant qui fait des heureux

Autrefois, abandonnée aux étrangers par les Ivoiriens qui la trouvaient avilissante, la collecte des ordures ménagères est devenue l’affaire de tous par ces temps de difficultés économiques. Chaque jour, on voit dans les quartiers d’Abidjan, des jeunes de toutes origines croupissant sous le poids des charrettes d’ordures et d’autres, devant des monceaux d’ordures, s’activent à charger des camions en partance pour la décharge d’Akouédo.


Il est 11 h, ce mardi 11 mai lorsque nous arrivons à la place du dépôt d’ordures de Cocody Agban. Plantés devant une camionnette, pelles en main, le nez couvert d’un protège, les pieds fourrés dans des bottes, deux jeunes au visage couvert de sueur remplissent une camionnette. Ces ordures seront acheminées à la décharge d’Akouédo. Le troisième vide les seaux placés non loin. « Nous sommes au boulot depuis 6h30. Comme tu le vois, ce n’est pas facile. Mais nous sommes dedans quand même », indique, avec un air maussade, L. Z, l’un des trois employés de la société de ramassage d’ordures Clean Bor-ci. « Mon vieux, il faut être un guerrier plein pour faire ce travail », lance F.B, un collègue de L.Z. Comme eux, de nombreux jeunes exercent dans des sociétés de pré-collecte. « Les entreprises de ramassage sont nombreuses. Et elles emploient plusieurs jeunes », explique Diomandé Abraham, qui travaille depuis deux ans dans une société de pré collecte de la place. Kraff-Ci, Lds (Lassire déchets service), Intercor, Clean Bor-Ci, Villers et d’autres moins connues ou cotées se partagent le marché de la pré collecte. « Ce sont des entreprises privées qui travaillent en collaboration avec les mairies des communes où elles sont implantées », révèle K. V de Villers. A travers cette collaboration, précise K. V., ces sociétés versent des droits aux mairies. En retour, elles bénéficient, souvent, de l’assistance technique des communes. Pour obtenir du travail dans ces sociétés, il faut se soumettre à un vrai parcours de combattant. « Les sociétés de ramassage ont besoin de main d’œuvre pour faire le travail. Mais avant qu’on ne vous embauche, vous devez beaucoup peiner », reconnaît le jeune K.V. Il ajoute qu’avant d’exercer au sein d’une société de ramassage d’ordures, les jeunes sont soumis à un test de visite médicale. Le jeune éboueur déplore cependant le racket de certains agents recruteurs. Ceux-ci, accuse-t-il, profitent de la visite médicale pour rançonner les demandeurs d’emploi. « Si vous ne voulez pas être déclaré inapte, il faut débourser quelque chose », lâche-t-il avant de souligner que certains parmi eux sont recrutés sur la base d’un concours. Une fois admis au sein de l’entreprise, le plus dur commence. Très vite, le nouveau venu comprend que les choses ne sont pas roses. Les fins de mois donnent des migraines à ces milliers de jeunes qui, pour joindre les deux bouts, ont embrassé ce métier. A commencer par la petite paie qui tombe au lance-pierre. « Le salaire est très maigre. Mais comment allons-nous faire ? Le marché du travail est fermé à cause de la crise. Les demandes sont supérieures à l’offre. Quand on demande une revalorisation du salaire, on vous remplace par quelqu’un d’autre très rapidement », confie L. Z. Le pré-collecteur est pointé 1.500 Fcfa la journée. Ce qui fait un salaire mensuel de 45.000 Fcfa. A condition qu’il travaille le week-end. « 45.000 Fcfa, ce n’est rien du tout par rapport à ce que nous faisons comme boulot. On nous dit que nous avons 8 heures de travail dans la journée. Or, nous travaillons tous les jours jusqu’au soir», dénonce K. V qui contient difficilement sa colère. Quotidiennement en contact direct avec les ordures, ils sont exposés à des maladies, sans aucune couverture médicale. « A part les vaccins qu’on nous fait avant d’entrer dans le corps, nous ne bénéficions d’aucune prise en charge médicale », lâche K. V. « Quand vous tombez malade, vous vous traitez avec vos propres moyens. Nos employeurs ont pour souci de gagner beaucoup d’argent. Nos conditions de travail ne les préoccupent pas », renchérit L. Z. Il ajoute que l’entreprise qui l’emploie avait initié la distribution des boîtes de ‘‘Bonnet rouge’’ pour, dit-elle, protéger les travailleurs de certaines maladies et pour ‘‘laver’’ leur cœur. « Cette opération n’a duré que deux semaines », note-t-il. Mais nos tentatives pour rencontrer les responsables de ces entreprises ne seront pas fructueuses. Les représentants des chefs d’entreprises que nous avons rencontrés à la décharge d’Akouédo ont refusé de se prononcer sur la vie et le fonctionnement de leurs entreprises d’une part et d’autre part sur le traitement et la situation sociale du personnel. Ils nous ont renvoyé vers leurs supérieurs hiérarchiques, les propriétaires de ces entreprises. Aux sièges de Clean Bor-Ci et de Lassire déchets services (Lds) où nous nous sommes rendu, nos efforts pour rencontrer les responsables ont été vains. Les responsables de Lds ont dit ne pas être prêts à échanger avec la presse. Quant à Clean Bor-ci, l’entreprise a relevé la non disponibilité des ses responsables. Sur le terrain, les pré-collecteurs, pour plus d’efficacité, se sont organisés. Ils ont constitué des équipes qui travaillent en alternance. Cette programmation du travail a cependant un contre-coût : le pré-collecteur n’arrive pas à réaliser des économies. « Cette situation nous contraint à être toujours au point zéro financièrement », regrette L. Z.

Petits ramasseurs gros gains

La pré-collecte des quartiers à la décharge d’Akouédo se fait à la chaîne. En amont, on trouve les petits ramasseurs. Ils passent de cour en cour, vident les poubelles avant l’arrivée des collecteurs professionnels. Ils sont les premiers à rassembler les ordures dans un endroit où l’accès est facile aux professionnels. Souvent, les ordures ménagères sont entreposées en bordure de rues ou des ruelles. Les agents des grandes sociétés viennent plus tard ramasser ces dépôts. Ces pré-collecteurs sont pour la plupart des déscolarisés. Munis de charrettes, ils parcourent les quartiers. « Je gagne ma vie avec ce que je fais. Certains se moquent de nous, mais ils ne savent pas ce nous gagnons dans la poubelle », affirme Tioté Vamara. Marié et père deux enfants, il vit avec sa petite famille à Abobo. Ces pré-collecteurs ont une liste d’abonnés pour ils assurent le service. Le client paie une caution qui varie entre 1.000 et 2.000 Fcfa selon le quartier. C’est le même montant chaque mois. Dans le contrat, le pré-collecteur est tenu de passer tous les deux jours, pour vider la poubelle. « Avec le ramassage des ordures dans un quartier, nous pouvons facilement avoir 100.000 Fcfa par mois », révèle « Kabako », un ramasseur connu du côté du Plateau-Dokoui. «A force d’être gentil avec les boss, ajoute-t-il, certains nous font de gros cadeaux ». Ce système ‘‘D’’ a permis à nombre de jeunes de se réaliser. Kabako a pu, grâce aux ordures, s’offrir un magasin de chaussures au marché de Treichville.
S’il est bien de s’en sortir, il remarque que les pré collecteurs, tout comme les ramasseurs dans les quartiers sont confrontés à diverses problèmes. Ils sont exposés à la risée générale. Beaucoup les traitements de sales ou demi fous. « C’est dur, on nous traite de tout. Nous travaillons malgré la honte », avance Bouziro B. pourtant Kabako, se dit fier et heureux. « J’ai plusieurs fois fait des prêts à des fonctionnaires et à des pères de famille dans mon quartier », se vante-t-il avant d’ajouter qu’il ne travaille pas par contrainte. L’organisation du travail de ces jeunes dépend d’eux-mêmes. Ils se font souvent remplacer par leurs apprentis. Des amitiés qui gâtent tout. La familiarité entre certains ramasseurs et leurs clients influence négativement leur travail. La vieille Amélie déplore le service des ramasseurs qui à force de travailler pendant longtemps dans leur cour ne respectent plus le délai des services. « Comme je les considère maintenant comme mes enfants, les jeunes qui viennent vider nos poubelles ne respectent plus les délais de ramassage. Ils viennent quand ils veulent. Et pendant ce temps, notre cours pue », se désole-t-elle. Bouziro B., lui, justifie le non respect des temps de passage: « Si nous ne respectons pas les deux jours d’intervalle dans certaines cours, c’est en connaissance de cause. Il y a des cours où pendant une semaine, vous trouverez toujours la poubelle vide. Lorsque nous remarquons ces cours, nous préférons conserver nos énergies en y passant deux fois dans la semaine ».

Sylvain Beugré

Encadré.

Un métier à risques

S’il est vrai qu’il n’y a pas de sot métier, force est de reconnaître qu’il y a des métiers à risques. Ainsi la santé des pré-collecteurs et des ramasseurs de quartier n’est pas loin d’être affectée. Ils sont exposés à plusieurs maladies qui pour la plupart sont pulmonaires et cutanées. Les maladies dont ces travailleurs sont victimes sont généralement la tuberculose, le cancer pulmonaire, la fièvre typhoïde et la gale. A en croire Séry Diéto, infirmier à la clinique « Le Bon Samaritain » dans la commune de Koumassi, les pré collecteurs ne sont pas à l’abri de ces maladies pour les raisons suivantes : Les résidus qu’ils ramassent sont composés de produits chimiques, de restes d’excréments et de la décomposition de plusieurs corps. En respirant ces odeurs fermentées et suffocantes, les poumons qui sont exposés à la tuberculose, et au cancer. En plus, les vapeurs qui se dégagent chaque fois de ces ordures peuvent être les causes de certaines maladies cutanées comme la gale et même le cancer de la peau. En conclusion, selon lui, les agents des sociétés de ramassage d’ordure doivent constamment faire un bilan de santé.

S. B.

Leg : Comme ce jeune, le ramassage des ordures ménagères est devenu le gagne-pain de plusieurs personnes.

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