La semaine qui vient de s’achever a été agitée, comme la précédente, par la polémique sur l’affaire «Tagro et le concours d’entrée à l’Ecole de police», qui rebondit de manière spectaculaire en ce début de semaine. L’aubaine est bien évidemment trop belle pour les députés du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui ont vilipendé «la transformation de la Police Nationale en milice privée au service d`un clan mais entretenue par l`ensemble de la communauté nationale». Leurs partis auraient toutefois tort de s’exonérer de toute responsabilité dans la mise en place progressive d’un système politique où l’Etat, propriété de tous, se trouve de plus en plus vampirisé au profit d’organisations privées qui le mettent en coupe réglée. En réalité, il faudrait profiter de cette polémique pour engager une réflexion en profondeur sur la conception de la chose publique en Côte d’Ivoire en cette année jubilaire.
Depuis qu’il existe, l’Etat ivoirien s’est-il déjà mis au service de la communauté nationale dans son ensemble ? On est en droit d’en douter. Le parti unique est par définition synonyme de privatisation de l’Etat, dans la mesure où un groupement s’arroge un monopole par la force et va jusqu’à prélever des impôts forcés sur tous les salaires, y compris ceux des individus qui le maudissent. Qui se souvient aujourd’hui qu’historiquement, la Garde républicaine ivoirienne était une milice privée au service exclusif du PDCI, ex-parti unique ? Et que c’est de cette Garde qu’un personnage comme Ibrahim Coulibaly dit «IB», putschiste multirécidiviste, est issu ?
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Ce type de confusion au sommet a d’ailleurs failli plonger le Cameroun dans une guerre civile en 1984 dans la mesure où Ahidjo, ayant quitté la tête de l’Etat et gardé la présidence du parti, prétendait être au dessus de son successeur désigné Paul Biya, et avoir une forme de préséance quant à la définition de la politique du gouvernement.
C’est pour en finir avec ces ambiguïtés que les Africains se sont dressés au début des années 1990 pour obtenir le multipartisme. Ils voulaient en finir avec la prise en otage de leurs pays par des groupes subordonnant les intérêts du pays aux leurs et imposant une pensée unique improductive. Malheureusement, notre multipartisme a accouché, devant nos yeux, d’une multitude de «partis uniques». La compétition politique s’est transformée en lutte à mort de clans pour le contrôle des ressources nationales. La bataille sanglante entre les partis et les «armées» de Denis Sassou N’Guesso, Pascal Lissouba et Bernard Kolélas, quasiment tous financés par la même entreprise – la Française Elf Aquitaine – a été, d’une certaine manière, le révélateur dramatique d’un nouveau paradigme.
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Pour revenir à la Côte d’Ivoire, l’Histoire retiendra sans doute que la grande accélération de la vampirisation de l’Etat a eu lieu le 24 janvier 2003 dans un stade de rugby de la ville de Linas-Marcoussis, en région parisienne. Sous l’égide du maître d’antan, les différents partis politiques et des organisations qui auraient été considérées comme criminelles dans le «monde civilisé», en l’absence du moindre représentant de l’Etat lui-même, se sont littéralement partagé le pays. Selon leur caractère stratégique ou «juteux», les ministères ont été attribués, en dehors de tout consentement populaire, à des groupements privés. Le top départ du pourrissement était donné. Dans une atmosphère de grande irresponsabilité, où – et c’est étonnant – le parti dont le chef de l’Etat est issu, n’a pas eu d’inhibition particulière et s’est lancé dans la «sarabande folle» sous le prétexte qu’il ne s’agissait plus, là, de son «pouvoir».
Peu d’observateurs ont mis en relation la controverse sur les procédures de recrutement dans la Fonction publique et l’annonce de l’intégration, dans la Douane, de 250 ex-rebelles au sein de la Douane, au titre de l’accord de Ouagadougou. Une intégration qui est dans la continuité d’un processus qui a continué à faire des ex-rebelles des militaires, des policiers, voire des enseignants… Si l’on veut être cynique –, la «cooptation politique» au sud relève du même type de logique, d’autant plus que les groupes d’autodéfense n’ont pas officiellement bénéficié de mesures de «réinsertion» au sein des structures officielles de l’Etat, contrairement à leurs ex-adversaires. De chacun des deux côtés, les belligérants récompensent leurs «bons petits»…
Expliquer ces logiques, ce n’est pas les excuser. C’est aller à leur genèse pour les déraciner. Il faut de toute urgence civiliser le combat politique, ramener les militaires dans les casernes dont ils n’auraient jamais dû sortir, créer les conditions de l’accouchement d’un Etat impartial. Un combat d’autant plus difficile que, pour l’instant, la «majorité silencieuse» de ceux qui veulent que ça change est prise au piège du combat politique du moment, ceux qui la constituent étant tout aussi divisés dans leurs allégeances politiques que le reste du pays.
Théophile Kouamouo
Depuis qu’il existe, l’Etat ivoirien s’est-il déjà mis au service de la communauté nationale dans son ensemble ? On est en droit d’en douter. Le parti unique est par définition synonyme de privatisation de l’Etat, dans la mesure où un groupement s’arroge un monopole par la force et va jusqu’à prélever des impôts forcés sur tous les salaires, y compris ceux des individus qui le maudissent. Qui se souvient aujourd’hui qu’historiquement, la Garde républicaine ivoirienne était une milice privée au service exclusif du PDCI, ex-parti unique ? Et que c’est de cette Garde qu’un personnage comme Ibrahim Coulibaly dit «IB», putschiste multirécidiviste, est issu ?
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Ce type de confusion au sommet a d’ailleurs failli plonger le Cameroun dans une guerre civile en 1984 dans la mesure où Ahidjo, ayant quitté la tête de l’Etat et gardé la présidence du parti, prétendait être au dessus de son successeur désigné Paul Biya, et avoir une forme de préséance quant à la définition de la politique du gouvernement.
C’est pour en finir avec ces ambiguïtés que les Africains se sont dressés au début des années 1990 pour obtenir le multipartisme. Ils voulaient en finir avec la prise en otage de leurs pays par des groupes subordonnant les intérêts du pays aux leurs et imposant une pensée unique improductive. Malheureusement, notre multipartisme a accouché, devant nos yeux, d’une multitude de «partis uniques». La compétition politique s’est transformée en lutte à mort de clans pour le contrôle des ressources nationales. La bataille sanglante entre les partis et les «armées» de Denis Sassou N’Guesso, Pascal Lissouba et Bernard Kolélas, quasiment tous financés par la même entreprise – la Française Elf Aquitaine – a été, d’une certaine manière, le révélateur dramatique d’un nouveau paradigme.
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Pour revenir à la Côte d’Ivoire, l’Histoire retiendra sans doute que la grande accélération de la vampirisation de l’Etat a eu lieu le 24 janvier 2003 dans un stade de rugby de la ville de Linas-Marcoussis, en région parisienne. Sous l’égide du maître d’antan, les différents partis politiques et des organisations qui auraient été considérées comme criminelles dans le «monde civilisé», en l’absence du moindre représentant de l’Etat lui-même, se sont littéralement partagé le pays. Selon leur caractère stratégique ou «juteux», les ministères ont été attribués, en dehors de tout consentement populaire, à des groupements privés. Le top départ du pourrissement était donné. Dans une atmosphère de grande irresponsabilité, où – et c’est étonnant – le parti dont le chef de l’Etat est issu, n’a pas eu d’inhibition particulière et s’est lancé dans la «sarabande folle» sous le prétexte qu’il ne s’agissait plus, là, de son «pouvoir».
Peu d’observateurs ont mis en relation la controverse sur les procédures de recrutement dans la Fonction publique et l’annonce de l’intégration, dans la Douane, de 250 ex-rebelles au sein de la Douane, au titre de l’accord de Ouagadougou. Une intégration qui est dans la continuité d’un processus qui a continué à faire des ex-rebelles des militaires, des policiers, voire des enseignants… Si l’on veut être cynique –, la «cooptation politique» au sud relève du même type de logique, d’autant plus que les groupes d’autodéfense n’ont pas officiellement bénéficié de mesures de «réinsertion» au sein des structures officielles de l’Etat, contrairement à leurs ex-adversaires. De chacun des deux côtés, les belligérants récompensent leurs «bons petits»…
Expliquer ces logiques, ce n’est pas les excuser. C’est aller à leur genèse pour les déraciner. Il faut de toute urgence civiliser le combat politique, ramener les militaires dans les casernes dont ils n’auraient jamais dû sortir, créer les conditions de l’accouchement d’un Etat impartial. Un combat d’autant plus difficile que, pour l’instant, la «majorité silencieuse» de ceux qui veulent que ça change est prise au piège du combat politique du moment, ceux qui la constituent étant tout aussi divisés dans leurs allégeances politiques que le reste du pays.
Théophile Kouamouo