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Économie Publié le lundi 11 octobre 2010 | Notre Défi

Interview Ouattara Mavin (président de l’Union des Victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues-UVTAB) - «Avec nous, les victimes seront indemnisées à la hauteur du crime commis»

En 2006, les Ivoiriens ont été victimes des déchets toxiques. Une situation qui a causé d’énormes préjudices à l’Etat de Côte d’Ivoire, qui a fait mains et pieds pour que les victimes soient indemnisées. Cela va dès lors engendrer la création de nombreuses structures de victimes. Au nombre de celles-ci, figure l’Union des Victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues, créée en 2006. Dans cette interview, son président Ouattara Marvyn, nous explique les actions menées par sa structure, l’indemnisation des victimes commis et leur prise en charge médicale.



Vous êtes le président d’une association des victimes des déchets toxiques en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous la présenter?

Je vous remercie de l’intérêt que vous accordez à notre structure. L’Union des victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues a été portée sur les fonts baptismaux le mardi 26 septembre 2006. Elle est déclarée au Journal Officiel de la République de Côte d’Ivoire. Par conséquent, elle a non seulement la personnalité juridique, mais surtout la capacité juridique. Comme objectifs, nous luttons pour l’indemnisation complète de toutes les victimes. Et nous voulons la dépollution totale de tous les sites et la prise en charge médicale de tous les malades. Enfin, l’indemnisation complète de toutes les victimes des déchets toxiques. Pour ce faire, nous avons fait une étude à court, moyen et long terme sur les conséquences de déversement des déchets toxiques à Abidjan et banlieues, sur l’homme, l’environnement et aussi sur la défense des droits de l’Homme en la matière. Voici donc résumés les grands objectifs de notre ONG.


Cela fait exactement plus de quatre ans que ‘’le cargo de la mort’’ descendait dans les eaux de la lagune Ebrié pour déverser ces déchets toxiques. Après donc ces quatre ans passés, quel bilan pouvez-vous faire du combat que mène votre structure ?

Quatre ans après, je pense que le bilan n’est pas tout à fait reluisant. Je pense qu’après le déversement des déchets toxiques, l’Etat de Côte d’Ivoire a essayé de faire ce qu’il pouvait. Le 13 janvier 2010 à Ouagadougou, le Ministre de l’intérieur Désiré Tagro, alors porte-parole de la Présidence, négociait 100 milliards de francs CFA avec les avocats de Trafigura et cette somme a commencé à être distribuée à 95.000 victimes ambulatoires, en raison de 200.000F chacun. Les victimes économiques ont été aussi indemnisées, ainsi que les victimes du secteur informel que sont les pêcheurs, les agriculteurs, les bouviers. C’est ce que l’Etat de Côte d’Ivoire pouvait faire. Mais nous, en tant que ONG, nous avons aussi le droit d’aller réclamer réparation de ce préjudice. C’est ce que nous sommes en train de faire. Donc, pour parler de bilan, je pense que ce qu’il reste à faire, c’est la dépollution totale de quelques sites. Il y a aussi la construction de cet hôpital que nous attendons de tous nos vœux. Lequel permettra aux victimes d’être soulagés, d’avoir une prise en charge à vie pour se soigner. Car, comme le disait le 1er avocat de Laurent Gbagbo, Mario Stasi (son avocat quand il était dans l’opposition en 1992 et ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris) le 5 mai 2008 : « il faut faire en sorte que les victimes aient une prise en charge surtout avec le statut des victimes. Parce que l’amiante qui était dans la peinture en France a tué des français. Et ceux qui ont lutté pour être victimes de l’amiante, sont aujourd’hui soignés gratuitement, même si on sait que la sécurité sociale de la France est la plus développée en Europe ». Nous attendons donc ce statut de victimes qui permettra aux victimes de se soigner gratuitement parce qu’il faudra payer une petite contribution. Avec cette nouvelle procédure que nous avons entamée dans notre lutte, les victimes auront beaucoup d’espoir.


Vous parlez d’indemnisation des victimes. Or sur le terrain, il existe une multitude d’associations. Qui va-t-on indemniser finalement ?

Effectivement, c’est là où se trouve tout le mal. J’ai écrit à son temps une lettre au Ministre de l’intérieur pour qu’il dise au Président de la République de faire très attention. Une enquête est même sortie dans un quotidien de la place. L’enquête a révélé que la seule ONG qui a la capacité juridique sur le terrain, c’est bien l’UVTAB. C’est pourquoi, j’ai écrit au Ministre de l’intérieur pour dénoncer des personnes qui payent des temps d’antenne pour arnaquer les Ivoiriens. Malheureusement, je n’ai pas eu de réponses. Je sais qu’il existe une multitude d’associations de victimes de déchets toxiques. Et d’autres sont nées à la faveur de la distribution des 750.000F. Et c’est maintenant que beaucoup parlent. Mais j’estime qu’il appartient au Ministre de l’intérieur de regarder de plus près sur cette affaire. Parce que ce qu’on constate, c’est que les gens sont malades et on leur demande de débourser de l’argent pour faire les dossiers. Et pourtant, ces structures n’ont pas la capacité juridique. Tu n’as pas d’avocat et tu demandes de l’argent aux malades. Ça veut dire que ces derniers sont victimes deux fois. Victimes des déchets toxiques et victimes des arnaqueurs. Je pense que c’est à l’Etat de Côte d’Ivoire et au Ministre de l’intérieur de s’occuper cette histoire.


Ce que l’on ne comprend pas, c’est que des victimes ont déjà reçu la somme de 750.000 F comme indemnisation. l’on se demande dès lors le sens de votre combat. Pour qui luttez-vous alors?

Le combat continue pour la simple raison que la dépollution des sites n’est pas encore effective. C’est comme le cas d’une personne qui est sale et qui porte un habit tout blanc. Les déchets sont encore là, à Abidjan, surtout à la Djibi et tous ceux qui ont le malheur de les respirer une seule fois, tombent malades. Donc, il faut se battre pour qu’on enlève le reste des déchets à Abidjan. C’est ce qu’on appelle la dépollution totale des sites en vue d’une prise en charge médicale des malades. Pour cette indemnisation à laquelle vous faite allusion, elle ne concerne que 30.000 victimes qui ont décidé de donner mandat au cabinet anglais Leigh & Co de les représenter. Ce sont eux qui viennent de recevoir chacun 750.000 F. Ma structure n’a donné mandat à aucun cabinet. Par contre, les malades nous ont donné mandat d’aller chercher un avocat, et Dieu merci, on a l’avocat et nous avons une procédure qui a été jugée recevable à la Haute Cour de Justice de Londres.


Votre plainte ayant été jugée recevable, à quoi doivent s’attendre alors les victimes de votre structure ?

C’est vrai que notre plainte a été jugée recevable, mais il y avait un problème. Il fallait que nous ayons les moyens pour engager cette procédure. Et on a eu la chance que l’entreprise ne savait pas que nous n’étions pas prêts. On dit merci à Dieu, sinon on allait courcircuiter le procès, on ne serait même pas allé au procès parce qu’on allait rejeter notre affaire. Dieu merci, la plainte a été jugée recevable et un groupe d’assureurs, a accepté d’assurer notre procédure. Il y a une réassurance qu’ils ont demandée, parce que l’affaire est devenue internationale maintenant. La réassurance assure notre procédure jusqu’à son terme. C'est-à-dire, que les honoraires des avocats, des experts, de tous ceux qui ont travaillé sur le dossier. C’est ce groupe d’assureurs qui prennent tout en charge jusqu’à la fin du procès.


Avec la situation socio politique très critique, on remarque que des victimes continuent de souffrir des séquelles de ces déchets. que prévoyez-vous concrètement pour indemniser vos membres, puisque les autres ont déjà reçu leur prime.

Les victimes doivent s’attendre à une réelle indemnisation. Elles doivent s’attendre à une indemnisation à la hauteur du crime qui a été commis. C’est ce que j’ai dit aux Européens. Je leur ai toujours dit que les victimes doivent être indemnisées à la hauteur du crime qui a été commis. Regardez, quand tu prends un avion comme Air France, le billet d’avion coûte 825.000 F aller-retour. Si tu as été indemnisé à hauteur de 750.000F, ça peut faire quoi ? A supposer que tu choisisses de prendre Air Maroc ou un autre vol, même si le billet te revient à 500.000F, est ce que tu peux aller dans un hôpital avec 200.000 F pour te faire soigner, pour faire le scanner, pour faire tout ce qu’il faut. Ce n’est pas bien de donner une telle somme aux victimes. Même une simple foulure, c’est avec des milliers de francs qu’on doit indemniser, à plus forte raison des personnes qui ont été intoxiquées par ces déchets toxiques, dont la teneur en hydrogène sulfureux, en soude, est au dessus des 750 m3 d’hydrogène sulfureux. Quand on sait que les déchets sont composés des organes chloraux, de l’hydrogène sulfureux, ces deux éléments agissent sur la muqueuse en détruisant le système immunitaire de défense. Vous voyez que tous ceux qui ont risqué leur vie avec ces déchets, sont des morts ambulants. Le 3ième élément qui intervient, c’est le mercaptan mélangé à la soude. Vous savez que la soude est plus dangereuse que l’acide. Par rapport à tous ces éléments, les victimes doivent s’attendre à une vraie indemnisation. Et j’ai déjà fait une classification de mes victimes. Celles qui ont des complications cliniques les plus élevées, les moins élevées et autres.


Président, vous estimez que 750.000F reçus comme indemnisation, ne sont pas à la hauteur du crime commis. Combien estimez-vous remettre à chaque victime, et combien de membres comptent votre structure ?

Ce sont plus de 90.000 victimes qui composent notre association. Mais, je vais plus loin en vous disant que l’indemnisation des victimes par Leigh & Co, ce sont des foutaises pour deux raisons. D’abord, C’est une violation flagrante des droits de l’Homme. Pour donner les 750.000F, on a choisi deux choses. Dans la dernière lettre que les Anglais ont envoyée, vous l’avez certainement lue. La lettre dit que les effets des déchets ne sont pas liés aux morts, c'est-à-dire qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les déchets déversés et les maladies. Tout simplement, ils disent que les maladies liées aux déchets ne sont que des maladies tropicales, comme le paludisme, la migraine, le rhume. Les maladies que nous avons l’habitude d’avoir tous les jours. Ensuite, ils disent que les déchets n’ont pas tué personne. Voici les deux éléments qui ont permis à des victimes d’avoir les 750.000F. Cela est une violation flagrante des droits humains. Le droit à la santé a été violé, le droit au travail également. Sans oublier le droit à un environnement sain, et surtout le droit à la liberté. Parce ce qu’ils savaient que les victimes n’allaient pas refuser l’offre. La somme reçue est très insignifiante. La preuve, c’est nous qui leur avons donné des médicaments pour faire face à des complications malgré les 750.000F empochés. On leur a distribué des médicaments le 19 août dernier. Or, ces personnes devraient en principe avoir une prise en charge médicale. C’est avec nous qu’elles peuvent l’avoir. Il y a en qui viennent me voir en me demandant si elles peuvent adhérer à l’ONG. Je dis non parce qu’elles ne peuvent pas être indemnisées deux fois. Mais elles peuvent bénéficier de la prise en charge médicale en tant que malades. Je ne peux pas m’y opposer. Je suis prêt à les inscrire sur ma liste pour cette prise en charge médicale. Nous avons déjà déposé nos solutions et les listes à l’Onu. Il appartient maintenant à l’Etat de Côte d’Ivoire de les prendre en charge.


Vous avez récemment séjourné à Genève en Suisse pour défendre le dossier des victimes des déchets toxiques. Que peut-on retenir du bilan de ce séjour?

Je peux dire que le bilan se présente comme un enchainement. D’abord, le 08 juin dernier, nous étions à la tribune de l’ONU, à l’invitation du Haut Commissariat des Droits de l’Homme sur instruction de l’Ambassadeur Guy Alain Gauze. Nous avons exposé sur le thème « Les conséquences des substances nocives pour la jouissance des droits humains ». On a fait ce panel et il y a eu un projet de résolution qui va bientôt sortir. Nous avons aussi été appelés comme personnes ressources à ce panel. Après cela, nous sommes allés à Genève pour apporter notre contribution sur le problème de la recherche de solutions par rapport au déversement des déchets toxiques dans le monde. Nous en avons profité pour participer au deuxième forum des droits économiques de la Femme. A ce forum, il s’agissait de rappeler qu’avec ce dernier millénaire, la loi de Beijing permet à la femme de disposer de tous ses droits. Alors, il faut qu’on cherche à l’appliquer dans son intégralité. A la sortie de cette rencontre, une grande résolution a été prise. Celle qui décide d’octroyer 10% du budget militaire de chaque pays à la promotion de la femme. La résolution est prête. Nous allons bientôt la soumettre au Secrétaire Général de l’ONU, Ban-Ki Moon pour qu’il la fasse appliquer intégralement dans tous les pays. Pour nous, l’égalité des genres doit être une réalité. On a aussi obtenu une résolution pour le financement des micros projets en Afrique. En Côte d’Ivoire, on a les femmes qui font la culture du café et du cacao. Au Sénégal, on a les femmes du secteur de l’arachide. Il y a eu également la rencontre avec les ONG qui sont accréditées à l’ONU, comme cette rencontre baptisée « The Conference of Non Government Organisation in Consultative Relationship ». C'est-à-dire, la rencontre de toutes les ONG qui ont un statut consultatif à l’ONU. Nous y avons pris une part active pour savoir ce qu’on peut faire pour trouver des financements aux ONG sur le plan local et comment se faire entendre sur le plan international, comment faire des projets bancables et aussi la prise en charge du Sida en Afrique et dans le monde. J’espère que les différentes résolutions nous parviendront avant leur adoption. Nous serons à New York en janvier prochain pour participer à l’Assemblée Générale du CONGO (Consultative Non Government Organisation). C’est la conférence des ONG qui ont un statut consultatif. Nous y serons dans le cadre de l’élection du président de cette institution. Ce qu’on peut retenir, c’est qu’à Genève, j’ai rencontré M. Hervé Siaba, un véritable activiste qui fait un travail remarquable de lobbying. Quand il a pris la parole pour défendre la Côte d’Ivoire, la salle a été envahie par un tonnerre d’applaudissement. C’est pour dire qu’à l’extérieur, nous défendons l’image de notre pays. Il faut sincèrement le saluer. Après son intervention devant plus de 500 personnes, l’idée que les gens avaient de la Côte d’Ivoire a été revue. Si bien qu’on était obligé de se retrouver en off pour faire une autre conférence pour expliquer ce qui se passe réellement en Côte d’Ivoire. Je pense qu’il faut vraiment remercier M. Hervé Siaba pour le travail abattu. Il faut aussi dire que bientôt, nous serons à Adis Abeba et à l’ONU. Nous sommes aussi invités pour faire un panel à Brest. Vous savez que la société ‘’Total Elf Fina’’ a déversé des déchets sur les côtes de la Normandie. Nous avions donc été sollicités pour apporter notre expertise en France. C’est pour vous dire que nous vendons notre expertise au-delà de la Côte d’Ivoire. Je voudrais vous dire que les déchets toxiques ont été déversés en Norvège en octobre 2006. Ils sont venus en Côte d’Ivoire pour nous rencontrer et nous avons proposé comme solution, l’utilisation de l’huile de palme par les Norvégiens. Ils sont en train de l’essayer et ça marche. Donc, il y a un certain nombre d’actions que nous avons faites dans le pays. Comme la destruction d’un champ de maïs parce que si les Ivoiriens consommaient ce maïs, ils allaient tomber malades ou mourir. J’ai eu des prises de becs pour cela avec les gens. Mais il faut que les Ivoiriens sachent qu’ils doivent nous soutenir dans notre action. Parce que, s’ils ne le font pas, ce n’est pas bon. C’est cet appel que je voulais lancer. Je voudrais terminer en remerciant le Ministre de l’Intérieur, Désiré Tagro, saluer l’Etat de Côte d’Ivoire qui a permis que nous ayons une traçabilité. Aujourd’hui, c’est grâce à cette traçabilité que les Européens ne nieront les faits. Ils sont contraints de nous donner l’argent. Il a fallu ce travail préalable que l’Etat de Côte d’Ivoire a fait pour que nos actions soient prises en compte. Je voudrais remercier le Président de la République et tout son gouvernement pour le retour de la paix en Côte d’Ivoire. Je n’oublierai pas aussi Maitre Gbamené, Tanoh Maxime, Robin des Bois, les ONG telles que l’APDH, Amnesty International, Green Peace, Codap. Il faut souligner que le Codap a fait un travail remarquable. Lorsque je devais me rendre à Genève, c’est le ministère des Affaires Etrangères de la Suisse qui a appelé l’Ambassade pour me remettre un visa. Il faut aussi dire un grand merci à la Suisse, la France, les Etats Unis, le cabinet anglais Fadika & Co. Mes remerciements vont aussi à l’endroit du conseil de la Reine d’Angleterre, James Google, Amah Téhoua, Théo Mathias et toutes ces personnes qui nous aident au quotidien pour que ces dossiers avancent.



Réalisée par

S. Voisin

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