Le Secrétaire général adjoint de l’UDPCI revient, dans cette interview, sur les questions brulantes de l’actualité politique nationale.
Le Patriote : Quel bilan faites-vous de la désobéissance et du mouvement de grève générale initiés par le gouvernement et soutenu par le RHDP ?
Jean Blé Guirao : Depuis le 28 novembre, les Ivoiriens ont élu un nouveau Président de la République en la personne d’Alassane Ouattara. Depuis cette date, on assiste à une usurpation du pouvoir par Laurent Gbagbo et son camp. Les Ivoiriens qui ont élu Alassane Ouattara constatent qu’il n’a pas encore les clés de la Présidence de la République. Le Président de la République, son Premier ministre et son gouvernement sont retranchés à l’hôtel du Golf. Malgré la main tendue du Président élu au président sortant, on assiste au blocage. C’est devant cette exaspération, que le Premier Ministre, Guillaume Soro, a demandé aux Ivoiriens de désobéir à Laurent Gbagbo qu’on ne reconnaît pas comme Président de la République. Cette désobéissance prendra du temps, car elle reste en vigueur jusqu’au départ de Laurent Gbagbo.
Malheureusement, certains de vos confrères à la première journée, ont vite fait de tirer un bilan mitigé. Au deuxième jour, nous pouvons affirmer qu’à Abidjan, le commerce et le transport ont été bloqués. Dans 20 villes que nous avons listées et classées comme stratégiques, le mouvement a été largement suivi. Il y a des villes comme Tabou, Soubré, etc … où les militants du RHDP ont tout bloqué. Dans les zones CNO, le mot d’ordre a été respecté. C’est une réponse claire à Laurent Gbagbo qui veut confisquer le pouvoir. Le temps est venu pour que Laurent Gbagbo dégage.
L.P. : Vous êtes donc satisfait de l’exécution du mot d’ordre.
J.B.G. : C’est une lutte qui n’a pas encore abouti, on ne peut être totalement satisfait. Mais je tiens à féliciter les Ivoiriens pour leur détermination. Dans l’ensemble, les travailleurs de Côte d’Ivoire ont répondu favorablement à l’appel du gouvernement. L’administration fonctionne au ralenti. Si des fonctionnaires collaborent avec ce gouvernement illégitime, ils auront à rendre compte. Pour ce qui a été fait dans ce contexte, les Ivoiriens sont à féliciter. Ce mois de décembre est le moment où les opérateurs économiques font leur gros chiffre d’affaires. Des Ivoiriens ont accepté de faire un sacrifice. Ils ont compris que le régime de Gbagbo est fini. Pour la mémoire des victimes, nous avons le devoir de continuer la lutte. Laurent Gbagbo est arrivé avec un charnier, il repart en faisant des charniers.
L.P. : Le ballet de chefs d’Etat de la CEDEAO qui a commencé ne va-t-il pas ramollir la détermination de vos militants ?
J.B.G : Non, je ne crois pas. Depuis que Laurent Gbagbo refuse de partir, nous explorons trois axes.il y’a l’axe diplomatique, l’axe économique et l’action de nos militants sur le terrain. Les axes diplomatiques et économiques sont du ressort du Président de la République. En une semaine, tout le monde entier pour une fois, a tu ses divergences pour reconnaître la victoire du Président de la République. C’est une grande première. Au niveau économique, Laurent Gbagbo est en train d’être sevré. En interne, l’action de nos militants est de notre ressort. Donc, nous n’allons pas nous laisser distraire par le ballet des Chefs d’Etat. Les Ivoiriens doivent continuer de se mobiliser afin que toutes les actions, y compris la diplomatie, amènent Laurent Gbagbo à plier. Nous espérons que ce ballet diplomatique sera de courte durée. Si nous faiblissons, Laurent Gbagbo va nous gagner à l’usure.
L.P. : Comment expliquez-vous la reculade de Blé Goudé par rapport à son rassemblement du 29 décembre reporté sine die ?
J.B.G. : La vérité est que Charles Blé Goudé n’est plus en phase avec ses jeunes patriotes. Vous avez lu dans la presse, pour la première fois, certains se sont désolidarisés de son action. Ils ont commencé à connaitre Charles Blé Goudé. Les leaders du RHDP, au nom de la paix, ont accepté beaucoup de sacrifices, d’humiliations. D’aucuns ont pensé que c’était une faiblesse. Eux, ont compris qu’on fait la politique pour les hommes et non pour soi-même. Je suis donc heureux d’entendre Blé Goudé reprendre ce même discours. Lui qui, hier, envoyait des jeunes constituer un bouclier humain devant les chars français. Dans notre plan d’action, il n’y avait pas de marche. Comme nous, on nous empêche de marcher, on a demandé à nos militants de sortir avec eux, afin que tout finisse. Au moment où ils viendront au Golf, nous nous irons au Palais présidentiel. Dieu merci, ils ont compris qu’ils ne sont pas les seuls maîtres de la rue. Aujourd’hui, en face, il y a tonnerre et derrière il y a lion. Le tonnerre, c’est le Président Alassane Ouattara et lion, c’est le RHDP. Blé Goudé et ses camarades sont pris entre deux feux. Il y a des choses qu’on ne peut plus accepter.
La CEDEAO et les crises en Afrique de l’ouest
Les cas où la diplomatie a triomphé
“Le dialogue est l’arme des hommes forts », aimait à répéter le président Félix Houphouët-Boigny pour exalter les vertus de la voie diplomatique. Si cette méthode est lente, il faut reconnaître que, par le passé, elle a permis de résoudre de graves crises sur le continent, notamment en Afrique de l’Ouest. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a réussi dans certains cas à imposer la paix par la pression diplomatique. C’est le cas de la crise libérienne en août 2003. Le président Charles Ghankay Taylor était acculé par les hommes de l’ULIMO de Sekou Damate Conneh et ceux du MODEM. Les combats faisaient rage dans les rues de Monrovia. Pendant ce temps, un porte-avion baignait aux larges des eaux territoriales du Liberia. Le président des Etats-Unis, Georges W. Bush, à Washington, lance un ultimatum au dictateur de Monrovia. « Charles Taylor must go ! », lance-t-il pour montrer la détermination des Etats-Unis à faire partir l’ancien chef d’Etat. Les présidents Olusegun Obasanjo et John Kuffuor sont dépêchés dans la capitale libérienne pour raisonner une dernière fois le leader du Front national patriotique du Liberia. Le message est clair. Taylor a 48 heures pour quitter Monrovia. Le président Obasanjo lui promet protection et exil doré au Nigeria. Puis les deux chefs d’Etat repartent dans leur pays. Les jours qui suivent, le président Charles Taylor quitte Monrovia avec ses proches pour le Nigeria. Les combats presque aussitôt cessent dans les rues de Monrovia. Une transition est mise en place pour conduire le pays à des élections libres et transparences. Les premières dans l’histoire de ce petit Etat de l’Afrique de l’Ouest. La diplomatie venait ainsi de prendre le dessus sur la force. En Guinée, le président Lansana Conté le 23 décembre 2008 vient de décéder. Les heures qui suivent l’annonce de sa mort, un coup d’Etat est perpétré. Le capitaine Moussa Dadis Camara en est l’auteur. La communauté internationale et la CEDEAO somment le nouvel homme fort de Conakry d’organiser des élections le plus tôt possible. Mais le successeur du général Conté tergiverse. Mieux, il montre par ces faits et paroles qu’il n’a pas l’intention de céder le pouvoir. Le 28 septembre 2009, l’opposition décide d’organiser un grand rassemblement au stade de Conakry. La manifestation est réprimée dans le sang par les militaires. La répression fait plus d’une centaine de morts. Le monde entier est choqué par l’ampleur des tueries et des viols commis par les militaires ce jour-là. La France et les Etats-Unis ainsi que la CEDEAO condamnent la barbarie. La communauté internationale est désormais plus que jamais déterminée à voir les militaires céder le pouvoir à un régime civil. Les pressions se multiplient. L’ONU dépêche des enquêteurs dans la capitale guinéenne. Des membres influents de la junte sont entendus. L’aide de camp du capitaine Dadis Camara, Aboubacar « Toumba » Diakité, refuse d’être entendu par les enquêteurs onusiens. Le 3 décembre 2009, le capitaine Dadis Camara décide d’aller raisonner son aide de camp retranché au camp militaire « Koundara ». Une rixe éclate entre les deux hommes. L’homme fort de Conakry est grièvement blessé à la tête. Il est aussitôt évacué au Maroc. Sous l’égide de la CEDEAO, les accords de Ouagadougou sont signés. Ils instaurent une transition à l’issue de laquelle des élections démocratiques sont organisées. Le Pr. Alpha Condé en sort vainqueur. La Guinée commence une nouvelle page de son histoire. En Sierra Leone, c’est un savant dosage de la force et de la démocratie qui a permis à la CEDEAO de réinstaller le président Ahmad Tejan Kabbah au palais de Freetown en 1998. Au Togo, c’est grâce aux pressions de la CEDEAO que la succession du président Etienne Gnassimgbé Eyadema s’est effectuée dans les normes démocratiques. Aujourd’hui encore, l’organisation sous-régionale est confrontée à une crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Réussira-t-elle à imposer la paix par la voie diplomatie ? Rien n’est moins sûr. Mais sait-on jamais…
Jean-Claude Coulibaly
Le Patriote : Quel bilan faites-vous de la désobéissance et du mouvement de grève générale initiés par le gouvernement et soutenu par le RHDP ?
Jean Blé Guirao : Depuis le 28 novembre, les Ivoiriens ont élu un nouveau Président de la République en la personne d’Alassane Ouattara. Depuis cette date, on assiste à une usurpation du pouvoir par Laurent Gbagbo et son camp. Les Ivoiriens qui ont élu Alassane Ouattara constatent qu’il n’a pas encore les clés de la Présidence de la République. Le Président de la République, son Premier ministre et son gouvernement sont retranchés à l’hôtel du Golf. Malgré la main tendue du Président élu au président sortant, on assiste au blocage. C’est devant cette exaspération, que le Premier Ministre, Guillaume Soro, a demandé aux Ivoiriens de désobéir à Laurent Gbagbo qu’on ne reconnaît pas comme Président de la République. Cette désobéissance prendra du temps, car elle reste en vigueur jusqu’au départ de Laurent Gbagbo.
Malheureusement, certains de vos confrères à la première journée, ont vite fait de tirer un bilan mitigé. Au deuxième jour, nous pouvons affirmer qu’à Abidjan, le commerce et le transport ont été bloqués. Dans 20 villes que nous avons listées et classées comme stratégiques, le mouvement a été largement suivi. Il y a des villes comme Tabou, Soubré, etc … où les militants du RHDP ont tout bloqué. Dans les zones CNO, le mot d’ordre a été respecté. C’est une réponse claire à Laurent Gbagbo qui veut confisquer le pouvoir. Le temps est venu pour que Laurent Gbagbo dégage.
L.P. : Vous êtes donc satisfait de l’exécution du mot d’ordre.
J.B.G. : C’est une lutte qui n’a pas encore abouti, on ne peut être totalement satisfait. Mais je tiens à féliciter les Ivoiriens pour leur détermination. Dans l’ensemble, les travailleurs de Côte d’Ivoire ont répondu favorablement à l’appel du gouvernement. L’administration fonctionne au ralenti. Si des fonctionnaires collaborent avec ce gouvernement illégitime, ils auront à rendre compte. Pour ce qui a été fait dans ce contexte, les Ivoiriens sont à féliciter. Ce mois de décembre est le moment où les opérateurs économiques font leur gros chiffre d’affaires. Des Ivoiriens ont accepté de faire un sacrifice. Ils ont compris que le régime de Gbagbo est fini. Pour la mémoire des victimes, nous avons le devoir de continuer la lutte. Laurent Gbagbo est arrivé avec un charnier, il repart en faisant des charniers.
L.P. : Le ballet de chefs d’Etat de la CEDEAO qui a commencé ne va-t-il pas ramollir la détermination de vos militants ?
J.B.G : Non, je ne crois pas. Depuis que Laurent Gbagbo refuse de partir, nous explorons trois axes.il y’a l’axe diplomatique, l’axe économique et l’action de nos militants sur le terrain. Les axes diplomatiques et économiques sont du ressort du Président de la République. En une semaine, tout le monde entier pour une fois, a tu ses divergences pour reconnaître la victoire du Président de la République. C’est une grande première. Au niveau économique, Laurent Gbagbo est en train d’être sevré. En interne, l’action de nos militants est de notre ressort. Donc, nous n’allons pas nous laisser distraire par le ballet des Chefs d’Etat. Les Ivoiriens doivent continuer de se mobiliser afin que toutes les actions, y compris la diplomatie, amènent Laurent Gbagbo à plier. Nous espérons que ce ballet diplomatique sera de courte durée. Si nous faiblissons, Laurent Gbagbo va nous gagner à l’usure.
L.P. : Comment expliquez-vous la reculade de Blé Goudé par rapport à son rassemblement du 29 décembre reporté sine die ?
J.B.G. : La vérité est que Charles Blé Goudé n’est plus en phase avec ses jeunes patriotes. Vous avez lu dans la presse, pour la première fois, certains se sont désolidarisés de son action. Ils ont commencé à connaitre Charles Blé Goudé. Les leaders du RHDP, au nom de la paix, ont accepté beaucoup de sacrifices, d’humiliations. D’aucuns ont pensé que c’était une faiblesse. Eux, ont compris qu’on fait la politique pour les hommes et non pour soi-même. Je suis donc heureux d’entendre Blé Goudé reprendre ce même discours. Lui qui, hier, envoyait des jeunes constituer un bouclier humain devant les chars français. Dans notre plan d’action, il n’y avait pas de marche. Comme nous, on nous empêche de marcher, on a demandé à nos militants de sortir avec eux, afin que tout finisse. Au moment où ils viendront au Golf, nous nous irons au Palais présidentiel. Dieu merci, ils ont compris qu’ils ne sont pas les seuls maîtres de la rue. Aujourd’hui, en face, il y a tonnerre et derrière il y a lion. Le tonnerre, c’est le Président Alassane Ouattara et lion, c’est le RHDP. Blé Goudé et ses camarades sont pris entre deux feux. Il y a des choses qu’on ne peut plus accepter.
La CEDEAO et les crises en Afrique de l’ouest
Les cas où la diplomatie a triomphé
“Le dialogue est l’arme des hommes forts », aimait à répéter le président Félix Houphouët-Boigny pour exalter les vertus de la voie diplomatique. Si cette méthode est lente, il faut reconnaître que, par le passé, elle a permis de résoudre de graves crises sur le continent, notamment en Afrique de l’Ouest. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest a réussi dans certains cas à imposer la paix par la pression diplomatique. C’est le cas de la crise libérienne en août 2003. Le président Charles Ghankay Taylor était acculé par les hommes de l’ULIMO de Sekou Damate Conneh et ceux du MODEM. Les combats faisaient rage dans les rues de Monrovia. Pendant ce temps, un porte-avion baignait aux larges des eaux territoriales du Liberia. Le président des Etats-Unis, Georges W. Bush, à Washington, lance un ultimatum au dictateur de Monrovia. « Charles Taylor must go ! », lance-t-il pour montrer la détermination des Etats-Unis à faire partir l’ancien chef d’Etat. Les présidents Olusegun Obasanjo et John Kuffuor sont dépêchés dans la capitale libérienne pour raisonner une dernière fois le leader du Front national patriotique du Liberia. Le message est clair. Taylor a 48 heures pour quitter Monrovia. Le président Obasanjo lui promet protection et exil doré au Nigeria. Puis les deux chefs d’Etat repartent dans leur pays. Les jours qui suivent, le président Charles Taylor quitte Monrovia avec ses proches pour le Nigeria. Les combats presque aussitôt cessent dans les rues de Monrovia. Une transition est mise en place pour conduire le pays à des élections libres et transparences. Les premières dans l’histoire de ce petit Etat de l’Afrique de l’Ouest. La diplomatie venait ainsi de prendre le dessus sur la force. En Guinée, le président Lansana Conté le 23 décembre 2008 vient de décéder. Les heures qui suivent l’annonce de sa mort, un coup d’Etat est perpétré. Le capitaine Moussa Dadis Camara en est l’auteur. La communauté internationale et la CEDEAO somment le nouvel homme fort de Conakry d’organiser des élections le plus tôt possible. Mais le successeur du général Conté tergiverse. Mieux, il montre par ces faits et paroles qu’il n’a pas l’intention de céder le pouvoir. Le 28 septembre 2009, l’opposition décide d’organiser un grand rassemblement au stade de Conakry. La manifestation est réprimée dans le sang par les militaires. La répression fait plus d’une centaine de morts. Le monde entier est choqué par l’ampleur des tueries et des viols commis par les militaires ce jour-là. La France et les Etats-Unis ainsi que la CEDEAO condamnent la barbarie. La communauté internationale est désormais plus que jamais déterminée à voir les militaires céder le pouvoir à un régime civil. Les pressions se multiplient. L’ONU dépêche des enquêteurs dans la capitale guinéenne. Des membres influents de la junte sont entendus. L’aide de camp du capitaine Dadis Camara, Aboubacar « Toumba » Diakité, refuse d’être entendu par les enquêteurs onusiens. Le 3 décembre 2009, le capitaine Dadis Camara décide d’aller raisonner son aide de camp retranché au camp militaire « Koundara ». Une rixe éclate entre les deux hommes. L’homme fort de Conakry est grièvement blessé à la tête. Il est aussitôt évacué au Maroc. Sous l’égide de la CEDEAO, les accords de Ouagadougou sont signés. Ils instaurent une transition à l’issue de laquelle des élections démocratiques sont organisées. Le Pr. Alpha Condé en sort vainqueur. La Guinée commence une nouvelle page de son histoire. En Sierra Leone, c’est un savant dosage de la force et de la démocratie qui a permis à la CEDEAO de réinstaller le président Ahmad Tejan Kabbah au palais de Freetown en 1998. Au Togo, c’est grâce aux pressions de la CEDEAO que la succession du président Etienne Gnassimgbé Eyadema s’est effectuée dans les normes démocratiques. Aujourd’hui encore, l’organisation sous-régionale est confrontée à une crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Réussira-t-elle à imposer la paix par la voie diplomatie ? Rien n’est moins sûr. Mais sait-on jamais…
Jean-Claude Coulibaly