Adama Bictogo, secrétaire national du RDR et conseiller du président Ouattara, rentre d’une longue mission à l’extérieur. Dans cette interview, il revient sur le combat du président Ouattara sur le plan diplomatique et les défis qu’il devra relever pour la nouvelle Côte d’Ivoire.
M. Bictogo, vous avez été absent du pays un moment pendant la crise postélectorale. Peut-on en savoir les raisons ?
Adama Bictogo : Avant tout propos, permettez-moi de m’incliner devant la mémoire des victimes, toutes les victimes de cette crise postélectorale. Je prie Dieu que ces événements douloureux qu’a connus notre pays ne se reproduisent plus.
En ce qui concerne mon absence du pays pendant un moment, il faut rappeler qu’au terme d’une réunion du Rhdp, un certain nombre de cadres ont été désignés pour effectuer des missions à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. C’est ainsi que le président du Directoire du RHDP, le Pr. Alphonse Djédjé Mady, le porte-parole des FN, Me Affoussy Bamba et moi-même avons été commis pour des missions pour le compte du président de la République. Ce fut une période où nous pensions que la lutte étant multiforme, nous devrions occuper tous les espaces, utiliser tous les différents vecteurs permettant de faire comprendre notre situation à l’opinion internationale à un moment où le printemps maghrébin pouvait faire oublier les problèmes que vivait la Côte d’Ivoire. Nous avons donc été mandatés par le chef de l’Etat d’aller à Paris, à Bruxelles partout où nous pouvions faire valoir la justesse du combat de son Excellence Alassane Ouattara et du peuple ivoirien. C’est ainsi que nous avons été reçus le 14 février, à l’Elysée par M. Paran, au Quai d’Orsay par Michelle Alliot Marie. Moi-même ai été reçu par M. Dominique De Villepin pour le compte du président de la République, Alassane Ouattara. Je me suis rendu à Ouagadougou, fin février et le Premier ministre Guillaume Soro qui s’y trouvait, a souhaité que je l’assiste dans la conduite d’un certain nombre de dossiers. J’y suis resté jusqu’au 12 mars, quand le président Ouattara m’a instruit d’aller soutenir à Niamey au Niger, son ami, Youssouffou Mahamadou, à son dernier meeting de campagne de l’élection présidentielle. Toujours dans l’occupation de l’espace diplomatique, j’ai été le 19 mars, à Dakar à l’invitation du Premier ministre sénégalais. Le 5 avril, le président de la République m’a demandé à nouveau, d’aller le représenter à l’investiture du président Youssoufou
L.P : Comment avez-vous appréhendé l’accueil à Niamey qui a été particulièrement chaleureux ?
A.B : J’ai bénéficié d’un standing ovation qui était en réalité fait au président Ouattara. A l’analyse, c’était un message de soutien fort au Président Ouattara que le peuple nigérien a envoyé à l’opinion internationale. C’était une manière pour le peuple nigérien de dire que notre combat était juste.
L.P : La crise postélectorale s’est achevée par la capture de l’ex-chef de l’Etat, Laurent Gbagbo. Pensiez-vous qu’on en arriverait là?
A.B : Dire que nous ne nous attendions pas à une confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo, c’est manquer d’anticipation politique. Nous savions que nous allions gagner l’élection au vu de la campagne que nous avons menée, au vu de la qualité de l’alliance politique qu’est le RHDP, à travers le report arithmétique des voix et surtout l’aspiration du peuple au changement et la qualité de notre candidat, Alassane Ouattara. Ce que nous ne savions pas, c’était le niveau d’armement de Gbagbo.
L.P : Pensez-vous que le niveau d’armement était le seul élément explicatif de son entêtement ?
A.B : Je crois qu’à un moment donné, Gbagbo a voulu certainement reconnaître la victoire de Ouattara. Mais, très rapidement, le cercle et le front du refus se sont mis en place. Ce front était composé de religieux, de militants de l’aile dure et de militaires. Son entêtement reposait en premier lieu sur une analyse de ce que l’opposition après deux semaines ne teindrait plus. Il avait donc deux leviers : le levier militaire et le conseil constitutionnel. Ainsi, dans sa conception, il se disait que même s’il perdait l’élection, il s’appuierait sur le Conseil constitutionnel et si l’opposition manifeste, il utiliserait l’armée pour s’imposer au peuple.
L.P : Ni la puissance de feu dont il disposait, ni le Conseil n’a réussi à l’imposer au peuple ivoirien. Selon vous qu’est-ce qui a manqué à l’analyse de Gbagbo ?
A.B : Je pense bien que ce que Gbagbo n’a pas prévu dans son schéma tactique, c’est la notoriété, la personnalité et la capacité de résistance du président Alassane Ouattara d’une part et d’autre part, la détermination du peuple ivoirien et sa soif de changement. Ouattara a démontré qu’il a une renommée internationale au-dessus de la normale. Et que l’irrationnel qui habitait Gbagbo dans son entêtement, on pouvait également parler de la même irrationalité dans le soutien du monde entier à Alassane Ouattara. Gbagbo a également minimisé la capacité de résistance et de détermination du président Bédié et du Premier ministre Soro auprès du président Alassane Ouattara. Enfin, le peuple s’est montré digne en dépit des exactions qu’il a subies. A aucun moment, il n’a vacillé. Il a traduit clairement son choix pour le changement et l’a défendu jusqu’au bout au prix de sa vie. Pour terminer, Gbagbo n’avait pas prévu l’engagement de la communauté internationale en particulier, du Nigeria (CEDEAO), de la France, les Etats-Unis à faire respecter le choix du peuple ivoirien. C’est l’ensemble de tous ces facteurs qui a abouti à la capture de l’ex-chef de l’Etat.
L.P : Des villes et communes ont payé le prix fort…
A.B : De mon point de vue, il y a des quartiers martyrs comme Abobo, Koumassi, Adjamé, Anyama, Duékoué qui doivent bénéficier dans le cadre de la reconstruction, des logements sociaux en mémoire de tout ce qu’ils ont fait comme l’ANC l’a fait à Soweto
L.P : L’un des dignitaires du régime déchu, le FPI, en l’occurrence Désiré Tagro a perdu la vie dans les événements du 11 avril. Quel a été votre sentiment en apprenant cette information?
A.B : Je voudrais déplorer ce qui est arrivé à mon ami et présenter mes condoléances les plus attristés à sa famille. Tagro est mort parce qu’il a été un fidèle parmi les fidèles. Il est resté gbagboïste jusqu’au bout. J’ai ressenti une douleur en apprenant sa mort parce que je l’ai eu pour la dernière fois au téléphone le 8 mars après qu’on ne se soit pas parlé pendant trois mois. Il m’a appelé pour déplorer le pillage qui a eu lieu chez moi. Je lui ai rappelé que le 02 décembre 2010, le président de la République, Alassane Ouattara, avait mandaté Amon Tanoh et moi-même d’aller les voir et dire à Gbagbo qu’il était important qu’on évite la guerre.
L.P : Pendant cet entretien avec votre ami, à cette date du 8 mars 2011, qu’est-ce que vous avez senti chez l’homme ?
A. B : J’avoue que j’ai eu le pressentiment d’un homme qui était pris en otage, qui avait envie d’en sortir mais malheureusement qui voulait rester logique à sa loyauté à Gbagbo tout en sachant que la vérité des faits n’était pas de leur côté. Il avait décidé de rester fidèle à Gbagbo au lieu de privilégier la raison.
L.P : Le président Ouattara prend le pays dans un état comateux. Vous qui êtes ses collaborateurs, avez-vous des appréhensions pour la mise sur les rails de la Côte d’Ivoire?
AB : L’idéal aurait été que nous abordions ce mandat de façon paisible quand on sait que le pays était déjà moribond au plan économique. Mon appréhension n’est pas d’ordre économique. Elle est d’ordre social parce qu’on ne peut pas occulter le fait que cette crise n’a pas créé une fracture profonde entre les Ivoiriens. Il y a eu morts d’homme et au lieu d’une victoire électorale, le moyen qui a été utilisé pour faire valoir notre victoire à l’élection, a été la guerre. Les appréhensions, nous en avons mais elles sont surmontables. Parce que le discours du président de la République n’a pas varié d’un iota. Il a gardé la même posture avant et après les élections car il croit au rassemblement. Et comme le président de la République est un homme fédérateur, je reste convaincu que les deux axes qu’il a définis-la réconciliation et la reconstruction- sont réalisables.
L.P : Quels sont donc les défis qu’il aura à relever pendant cette première mandature ?
AB : Pour moi, premièrement, l’axe de la réconciliation va reposer d’une part, sur la commission vérité-justice-réconciliation qui doit être mise en place. Deuxièmement, dans son axe de réconciliation, le président de la République doit être sans état d’âme.
L.P : Que voulez-vous dire ?
AB : Sans état d’âme pour la réconciliation, c’est de permettre à chacun de nous, d’avoir un dépassement de soi et de taire nos rancœurs pour que l’adversaire d’hier devienne un compagnon de la reconstruction de la Côte d’Ivoire au plan moral. Que l’adversaire d’hier ne soit pas un spectateur mais un acteur de la reconstruction. C’est à ce prix que nous allons arriver à la réconciliation en permettant à chacun de nous, d’où qu’il vienne. Quelle que soit l’appartenance, l’adversité d’hier, que chacun se sente impliqué dans le projet de réconciliation et de reconstruction que va conduire le président de la République.
L.P : Est-ce que cette recherche permanente ne va pas amener le président de la République à sacrifier la justice ?
AB : La réconciliation n’est pas antinomique avec la justice. Le rôle de la justice dans une société, c’est de permettre que l’équité de la justice soit la même pour tous. Dès lors que nous sommes tous égaux devant la loi, il n’y a pas de raison que la justice ne s’applique pas. Mais la justice va s’appliquer sur des chefs d’inculpation identifiés et reconnus par le mis en cause. A partir de ce moment, le président de la République est à l’aise de mener sa réconciliation. La réconciliation entre les peuples, oui. C’est vrai que la justice peut parfois être un frein. Mais, il ne faut pas oublier que lors de la campagne électorale, le slogan du président de la République, c’était le changement. Dès que vous faites l’option de la rupture, il y a déséquilibre. Presque pendant 10 ans, parmi les acteurs d’hier, il y a des personnes qui se sont rendu coupables de différentes natures de crimes. Donc pour l’heure, on ne peut pas, sans preuves matérielles, accabler telle ou telle personne. C’est à la justice d’éclairer l’opinion. Et c’est d’ailleurs par une justice crédible, que le président de la République pourra prendre des décisions, et que le peuple lui-même s’auto-saisira de la réconciliation. Mais si nous allons à la réconciliation sans déterminer les responsabilités des uns et des autres dans tel ou tel secteur, nous allons répondre aux attentes de la population sur des bases erronées. Allons à la réconciliation sur des bases fondées, crédibles pour un socle de réconciliation, plus fort. Mais surtout pour permettre à une Côte d’Ivoire plus forte, d’accompagner le président de la République vers le développement.
L. P : Quelles sont les conditions pour que la nouvelle Côte d’Ivoire prenne forme ?
AB : Je voudrais inviter tous les Ivoiriens aussi bien ceux qui ont voté le président de la République, que ceux qui n’ont pas voté pour lui, tous ceux qui ont souffert et qui continuent de souffrir, tous ceux qui ont perdu au plan matériel ou humain, à être des soldats de la paix et du développement. Il s’agit d’accompagner le président Alassane Ouattara qui a besoin de nous tous pour relever les défis. Je voudrais que dans cette Côte d’Ivoire qui renaît, nous nous dépassions et que nous renoncions à tous les actes qui peuvent porter préjudice à la réconciliation. En lieu et place des artisans de la haine, que nous soyons des artisans de la paix. Qu’en lieu et place de la vengeance, nous soyons des ambassadeurs du pardon et de la tolérance. Parce que le président de la République a besoin des Ivoiriens solidaires, réunis par l’essentiel. Et l’essentiel, c’est cette Côte d’Ivoire nouvelle, fraternelle telle que nous l’avons connue sous Félix Houphouët-Boigny. Je voudrais dire merci au président Bédié qui a su soutenir le président de la République. Et qui par ce soutien, nous donne à nous tous, une leçon du respect des engagements. De par tous ces moments passés à l’hôtel du Golf, il nous a donné une leçon d’humilité. Et que devant la noblesse et la justesse d’un combat, l’humilité doit précéder nos ambitions personnelles. Pour une Côte d’Ivoire encore plus forte, nous devons accompagner le président Alassane Ouattara. Aussi voudrais-je féliciter le Premier ministre Guillaume Soro pour sa détermination et son combat pour les libertés en vue du bonheur des Ivoiriens.
Réalisée par Ibrahima B. Kamagaté
M. Bictogo, vous avez été absent du pays un moment pendant la crise postélectorale. Peut-on en savoir les raisons ?
Adama Bictogo : Avant tout propos, permettez-moi de m’incliner devant la mémoire des victimes, toutes les victimes de cette crise postélectorale. Je prie Dieu que ces événements douloureux qu’a connus notre pays ne se reproduisent plus.
En ce qui concerne mon absence du pays pendant un moment, il faut rappeler qu’au terme d’une réunion du Rhdp, un certain nombre de cadres ont été désignés pour effectuer des missions à l’extérieur de la Côte d’Ivoire. C’est ainsi que le président du Directoire du RHDP, le Pr. Alphonse Djédjé Mady, le porte-parole des FN, Me Affoussy Bamba et moi-même avons été commis pour des missions pour le compte du président de la République. Ce fut une période où nous pensions que la lutte étant multiforme, nous devrions occuper tous les espaces, utiliser tous les différents vecteurs permettant de faire comprendre notre situation à l’opinion internationale à un moment où le printemps maghrébin pouvait faire oublier les problèmes que vivait la Côte d’Ivoire. Nous avons donc été mandatés par le chef de l’Etat d’aller à Paris, à Bruxelles partout où nous pouvions faire valoir la justesse du combat de son Excellence Alassane Ouattara et du peuple ivoirien. C’est ainsi que nous avons été reçus le 14 février, à l’Elysée par M. Paran, au Quai d’Orsay par Michelle Alliot Marie. Moi-même ai été reçu par M. Dominique De Villepin pour le compte du président de la République, Alassane Ouattara. Je me suis rendu à Ouagadougou, fin février et le Premier ministre Guillaume Soro qui s’y trouvait, a souhaité que je l’assiste dans la conduite d’un certain nombre de dossiers. J’y suis resté jusqu’au 12 mars, quand le président Ouattara m’a instruit d’aller soutenir à Niamey au Niger, son ami, Youssouffou Mahamadou, à son dernier meeting de campagne de l’élection présidentielle. Toujours dans l’occupation de l’espace diplomatique, j’ai été le 19 mars, à Dakar à l’invitation du Premier ministre sénégalais. Le 5 avril, le président de la République m’a demandé à nouveau, d’aller le représenter à l’investiture du président Youssoufou
L.P : Comment avez-vous appréhendé l’accueil à Niamey qui a été particulièrement chaleureux ?
A.B : J’ai bénéficié d’un standing ovation qui était en réalité fait au président Ouattara. A l’analyse, c’était un message de soutien fort au Président Ouattara que le peuple nigérien a envoyé à l’opinion internationale. C’était une manière pour le peuple nigérien de dire que notre combat était juste.
L.P : La crise postélectorale s’est achevée par la capture de l’ex-chef de l’Etat, Laurent Gbagbo. Pensiez-vous qu’on en arriverait là?
A.B : Dire que nous ne nous attendions pas à une confiscation du pouvoir par Laurent Gbagbo, c’est manquer d’anticipation politique. Nous savions que nous allions gagner l’élection au vu de la campagne que nous avons menée, au vu de la qualité de l’alliance politique qu’est le RHDP, à travers le report arithmétique des voix et surtout l’aspiration du peuple au changement et la qualité de notre candidat, Alassane Ouattara. Ce que nous ne savions pas, c’était le niveau d’armement de Gbagbo.
L.P : Pensez-vous que le niveau d’armement était le seul élément explicatif de son entêtement ?
A.B : Je crois qu’à un moment donné, Gbagbo a voulu certainement reconnaître la victoire de Ouattara. Mais, très rapidement, le cercle et le front du refus se sont mis en place. Ce front était composé de religieux, de militants de l’aile dure et de militaires. Son entêtement reposait en premier lieu sur une analyse de ce que l’opposition après deux semaines ne teindrait plus. Il avait donc deux leviers : le levier militaire et le conseil constitutionnel. Ainsi, dans sa conception, il se disait que même s’il perdait l’élection, il s’appuierait sur le Conseil constitutionnel et si l’opposition manifeste, il utiliserait l’armée pour s’imposer au peuple.
L.P : Ni la puissance de feu dont il disposait, ni le Conseil n’a réussi à l’imposer au peuple ivoirien. Selon vous qu’est-ce qui a manqué à l’analyse de Gbagbo ?
A.B : Je pense bien que ce que Gbagbo n’a pas prévu dans son schéma tactique, c’est la notoriété, la personnalité et la capacité de résistance du président Alassane Ouattara d’une part et d’autre part, la détermination du peuple ivoirien et sa soif de changement. Ouattara a démontré qu’il a une renommée internationale au-dessus de la normale. Et que l’irrationnel qui habitait Gbagbo dans son entêtement, on pouvait également parler de la même irrationalité dans le soutien du monde entier à Alassane Ouattara. Gbagbo a également minimisé la capacité de résistance et de détermination du président Bédié et du Premier ministre Soro auprès du président Alassane Ouattara. Enfin, le peuple s’est montré digne en dépit des exactions qu’il a subies. A aucun moment, il n’a vacillé. Il a traduit clairement son choix pour le changement et l’a défendu jusqu’au bout au prix de sa vie. Pour terminer, Gbagbo n’avait pas prévu l’engagement de la communauté internationale en particulier, du Nigeria (CEDEAO), de la France, les Etats-Unis à faire respecter le choix du peuple ivoirien. C’est l’ensemble de tous ces facteurs qui a abouti à la capture de l’ex-chef de l’Etat.
L.P : Des villes et communes ont payé le prix fort…
A.B : De mon point de vue, il y a des quartiers martyrs comme Abobo, Koumassi, Adjamé, Anyama, Duékoué qui doivent bénéficier dans le cadre de la reconstruction, des logements sociaux en mémoire de tout ce qu’ils ont fait comme l’ANC l’a fait à Soweto
L.P : L’un des dignitaires du régime déchu, le FPI, en l’occurrence Désiré Tagro a perdu la vie dans les événements du 11 avril. Quel a été votre sentiment en apprenant cette information?
A.B : Je voudrais déplorer ce qui est arrivé à mon ami et présenter mes condoléances les plus attristés à sa famille. Tagro est mort parce qu’il a été un fidèle parmi les fidèles. Il est resté gbagboïste jusqu’au bout. J’ai ressenti une douleur en apprenant sa mort parce que je l’ai eu pour la dernière fois au téléphone le 8 mars après qu’on ne se soit pas parlé pendant trois mois. Il m’a appelé pour déplorer le pillage qui a eu lieu chez moi. Je lui ai rappelé que le 02 décembre 2010, le président de la République, Alassane Ouattara, avait mandaté Amon Tanoh et moi-même d’aller les voir et dire à Gbagbo qu’il était important qu’on évite la guerre.
L.P : Pendant cet entretien avec votre ami, à cette date du 8 mars 2011, qu’est-ce que vous avez senti chez l’homme ?
A. B : J’avoue que j’ai eu le pressentiment d’un homme qui était pris en otage, qui avait envie d’en sortir mais malheureusement qui voulait rester logique à sa loyauté à Gbagbo tout en sachant que la vérité des faits n’était pas de leur côté. Il avait décidé de rester fidèle à Gbagbo au lieu de privilégier la raison.
L.P : Le président Ouattara prend le pays dans un état comateux. Vous qui êtes ses collaborateurs, avez-vous des appréhensions pour la mise sur les rails de la Côte d’Ivoire?
AB : L’idéal aurait été que nous abordions ce mandat de façon paisible quand on sait que le pays était déjà moribond au plan économique. Mon appréhension n’est pas d’ordre économique. Elle est d’ordre social parce qu’on ne peut pas occulter le fait que cette crise n’a pas créé une fracture profonde entre les Ivoiriens. Il y a eu morts d’homme et au lieu d’une victoire électorale, le moyen qui a été utilisé pour faire valoir notre victoire à l’élection, a été la guerre. Les appréhensions, nous en avons mais elles sont surmontables. Parce que le discours du président de la République n’a pas varié d’un iota. Il a gardé la même posture avant et après les élections car il croit au rassemblement. Et comme le président de la République est un homme fédérateur, je reste convaincu que les deux axes qu’il a définis-la réconciliation et la reconstruction- sont réalisables.
L.P : Quels sont donc les défis qu’il aura à relever pendant cette première mandature ?
AB : Pour moi, premièrement, l’axe de la réconciliation va reposer d’une part, sur la commission vérité-justice-réconciliation qui doit être mise en place. Deuxièmement, dans son axe de réconciliation, le président de la République doit être sans état d’âme.
L.P : Que voulez-vous dire ?
AB : Sans état d’âme pour la réconciliation, c’est de permettre à chacun de nous, d’avoir un dépassement de soi et de taire nos rancœurs pour que l’adversaire d’hier devienne un compagnon de la reconstruction de la Côte d’Ivoire au plan moral. Que l’adversaire d’hier ne soit pas un spectateur mais un acteur de la reconstruction. C’est à ce prix que nous allons arriver à la réconciliation en permettant à chacun de nous, d’où qu’il vienne. Quelle que soit l’appartenance, l’adversité d’hier, que chacun se sente impliqué dans le projet de réconciliation et de reconstruction que va conduire le président de la République.
L.P : Est-ce que cette recherche permanente ne va pas amener le président de la République à sacrifier la justice ?
AB : La réconciliation n’est pas antinomique avec la justice. Le rôle de la justice dans une société, c’est de permettre que l’équité de la justice soit la même pour tous. Dès lors que nous sommes tous égaux devant la loi, il n’y a pas de raison que la justice ne s’applique pas. Mais la justice va s’appliquer sur des chefs d’inculpation identifiés et reconnus par le mis en cause. A partir de ce moment, le président de la République est à l’aise de mener sa réconciliation. La réconciliation entre les peuples, oui. C’est vrai que la justice peut parfois être un frein. Mais, il ne faut pas oublier que lors de la campagne électorale, le slogan du président de la République, c’était le changement. Dès que vous faites l’option de la rupture, il y a déséquilibre. Presque pendant 10 ans, parmi les acteurs d’hier, il y a des personnes qui se sont rendu coupables de différentes natures de crimes. Donc pour l’heure, on ne peut pas, sans preuves matérielles, accabler telle ou telle personne. C’est à la justice d’éclairer l’opinion. Et c’est d’ailleurs par une justice crédible, que le président de la République pourra prendre des décisions, et que le peuple lui-même s’auto-saisira de la réconciliation. Mais si nous allons à la réconciliation sans déterminer les responsabilités des uns et des autres dans tel ou tel secteur, nous allons répondre aux attentes de la population sur des bases erronées. Allons à la réconciliation sur des bases fondées, crédibles pour un socle de réconciliation, plus fort. Mais surtout pour permettre à une Côte d’Ivoire plus forte, d’accompagner le président de la République vers le développement.
L. P : Quelles sont les conditions pour que la nouvelle Côte d’Ivoire prenne forme ?
AB : Je voudrais inviter tous les Ivoiriens aussi bien ceux qui ont voté le président de la République, que ceux qui n’ont pas voté pour lui, tous ceux qui ont souffert et qui continuent de souffrir, tous ceux qui ont perdu au plan matériel ou humain, à être des soldats de la paix et du développement. Il s’agit d’accompagner le président Alassane Ouattara qui a besoin de nous tous pour relever les défis. Je voudrais que dans cette Côte d’Ivoire qui renaît, nous nous dépassions et que nous renoncions à tous les actes qui peuvent porter préjudice à la réconciliation. En lieu et place des artisans de la haine, que nous soyons des artisans de la paix. Qu’en lieu et place de la vengeance, nous soyons des ambassadeurs du pardon et de la tolérance. Parce que le président de la République a besoin des Ivoiriens solidaires, réunis par l’essentiel. Et l’essentiel, c’est cette Côte d’Ivoire nouvelle, fraternelle telle que nous l’avons connue sous Félix Houphouët-Boigny. Je voudrais dire merci au président Bédié qui a su soutenir le président de la République. Et qui par ce soutien, nous donne à nous tous, une leçon du respect des engagements. De par tous ces moments passés à l’hôtel du Golf, il nous a donné une leçon d’humilité. Et que devant la noblesse et la justesse d’un combat, l’humilité doit précéder nos ambitions personnelles. Pour une Côte d’Ivoire encore plus forte, nous devons accompagner le président Alassane Ouattara. Aussi voudrais-je féliciter le Premier ministre Guillaume Soro pour sa détermination et son combat pour les libertés en vue du bonheur des Ivoiriens.
Réalisée par Ibrahima B. Kamagaté