Le costume noir, la cravate à pois blanc de la même couleur sur une chemise d’un blanc immaculé, le visage grave, le verbe posé. Alassane Ouattara, la main droite levée, découvrant une paume claire, prête serment ce vendredi 06 mai 2011. Dans le silence presque de cimetière de la salle des Pas perdus du palais présidentiel – que seul perturbe le doux clapotis des flashes des reporters-photo –, un parterre d’hommes et de femmes, boit, comme du petit lait, les paroles de l’orateur. « Devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, je jure solennellement de respecter et de défendre fidèlement la Constitution, de protéger les droits et libertés des citoyens, de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge dans l’intérêt supérieur de la Nation », lance alors le tout nouveau Président de la République. A sa gauche, légèrement en retrait et assise dans un fauteuil rouge, son épouse Dominique scrute avec l’intensité d’un lynx, les gestes mesurés de son époux. Elle n’en est pas moins tout ouïe des premiers mots officiels du désormais seul dépositaire légal et légitime du destin des Ivoiriens.
Comme Dominique Ouattara, c’est du reste toute la Côte d’Ivoire qui appréhende en cet après-midi-là, toute la charge sémantique de ces propos de l’ex-opposant et qui réalise du coup ce qui lui apparaissait encore comme une demi-vérité : Alassane Ouattara est, vraiment, le Président de la République de Côte d’Ivoire. Une conviction d’ailleurs définitivement ancrée dans les esprits par celui-là même qui, quatre mois en arrière, avait justement contribué par une décision contraire et notoirement inique, à y jeter le trouble : Paul Yao N’dré. Par le truchement d’une gymnastique intellectuelle qui fera date dans ce pays, le président du Conseil constitutionnel a en effet répété, vendredi dernier, mot pour mot et à l’endroit d’Alassane Ouattara, les termes qui lui avaient permis de consacrer contre toute attente, un jour du 1er décembre 2010, Laurent Gbagbo, Président de la République.
Un homme de foi
On peut le dire, les choses sont dorénavant bien en place et Alassane Ouattara peut donc se saisir des rênes de la Côte d’Ivoire. Le 21 mai prochain à Yamoussoukro, à l’occasion de la cérémonie d’investiture, l’homme pourra sans doute savourer l’aboutissement d’une longue et harassante lutte pour servir son peuple.
Pour peu qu’on ait suivi le parcours d’Alassane Ouattara, on ne pourra que comprendre aisément ce jour-là sa légitime fierté d’avoir mené et remporté de haute lutte une grande victoire. La victoire de la foi, de la conviction, mais surtout de l’engagement quasi obsessionnel – envers et contre tous – d’un homme à faire bénéficier à ses compatriotes la somme d’expérience, de savoir-faire, de « savoir donner », accumulée pendant sa riche carrière d’expert en développement. Un patriote (vrai) qui s’est juré d’éviter coute que coute à son peuple de basculer dans le précipice existentiel au bord duquel il se trouvait.
Car le chemin pour y parvenir a été si semé d’embûches – parfois à priori insurmontable – qu’on ne peut que tomber aujourd’hui d’admiration devant la pugnacité de cet homme d’exception. Un homme qui depuis bientôt un quart de siècle, lorsque le père de notre indépendance, Félix Houphouët-Boigny, lui fit appel pour les besoins de la cause évoquée plus haut, n’a rencontré qu’adversité, voire inimitié. Alors qu’il se démenait comme un beau diable pour sortir ses compatriotes de la misère, on lui prêtait des intentions politiciennes, au point de faire de lui l’homme à abattre, l’ennemi public numéro un dans son propre pays. Après la mort du premier président ivoirien, son sort allait connaître les pires chambardements. Surtout qu’il avait « osé » entre-temps répondre favorablement aux appels incessants d’une partie de ses compatriotes qui se reconnaissaient en lui et qui le priaient de venir incarner au pays leurs espérances en un avenir meilleur.
Dès lors, une fois l’engagement pris de quitter ses fonctions de directeur général adjoint du FMI pour mettre les pieds dans le marigot politique de son pays, tels des alligators affamées, les tenants des pouvoirs successifs ne le lâcheront plus. Tout y passera : harcèlements politiques et judicaires, répressions permanentes et sanglante de ses partisans, dénégation de sa citoyenneté ivoirienne et donc rejet systématique de sa candidature aux différentes élections présidentielles. Sa défunte mère n’échappera pas elle non plus à la folie furieuse de ses adversaires, elle qui a été déterrée de sa tombe par des envoyés de la refondation. Jamais un homme politique, de mémoire d’Ivoiriens, n’aura subi la furia politico-répressive de ses adversaires. Les intentions pour le moins malveillantes les unes que les autres cachaient à peine la volonté de ceux qui le traquaient de l’éliminer physiquement. Le 19 septembre 2002, c’est in-extremis qu’il échappe à un assassinat en règle. Ceux qui étaient commis à cette lugubre tâche venaient tout juste d’arracher la vie à l’ancien président Robert Guéi, qu’ils accusaient d’être le principal instigateur du coup d’Etat manqué qui venait d’être perpétré par des insurgés. C’est alors depuis l’ambassade d’Allemagne que Ouattara assiste impuissant à l’incendie de son domicile.
Le souffre-douleur de la politique ivoirienne
C’est que le pouvoir Gbagbo, sans en détenir la moindre preuve, l’accusait lui aussi d’être derrière l’attaque des insurgés… L’occasion de l’éliminer était trop belle pour ne pas la saisir ! Mais ils n’auront pas ce plaisir et c’est depuis son exil français que le souffre-douleur de la politique ivoirienne prépare son retour dans son pays.
Malgré les multiples accords signés sous les auspices de la communauté internationale (Accra, Marcoussis, Pretoria, Abuja, etc.) le président du RDR, qui était revenu d’exil, et ses partisans allaient payer un très lourd tribut à la guerre. Des centaines de militants de son parti allaient perdre la vie dans une escalade de violence sans commune mesure. Les 24 et 25 mars 2004, alors qu’ils s’apprêtaient à organiser une marche pacifique pour réclamer l’application de l’accord de Pretoria, plus de 500 militants du RHDP (coalition des partis houphouëtistes dont le RDR est le principal membre) sont tués par la soldatesque de Gbagbo. Le décompte macabre allait connaître une flambée extraordinaire lorsque, après 2005, fin du mandat électif de Gbagbo, la question de nouvelles élections allait se poser. La peur d’affronter le candidat du RDR allait pousser Laurent Gbagbo et les siens à réprimer à hue et à dia dans le camp du RDR. Les occasions dès lors ne manqueront plus : audiences foraines, identification, … allaient donner lieu à des tueries sauvages. On avait l’impression que le dessein du boucher des Lagunes – le surnom que les Ivoiriens lui ont donné – voulait par ces massacres réduire la capacité sociologique de ses adversaires.
La folie meurtrière de Gbagbo
Mais, c’est sans aucun doute la période postélectorale qui a vu Laurent Gbagbo mordre la poussière au 2ème tour de la présidentielle face au candidat du RHDP, Alassane Ouattara, qui battra le triste record des massacres des Ivoiriens par le régime désormais moribond du dictateur ivoirien. Alors que personne, ni aucun pays, ni aucun chef d’Etat, ni aucune organisation internationale ne le soutient dans sa volonté de confisquer le pouvoir perdus dans les urnes, Gbagbo ne veut rien entendre. Il est comme pris de folie devant la réprobation quasi planétaire de son attitude antidémocratique et pour le moins attestatrice aux droits de l’Homme. Il lance des mercenaires étrangers et des miliciens recrutés au sein de la jeunesse estudiantine et des nombreux désœuvrés, fruit d’un régime corrompu qui n’a rien entrepris pour sa jeunesse et à qui il a fait distribuer des armes, aux trousses des Ivoiriens qui ne l’ont pas voté. Le bilan est ahurissant : plus de 3000 morts, dont de nombreuses femmes et enfants.
Face à tout ce déchainement meurtrier, Ouattara, comme à son habitude, aura opposé la patience et la foi en la victoire finale. « Faites-moi confiance », n’a-t-il jamais cessé de répéter face à des Ivoiriens désemparés par tant d’exécration de Gbagbo. Il aura eu raison. Un jour du 11 avril 2011, l’Hermite du bunker de Cocody est capturé comme un rat avec sa famille et ses proches. Fin du film d’horreur.
Au soir du 21 mai prochain, après avoir communié avec son peuple devant l’aréopage presqu’inédit en Afrique d’invités de marque – des grands de ce monde sont annoncés pour adouber sa victoire à la présidentielle du 28 novembre –, Ouattara pourra enfin s’exclamer : j’ai vaincu le diable.
KORE EMMANUEL
Comme Dominique Ouattara, c’est du reste toute la Côte d’Ivoire qui appréhende en cet après-midi-là, toute la charge sémantique de ces propos de l’ex-opposant et qui réalise du coup ce qui lui apparaissait encore comme une demi-vérité : Alassane Ouattara est, vraiment, le Président de la République de Côte d’Ivoire. Une conviction d’ailleurs définitivement ancrée dans les esprits par celui-là même qui, quatre mois en arrière, avait justement contribué par une décision contraire et notoirement inique, à y jeter le trouble : Paul Yao N’dré. Par le truchement d’une gymnastique intellectuelle qui fera date dans ce pays, le président du Conseil constitutionnel a en effet répété, vendredi dernier, mot pour mot et à l’endroit d’Alassane Ouattara, les termes qui lui avaient permis de consacrer contre toute attente, un jour du 1er décembre 2010, Laurent Gbagbo, Président de la République.
Un homme de foi
On peut le dire, les choses sont dorénavant bien en place et Alassane Ouattara peut donc se saisir des rênes de la Côte d’Ivoire. Le 21 mai prochain à Yamoussoukro, à l’occasion de la cérémonie d’investiture, l’homme pourra sans doute savourer l’aboutissement d’une longue et harassante lutte pour servir son peuple.
Pour peu qu’on ait suivi le parcours d’Alassane Ouattara, on ne pourra que comprendre aisément ce jour-là sa légitime fierté d’avoir mené et remporté de haute lutte une grande victoire. La victoire de la foi, de la conviction, mais surtout de l’engagement quasi obsessionnel – envers et contre tous – d’un homme à faire bénéficier à ses compatriotes la somme d’expérience, de savoir-faire, de « savoir donner », accumulée pendant sa riche carrière d’expert en développement. Un patriote (vrai) qui s’est juré d’éviter coute que coute à son peuple de basculer dans le précipice existentiel au bord duquel il se trouvait.
Car le chemin pour y parvenir a été si semé d’embûches – parfois à priori insurmontable – qu’on ne peut que tomber aujourd’hui d’admiration devant la pugnacité de cet homme d’exception. Un homme qui depuis bientôt un quart de siècle, lorsque le père de notre indépendance, Félix Houphouët-Boigny, lui fit appel pour les besoins de la cause évoquée plus haut, n’a rencontré qu’adversité, voire inimitié. Alors qu’il se démenait comme un beau diable pour sortir ses compatriotes de la misère, on lui prêtait des intentions politiciennes, au point de faire de lui l’homme à abattre, l’ennemi public numéro un dans son propre pays. Après la mort du premier président ivoirien, son sort allait connaître les pires chambardements. Surtout qu’il avait « osé » entre-temps répondre favorablement aux appels incessants d’une partie de ses compatriotes qui se reconnaissaient en lui et qui le priaient de venir incarner au pays leurs espérances en un avenir meilleur.
Dès lors, une fois l’engagement pris de quitter ses fonctions de directeur général adjoint du FMI pour mettre les pieds dans le marigot politique de son pays, tels des alligators affamées, les tenants des pouvoirs successifs ne le lâcheront plus. Tout y passera : harcèlements politiques et judicaires, répressions permanentes et sanglante de ses partisans, dénégation de sa citoyenneté ivoirienne et donc rejet systématique de sa candidature aux différentes élections présidentielles. Sa défunte mère n’échappera pas elle non plus à la folie furieuse de ses adversaires, elle qui a été déterrée de sa tombe par des envoyés de la refondation. Jamais un homme politique, de mémoire d’Ivoiriens, n’aura subi la furia politico-répressive de ses adversaires. Les intentions pour le moins malveillantes les unes que les autres cachaient à peine la volonté de ceux qui le traquaient de l’éliminer physiquement. Le 19 septembre 2002, c’est in-extremis qu’il échappe à un assassinat en règle. Ceux qui étaient commis à cette lugubre tâche venaient tout juste d’arracher la vie à l’ancien président Robert Guéi, qu’ils accusaient d’être le principal instigateur du coup d’Etat manqué qui venait d’être perpétré par des insurgés. C’est alors depuis l’ambassade d’Allemagne que Ouattara assiste impuissant à l’incendie de son domicile.
Le souffre-douleur de la politique ivoirienne
C’est que le pouvoir Gbagbo, sans en détenir la moindre preuve, l’accusait lui aussi d’être derrière l’attaque des insurgés… L’occasion de l’éliminer était trop belle pour ne pas la saisir ! Mais ils n’auront pas ce plaisir et c’est depuis son exil français que le souffre-douleur de la politique ivoirienne prépare son retour dans son pays.
Malgré les multiples accords signés sous les auspices de la communauté internationale (Accra, Marcoussis, Pretoria, Abuja, etc.) le président du RDR, qui était revenu d’exil, et ses partisans allaient payer un très lourd tribut à la guerre. Des centaines de militants de son parti allaient perdre la vie dans une escalade de violence sans commune mesure. Les 24 et 25 mars 2004, alors qu’ils s’apprêtaient à organiser une marche pacifique pour réclamer l’application de l’accord de Pretoria, plus de 500 militants du RHDP (coalition des partis houphouëtistes dont le RDR est le principal membre) sont tués par la soldatesque de Gbagbo. Le décompte macabre allait connaître une flambée extraordinaire lorsque, après 2005, fin du mandat électif de Gbagbo, la question de nouvelles élections allait se poser. La peur d’affronter le candidat du RDR allait pousser Laurent Gbagbo et les siens à réprimer à hue et à dia dans le camp du RDR. Les occasions dès lors ne manqueront plus : audiences foraines, identification, … allaient donner lieu à des tueries sauvages. On avait l’impression que le dessein du boucher des Lagunes – le surnom que les Ivoiriens lui ont donné – voulait par ces massacres réduire la capacité sociologique de ses adversaires.
La folie meurtrière de Gbagbo
Mais, c’est sans aucun doute la période postélectorale qui a vu Laurent Gbagbo mordre la poussière au 2ème tour de la présidentielle face au candidat du RHDP, Alassane Ouattara, qui battra le triste record des massacres des Ivoiriens par le régime désormais moribond du dictateur ivoirien. Alors que personne, ni aucun pays, ni aucun chef d’Etat, ni aucune organisation internationale ne le soutient dans sa volonté de confisquer le pouvoir perdus dans les urnes, Gbagbo ne veut rien entendre. Il est comme pris de folie devant la réprobation quasi planétaire de son attitude antidémocratique et pour le moins attestatrice aux droits de l’Homme. Il lance des mercenaires étrangers et des miliciens recrutés au sein de la jeunesse estudiantine et des nombreux désœuvrés, fruit d’un régime corrompu qui n’a rien entrepris pour sa jeunesse et à qui il a fait distribuer des armes, aux trousses des Ivoiriens qui ne l’ont pas voté. Le bilan est ahurissant : plus de 3000 morts, dont de nombreuses femmes et enfants.
Face à tout ce déchainement meurtrier, Ouattara, comme à son habitude, aura opposé la patience et la foi en la victoire finale. « Faites-moi confiance », n’a-t-il jamais cessé de répéter face à des Ivoiriens désemparés par tant d’exécration de Gbagbo. Il aura eu raison. Un jour du 11 avril 2011, l’Hermite du bunker de Cocody est capturé comme un rat avec sa famille et ses proches. Fin du film d’horreur.
Au soir du 21 mai prochain, après avoir communié avec son peuple devant l’aréopage presqu’inédit en Afrique d’invités de marque – des grands de ce monde sont annoncés pour adouber sa victoire à la présidentielle du 28 novembre –, Ouattara pourra enfin s’exclamer : j’ai vaincu le diable.
KORE EMMANUEL