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Sport Publié le mercredi 14 juillet 2010 | Le Patriote

Interview / Roger Milla (ancien footballeur camerounais et membre de la CAF): "Il faut donner aux entraîneurs nationaux leur chance"

© Le Patriote Par DR
Football/Mondial 2010 - L`Espagne se qualifie pour les 1/4 de finales, en battant le Portugal (1-0)
Mardi 29 juin 2010. Green Point Stadium, Cape Town, Afrique du Sud. Photo: le sélectionneur de l`équipe d`Espagne Vicente del Bosque (à droite) et son homologue portugais Carlos Queiroz
Il n’est plus à présenter. Le vieux lion Camerounais a traîné sa bosse sur les stades du monde. Aujourd’hui membre de la CAF, Roger Milla a suivi la première Coupe du monde africaine. Fier et satisfait, l’homme n’est pourtant pas tendre avec le football africain.

Vous venez de suivre la première Coupe du monde en Afrique, quelles sont les impressions qui se dégagent après ce Mondial ?
Je crois qu’on a plus besoin de faire beaucoup de commentaires concernant le football africain. Le monde entier reconnaît sa valeur et la valeur des footballeurs africains. Je souhaite à présent que les dirigeants africains reconnaissent la valeur de notre football. C’est là toute la différence. Ils passent pour être des dirigeants mais au fond, ils ne connaissent pas ce football et ils ne l’aiment pas.

Pour revenir à cette Coupe du monde, il y avait beaucoup de doutes et des à priori. A la fin, quel bilan tirez-vous ?
Je pense que nous avons eu une Coupe du monde parfaite. C’est une satisfaction énorme pour le continent africain. Il faut dire que ce Mondial s’est déroulé en Afrique du Sud mais c’est tout le continent africain qui a participé à cette organisation. C’est ce qui a fait sa beauté. Les journalistes européens qui avaient émis de sérieuses réserves après l’attribution de cette Coupe du monde à l’Afrique du Sud doivent avoir honte aujourd’hui. J’espère qu’ils auront le recul nécessaire pour s’excuser auprès du continent africain. Nous sommes un continent qui peut faire beaucoup de choses. Qu’on arrête donc de nous traiter comme des mendiants et je ne sais quoi encore. Il faut que ceux qui gèrent nos Etats comprennent maintenant et surtout nous écoutent quand nous parlons de football. Qu’ils sachent que seuls les footballeurs savent de quoi ils parlent quand il s’agit du football. C’est comme les techniciens de commerce, de l’économie, etc parlent de leur secteur. Qu’ils arrêtent de mettre des mécaniciens à la place des plombiers.

Vous parlez de la bonne organisation et vous semblez oublier le mauvais parcours des sélections africaines?
Oui il faut le dire, c’est la plus grosse déception. Moi j’étais convaincu que nous pourrions placer au moins quatre équipes en quarts de finale. Malheureusement, ça s’est très très mal passé parce que-là encore, on n’a pas voulu nous écouter. Cela fait deux ans que je dénonce le désordre de l’équipe nationale du Cameroun, que les joueurs ne s’entendent pas, ce sont des rivalités inutiles…on m’a taxé de fouteur de désordre, que mon intelligence ne valait rien…

Vous revenez sur votre guéguerre avec Samuel Eto’o avant le Mondial?
Bon ! Ecoutez, tout le monde m’appelle aujourd’hui pour reconnaître que j’avais raison. Le ministre, le président de la fédération, tous m’appellent pour dire que j’avais raison et qu’il faut maintenant réfléchir à la suite et trouver un autre entraîneur. Si depuis deux ans et demi, on m’avait écouté, le Cameroun aurait eu un meilleur résultat que cette piètre prestation. C’est pareil pour la Côte d’Ivoire qui a une très grande équipe mais qui n’arrive jamais au bout. Il faut que ceux qui décident nous écoutent un tout petit peu…

Où se situe donc le problème ?
Je pense qu’il y a un problème de jalousie. Les dirigeants de notre football préfèrent se tourner vers des étrangers qui ne comprennent rien à notre manière de fonctionner plutôt que de se tourner vers des ressources comme nous les anciens joueurs. Ils pensent que l’intelligence vient toujours d’ailleurs. Il faut qu’ils comprennent qu’il est temps pour nous africains, de nous prendre en charge et de mettre des projets en place. Mais il ne faut pas demander à un africain de faire le même travail qu’un expatrié et continuer de lui donner son salaire de fonctionnaire. Même s’ils n’ont pas besoin de toucher autant que les techniciens étrangers, ils doivent être à l’abri du besoin. Sinon, ça ne marchera pas. Car ils passeront leur temps à racketter les joueurs et leurs familles.

Mais dans ce tableau sombre, le Ghana n’apparaît-il pas comme une satisfaction ?
C’est vrai que le Ghana a fait honneur à l’Afrique toute entière. Mais il faut reconnaître que le Ghana a bénéficié d’un calendrier beaucoup plus facile que la plupart des autres pays africains. C’était aussi le cas du Cameroun qui avait un calendrier moins difficile comme le Ghana. Mais la mauvaise ambiance entre les joueurs et les dirigeants a vite fait de sortir le Cameroun. Toute chose que j’ai décriée bien avant. Aujourd’hui, ils me disent que j’avais raison. Mais ce n’est pas le plus important. Moi j’ai pas besoin d’avoir raison. C’est le peuple qui souffre et c’est le Président qui met les moyens. Il leur faut s’excuser auprès de ce peuple qui fait beaucoup de sacrifices pour son équipe nationale.

Selon vous qu’est ce qui a manqué à la Côte d’Ivoire ?
Ce qui a manqué à la Côte d’Ivoire, c’est surtout un mental de fer. Sur le papier, la Côte d’Ivoire est la meilleure équipe. Mais les joueurs ne sont pas des compétiteurs. J’en ai même discuté avec le Président Ivoirien en marge de la célébration du cinquantenaire à Yaoundé. Quand il m’a demandé, je lui dis qu’en principe, aucune équipe, même européenne, n’a la richesse des Eléphants. Malheureusement, je lui ai aussi dit que les joueurs de cette équipe manquaient de mental, d’esprit de gagneur. Il ne suffit pas de jouer bien mais il faut gagner. Le beau jeu n’est pas le plus important. Il faut gagner.

Est-ce que l’entraîneur n’est pas venu tard?
C’est aussi un problème dans nos pays africains. Quand un entraîneur vient à quelques semaines du Mondial, il n’a pas le temps de connaître son monde. Raison pour laquelle Göran (Sven-Göran Eriksson) a laissé un garçon rapide et dangereux comme Koné Bakari à la maison. J’espère que le prochain entraîneur que la Côte d’Ivoire va prendre, si elle ne continue pas avec Eriksson, doit venir vite pour qu’il ait le temps de préparer son équipe.

Guy Roux disait pour les équipes africaines : il faut soit un entraîneur local ou quelqu’un qui parle la langue du pays. Etes-vous d’accord avec lui ?
Je suis tout à fait d’accord avec lui. Et c’est d’ailleurs mon combat dès que je vais rentrer au Cameroun. Il faut donner aux nationaux leur chance. Ils ont les mêmes diplômes et les mêmes qualités que tous ces entraîneurs. Le seul problème, c’est le traitement salarial qu’on leur réserve. On les laisse avec leur petit salaire de fonctionnaire ! Et ce dernier est obligé de racketter les familles des joueurs. Il faut bien les rémunérer et on verra qu’ils peuvent faire mieux que certains expatriés. Si on prend une fois encore le cas du Cameroun, le seul technicien qui a gagné les Jeux Olympiques, c’est un Camerounais. C’est Akono Jean-Paul. Mais ce dernier était en train de faire un bon travail en équipe nationale, mais ses propres frères, des ministres et tous ceux qui avaient des relations avec l’ambassadeur de France ont commencé à lui mettre les bâtons dans les roues.

Ce Mondial africain a également réveillé les vieux démons. Surtout après les nombreuses erreurs d’arbitrage, le débat sur la vidéo a refait surface ?
Tous les jours, nous en discutons à la FIFA. Et d’ailleurs en septembre prochain, on aura une réunion sur ce point précis. Je pressens que cette rencontre va être houleuse mais il convient de noter que c’est vraiment délicat comme situation. Maintenant que le cas a touché directement les Anglais à cause du but refusé injustement à l’Angleterre, il faut s’attendre à ce que le Board réagisse. Moi je suis pour qu’il y ait un cinquième arbitre avec une vidéo et qui doit directement communiquer avec le central. Si c’était le cas, le but anglais n’aurait pas été refusé.

Vous êtes donc pour la vidéo ?
Moi je suis pour la vidéo, car je ne pense pas que cela va changer le fond du jeu. Mais que la vidéo va aider les arbitres à faire moins d’erreurs. Regardez par exemple cette Coupe du monde, le volet arbitral est le plus mauvais. Il y a eu trop d’erreurs d’arbitrage qui ont joué directement sur le résultat final de certains matchs. Ce qui naturellement crée des frustrations. Je voudrais ajouter qu’avant les européens accusaient plus les arbitres africains. Mais tout le monde a vu que leurs arbitres commettaient des erreurs grossières.

Un mot sur l’engouement, la mobilisation du public et surtout le soutien du peuple sud-africain aux sélections africaines ?
C’était magnifique et il faut tirer le chapeau au public sud-africain qui a joué le jeu jusqu’au bout malgré l’élimination de son équipe. C’était vraiment extraordinaire. Et il faut noter qu’ils n’ont pas fait que supporter les équipes africaines mais toutes les équipes. La preuve en est que les stades sont restés toujours pleins jusqu’à la finale. Je pense qu’après les USA en 1994, c’est la meilleure Coupe du monde que nous avons vu au plan de l’engouement populaire. Nos avons vu ce fameux vuvuzela que les Européens ont critiqué. C’était une fausse polémique et aujourd’hui les Européens se sont accaparés du vuvuzela. Il est vrai qu’il fait un peu trop de bruit mais aujourd’hui, on nous apprend que l’Allemagne fabrique déjà des vuvuzelas.
Mais c’est le lieu de féliciter Blatter et Issa Hayatou qui, contre vents et marées, ont maintenu cette Coupe du monde en Afrique et ils n’ont pas eu tort. L’Afrique mérite du respect.
Koné Lassiné
(Envoyé spécial)
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