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Politique Publié le samedi 5 février 2011 | L’Inter

Après 2 mois de combats - Bilan croisé du duel Gbagbo-Ouattara - Ce qu`ils ont gagné, ce qu`ils ont perdu

Le samedi 4 décembre 2010, en procédant à la cérémonie d'investiture du candidat Laurent Gbagbo, déclaré comme vainqueur du 2nd tour de la Présidentielle du 28 novembre 2010, le Conseil constitutionnel venait, sans le vouloir peut-être, de remettre le feu aux poudres en Côte d'Ivoire. Tout commence effectivement le 02 décembre, quand M. Youssouf Bakayoko, en sa qualité de Président de la Commission Électorale Indépendante (CEI), annonce depuis l'hôtel du Golf la victoire au 2nd tour de la Présidentielle du Dr Alassane Dramane Ouattara, candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), avec plus de 54% des suffrages exprimés. Cette annonce est aussitôt récusée par le Conseil Constitutionnel qui avait, quelques heures plus tôt, déclaré forclose la CEI, puisque le délai de 72H qui lui était imparti, venait d'expirer. Le 03 décembre, c'est-à-dire le lendemain, c'est le Conseil constitutionnel qui va plutôt annoncer la victoire du candidat Laurent Gbagbo, par 51% des suffrages exprimés, après avoir donné une suite favorable au recours de La Majorité Présidentielle (LMP) sur des irrégularités du scrutin dans le Nord du pays. Depuis, la Côte d'Ivoire vit dans un malaise profond et le quotidien des Ivoiriens est fait d'un chassé-croisé politico-diplomatique auquel ils ne comprennent plus rien. Plus de deux mois après les résultats proclamés par la CEI et l'investiture de Laurent Gbagbo comme président de la République élu de la Côte d'Ivoire, quel est le bilan du «face-face» Gbagbo-Ouattara? Qu'ont gagné et perdu les deux hommes?

LAURENT GBAGBO:
Assurément, l'homme Gbagbo aura étonné plus d'un par sa grande capacité de survie politique. Une capacité que personne ne lui soupçonnait, puisqu'aucun observateur sérieux ne lui donnait plus d'une semaine à tenir dans le fauteuil présidentiel. Au bout du compte, le candidat de LMP en est à son 3è mois au palais présidentiel. «Gbagbo ne tiendra pas jusqu'à fin décembre», avait pourtant prévenu le sous-secrétaire d'État américain aux Affaires africaines, dès la première semaine du «face-à-face», c'est-à-dire début décembre. Là où on le voyait partir sous la contrainte, après les déclarations d'Obama depuis le Air Force One, de retour d'Afghanistan, après les ultimatums de Sarkozy depuis Bruxelles, les menaces de l'Union Africaine (UA) et de la Communauté Économique Des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), les sanctions ciblées de l'Union Européenne (UE), rien n'a réussi à ébranler le «roc» Gbagbo qui va manifester toute sa mainmise sur la machine de l'État à partir du 16 décembre 2010 quand le RHDP, le Premier ministre Guillaume Kigbafory Soro en tête, décide d'aller installer le nouveau DG de la RTI dans ses locaux de Cocody. C'est ce jour-là, pour avoir brisé leur élan devant la communauté internationale et maté violemment la contestation dans les rues, que Gbagbo remporte sa première victoire significative devant ses adversaires du RHDP. Lui que certains de ses collaborateurs directs avaient presque fui, croyant qu'il tomberait, rebondit au soir du 16 décembre 2010 et lance son carré de fidèles conseillers et ministres dans la bataille politique, juridique et diplomatique. Sa 2è grande victoire, c'est d'avoir cassé le «mythe» de la communauté internationale qui en impose n'importe comment, n'importe quand et à qui elle veut. «Donc, on peut ne pas décrocher leurs coups de fil et ne pas en mourir?», s'est extasié en privé un chef d'État de la sous-région quand il a eu la confirmation que Gbagbo avait refusé de prendre Obama et Sarkozy au téléphone. Assurément dans cette crise post-électorale ivoirienne, tout un mythe, celui de la communauté internationale, s'est écroulé sur le continent. Sa 3è grande victoire, elle, est diplomatique. C'est celle d'avoir réussi à casser l'unanimisme des premières heures de la communauté internationale à vouloir coûte que coûte le condamner. Petit à petit, et de façon diplomatique soutenue, Gbagbo a commencé à engranger des soutiens, et donc des succès. La façade de la CEDEAO s'est vite fissurée devant le cas Gbagbo, l'UA n'est pas demeurée en reste au point que le SG de l'ONU, Ban Ki Moon, a été obligé de monter en prémière ligne pour faire un plaidoyer sur l'unité face aux crises, lors du dernier sommet d'Addis-Abeba, fin janvier dernier. Ce succès diplomatique est le fruit d'un groupe de travail, composé de diplomates chevronnés, qui s'est comporté comme une «force de réaction rapide» pour aller aux 4 coins du monde plaider la cause de leur leader. La 4è grande victoire de Gbagbo, c'est sa mainmise affichée sur la machine de l'État. Il n'a eu de cesse de démontrer qu'il a avec lui la réalité de l'appareil militaro-sécuritaire, à travers le contrôle des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) entièrement sous ses ordres, la réalité de la machine financière de l'État à travers les contrôles effectifs des régies financières et des caisses de l'État, la réalité des édifices publics puisque ses ministres sont bel et bien dans les ministères et occupent tous les édifices de l'État pour accomplir leurs missions régaliennes, et enfin la réalité des médias d'État. A contrario, le Président Gbagbo a essuyé des revers cinglants dans ce «face-à-face», dont le premier est l'isolement politico-diplomatique dans lequel il a plongé la Côte d'Ivoire, exclue aujourd'hui de la CEDEAO et de l'UA, sans compter l'UEMOA. De leader, voire de métronome de la sous-région, la Côte d'Ivoire est devenue comme un paria, à cause de la guéguerre politico-électorale actuelle que livre le Président Gbagbo. Le 2è revers est l'impasse économique et financier dans lequel la volonté de Gbagbo d'être au pouvoir a conduit le pays. Le FMI, la Banque Mondiale et tous les partenaires au développement ont suspendu leur aide bilatérale et multilatérale au développement. Le 3è revers, c'est la contre-publicité terrible faite à ce pays naguère si prospère. Les ballets incessants de chefs d'État et de présidents d'Institutions sous-régionales et régionales à Abidjan, la présence quasi-permanente de la Côte d'Ivoire sur le signet des grandes chaînes de télévision et de radio dans le monde, sont des choses qui desservent le pays. Deux mois après, même si Gbagbo a rattrapé son retard politique et diplomatique, sa posture reste tout de même très délicate, puisque le principe du recomptage des voix qu'il a proposé n'a pas encore été admis et retenu.

ALASSANE DRAMANE OUATTARA:
Avec cette crise post-électorale en Côte d'Ivoire, le candidat du RHDP aura démontré toute, l'épaisseur et l'efficacité de son carnet d'adresses internationales. Jamais, on peut l'affirmer sans sourciller, un responsable africain n'aura réussi à mobiliser autant les grands de ce monde autour de sa cause. Est-ce du fait de Ouattara lui-même ou du positionnement de la Côte d'Ivoire sur l'échiquier mondial? La première grande Victoire du Dr Ouattara dans cette bataille, c'est l'isolement politico-diplomatique dans lequel il a réussi à plonger son adversaire Gbagbo, vite apparu comme un imposteur et un pestiféré. L'exclusion de la Côte d'Ivoire des institutions sous- régionales et régionales comme la CEDEAO l'UEMOA, l'UA, sans compter la mise sous embargo global par l'UE, sont autant d'actes qui attestent la force en international du Dr Alassane Ouattara, qui a engrangé une 2è victoire politique avec l'impasse économique et financière dans laquelle il a réussi à plonger la Côte d'Ivoire pour contraindre Gbagbo à lâcher ce qu'il estime lui revenir de par sa victoire proclamée par la CEI, c'est-à-dire le fauteuil présidentiel. «Ce n'est pas de gaité de cœur que le Président Ouattara engage toutes ces procédures difficiles qui asphyxient son pays, mais nous savons que M. Gbagbo s'accroche pour encore mieux voler ce pays. Et ça, nous ne l'acceptons pas», a précisé une source proche de l'hôtel du Golf. Aujourd'hui, de par la puissance du carnet d'adresses du Dr Ouattara, et de par la volonté des puissances qui le soutiennent, la Côte d'Ivoire se retrouve sous les fourches caudines d'institutions financières et de partenaires au développement comme le FMI, la Banque Mondiale, la SFI, l'UE et autres. Les aides bilatérales et multilatérales au développement sont suspendues, et le gouvernement Aké N'gbo se débat pour pallier ces défaillances. «Gbagbo tombera comme un fruit pourri», a prévenu le candidat du RHDP déclaré vainqueur du scrutin de 28 novembre 2010 par la CEI. Et on constate létranglement continue pour la Côte d'Ivoire. Que ce soit l'UA, la CEDEAO, l'ONU, tous ne reconnaissent que la victoire de Ouattara, et non celle de Gbagbo qu'elles estiment usurpée. Réussir à maintenir l'actualité ivoirienne sur les signets de la presse internationale est une prouesse dont Ouattara peut s'enorgueillir aujourd'hui. Cette guéguerre post-électorale a permis de comprendre que l'homme Ouattara est bien introduit dans les sérails des grands de ce monde. Cependant, en interne, le candidat élu, selon la CEI et reconnu président par la communauté internationale, présente beaucoup de lacunes dont la première est l'absence totale de mainmise sur la machine de l'État. Malgré le fait qu'il ait nommé un Premier ministre, en l'occurrence Guillaume Soro, formé un gouvernement d'union, cette crise a permis de réaliser que Ouattara n'a aucune emprise sur l'appareil militaro-sécuritaire, puisqu'il ne contrôle pas les FDS. Des ralliements d'officiers généraux et officiers supérieurs annoncés, c'est seulement le colonel-major à la retraite Mian Gaston qu'on a vu. Qu'est-ce qui se passe au niveau de la troupe? Même s'il a réussi à l'étrangler pratiquement, le Dr Ouattara n'a pas la réalité de la machine financière de l'État, puisqu'il ne contrôle pas de façon effective les régies financières, qui rendent compte plutôt à son rival Gbagbo. Alassane Ouattara ne contrôle pas non plus les édifices de l'État. Ses ministres qu'il a nommés, sont cloîtrés au Golf Hotel, victimes du blocus imposé par les FDS, et ne peuvent donc pas occuper les ministères pour accomplir leurs missions. Les médias d'État lui échappent complètement, ce qui l'oblige à créer une radio et une télévision RHDP, pratiquement des chaînes «pirates». Sa deuxième lacune qui atteste son manque d'emprise en interne, ce sont les mots d'ordre lancés çà et là par ses «généraux» sans grand effet sur le terrain, alors qu'il est crédité de plus de 54% des voix à la présidentielle du 28 novembre dernier par la CEI et de 48% par le Conseil constitutionnel, avec derrière lui toute la machine du RHDP. Ajouté à cela, le «dialogue de sourds» entre lui et les FDS. En fin de compte, les deux monstres sacrés de la scène politique ivoirienne, revèlent bien des forces mais ne manquent pas de trainer des faiblesses dans cette bataille de la reconnaissance du pouvoir d'Etat.

J M K Ahoussou
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