La vie est chère au marché de Bondoukou. Les populations n’arrivent plus à acheter les provisions, surtout celles qui sont riches en protéines, nécessaires à une bonne nutrition.
La viande et le poisson, désormais un luxe, ne sont plus à la portée de bon nombre de ménages. Pour agrémenter la sauce de leur unique repas quotidien, les populations de Bondoukou, durement frappées par la crise économique ivoirienne, ont choisi de se nourrir de «kpolo». Il s’agit de morceaux de peau de bœuf passée au feu pour être débarrassée de ses poils avant d’être revendue sur le marché. Une sorte de «viande dure à cuire», pénible à mâcher, flexible, avec un petit goût qui flatte quelque peu le palais et vous laisse toujours sur votre faim. Cet épiderme sans goût est offert en abondance sur les marchés de la ville aux «mille mosquées» dont les commerçants en profitent au maximum. Les foyers à revenus modestes de la ville ne peuvent s’en passer. Ils se sont résolus à consommer le «kpolo». Ils trouvent les prix plus abordables. 100 francs l’unité, selon les grossistes.
La ruée vers le «kplo»
Chaque jour, au marché central, Ouattara Adjara achète du kpolo pour 200 francs, 1 kilogramme de riz, dénikacha à 400 francs, de l’huile pour 100 francs et le tour est joué pour elle et sa famille. Perdue dans d’insolubles calculs, depuis le lever du soleil, Abenan Odile, elle aussi, refuse d’essayer d’en faire plus que la bourse familiale ne le permet. Acheter des provisions au marché de Bondoukou et faire la cuisine pour une famille de 8 personnes est un véritable casse-tête chinois pour elle. La cause : elle ne dispose pour cela que de 1000 francs. « Les familles à faibles revenus comme la mienne n’ont pas la possibilité d’acheter de la viande ou du poisson. Le kilogramme de viande coûte aujourd’hui 1500 francs, le poisson appolo revient à 800 francs le kilo. Alors que, chaque jour, pour faire le marché, je ne dispose que de 1000 francs», explique Odile, d’un ton triste. Et de poursuivre, «le kpolo, qui nous revient moins cher, parfume la sauce et lui donne la saveur de la viande de bœuf. L’essentiel, pour nous, est de remplir l’estomac, de survivre… j’espère que vous comprenez ?», ajoute-t-elle, visiblement épuisée par ses nombreuses promenades au marché central. Depuis 8 heures, elle déambule sans arrêt entre les étalages des vendeuses de produits vivriers. Le front dégoulinant de sueur, elle marque un arrêt du côté sud du marché pour discuter des prix de tomates et d’oignons, sans pouvoir en acheter. Dans la capitale du Zanzan, de nombreuses femmes, comme Odi?le, vivent au quotidien le calvaire. A côté de cette interminable et pénible épreuve des ménagères appauvries par la crise économique, d’autres femmes ont développé, autour du Kpolo, une autre forme de commerce très fructueux. La vente de placali, un repas africain fait essentiellement à base de manioc. Ce type de nourriture, au prix abordable, est très prisé. Kouamé Affoua Christiane est vendeuse de kplo et de placali, au quartier commerce, près du rond-point du musée. Elle juge son activité ‘’difficile certes, mais rentable’’. «Le commerce de placali est rentable. Mais, j’avoue que ce qui fait le plus vendre le plakali, c’est le pkolo. Les élèves sont nos plus gros clients. Pendant l’année scolaire, chaque matin, avant de se rendre à l’école, ils achètent du placali et du kplo», témoigne la vendeuse de placali avec un large sourire.
Une affaire de goût !
Dongo Kouakou Dieudonné, élève en classe de terminale au lycée moderne de Bondoukou indique, pour sa part, les raisons qui amènent ses camarades et lui à consommer si abondamment le placali et le Kplo. «C’est un repas accessible aux élèves qui n’ont pas de gros moyens et qui luttent pour survivre. Avec du placali à 50 francs et du Pkolo pour 50 francs, vous avez des forces jusqu’à midi», soutient avec enthousiasme le futur bachelier.
Autour de la vendeuse de placali et de kpolo, des hommes et femmes attendent d’être servis. D’autres assis sous un hangar, avalent à la sauvette des boules de Plakali servies dans des assiettes en terre cuite. De toutes leurs forces, ils saisissent le kpolo avec leurs incisives ou leurs canines pour en déchirer un morceau qu’ils mâchent rageusement avant de l’avaler. Le spectacle est impressionnant quand la peau de bœuf préparée présente une résistance (certainement parce qu’elle n’est pas suffisamment cuite). L’on assiste alors à un acharnement des mangeurs. Il arrive qu’après avoir mâché un morceau indocile sous la dent comme de l’élastique, le mangeur le lâche par inadvertance, salissant tous les autres clients autour de lui. Mais, ici, pas question de se fâcher ou de se soucier pour ses dents. Après un «excusez-moi !» qui est vite accepté, on continue de se faire plaisir : manger avec délectation, le kpolo.
Parmi les consommateurs de kpolo, il n’y a pas que des indigents. Les ménages au revenu moyen achètent également ce « substitut de viande ». Monique Kouadio, couturière au quartier Kôkô raffole de repas contenant la peau de bœuf. Le kpolo et le placali constituent son petit-déjeuner de tous les jours. « Le plakali et le kpolo passent très bien. C’est un repas facile à digérer. Il n’est pas possible, pour moi, de manger le placali sans du kpolo », justifie-t-elle. A 5 mètres de son atelier de couture, Hermine Saki, informaticienne, nous est aussi présentée comme une inconditionnelle de kpolo et de placali. Les doigts suspendus à son clavier, les yeux figés sur l’écran de son ordinateur, Mlle Saki, sans le moindre complexe, vante élogieusement ce qui constitue son petit-déjeuner préféré. «Pour moi, ce n’est pas une affaire de pauvreté. Je trouve que le kpolo est meilleur dans la sauce graine mêlée de gombo et dans d’autres sauces gluantes. C’est dans ces sauces-là qu’on perçoit aisément son goût», révèle-t-elle. A l’abattoir de la ville, chaque jour, en moyenne, 8 bœufs sont abattus pour satisfaire la demande en viande des populations. Pendant les jours de réjouissance, ce sont une vingtaine de bœufs qui sont immolés. Les animaux mis à mort sont soigneusement débarrassés de leurs armatures avant d’être dépecés. Sur-le- champ, les pattes, la tête, la queue et la peau des animaux immolés sont revendues aux kpolotiguis, les vendeurs grossistes de kpolo pour une somme qui varie entre 40.000 et 60.000 francs, selon la taille de l’animal. A observer les palabres des grossistes de Kpolo pour s’approprier leur marchandise, on réalise aisément la valeur gustative de cet aliment.
On se bat à l’abattoir… pour la peau !
Après d’interminables discussions, dans un français approximatif, entremêlé de Malinké et de Koulango, les langues les plus parlées de la région, Abdoul Ba, célèbre grossiste de kpolo réussit à arracher sa part. Il pousse enfin un ouf de soulagement. Mais, le célèbre grossiste reste quelque peu sur sa faim. Depuis quelque temps, ses affaires ne comblent plus ses espérances. «Pendant l’année scolaire, la demande de kpolo est très forte certainement à cause de la présence massive des élèves et enseignants. Nous faisions alors de bonnes affaires. Mais, à partir de juin jusqu’en septembre, les affaires se portent mal. Malgré tout, la vente de kpolo nourrit bien son homme», explique Abdoul Ba.
Jean Michel Ouattara à Bondoukou
La viande et le poisson, désormais un luxe, ne sont plus à la portée de bon nombre de ménages. Pour agrémenter la sauce de leur unique repas quotidien, les populations de Bondoukou, durement frappées par la crise économique ivoirienne, ont choisi de se nourrir de «kpolo». Il s’agit de morceaux de peau de bœuf passée au feu pour être débarrassée de ses poils avant d’être revendue sur le marché. Une sorte de «viande dure à cuire», pénible à mâcher, flexible, avec un petit goût qui flatte quelque peu le palais et vous laisse toujours sur votre faim. Cet épiderme sans goût est offert en abondance sur les marchés de la ville aux «mille mosquées» dont les commerçants en profitent au maximum. Les foyers à revenus modestes de la ville ne peuvent s’en passer. Ils se sont résolus à consommer le «kpolo». Ils trouvent les prix plus abordables. 100 francs l’unité, selon les grossistes.
La ruée vers le «kplo»
Chaque jour, au marché central, Ouattara Adjara achète du kpolo pour 200 francs, 1 kilogramme de riz, dénikacha à 400 francs, de l’huile pour 100 francs et le tour est joué pour elle et sa famille. Perdue dans d’insolubles calculs, depuis le lever du soleil, Abenan Odile, elle aussi, refuse d’essayer d’en faire plus que la bourse familiale ne le permet. Acheter des provisions au marché de Bondoukou et faire la cuisine pour une famille de 8 personnes est un véritable casse-tête chinois pour elle. La cause : elle ne dispose pour cela que de 1000 francs. « Les familles à faibles revenus comme la mienne n’ont pas la possibilité d’acheter de la viande ou du poisson. Le kilogramme de viande coûte aujourd’hui 1500 francs, le poisson appolo revient à 800 francs le kilo. Alors que, chaque jour, pour faire le marché, je ne dispose que de 1000 francs», explique Odile, d’un ton triste. Et de poursuivre, «le kpolo, qui nous revient moins cher, parfume la sauce et lui donne la saveur de la viande de bœuf. L’essentiel, pour nous, est de remplir l’estomac, de survivre… j’espère que vous comprenez ?», ajoute-t-elle, visiblement épuisée par ses nombreuses promenades au marché central. Depuis 8 heures, elle déambule sans arrêt entre les étalages des vendeuses de produits vivriers. Le front dégoulinant de sueur, elle marque un arrêt du côté sud du marché pour discuter des prix de tomates et d’oignons, sans pouvoir en acheter. Dans la capitale du Zanzan, de nombreuses femmes, comme Odi?le, vivent au quotidien le calvaire. A côté de cette interminable et pénible épreuve des ménagères appauvries par la crise économique, d’autres femmes ont développé, autour du Kpolo, une autre forme de commerce très fructueux. La vente de placali, un repas africain fait essentiellement à base de manioc. Ce type de nourriture, au prix abordable, est très prisé. Kouamé Affoua Christiane est vendeuse de kplo et de placali, au quartier commerce, près du rond-point du musée. Elle juge son activité ‘’difficile certes, mais rentable’’. «Le commerce de placali est rentable. Mais, j’avoue que ce qui fait le plus vendre le plakali, c’est le pkolo. Les élèves sont nos plus gros clients. Pendant l’année scolaire, chaque matin, avant de se rendre à l’école, ils achètent du placali et du kplo», témoigne la vendeuse de placali avec un large sourire.
Une affaire de goût !
Dongo Kouakou Dieudonné, élève en classe de terminale au lycée moderne de Bondoukou indique, pour sa part, les raisons qui amènent ses camarades et lui à consommer si abondamment le placali et le Kplo. «C’est un repas accessible aux élèves qui n’ont pas de gros moyens et qui luttent pour survivre. Avec du placali à 50 francs et du Pkolo pour 50 francs, vous avez des forces jusqu’à midi», soutient avec enthousiasme le futur bachelier.
Autour de la vendeuse de placali et de kpolo, des hommes et femmes attendent d’être servis. D’autres assis sous un hangar, avalent à la sauvette des boules de Plakali servies dans des assiettes en terre cuite. De toutes leurs forces, ils saisissent le kpolo avec leurs incisives ou leurs canines pour en déchirer un morceau qu’ils mâchent rageusement avant de l’avaler. Le spectacle est impressionnant quand la peau de bœuf préparée présente une résistance (certainement parce qu’elle n’est pas suffisamment cuite). L’on assiste alors à un acharnement des mangeurs. Il arrive qu’après avoir mâché un morceau indocile sous la dent comme de l’élastique, le mangeur le lâche par inadvertance, salissant tous les autres clients autour de lui. Mais, ici, pas question de se fâcher ou de se soucier pour ses dents. Après un «excusez-moi !» qui est vite accepté, on continue de se faire plaisir : manger avec délectation, le kpolo.
Parmi les consommateurs de kpolo, il n’y a pas que des indigents. Les ménages au revenu moyen achètent également ce « substitut de viande ». Monique Kouadio, couturière au quartier Kôkô raffole de repas contenant la peau de bœuf. Le kpolo et le placali constituent son petit-déjeuner de tous les jours. « Le plakali et le kpolo passent très bien. C’est un repas facile à digérer. Il n’est pas possible, pour moi, de manger le placali sans du kpolo », justifie-t-elle. A 5 mètres de son atelier de couture, Hermine Saki, informaticienne, nous est aussi présentée comme une inconditionnelle de kpolo et de placali. Les doigts suspendus à son clavier, les yeux figés sur l’écran de son ordinateur, Mlle Saki, sans le moindre complexe, vante élogieusement ce qui constitue son petit-déjeuner préféré. «Pour moi, ce n’est pas une affaire de pauvreté. Je trouve que le kpolo est meilleur dans la sauce graine mêlée de gombo et dans d’autres sauces gluantes. C’est dans ces sauces-là qu’on perçoit aisément son goût», révèle-t-elle. A l’abattoir de la ville, chaque jour, en moyenne, 8 bœufs sont abattus pour satisfaire la demande en viande des populations. Pendant les jours de réjouissance, ce sont une vingtaine de bœufs qui sont immolés. Les animaux mis à mort sont soigneusement débarrassés de leurs armatures avant d’être dépecés. Sur-le- champ, les pattes, la tête, la queue et la peau des animaux immolés sont revendues aux kpolotiguis, les vendeurs grossistes de kpolo pour une somme qui varie entre 40.000 et 60.000 francs, selon la taille de l’animal. A observer les palabres des grossistes de Kpolo pour s’approprier leur marchandise, on réalise aisément la valeur gustative de cet aliment.
On se bat à l’abattoir… pour la peau !
Après d’interminables discussions, dans un français approximatif, entremêlé de Malinké et de Koulango, les langues les plus parlées de la région, Abdoul Ba, célèbre grossiste de kpolo réussit à arracher sa part. Il pousse enfin un ouf de soulagement. Mais, le célèbre grossiste reste quelque peu sur sa faim. Depuis quelque temps, ses affaires ne comblent plus ses espérances. «Pendant l’année scolaire, la demande de kpolo est très forte certainement à cause de la présence massive des élèves et enseignants. Nous faisions alors de bonnes affaires. Mais, à partir de juin jusqu’en septembre, les affaires se portent mal. Malgré tout, la vente de kpolo nourrit bien son homme», explique Abdoul Ba.
Jean Michel Ouattara à Bondoukou