L’auteur du livre « Libertés confisquées » paru en France en 1991, est rentré en Côte d’Ivoire après 25 années d’exil volontaire. L’ancien conseiller de Blaise Compaoré parle de son ami Gbagbo qui s’est éloigné de leurs idéaux communs, d’Alassane Ouattara dont il attend les preuves dans l’exercice du pouvoir, et surtout de Guillaume Soro qu’il admire. Entretien.
Monsieur Bernard Doza, qu’est-ce qui vous amène au pays après tant d’années d’exil en France, et en ces heures chaudes ?
Je suis arrivé à Abidjan le 23 février 2011 au lendemain du durcissement de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. Des amis m’ont demandé de venir voir dans quelles mesures je pouvais donner un coup de main à mon ami Laurent Gbagbo. Quelqu’un dont j’ai fait la promotion de 1983 à1988, mais dès son retour au pays, des divergences idéologiques nous ont éloignés, jusqu’à ce que je m’exile récemment au Bénin. Et de là-bas, ayant vu les difficultés dans lesquelles il était, j’ai mis de côté nos divergences pour venir aider à résoudre cette crise. Mais arrivé ici, je me suis retrouvé devant un mur d’incompréhensions. Je suis donc resté bloqué jusqu’à ce qu’il soit arrêté.
De quel genre de coup de main parlez-vous ?
Au lendemain de l’élection présidentielles, il y a eu deux prestations de serment, et donc deux présidents en Côte d’Ivoire. Et le durcissement du pouvoir avec la diabolisation d’Alassane Dramane Ouattara. Pour moi, je me devais de persuader Laurent Gbagbo et ses amis pour qu’on trouve un dialogue inter ivoirien afin de trouver une solution. Cela a été mal perçu, et on m’a suspecté d’être un agent de Ouattara. Car depuis les évènements de 2000 et 2002, et quand je suis critique envers Laurent Gbagbo, le dernier cercle autour de Gbagbo m’accuse de rouler pour Ouattara. On a laissé même dire que c’est Ouattara qui paye le loyer de mon appartement du treizième arrondissement à Paris. Ici encore, j’étais encore perçu comme un agent de Ouattara et je n’ai pas été reçu au palais jusqu’à la chute du régime. Je suis donc resté malgré le fait que des possibilités s’offraient à moi pour m’exiler encore une fois. Je reste pour pouvoir participer au débat politique ivoirien de l’intérieur. 25 ans d’exil, c’est beaucoup!
Comment espérez-vous prendre part au débat politique ivoirien ?
Après 25 ans d’éloignement du pays, la lucidité voudrait que j’observe pour l’instant. Dans tous les cas, j’ai des amis dans l’ancien pouvoir comme dans le nouveau qui m’ont même fait appel pour que je rejoigne le Golf. Propositions que j’ai repoussées en raison de mes liens d’amitié avec Laurent Gbagbo, même si je n’étais pas d’accord avec lui sur beaucoup de choses. N’ayant participé à aucun pouvoir en Côte d’Ivoire, ni de près ni de loin, et en tant que leader d’opinion, ma voix pourrait être importante dans le processus de réconciliation nationale.
Qu’est ce qui vous a conduit à vous exiler au Bénin ?
Je suis parti au Bénin parce que j’avais été arrêté et mis en garde à vue en septembre 2008, et lors de cette garde à vue au commissariat du treizième arrondissement de Paris j’ai été approché par des agents de la DGRSE française (Direction générale du renseignement et de la sécurité extérieure) qui m’avaient extrait et conduit au boulevard Mortier. Là ils m’ont fait entendre que des officiers et sous-officiers, dissidents des FDS possédaient des documents où mon nom serait apparu. Documents qui laissaient penser que ces militaires ivoiriens préparaient une attaque contre l’armée française en Côte d’Ivoire. C’est pour cela que j’avais été arrêté. Même comme la preuve n’a pas été faite, j’ai été libéré. Cependant la façon dont j’ai été arrêté me laissait perplexe, j’ai préféré m’éloigner de Paris et de la France en attendant que les choses se calment. Voilà comment je suis arrivé au Bénin.
Aujourd’hui à Abidjan, comment percevez-vous la situation sociopolitique ivoirienne ?
Pour moi ce qui se passe aujourd’hui est la somme de toutes les incompréhensions qu’il y a eu depuis 2000 et qui concouru à l’arrivée de Gbagbo au pouvoir. Dans ce pays, il y a eu des gens qui se sont assis et élaboré une philosophie d’exclusion. Ces gens ont poussé à l’affrontement avec les partisans d’Alassane Ouattara. S’il a fallu aller jusqu’aux armes pour faire respecter les résultats d’une élection, c’est à cause de ceux qui ont élaboré cette philosophie de l’exclusion. Et tous ces thuriféraires de Gbagbo qui étaient au palais présidentiel se sont rués au Golf quand Laurent Gbagbo est tombé. Cela me gêne et m’attriste. C’est la preuve qu’il y a peu d’homme de conviction dans mon pays. Ces mêmes personnes qui ont dit qu’Alassane Ouattara n’était pas Ivoirien viennent l’embrasser fougueusement. C’est à croire que nos hommes politiques marchent tous à l’intérêt. Ce n’est pas la paix qui les motive, c’est plutôt le déblocage de leurs avoirs bloqué ailleurs dans le monde. Ce n’est pas bien parce que ce n’est leur argent gagné honnêtement. Voilà, pourquoi c’est un risque de juger Laurent Gbagbo par notre justice ou une justice internationale. Depuis Houphouët Boigny on n’a jamais fait, judiciairement, le bilan d’un gouvernement qui a dirigé ce pays.
Pour vous Laurent Gbagbo ne devrait pas être jugé ?
Pour moi, il doit comparaître devant la commission dialogue, vérité et réconciliation. Pour ceux qui ont commis des crimes de sang, la justice nationale s’en occupera. Voilà pourquoi je ne peux pas comprendre qu’on ait tué Désiré Tagro qui tenait un mouchoir blanc à la main pour annoncer la reddition de Gbagbo. Je ne peux pas comprendre qu’on ait tué le sergent-chef Ibrahim Coulibaly et trois de ses lieutenants tenaient des mouchoirs blancs pour annoncer également sa reddition. Je suis d’accord avec le président Ouattara pour qu’on fasse la lumière sur ces morts là et bien d’autres encore. Il y a quelques jours le quotidien « Le Nouveau Réveil » s’interrogeait pour savoir s’il n’y avait pas une malédiction qui frappait ceux qui étaient impliqués dans le coup d’Etat de 2000. Ce coup d’Etat qui a déposé Bédié, et voilà aujourd’hui Bédié qui est aux côté de Ouattara. Est-ce que Bédié ne serait pas en train de régler ses comptes. Si c’est le cas, c’est un mauvais message pour la paix que nous voulons reconstruire. En 1982, j’ai sévèrement critiqué Houphouët et le PDCI, Houphouët m’a reçu et demandé des explications, mais jamais, il n’a tenté de me liquider physiquement.
Quelles perspectives voyez-vous pour les trois poids lourds de la politique ivoirienne que sont Bédié, Gbagbo, et Ouattara ?
J’en vois plutôt quatre. Il faut désormais compter avec le premier ministre Guillaume Soro. Laurent Gbagbo et ses amis se sont mépris sur ce jeune homme en pensant qu’ils allaient pouvoir en faire un des leurs et l’éloigner de Ouattara et de ses idées. Je le connais, je l’ai hébergé chez moi en 1999 quand il est arrivé à Paris. Et il incarne une nouvelle génération d’homme politique. Il fait également partie de ces leaders de la FESCI qui ont été formés par les principaux partis politiques ivoiriens, et dont l’appel du pouvoir est fort. En ce qui concerne Bédié, son grand âge va naturellement l’éloigner de la scène. Mais comme je ne cesse de le dire, le pouvoir en Côte d’Ivoire a une dimension ethno-monarchique. Bédié estimant qu’il est l’héritier d’Houphouët Boigny veut être le dépositaire du pouvoir avant de nous quitter. Quant à Gbagbo, dieu merci, il est vivant. L’on devrait alléger les conditions de son assignation à résidence et espérer sa libération dans deux ou trois ans. Ce serait un dangereux précédent que de juger Laurent Gbagbo. Car Gbagbo et Ouattara c’est aussi et surtout le front républicain. Gbagbo n’est pas allé à l’élection présidentielle de 1995 en soutien à Ouattara que la loi électorale écartait de la course. En 2000, quand Alassane était en difficulté, et était encerclé par des soldats à son domicile, c’est Gbagbo qui l’en a sorti. En 2002, retranché dans la résidence de l’ambassadeur allemand, c’est Gbagbo qui a encore manœuvré pour que Ouattara quitte le pays. Ces deux hommes savent beaucoup l’un de l’autre et peuvent encore se parler. Il y a des choses entre ces deux personnalités que personne ne sait. Pour Ouattara, il sait bien ce qui l’attend. Il a certes gagné les élections en novembre dernier, mais c’est Soro et ses hommes qui lui ont donné la réalité du pouvoir. Ouattara devra gouverner avec Soro et il le sait. Que le PDCI arrête de faire le grognon, l’homme fort actuel du pays c’est Soro Guillaume.
Vous qui êtes un défendeur des libertés et de l’Etat de droit, comment pouvez-vous militer pour un non procès de Laurent Gbagbo ? Cette situation de non procès que vous demandez pourrait mettre à l’abri ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui de toutes poursuites demain. Sous d’autres cieux, la justice demande des comptes à d’anciens chefs d’Etat et même à des chefs d’Etat en fonction. C’est le cas de Chirac et de Berlusconi, comme il l’a été pour Clinton. Pourquoi ne pas en faire autant pour Gbagbo et espérer trouver des arrangements en ce qui concerne les sanctions éventuelles ? Il pourrait même en sortir innocenté.
C’est vrai que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont besoin de justice et aussi de paix. Mais nous pouvons procéder autrement que la voix d’une justice nationale ou internationale. C’est ce que nous avons choisi avec la voix de la commission dialogue, vérité, et réconciliation a été inaugurée par les Sud-Africains. Et à ce que je sache, aucun chef d’Etat sud-africain qui ayant régné sous le régime d’Apartheid n’a été conduit devant une juridiction nationale ou internationale. Les geôliers et assassins des noirs sud-africains et les noirs d’Afrique du Sud partagent aujourd’hui les mêmes gradins des stades, ils empruntent les même bus, et vivent dans les mêmes quartiers. La commission vérité réconciliation sud-africaine n’a voué personne au bûcher. Allons tous à la commission Dialogue, vérité, et réconciliation qui pourrait être conclue par une loi d’amnistie générale. Comme Gbagbo a eu à prendre une loi d’amnistie après la rébellion de 2002, Alassane Ouattara peut en faire autant. Nous aurions dû faire les états généraux de la nation en 2000 sous Guéi, ou avec Gbagbo, mais il n’est pas tard, nous pouvons tout aplanir et avancer.
Revenons sur le nouveau débat politique ivoirien. A vous entendre, vous soutenez que ce débat ne soit que l’affaires des politiques puis que vous y voyez durablement Soro Guillaume qui est un chef militaire.
Soro Guillaume est certes le chef d’une rébellion, mais il ne faut pas oublier qu’il est également issu de la FESCI qui a été un puissant laboratoire de formation politique. Ceux qui en sortent ont des idées et convictions très fortes et marquées de leurs mentors politiques. C’est parce qu’à partir de 1993, des « ivoiritaires » ont conçu des théories exclusardes que ce jeune homme a pris le maquis. Sinon Soro n’est pas un militaire.
Quant aux raisons de votre présence à Abidjan, pourquoi ne vous a –t-on pas vu à la RTI ou lu dans la presse pour donner ce coup de main à votre ami Gbagbo ?
Depuis 2000 à Paris où j’ai tenu une conférence de presse pendant laquelle je n’ai pas été très tendre avec Gbagbo, et ce coup de fil que Soro m’a passé en 2002 depuis Lomé pour que je vienne l’aider à construire le MPCI, les amis de Gbagbo me considèrent comme un élément à la solde de Ouattara. Et en 2006, à l’occasion encore d’une autre conférence de presse, j’ai annoncé que je cherchais à rencontrer des chefs militaires pour organiser une armée afin d’engager la lutte contre les forces d’occupation qu’étaient la Licorne et les forces de l’ONUCI. Cela a suffi pour qu’un quotidien ivoirien proche de Gbagbo me présente comme celui qui préparait un coup d’état militaire. Un coup d’état ne s’annonce ! Voilà pourquoi beaucoup des proches de Gbagbo n’ont pas voulu que je parle, car j’ai pour habitude de parler librement.
La force « Licorne » et les forces onusiennes sont pour vous encore des forces d’occupation étrangères ?
Tout à fait. Tout le monde sait que c’est l’intervention des Français qui a été déterminante dans la reddition de Gbagbo. Mais cela ne devrait pas les laisser penser que cela leur donne un quelconque droit sur le pouvoir ivoirien et la Côte d’Ivoire. C’est au président Alassane Ouattara de garantir et d’assurer la souveraineté de l’Etat de Côte d’Ivoire.
Vous disiez que Soro vous avait contacté en 2002 pour construire le MPCI, ou en estes-vous de vos relations ?
Elles sont bonnes. Il est le seul homme politique qui a été honnête vis-à-vis de moi parmi tous ceux dont j’ai fait la promotion à Paris et dans les capitales européennes. Ce garçon m’a toujours appelé quand il était en position de force. Cela a été le cas en 2002, et cela a été également le cas en 2010 où il m’a fait appeler par un de ses conseillers. Je déclinais toujours les offres à cause de mon amitié avec Laurent Gbagbo.
Maintenant que vous êtes là qu’allez-vous faire ?
Observer, parler, et écrire. En ma qualité de combattant pour les libertés, dénoncer la présence de l’armée française sur notre sol. Car je considère cela comme une aliénation de notre indépendance. En ma qualité de journaliste d’investigation, travailler pour que les milliardaires qui sont nés sous Houphouët, Bédié, Guéi, et Gbagbo, ramènent l’argent des Ivoiriens. Si ce n’est pas pour le rendre, au moins pour l’investir dans notre pays pour que les jeunes puissent travailler et manger
Entretien réalisé par Jean-Paul Oro
Monsieur Bernard Doza, qu’est-ce qui vous amène au pays après tant d’années d’exil en France, et en ces heures chaudes ?
Je suis arrivé à Abidjan le 23 février 2011 au lendemain du durcissement de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire. Des amis m’ont demandé de venir voir dans quelles mesures je pouvais donner un coup de main à mon ami Laurent Gbagbo. Quelqu’un dont j’ai fait la promotion de 1983 à1988, mais dès son retour au pays, des divergences idéologiques nous ont éloignés, jusqu’à ce que je m’exile récemment au Bénin. Et de là-bas, ayant vu les difficultés dans lesquelles il était, j’ai mis de côté nos divergences pour venir aider à résoudre cette crise. Mais arrivé ici, je me suis retrouvé devant un mur d’incompréhensions. Je suis donc resté bloqué jusqu’à ce qu’il soit arrêté.
De quel genre de coup de main parlez-vous ?
Au lendemain de l’élection présidentielles, il y a eu deux prestations de serment, et donc deux présidents en Côte d’Ivoire. Et le durcissement du pouvoir avec la diabolisation d’Alassane Dramane Ouattara. Pour moi, je me devais de persuader Laurent Gbagbo et ses amis pour qu’on trouve un dialogue inter ivoirien afin de trouver une solution. Cela a été mal perçu, et on m’a suspecté d’être un agent de Ouattara. Car depuis les évènements de 2000 et 2002, et quand je suis critique envers Laurent Gbagbo, le dernier cercle autour de Gbagbo m’accuse de rouler pour Ouattara. On a laissé même dire que c’est Ouattara qui paye le loyer de mon appartement du treizième arrondissement à Paris. Ici encore, j’étais encore perçu comme un agent de Ouattara et je n’ai pas été reçu au palais jusqu’à la chute du régime. Je suis donc resté malgré le fait que des possibilités s’offraient à moi pour m’exiler encore une fois. Je reste pour pouvoir participer au débat politique ivoirien de l’intérieur. 25 ans d’exil, c’est beaucoup!
Comment espérez-vous prendre part au débat politique ivoirien ?
Après 25 ans d’éloignement du pays, la lucidité voudrait que j’observe pour l’instant. Dans tous les cas, j’ai des amis dans l’ancien pouvoir comme dans le nouveau qui m’ont même fait appel pour que je rejoigne le Golf. Propositions que j’ai repoussées en raison de mes liens d’amitié avec Laurent Gbagbo, même si je n’étais pas d’accord avec lui sur beaucoup de choses. N’ayant participé à aucun pouvoir en Côte d’Ivoire, ni de près ni de loin, et en tant que leader d’opinion, ma voix pourrait être importante dans le processus de réconciliation nationale.
Qu’est ce qui vous a conduit à vous exiler au Bénin ?
Je suis parti au Bénin parce que j’avais été arrêté et mis en garde à vue en septembre 2008, et lors de cette garde à vue au commissariat du treizième arrondissement de Paris j’ai été approché par des agents de la DGRSE française (Direction générale du renseignement et de la sécurité extérieure) qui m’avaient extrait et conduit au boulevard Mortier. Là ils m’ont fait entendre que des officiers et sous-officiers, dissidents des FDS possédaient des documents où mon nom serait apparu. Documents qui laissaient penser que ces militaires ivoiriens préparaient une attaque contre l’armée française en Côte d’Ivoire. C’est pour cela que j’avais été arrêté. Même comme la preuve n’a pas été faite, j’ai été libéré. Cependant la façon dont j’ai été arrêté me laissait perplexe, j’ai préféré m’éloigner de Paris et de la France en attendant que les choses se calment. Voilà comment je suis arrivé au Bénin.
Aujourd’hui à Abidjan, comment percevez-vous la situation sociopolitique ivoirienne ?
Pour moi ce qui se passe aujourd’hui est la somme de toutes les incompréhensions qu’il y a eu depuis 2000 et qui concouru à l’arrivée de Gbagbo au pouvoir. Dans ce pays, il y a eu des gens qui se sont assis et élaboré une philosophie d’exclusion. Ces gens ont poussé à l’affrontement avec les partisans d’Alassane Ouattara. S’il a fallu aller jusqu’aux armes pour faire respecter les résultats d’une élection, c’est à cause de ceux qui ont élaboré cette philosophie de l’exclusion. Et tous ces thuriféraires de Gbagbo qui étaient au palais présidentiel se sont rués au Golf quand Laurent Gbagbo est tombé. Cela me gêne et m’attriste. C’est la preuve qu’il y a peu d’homme de conviction dans mon pays. Ces mêmes personnes qui ont dit qu’Alassane Ouattara n’était pas Ivoirien viennent l’embrasser fougueusement. C’est à croire que nos hommes politiques marchent tous à l’intérêt. Ce n’est pas la paix qui les motive, c’est plutôt le déblocage de leurs avoirs bloqué ailleurs dans le monde. Ce n’est pas bien parce que ce n’est leur argent gagné honnêtement. Voilà, pourquoi c’est un risque de juger Laurent Gbagbo par notre justice ou une justice internationale. Depuis Houphouët Boigny on n’a jamais fait, judiciairement, le bilan d’un gouvernement qui a dirigé ce pays.
Pour vous Laurent Gbagbo ne devrait pas être jugé ?
Pour moi, il doit comparaître devant la commission dialogue, vérité et réconciliation. Pour ceux qui ont commis des crimes de sang, la justice nationale s’en occupera. Voilà pourquoi je ne peux pas comprendre qu’on ait tué Désiré Tagro qui tenait un mouchoir blanc à la main pour annoncer la reddition de Gbagbo. Je ne peux pas comprendre qu’on ait tué le sergent-chef Ibrahim Coulibaly et trois de ses lieutenants tenaient des mouchoirs blancs pour annoncer également sa reddition. Je suis d’accord avec le président Ouattara pour qu’on fasse la lumière sur ces morts là et bien d’autres encore. Il y a quelques jours le quotidien « Le Nouveau Réveil » s’interrogeait pour savoir s’il n’y avait pas une malédiction qui frappait ceux qui étaient impliqués dans le coup d’Etat de 2000. Ce coup d’Etat qui a déposé Bédié, et voilà aujourd’hui Bédié qui est aux côté de Ouattara. Est-ce que Bédié ne serait pas en train de régler ses comptes. Si c’est le cas, c’est un mauvais message pour la paix que nous voulons reconstruire. En 1982, j’ai sévèrement critiqué Houphouët et le PDCI, Houphouët m’a reçu et demandé des explications, mais jamais, il n’a tenté de me liquider physiquement.
Quelles perspectives voyez-vous pour les trois poids lourds de la politique ivoirienne que sont Bédié, Gbagbo, et Ouattara ?
J’en vois plutôt quatre. Il faut désormais compter avec le premier ministre Guillaume Soro. Laurent Gbagbo et ses amis se sont mépris sur ce jeune homme en pensant qu’ils allaient pouvoir en faire un des leurs et l’éloigner de Ouattara et de ses idées. Je le connais, je l’ai hébergé chez moi en 1999 quand il est arrivé à Paris. Et il incarne une nouvelle génération d’homme politique. Il fait également partie de ces leaders de la FESCI qui ont été formés par les principaux partis politiques ivoiriens, et dont l’appel du pouvoir est fort. En ce qui concerne Bédié, son grand âge va naturellement l’éloigner de la scène. Mais comme je ne cesse de le dire, le pouvoir en Côte d’Ivoire a une dimension ethno-monarchique. Bédié estimant qu’il est l’héritier d’Houphouët Boigny veut être le dépositaire du pouvoir avant de nous quitter. Quant à Gbagbo, dieu merci, il est vivant. L’on devrait alléger les conditions de son assignation à résidence et espérer sa libération dans deux ou trois ans. Ce serait un dangereux précédent que de juger Laurent Gbagbo. Car Gbagbo et Ouattara c’est aussi et surtout le front républicain. Gbagbo n’est pas allé à l’élection présidentielle de 1995 en soutien à Ouattara que la loi électorale écartait de la course. En 2000, quand Alassane était en difficulté, et était encerclé par des soldats à son domicile, c’est Gbagbo qui l’en a sorti. En 2002, retranché dans la résidence de l’ambassadeur allemand, c’est Gbagbo qui a encore manœuvré pour que Ouattara quitte le pays. Ces deux hommes savent beaucoup l’un de l’autre et peuvent encore se parler. Il y a des choses entre ces deux personnalités que personne ne sait. Pour Ouattara, il sait bien ce qui l’attend. Il a certes gagné les élections en novembre dernier, mais c’est Soro et ses hommes qui lui ont donné la réalité du pouvoir. Ouattara devra gouverner avec Soro et il le sait. Que le PDCI arrête de faire le grognon, l’homme fort actuel du pays c’est Soro Guillaume.
Vous qui êtes un défendeur des libertés et de l’Etat de droit, comment pouvez-vous militer pour un non procès de Laurent Gbagbo ? Cette situation de non procès que vous demandez pourrait mettre à l’abri ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui de toutes poursuites demain. Sous d’autres cieux, la justice demande des comptes à d’anciens chefs d’Etat et même à des chefs d’Etat en fonction. C’est le cas de Chirac et de Berlusconi, comme il l’a été pour Clinton. Pourquoi ne pas en faire autant pour Gbagbo et espérer trouver des arrangements en ce qui concerne les sanctions éventuelles ? Il pourrait même en sortir innocenté.
C’est vrai que la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens ont besoin de justice et aussi de paix. Mais nous pouvons procéder autrement que la voix d’une justice nationale ou internationale. C’est ce que nous avons choisi avec la voix de la commission dialogue, vérité, et réconciliation a été inaugurée par les Sud-Africains. Et à ce que je sache, aucun chef d’Etat sud-africain qui ayant régné sous le régime d’Apartheid n’a été conduit devant une juridiction nationale ou internationale. Les geôliers et assassins des noirs sud-africains et les noirs d’Afrique du Sud partagent aujourd’hui les mêmes gradins des stades, ils empruntent les même bus, et vivent dans les mêmes quartiers. La commission vérité réconciliation sud-africaine n’a voué personne au bûcher. Allons tous à la commission Dialogue, vérité, et réconciliation qui pourrait être conclue par une loi d’amnistie générale. Comme Gbagbo a eu à prendre une loi d’amnistie après la rébellion de 2002, Alassane Ouattara peut en faire autant. Nous aurions dû faire les états généraux de la nation en 2000 sous Guéi, ou avec Gbagbo, mais il n’est pas tard, nous pouvons tout aplanir et avancer.
Revenons sur le nouveau débat politique ivoirien. A vous entendre, vous soutenez que ce débat ne soit que l’affaires des politiques puis que vous y voyez durablement Soro Guillaume qui est un chef militaire.
Soro Guillaume est certes le chef d’une rébellion, mais il ne faut pas oublier qu’il est également issu de la FESCI qui a été un puissant laboratoire de formation politique. Ceux qui en sortent ont des idées et convictions très fortes et marquées de leurs mentors politiques. C’est parce qu’à partir de 1993, des « ivoiritaires » ont conçu des théories exclusardes que ce jeune homme a pris le maquis. Sinon Soro n’est pas un militaire.
Quant aux raisons de votre présence à Abidjan, pourquoi ne vous a –t-on pas vu à la RTI ou lu dans la presse pour donner ce coup de main à votre ami Gbagbo ?
Depuis 2000 à Paris où j’ai tenu une conférence de presse pendant laquelle je n’ai pas été très tendre avec Gbagbo, et ce coup de fil que Soro m’a passé en 2002 depuis Lomé pour que je vienne l’aider à construire le MPCI, les amis de Gbagbo me considèrent comme un élément à la solde de Ouattara. Et en 2006, à l’occasion encore d’une autre conférence de presse, j’ai annoncé que je cherchais à rencontrer des chefs militaires pour organiser une armée afin d’engager la lutte contre les forces d’occupation qu’étaient la Licorne et les forces de l’ONUCI. Cela a suffi pour qu’un quotidien ivoirien proche de Gbagbo me présente comme celui qui préparait un coup d’état militaire. Un coup d’état ne s’annonce ! Voilà pourquoi beaucoup des proches de Gbagbo n’ont pas voulu que je parle, car j’ai pour habitude de parler librement.
La force « Licorne » et les forces onusiennes sont pour vous encore des forces d’occupation étrangères ?
Tout à fait. Tout le monde sait que c’est l’intervention des Français qui a été déterminante dans la reddition de Gbagbo. Mais cela ne devrait pas les laisser penser que cela leur donne un quelconque droit sur le pouvoir ivoirien et la Côte d’Ivoire. C’est au président Alassane Ouattara de garantir et d’assurer la souveraineté de l’Etat de Côte d’Ivoire.
Vous disiez que Soro vous avait contacté en 2002 pour construire le MPCI, ou en estes-vous de vos relations ?
Elles sont bonnes. Il est le seul homme politique qui a été honnête vis-à-vis de moi parmi tous ceux dont j’ai fait la promotion à Paris et dans les capitales européennes. Ce garçon m’a toujours appelé quand il était en position de force. Cela a été le cas en 2002, et cela a été également le cas en 2010 où il m’a fait appeler par un de ses conseillers. Je déclinais toujours les offres à cause de mon amitié avec Laurent Gbagbo.
Maintenant que vous êtes là qu’allez-vous faire ?
Observer, parler, et écrire. En ma qualité de combattant pour les libertés, dénoncer la présence de l’armée française sur notre sol. Car je considère cela comme une aliénation de notre indépendance. En ma qualité de journaliste d’investigation, travailler pour que les milliardaires qui sont nés sous Houphouët, Bédié, Guéi, et Gbagbo, ramènent l’argent des Ivoiriens. Si ce n’est pas pour le rendre, au moins pour l’investir dans notre pays pour que les jeunes puissent travailler et manger
Entretien réalisé par Jean-Paul Oro