Rue89 - Le PDG de Nutriset, qui produit la pâte énergétique Plumpy Nut, déplore que « la malnutrition n'intéresse pas les politiques ».
A 56 ans, Michel Lescanne a le sourire des inventeurs et la certitude des bâtisseurs d'empire. Son empire à lui pèse 92 grammes et vaut 500 kilocalories. Mélange d'arachide, de sucre et de lait, la dose de Plumpy Nut (« noix dodue ») a révolutionné la lutte contre la malnutrition. Mercredi 13 octobre, le PDG de Nutriset a annoncé l'ouverture de son brevet à 26 pays africains. Entretien.
Rue89 : Pourquoi donner un droit d'accès à votre brevet à 26 pays du Sud ? Est-ce une réponse aux attaques dont il fait l'objet aux Etats-Unis ?
Michel Lescanne : Non, c'est une protection des pays du Sud, en leur donnant l'occasion de développer leur propre production. Au Nord, il y a déjà deux ou trois produits qui ne sont pas dans le brevet, mais dans la catégorie des Ready-to-use Therapeutic Food (RUTF). On devrait avoir beaucoup de demandes de brevets de la part des pays du Sud. En l'utilisant, les gens vont pouvoir développer une recherche autour de notre produit.
Deux ONG américaines (Mama Cares en Californie et Breedlove au Texas) contestent votre brevet depuis décembre 2009, en vous poursuivant devant un tribunal fédéral de Washington. Avez-vous eu des contacts avant le dépôt de plainte ?
Non, aucun contact. Dans un article, Mama Cares [l'un des deux plaignants, ndlr] dit que payer une licence serait perdre de l'argent. Leur action, c'est du piratage sous couvert humanitaire.
« Une entreprise peut avoir un but social »
Est-il normal de protéger le Plumpy Nut, produit humanitaire, par un brevet ?
Le brevet est déposé sur une technologie, pas sur un produit. Nutriset n'a pas de monopole. On peut avoir une discussion sur la propriété intellectuelle comme frein au développement. Mais en réalité, notre brevet est un booster au développelement.
Pourquoi ?
35% du Plumpy Nut est fabriqué dans les réseaux de production locaux. L'Ethiopie, par exemple, couvre 80% de ses besoins exprimés, avec une production de qualité. Pour booster cette production, il faut la protéger un peu. Nous jouons un rôle d'incubateur.
Si on ouvre les brevets dans les pays du Nord, cela aura peut-être un effet correct à court terme, mais pas à long terme. Si Mama Cares envoie 3 000 tonnes de produits d'un coup, cela peut déstabiliser le marché. Par ailleurs, Nutriset ne craint pas la concurrence.
Le patron de Mama Cares, Mike Mellace, prétend qu'il peut produire la même chose pour moins cher : 35 dollars le traitement contre 50 dollars pour le Plumpy Nut ?
C'est facile à dire. Il n'a jamais testé son produit. Depuis 1997, en euros constants, le Plumpy Nut a baissé de 28%. C'est pas mal pour un produit dont les matières premières représentent la moitié du prix.
Selon vous, quel est l'objectif des ONG américaines ?
C'est une opération de communication à pas cher.
Vous prétendez faire du « business éthique » : ce n'est pas contradictoire ?
Cela peut l'être, mais on veut montrer le contraire. Nous pensons qu'une entreprise peut avoir un but social, en générant son profit pour se développer et être libre. L'important, c'est le mandat de l'entreprise qui, pour nous, est de nourrir des enfants.
Nous ne sommes jamais sortis de ce mandat. Nous n'avons jamais fait de produits pour des sportifs par exemple, comme on nous l'a proposé.
Pour cela, il faut être rentable et bien géré. Il faut aussi rester propriétaire de l'entreprise à 100%, ce qui est le cas avec mon épouse et mes enfants. On retrouve chez nous le schéma de l'entreprise africaine, basée sur des valeurs familiales fortes. Enfin, la clef, c'est l'affectation du profit.
Quelle garantie avez-vous pour tenir ces promesses ?
Les dividendes sont versés aux actionnaires qui, pour 80% du capital, travaillent dans l'entreprise. L'an dernier, nous avons distribué 18% du bénéfice aux actionnaires. Tout le reste a été réinvesti dans l'entreprise, où le rapport entre le plus bas et le plus haut salaire est de 1 à 8.
« On me traitait un peu de fou »
Pourquoi vous-êtes vous intéressé à la malnutrition dans les pays du Sud ?
En 1976, mon sujet de mémoire de fin d'études d'ingénieur agricole portait sur ce sujet. C'était la période des livres de René Dumont, notre période post-soixante huitarde agricole si vous voulez… Mon père était laitier chez Mamie Nova, où j'ai abord travaillé plusieurs années dans le département Recherche & Développement. Puis la boîte a été rachetée et les successeurs de mon père n'étaient pas intéressés par la malnutrition. Ils ne pensaient que grande distribution, le reste était à leurs yeux une danseuse.
J'ai donné ma démission et j'ai créé Nutriset avec 300 000 francs, en montant un labo dans ma cuisine. On me traitait un peu de fou, alors que pour moi c'était logique. Il y avait un besoin, il suffisait de le satisfaire. D'un côté des enfants ont faim, de l'autre il y a des matières premières : il fallait juste trouver l'adéquation.
Et ça vous a pris dix ans avant d'aboutir aux premières découvertes…
En fait, les industriels pensaient que leurs productions étaients suffisantes. Or, il n'y avait pas de produits très innovants.
Au début, c'était dur : on a fait du conseil pour les Nations unies, pour arrondir les fins de mois. Le déclic est venu en 1993, lorsqu'on a pu entrer dans l'univers des ONG. Elles étaient très réticentes vis-à-vis du privé. En se retrouvant, Action contre la faim [ACF], le nutritionniste André Briend et nous, on s'est rendus compte qu'ils avaient des besoins spécifiques.
Que vous apporte ACF, concrètement ?
Elle nous apporte le fonctionnement des systèmes, de leurs programmes. En fait, il y a une professionnalisation de concert : les malnutris sévères ont des besoins que les ONG connaissent, la valeur nutritionnelle de ces besoins, les chercheurs la connaissait et les recommandations, nous savons les faire en terme de produits.
Vous allez comprendre : avant, on faisait un mélange de lait, d'huile et de sucre, mais sans sels minéraux ni vitamines, et en ajoutant de l'eau dans une grande bassine. Notre idée, ça a été de mettre le tout dans un même sachet, y compris l'eau. Il n'y avait plus de risque de mauvaise dilution et la valeur nutritionnelle était bonne.
Là, on est entré dans une période euphorique : on a fait des crèpes, des beignets, des tas de choses… Je suis allé en Somalie pour faire goûter des bouillis aux enfants, pour savoir s'il fallait ajouter une saveur vanille ou pas, sachant que le coût de la vanille était égal à celui des sels minéraux. Or, la vanille ils ne connaissent pas en Somalie !
En fait, nous avons pu donner une réponse rapide à des idées de chercheurs. Et comme Nutriset était une petite entreprise, il n'y avait pas de la part des ONG de syndrôme de défiance lié à l'agro-business.
Est-ce que le système français de partenariat entre le public et le privé a été efficace ?
C'est une alchimie qu'on arrive à mettre en place. 100% de nos programmes de recherche ont été aidés : le développement du Plumpy Nut a fait l'objet d'une aide de 300 000 euros d'Oséo. Sans cette aide, on serait allé plus lentement.
Comment êtes-vous passé de la PME dans votre cuisine à une entreprise de 150 personnes avec des franchises dans une dizaine de pays ?
Ah, en France on a la culte de la PME ! En plus, si elle est à la campagne comme nous, c'est parfait. Mais aujourd'hui, on est une entreprise de 150 personnes avec un chiffre d'affaires France de 90 millions d'euros.
C'est un choc culturel fort de grandir, avec beaucoup d'obligations sur le management, sur le recrutement. Il faut aussi se faire connaître pour attirer les bons. On vient d'embaucher deux diplômées d'HEC. On propose des choses intéressantes aux gens, tout en donnant la possibilité de vivre ses aspirations personnelles au travail. Nous avons une moyenne d'âge de moins de 30 ans.
« En France, il n'y a plus d'aide bilatérale »
Comment expliquez-vous aujourd'hui le succès phénoménal du Plumpy Nut ?
Cela fut très long. On a mis au point le produit en 1997 et on a commencé à en parler en 2005, sept ans plus tard. Pourquoi ? Parce qu'il fallait lutter contre les habitudes des gens. Par exemple, il fallait accepter de ne plus garder hospitalisés des enfants malnutris. Avec le produit, ce n'était plus nécessaire. Mais il fallait convaincre les professionnels…
Cela s'est fait au Soudan en 1998. Les ONG n'avaient pas le temps de mettre en place des centres de traitement. On a donc donné directement le Plumpy Nut aux gens et les résultats n'étaient pas si mauvais, par rapport aux programmes habituels.
Après cela, il a fallu changer les habitudes, les programmes de l'OMS [Organisation mondiale de la santé], ceux des ministères de la Santé des pays concernés.
Puis, en 2005 au Niger, MSF [Médecins sans frontières] a franchi le pas et c'est là que l'aspect médiatique a éclaté, avec un concept très simple : « Vous ouvrez, vous mangez. »
Aujourd'hui, nous avons d'autres produits dans nos tiroirs, mais il faut arriver au bon moment pour faire la révolution. Il n'y a que Mao qui a fait la Révolution !
Les entreprises, associations ou ONG que vous appuyez dans une dizaine de pays font-elles des bénéfices ?
A partir du moment où elles fabriquent elles-mêmes, elles s'en sortent bien. Il y a trois cas différents : les ONG indépendantes, les entreprises et les joint-venture où nous ne dépassons jamais 49% du capital.
L'Ethiopie est un bon exemple. En deux ans, l'entreprise est passée d'une machine (qui permet de produire 1 400 tonnes/an) à huit machines. Elle est devenue l'une des plus grosses entreprises de l'agro-alimentaire du pays, avec 300 personnes. En plus, cela fait travailler la filière de l'arachide en amont, car nous avons besoin d'une matière première de qualité.
Aujourd'hui, vous prétendez qu'il n'y a pas assez d'argent pour la malnutrition, ce n'est pas une manière de défendre votre « business »… ?
De notre côté, il n'y a pas de pénurie. On a une capacité de production qui peut doubler. Il suffit d'avoir plus d'argent pour ouvrir plus de programmes de nutrition. L'Unicef cherche de l'argent pour cela.
C'est quoi le problème, un manque de volonté politique ?
Il y a une augmentation des budgets, mais elle est insuffisante. Et puis 2009 a été une année de blocage dans l'humanitaire. On l'a vu à partir de juillet avec une baisse de 50% de l'activité en six mois.
C'est un marché de combien ?
Entre 100 et 150 millions d'euros, pour environ 20 millions d'enfants malnutris sévères. Avec 600 millions d'euros, l'équivalent de cinq avions Rafale, on règle le problème de la malnutrition des enfants, ce n'est pas démesuré !
Vous avez été contacté par des responsables politiques français ?
Aucun. Même pas Rama Yade.
C'est hallucinant…
Cela fait 25 ans que je suis « halluciné ». Je me demande si la bouffe est une question digne des diplomates. Lorsque nous allons à Washington, nous rencontrons qui on veut à l'US Aid agency. En France, rien. Il n'y a plus d'aide bilatérale, tout passe par l'Europe, donc il n'y a plus d'action concrète. Et puis, droite comme gauche, la malnutrition n'intéresse pas les responsables politiques.
Et les élites africaines ?
Je ne les connais pas. Ce n'est pas notre réseau et les politiques africains, cela ne les intéresse pas non plus.
Quel est votre objectif maintenant ?
Vous voulez dire notre business plan ? C'est d'avoir, à l'horizon 2015, une vingtaine de producteurs locaux pour faire 50% de la production locale, sur l'Amérique du Sud, Amérique centrale, l'Afrique et l'Asie.
Vous voulez bâtir un empire…
Oui, mais traduit en impact nutritionnel. Pour le bien des enfants, c'est ça qui est bien.
Par David Servenay
A 56 ans, Michel Lescanne a le sourire des inventeurs et la certitude des bâtisseurs d'empire. Son empire à lui pèse 92 grammes et vaut 500 kilocalories. Mélange d'arachide, de sucre et de lait, la dose de Plumpy Nut (« noix dodue ») a révolutionné la lutte contre la malnutrition. Mercredi 13 octobre, le PDG de Nutriset a annoncé l'ouverture de son brevet à 26 pays africains. Entretien.
Rue89 : Pourquoi donner un droit d'accès à votre brevet à 26 pays du Sud ? Est-ce une réponse aux attaques dont il fait l'objet aux Etats-Unis ?
Michel Lescanne : Non, c'est une protection des pays du Sud, en leur donnant l'occasion de développer leur propre production. Au Nord, il y a déjà deux ou trois produits qui ne sont pas dans le brevet, mais dans la catégorie des Ready-to-use Therapeutic Food (RUTF). On devrait avoir beaucoup de demandes de brevets de la part des pays du Sud. En l'utilisant, les gens vont pouvoir développer une recherche autour de notre produit.
Deux ONG américaines (Mama Cares en Californie et Breedlove au Texas) contestent votre brevet depuis décembre 2009, en vous poursuivant devant un tribunal fédéral de Washington. Avez-vous eu des contacts avant le dépôt de plainte ?
Non, aucun contact. Dans un article, Mama Cares [l'un des deux plaignants, ndlr] dit que payer une licence serait perdre de l'argent. Leur action, c'est du piratage sous couvert humanitaire.
« Une entreprise peut avoir un but social »
Est-il normal de protéger le Plumpy Nut, produit humanitaire, par un brevet ?
Le brevet est déposé sur une technologie, pas sur un produit. Nutriset n'a pas de monopole. On peut avoir une discussion sur la propriété intellectuelle comme frein au développement. Mais en réalité, notre brevet est un booster au développelement.
Pourquoi ?
35% du Plumpy Nut est fabriqué dans les réseaux de production locaux. L'Ethiopie, par exemple, couvre 80% de ses besoins exprimés, avec une production de qualité. Pour booster cette production, il faut la protéger un peu. Nous jouons un rôle d'incubateur.
Si on ouvre les brevets dans les pays du Nord, cela aura peut-être un effet correct à court terme, mais pas à long terme. Si Mama Cares envoie 3 000 tonnes de produits d'un coup, cela peut déstabiliser le marché. Par ailleurs, Nutriset ne craint pas la concurrence.
Le patron de Mama Cares, Mike Mellace, prétend qu'il peut produire la même chose pour moins cher : 35 dollars le traitement contre 50 dollars pour le Plumpy Nut ?
C'est facile à dire. Il n'a jamais testé son produit. Depuis 1997, en euros constants, le Plumpy Nut a baissé de 28%. C'est pas mal pour un produit dont les matières premières représentent la moitié du prix.
Selon vous, quel est l'objectif des ONG américaines ?
C'est une opération de communication à pas cher.
Vous prétendez faire du « business éthique » : ce n'est pas contradictoire ?
Cela peut l'être, mais on veut montrer le contraire. Nous pensons qu'une entreprise peut avoir un but social, en générant son profit pour se développer et être libre. L'important, c'est le mandat de l'entreprise qui, pour nous, est de nourrir des enfants.
Nous ne sommes jamais sortis de ce mandat. Nous n'avons jamais fait de produits pour des sportifs par exemple, comme on nous l'a proposé.
Pour cela, il faut être rentable et bien géré. Il faut aussi rester propriétaire de l'entreprise à 100%, ce qui est le cas avec mon épouse et mes enfants. On retrouve chez nous le schéma de l'entreprise africaine, basée sur des valeurs familiales fortes. Enfin, la clef, c'est l'affectation du profit.
Quelle garantie avez-vous pour tenir ces promesses ?
Les dividendes sont versés aux actionnaires qui, pour 80% du capital, travaillent dans l'entreprise. L'an dernier, nous avons distribué 18% du bénéfice aux actionnaires. Tout le reste a été réinvesti dans l'entreprise, où le rapport entre le plus bas et le plus haut salaire est de 1 à 8.
« On me traitait un peu de fou »
Pourquoi vous-êtes vous intéressé à la malnutrition dans les pays du Sud ?
En 1976, mon sujet de mémoire de fin d'études d'ingénieur agricole portait sur ce sujet. C'était la période des livres de René Dumont, notre période post-soixante huitarde agricole si vous voulez… Mon père était laitier chez Mamie Nova, où j'ai abord travaillé plusieurs années dans le département Recherche & Développement. Puis la boîte a été rachetée et les successeurs de mon père n'étaient pas intéressés par la malnutrition. Ils ne pensaient que grande distribution, le reste était à leurs yeux une danseuse.
J'ai donné ma démission et j'ai créé Nutriset avec 300 000 francs, en montant un labo dans ma cuisine. On me traitait un peu de fou, alors que pour moi c'était logique. Il y avait un besoin, il suffisait de le satisfaire. D'un côté des enfants ont faim, de l'autre il y a des matières premières : il fallait juste trouver l'adéquation.
Et ça vous a pris dix ans avant d'aboutir aux premières découvertes…
En fait, les industriels pensaient que leurs productions étaients suffisantes. Or, il n'y avait pas de produits très innovants.
Au début, c'était dur : on a fait du conseil pour les Nations unies, pour arrondir les fins de mois. Le déclic est venu en 1993, lorsqu'on a pu entrer dans l'univers des ONG. Elles étaient très réticentes vis-à-vis du privé. En se retrouvant, Action contre la faim [ACF], le nutritionniste André Briend et nous, on s'est rendus compte qu'ils avaient des besoins spécifiques.
Que vous apporte ACF, concrètement ?
Elle nous apporte le fonctionnement des systèmes, de leurs programmes. En fait, il y a une professionnalisation de concert : les malnutris sévères ont des besoins que les ONG connaissent, la valeur nutritionnelle de ces besoins, les chercheurs la connaissait et les recommandations, nous savons les faire en terme de produits.
Vous allez comprendre : avant, on faisait un mélange de lait, d'huile et de sucre, mais sans sels minéraux ni vitamines, et en ajoutant de l'eau dans une grande bassine. Notre idée, ça a été de mettre le tout dans un même sachet, y compris l'eau. Il n'y avait plus de risque de mauvaise dilution et la valeur nutritionnelle était bonne.
Là, on est entré dans une période euphorique : on a fait des crèpes, des beignets, des tas de choses… Je suis allé en Somalie pour faire goûter des bouillis aux enfants, pour savoir s'il fallait ajouter une saveur vanille ou pas, sachant que le coût de la vanille était égal à celui des sels minéraux. Or, la vanille ils ne connaissent pas en Somalie !
En fait, nous avons pu donner une réponse rapide à des idées de chercheurs. Et comme Nutriset était une petite entreprise, il n'y avait pas de la part des ONG de syndrôme de défiance lié à l'agro-business.
Est-ce que le système français de partenariat entre le public et le privé a été efficace ?
C'est une alchimie qu'on arrive à mettre en place. 100% de nos programmes de recherche ont été aidés : le développement du Plumpy Nut a fait l'objet d'une aide de 300 000 euros d'Oséo. Sans cette aide, on serait allé plus lentement.
Comment êtes-vous passé de la PME dans votre cuisine à une entreprise de 150 personnes avec des franchises dans une dizaine de pays ?
Ah, en France on a la culte de la PME ! En plus, si elle est à la campagne comme nous, c'est parfait. Mais aujourd'hui, on est une entreprise de 150 personnes avec un chiffre d'affaires France de 90 millions d'euros.
C'est un choc culturel fort de grandir, avec beaucoup d'obligations sur le management, sur le recrutement. Il faut aussi se faire connaître pour attirer les bons. On vient d'embaucher deux diplômées d'HEC. On propose des choses intéressantes aux gens, tout en donnant la possibilité de vivre ses aspirations personnelles au travail. Nous avons une moyenne d'âge de moins de 30 ans.
« En France, il n'y a plus d'aide bilatérale »
Comment expliquez-vous aujourd'hui le succès phénoménal du Plumpy Nut ?
Cela fut très long. On a mis au point le produit en 1997 et on a commencé à en parler en 2005, sept ans plus tard. Pourquoi ? Parce qu'il fallait lutter contre les habitudes des gens. Par exemple, il fallait accepter de ne plus garder hospitalisés des enfants malnutris. Avec le produit, ce n'était plus nécessaire. Mais il fallait convaincre les professionnels…
Cela s'est fait au Soudan en 1998. Les ONG n'avaient pas le temps de mettre en place des centres de traitement. On a donc donné directement le Plumpy Nut aux gens et les résultats n'étaient pas si mauvais, par rapport aux programmes habituels.
Après cela, il a fallu changer les habitudes, les programmes de l'OMS [Organisation mondiale de la santé], ceux des ministères de la Santé des pays concernés.
Puis, en 2005 au Niger, MSF [Médecins sans frontières] a franchi le pas et c'est là que l'aspect médiatique a éclaté, avec un concept très simple : « Vous ouvrez, vous mangez. »
Aujourd'hui, nous avons d'autres produits dans nos tiroirs, mais il faut arriver au bon moment pour faire la révolution. Il n'y a que Mao qui a fait la Révolution !
Les entreprises, associations ou ONG que vous appuyez dans une dizaine de pays font-elles des bénéfices ?
A partir du moment où elles fabriquent elles-mêmes, elles s'en sortent bien. Il y a trois cas différents : les ONG indépendantes, les entreprises et les joint-venture où nous ne dépassons jamais 49% du capital.
L'Ethiopie est un bon exemple. En deux ans, l'entreprise est passée d'une machine (qui permet de produire 1 400 tonnes/an) à huit machines. Elle est devenue l'une des plus grosses entreprises de l'agro-alimentaire du pays, avec 300 personnes. En plus, cela fait travailler la filière de l'arachide en amont, car nous avons besoin d'une matière première de qualité.
Aujourd'hui, vous prétendez qu'il n'y a pas assez d'argent pour la malnutrition, ce n'est pas une manière de défendre votre « business »… ?
De notre côté, il n'y a pas de pénurie. On a une capacité de production qui peut doubler. Il suffit d'avoir plus d'argent pour ouvrir plus de programmes de nutrition. L'Unicef cherche de l'argent pour cela.
C'est quoi le problème, un manque de volonté politique ?
Il y a une augmentation des budgets, mais elle est insuffisante. Et puis 2009 a été une année de blocage dans l'humanitaire. On l'a vu à partir de juillet avec une baisse de 50% de l'activité en six mois.
C'est un marché de combien ?
Entre 100 et 150 millions d'euros, pour environ 20 millions d'enfants malnutris sévères. Avec 600 millions d'euros, l'équivalent de cinq avions Rafale, on règle le problème de la malnutrition des enfants, ce n'est pas démesuré !
Vous avez été contacté par des responsables politiques français ?
Aucun. Même pas Rama Yade.
C'est hallucinant…
Cela fait 25 ans que je suis « halluciné ». Je me demande si la bouffe est une question digne des diplomates. Lorsque nous allons à Washington, nous rencontrons qui on veut à l'US Aid agency. En France, rien. Il n'y a plus d'aide bilatérale, tout passe par l'Europe, donc il n'y a plus d'action concrète. Et puis, droite comme gauche, la malnutrition n'intéresse pas les responsables politiques.
Et les élites africaines ?
Je ne les connais pas. Ce n'est pas notre réseau et les politiques africains, cela ne les intéresse pas non plus.
Quel est votre objectif maintenant ?
Vous voulez dire notre business plan ? C'est d'avoir, à l'horizon 2015, une vingtaine de producteurs locaux pour faire 50% de la production locale, sur l'Amérique du Sud, Amérique centrale, l'Afrique et l'Asie.
Vous voulez bâtir un empire…
Oui, mais traduit en impact nutritionnel. Pour le bien des enfants, c'est ça qui est bien.
Par David Servenay