En pleine effervescence électorale - le scrutin présidentiel est programmé le 31 octobre- , le juge Patrick Ramaël fait le forcing sur les dossiers Kieffer et Ghelber. Ca chauffe sur la lagune...
La justice est parfois indépendante du pouvoir politique, jamais affranchie des enjeux politiques. En charge de deux dossiers épineux - la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer et le bref enlèvement de l'avocat d'affaires Xavier Ghelber, survenus l'une et l'autre à Abidjan en 2004 -, le juge Patrick Ramaël a atterri en Côte d'Ivoire le 3 octobre, soit quelques heures après l'envol vers Paris du secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, venu amorcer la normalisation des relations franco-ivoiriennes. Il en repartira mercredi prochain, à moins de trois semaines d'un scrutin présidentiel maintes fois différé depuis le terme du mandat de Laurent Gbagbo, en octobre 2005. Pour corser le tout, la double enquête incrimine des membres de l'entourage immédiat du chef d'Etat sortant...
Course d'obstacles
Comment s'étonner dès lors que le séjour sur la lagune Ebrié du magistrat parisien ressemble à s'y méprendre à une course d'obstacles? A ce stade, il n'a pu exécuter les deux commissions rogatoires internationales dûment transmises à la justice ivoirienne. Il s'agissait notamment d'auditionner divers témoins et de confronter Me Ghelber, venu le temps d'une visite-éclair à Abidjan en compagnie de son confrère Jean-René Farthouat, bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris, avec quatre membres présumés du commando qui l'avait kidnappé dans sa chambre de l'hôtel Ivoire dans la nuit du 6 au 7 novembre 2004, tous membres de la Garde présidentielle. Et ce, ainsi qu'il le confirme dans un entretien accordé sur place à Joseph Tual (France 3), avant d'être conduit à la résidence de Gbagbo. Mandaté à l'époque par l'Union européenne, Xavier Ghelber conduisait un audit de la filière cacao, l'une des légendaires pompes à finances du régime. Au micro de RFI, il a dénoncé ce vendredi matin, en termes choisis, une "mauvaise manière" de la magistrature abidjanaise.
Quand la guigne s'acharne... Aucun des deux magistrats chargés de l'affaire côté ivoirien ne peut venir en aide à Patrick Ramaël. Le juge Koffi, magistrat en charge du dossier côté ivoirien? Il soigne... à Paris une "indigestion" aussi "grave" que providentielle. Quant à son adjoint, aux prises avec un agenda surchargé, il n'a pas une minute à lui consacrer. En théorie, rien n'interdit de nommer un troisième instructeur pour déverrouiller le processus. A ceci près que le procureur d'Abidjan s'y refuse, au nom de l'indépendance de la magistrature. Avant d'endosser la robe du procureur: "Le juge Ramaël, s'indigne Raymond Tchimou, auprès de l'AFP, débarque ici au mépris du respect de la courtoisie entre magistrats" et "joue au shérif comme dans un western."
"Le pire moment"
Western ou thriller à épisodes? Une certitude: même s'il rentre à Paris bredouille, le juge français n'a pas grillé toutes ses cartouches. Compte tenu des éléments de preuves dont il dispose, et qu'un expert familier du dossier juge plus que compromettantes pour la présidence ivoirienne, Ramaël pourrait par exemple émettre dès son retour des mandats d'arrêt internationaux, visant les ravisseurs supposés de Ghelber, voire tel ou tel acteur du rapt fatal à Guy-André Kieffer.
Reste une énigme que l'on soumettrait volontiers aux élèves de l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux: le calendrier électoral ivoirien est-il propice au bouclage des enquêtes en cours. C'est "le pire moment", avance une source ivoirienne. "Coup d'éclat médiatique en pleine période de campagne", accuse en écho Me Rodrigue Dadjé, avocat de la Première Dame Simone Gbagbo. "C'est le meilleur si tout le monde veut sortir de ce bourbier par le haut", rétorque un "initié" français.
Par Vincent Hugeux
La justice est parfois indépendante du pouvoir politique, jamais affranchie des enjeux politiques. En charge de deux dossiers épineux - la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer et le bref enlèvement de l'avocat d'affaires Xavier Ghelber, survenus l'une et l'autre à Abidjan en 2004 -, le juge Patrick Ramaël a atterri en Côte d'Ivoire le 3 octobre, soit quelques heures après l'envol vers Paris du secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, venu amorcer la normalisation des relations franco-ivoiriennes. Il en repartira mercredi prochain, à moins de trois semaines d'un scrutin présidentiel maintes fois différé depuis le terme du mandat de Laurent Gbagbo, en octobre 2005. Pour corser le tout, la double enquête incrimine des membres de l'entourage immédiat du chef d'Etat sortant...
Course d'obstacles
Comment s'étonner dès lors que le séjour sur la lagune Ebrié du magistrat parisien ressemble à s'y méprendre à une course d'obstacles? A ce stade, il n'a pu exécuter les deux commissions rogatoires internationales dûment transmises à la justice ivoirienne. Il s'agissait notamment d'auditionner divers témoins et de confronter Me Ghelber, venu le temps d'une visite-éclair à Abidjan en compagnie de son confrère Jean-René Farthouat, bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris, avec quatre membres présumés du commando qui l'avait kidnappé dans sa chambre de l'hôtel Ivoire dans la nuit du 6 au 7 novembre 2004, tous membres de la Garde présidentielle. Et ce, ainsi qu'il le confirme dans un entretien accordé sur place à Joseph Tual (France 3), avant d'être conduit à la résidence de Gbagbo. Mandaté à l'époque par l'Union européenne, Xavier Ghelber conduisait un audit de la filière cacao, l'une des légendaires pompes à finances du régime. Au micro de RFI, il a dénoncé ce vendredi matin, en termes choisis, une "mauvaise manière" de la magistrature abidjanaise.
Quand la guigne s'acharne... Aucun des deux magistrats chargés de l'affaire côté ivoirien ne peut venir en aide à Patrick Ramaël. Le juge Koffi, magistrat en charge du dossier côté ivoirien? Il soigne... à Paris une "indigestion" aussi "grave" que providentielle. Quant à son adjoint, aux prises avec un agenda surchargé, il n'a pas une minute à lui consacrer. En théorie, rien n'interdit de nommer un troisième instructeur pour déverrouiller le processus. A ceci près que le procureur d'Abidjan s'y refuse, au nom de l'indépendance de la magistrature. Avant d'endosser la robe du procureur: "Le juge Ramaël, s'indigne Raymond Tchimou, auprès de l'AFP, débarque ici au mépris du respect de la courtoisie entre magistrats" et "joue au shérif comme dans un western."
"Le pire moment"
Western ou thriller à épisodes? Une certitude: même s'il rentre à Paris bredouille, le juge français n'a pas grillé toutes ses cartouches. Compte tenu des éléments de preuves dont il dispose, et qu'un expert familier du dossier juge plus que compromettantes pour la présidence ivoirienne, Ramaël pourrait par exemple émettre dès son retour des mandats d'arrêt internationaux, visant les ravisseurs supposés de Ghelber, voire tel ou tel acteur du rapt fatal à Guy-André Kieffer.
Reste une énigme que l'on soumettrait volontiers aux élèves de l'Ecole nationale de la magistrature de Bordeaux: le calendrier électoral ivoirien est-il propice au bouclage des enquêtes en cours. C'est "le pire moment", avance une source ivoirienne. "Coup d'éclat médiatique en pleine période de campagne", accuse en écho Me Rodrigue Dadjé, avocat de la Première Dame Simone Gbagbo. "C'est le meilleur si tout le monde veut sortir de ce bourbier par le haut", rétorque un "initié" français.
Par Vincent Hugeux