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Politique Publié le lundi 28 février 2011 | Nord-Sud

Interview : Dembélé Al Séni (Porte-parole du Collectif des 8 journaux pour la sauvegarde des acquis du 28 novembre 2010) : «A partir de mardi, tous nos journaux cessent de paraître jusqu’à nouvel ordre»

Quels sont les raisons à l’origine de la création de ce collectif ?
Ce Collectif, composé de huit journaux, «L’Expression», «Le Nouveau Réveil», «Le Patriote», «Nord Sud», «Le Mandat», «Le Démocrate», «Le Jour Plus» et «L’Intelligent d’Abidjan», existe pour sauvegarder, en 1er lieu, la liberté de la presse dans le pays. Une liberté fortement menacée depuis le 28 novembre 2010, au lendemain du 2ème tour de la présidentielle. Il y a beaucoup d’actions qui sont entreprises pour museler la presse et faire en sorte qu’il y ait le retour de la pensée unique et de la vision unique des choses dans le pays.
Quel état des lieux pouvez-vous faire de la presse libre en Côte d’Ivoire ces derniers jours ?
Cette presse vit une situation particulièrement difficile parce que depuis quelques temps, il y a des actions qui sont menées par les autorités de fait, je veux parler du ministre Ouattara Gnonzié, membre du gouvernement contesté de Laurent Gbagbo, qui crie sur tous les toits que pour lui, il n’y a de presse en Côte d’Ivoire, il ne saurait avoir de presse en Côte d’Ivoire que celle qui soutient son camp et de son chef. Il appelle de ce fait les organes de régulation et l’appareil judiciaire à sévir contre les journaux libres et indépendants et qui est passé aux actes pour museler cette presse. Ces actions sont allées avec une célérité incroyable. On l’a vu mettre sous l’éteignoir, le Conseil national de la presse (Cnp) légal, dirigé par Eugène Dié Kacou, puis, installer un Cnp totalement composé des membres de son camp. Plutôt un appareil politique de répression au lieu d’un organe de régulation. Depuis quelques temps, l’appareil judiciaire s’est mis dans la danse et on voit la situation se dégrader pour le fonctionnement de la presse privée.
Les quotidiens «Le Nouveau Réveil» et «Le Jour Plus» viennent d’être interdits de parution par l’ancien régime. Quelles mesures concrètes le Collectif envisage-t-il pour protester ?
C’est vraiment la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je voudrais rappeler que depuis une dizaine de jours, les directeurs de publications des huit journaux que sont «L’Expression», «Le Nouveau Réveil», «Le Patriote», «Nord Sud», «Le Mandat», «Le Démocrate», «Le Jour Plus» et «L’Intelligent d’Abidjan» sont convoqués à la Brigade criminelle avec beaucoup de leurs journalistes pour répondre d’actions totalement incompréhensibles. Pourquoi ils traitent l’information dans tel sens ? Pourquoi ils ne reconnaissent pas Laurent Gbagbo comme président de la République ? Un harcèlement sans nom, à quoi il faut ajouter la brutalité des forces de l’ordre qui s’en prennent aux agents et aux journalistes de ces organes, qui font peser des menaces physiques et des brimades réelles sur eux. On a même parlé de plans d’enlèvements de responsables de ces journaux. L’un des chauffeurs de Nord Sud Quotidien a été enlevé, depuis quelques jours, on fait des mains et des pieds pour le retrouver, bref, il y a une menace physique directe et des actions de traumatisme du personnel de ces journaux. Un pas supplémentaire vient d’être franchi avec la suspension infligée par le Cnp aux ordres de Déby Dalli qui a décidé d’interrompre la parution de Le Nouveau Réveil pour une semaine entière. A cela, il y a des lourdes amendes financières qui ont été infligées à ces journaux, allant d’un à trois millions de francs Cfa. Tout un arsenal pour empêcher la sortie et la diffusion de nos journaux. Le pire, c’est que Déby Dalli a annoncé que c’est une action graduelle qui vise à fermer l’ensemble de ces journaux. C’est une situation inadmissible, que nous n’acceptons pas, et face à laquelle nous sommes déterminés à réagir.
Concrètement ?
Le Collectif a pris la mesure de la situation et s’est rendu compte qu’il s’agit pour le pouvoir Gbagbo, à travers son appareil judiciaire et ce Cnp aux ordres, de pousser nos entreprises à la fermeture par toutes les mesures scélérates dont je viens de parler, en traumatisant le personnel et en faisant un harcèlement sans nom, pour que nous mettions la clé sous le paillasson. Nous avons décidé d’interrompre, à partir du mardi, la parution de tous nos journaux jusqu’à nouvel ordre. Une manière pour nous de protester vigoureusement contre ces actions inacceptables et interpeller les ivoiriens, qui sont les consommateurs des journaux et de l’information sur ce que Gbagbo et son régime sont en train de faire pour nous empêcher de paraître et de les informer comme ils en ont le droit. C’est en même temps une manière pour nous d’interpeller l’opinion internationale sur la réalité des libertés publiques et en particulier de la liberté de la presse en Côte d’Ivoire.
Ne craignez-vous pas que cette mesure soit interprétée comme une fuite en avant ?
Non ! Ce n’est pas du tout une fuite en avant. C’est une responsabilité grave pour montrer que la vie des entreprises et plus encore, la vie des journalistes, des responsables et de l’ensemble des travailleurs de nos entreprises et de nos journaux est en danger. Il y a risque de voir nos personnels livrés à la vindicte populaire. C’est même déjà fait avec des déclarations incendiaires du ministre Gnonzié, du Cnp, à travers la Rti qui est devenue aujourd’hui une officine de propagande sans nom, qui livre les professionnels de ces journaux à la vindicte populaire. Et les conséquences, on les voit : enlèvements, menaces de tous genres, etc. Cela devient une atmosphère invivable. Mais nous continuons à mener des actions pour que la situation redevienne normale et que nous puissions reprendre nos parutions. Mais pour l’heure, et pour montrer aux ivoiriens la situation grave qui prévaut, nous avons décidé de suspendre en bloc la parution de nos journaux.
Quels rapports les journaux membres du Collectif entretiennent-ils avec ceux proches du camp de l’ancien président ?
Ce sont des rapports professionnels. Je voudrais dire que pour la plupart ce sont des gens qui se connaissent, qui sont plus ou moins de la même génération. Mais par rapport à la donne actuelle dans le pays, il se forme une espèce de repli idéologique, de repli politique, pour ceux qui voient ce métier comme un métier politique beaucoup plus que sa dimension professionnelle. J’ai été même scandalisé de voir que beaucoup de confrères n’ont même pas mentionné dans leurs parutions du samedi, la mesure de fermeture des journaux et les amendes qui leur ont été infligées, se contentant de faire comme si tout allait pour le mieux dans ce pays, comme s’ils ne se sentaient pas concernés. Quand on est dans la profession, quand on est du métier et que des menaces et des dérives aussi graves s’abattent sur la profession et sur des confrères, le minimum, à défaut d’être solidaire est de mentionner cela pour alerter l’opinion. Parce que cette case qu’on applaudit de voir brûler, la paille peut sauter et atteindre le toit de ceux qui applaudissent pour l’instant. Nous, nous avons un combat de principe, ce n’est pas un combat politique. C’est un combat pour que le droit à l’information plurielle des ivoiriens soit respecté et que les libertés de chacun soient respectées. Nous avons un pays où la Constitution ; que beaucoup aiment brandir à tout bout de champ, dit que les libertés individuelles et collectives sont protégées. Un régime, même de fait, devait garantir la pluralité de l’information dans le pays.
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