Mai 1975. Je viens de commencer une période d’essai aux Nouvelles Editions Africaines. La première tâche qu’on me donne est de produire une brochure sur l’année internationale des femmes. Il s’agit pour l’éditeur de publier la contribution de dix femmes ivoiriennes sur leur vision du genre. Parmi ces contributions je suis instruit d’y mettre une dizaine de pages sur l’histoire de la marche des femmes sur Grand-Bassam. On me demande d’aller voir un professeur d’histoire.
Madame Diabaté qui me reçoit chez elle, dans son bureau rempli de livres, au quartier du lycée technique. Pendant des jours, des semaines et des mois je vais courir après son texte. Je vais découvrir une femme méticuleuse, rigoureuse qui aura des répercussions sur ma vie professionnelle et personnelle. Madame Diabaté va me convaincre qu’un travail de ce genre ne se fait pas à la va-vite. La brochure contenant les dix contributions ne va pas sortir. Par contre, on fera un livre sur la marche des femmes. Depuis ce mois de mai 1975, il existera un lien de famille entre cette dame et moi. Je l’appelle maman et moi je suis son fils. Hélas, dès qu’un ami, quelqu’un de proche devient « grand », on ne me voit plus sur son chemin. Je me sens incapable d’attendre devant une porte gardée par des hommes en armes où on doit t’annoncer et toi tu attends pendant des minutes. Je veux sonner devant une porte et rentrer immédiatement. Ce matin, quand je verrai madame Henriette Dagri Diabaté investir le nouveau président de la République je serai envahi par une grande émotion. Mais je me dirai aussi que sans la certification de l’ONU, aurait-on vu cette cérémonie ? Et cela pose la question des élections en Afrique. Très porté sur la politique de tous les pays africains, à l’école primaire, je possédais déjà un cahier où chaque page montrait des informations sur chaque république, j’ai toujours constaté que l’élection donnait lieu à des contestations, à des palabres et même à des guerres. Jamais un parti n’accepte des résultats même s’il gagne ou perd. La certification, appuyée par des forces armées internationales, est une idée lumineuse. Quand François Mitterrand, après la chute du mur de Berlin, poussa ou imposa la démocratie au pays francophone, des grincements de dents se furent entendre de tous les pays africains, notamment de ceux qui se font appeler les intellectuels. Finalement, même les pays anglophones se jetèrent dans cette démocratie nouvelle.
Les pays africains avaient-ils le choix ? Le mendiant qui tend la main au riche ne peut pas imposer sa loi pour prendre un bol de riz. Les pays africains, dans leur grande majorité sont pauvres et très pauvres, des pays mendiants, toujours la main tendue aux pays puissants ou aux bailleurs de fonds. Ce sont donc les Occidentaux qui peuvent changer nos politiques intérieures. « Tu fais ce que je dis sans quoi je ne fais rien pour toi. » Les Occidentaux en nous imposant la démocratie, selon leur vision, ont surtout amené le multipartisme. Il y a une très grande différence entre la démocratie et le multipartisme. A chaque fois, je suis littéralement déçu, quand des intellectuels africains, des journalistes, des écrivains, et même des politiques disent ou écrivent que Jacques Chirac, à l’époque maire de Paris, avait dit que les Africains n’étaient pas mûrs pour la démocratie. Faux ! Il n’avait pas dit la démocratie mais le multipartisme à cause du tribalisme que représentent les partis qui seront constitués à partir de base ethnique.
J’étais moi-même, ce soir-là, dans la salle de l’hôtel ivoire. Mais la grande majorité des intellectuels africains sont abonnés à la mauvaise foi et pour plusieurs raisons. Avec tout ce que nous venons de vivre en Côte d’Ivoire, il est bon de se demander s’il ne serait pas bon d’imposer la certification des élections présidentielles et législatives à tous les pays africains jusqu’à ce que des générations d’Africains deviennent véritablement démocrates en devenant, enfin, une nation.
Tant que nous ne serons pas devenus des nations, il est parfaitement inutile de faire entièrement confiance à des élections made in Africa. Une fois encore, ce sont les pays occidentaux et les bailleurs de fonds seuls qui peuvent nous contraindre à la vraie démocratie. « Je te donne l’argent pour ton développement et je te certifie, c’est à prendre ou à laisser » Combien, depuis vingt ans, des partis politiques, des leaders ont gagné des élections que des résultats nationaux ont fait perdre ? Combien sont élus sachant qu’ils ont perdu ? Dieu voit tout. Vite la certification.
Toutefois, je reste un adepte du régime parlementaire. Le régime présidentiel ressemble trop au pouvoir africain d’avant la colonisation. Le chemin de la vraie culture démocratique en Afrique passe par le régime parlementaire. Quand les grandes puissances et les bailleurs de fonds le comprendront-ils ? Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly
Madame Diabaté qui me reçoit chez elle, dans son bureau rempli de livres, au quartier du lycée technique. Pendant des jours, des semaines et des mois je vais courir après son texte. Je vais découvrir une femme méticuleuse, rigoureuse qui aura des répercussions sur ma vie professionnelle et personnelle. Madame Diabaté va me convaincre qu’un travail de ce genre ne se fait pas à la va-vite. La brochure contenant les dix contributions ne va pas sortir. Par contre, on fera un livre sur la marche des femmes. Depuis ce mois de mai 1975, il existera un lien de famille entre cette dame et moi. Je l’appelle maman et moi je suis son fils. Hélas, dès qu’un ami, quelqu’un de proche devient « grand », on ne me voit plus sur son chemin. Je me sens incapable d’attendre devant une porte gardée par des hommes en armes où on doit t’annoncer et toi tu attends pendant des minutes. Je veux sonner devant une porte et rentrer immédiatement. Ce matin, quand je verrai madame Henriette Dagri Diabaté investir le nouveau président de la République je serai envahi par une grande émotion. Mais je me dirai aussi que sans la certification de l’ONU, aurait-on vu cette cérémonie ? Et cela pose la question des élections en Afrique. Très porté sur la politique de tous les pays africains, à l’école primaire, je possédais déjà un cahier où chaque page montrait des informations sur chaque république, j’ai toujours constaté que l’élection donnait lieu à des contestations, à des palabres et même à des guerres. Jamais un parti n’accepte des résultats même s’il gagne ou perd. La certification, appuyée par des forces armées internationales, est une idée lumineuse. Quand François Mitterrand, après la chute du mur de Berlin, poussa ou imposa la démocratie au pays francophone, des grincements de dents se furent entendre de tous les pays africains, notamment de ceux qui se font appeler les intellectuels. Finalement, même les pays anglophones se jetèrent dans cette démocratie nouvelle.
Les pays africains avaient-ils le choix ? Le mendiant qui tend la main au riche ne peut pas imposer sa loi pour prendre un bol de riz. Les pays africains, dans leur grande majorité sont pauvres et très pauvres, des pays mendiants, toujours la main tendue aux pays puissants ou aux bailleurs de fonds. Ce sont donc les Occidentaux qui peuvent changer nos politiques intérieures. « Tu fais ce que je dis sans quoi je ne fais rien pour toi. » Les Occidentaux en nous imposant la démocratie, selon leur vision, ont surtout amené le multipartisme. Il y a une très grande différence entre la démocratie et le multipartisme. A chaque fois, je suis littéralement déçu, quand des intellectuels africains, des journalistes, des écrivains, et même des politiques disent ou écrivent que Jacques Chirac, à l’époque maire de Paris, avait dit que les Africains n’étaient pas mûrs pour la démocratie. Faux ! Il n’avait pas dit la démocratie mais le multipartisme à cause du tribalisme que représentent les partis qui seront constitués à partir de base ethnique.
J’étais moi-même, ce soir-là, dans la salle de l’hôtel ivoire. Mais la grande majorité des intellectuels africains sont abonnés à la mauvaise foi et pour plusieurs raisons. Avec tout ce que nous venons de vivre en Côte d’Ivoire, il est bon de se demander s’il ne serait pas bon d’imposer la certification des élections présidentielles et législatives à tous les pays africains jusqu’à ce que des générations d’Africains deviennent véritablement démocrates en devenant, enfin, une nation.
Tant que nous ne serons pas devenus des nations, il est parfaitement inutile de faire entièrement confiance à des élections made in Africa. Une fois encore, ce sont les pays occidentaux et les bailleurs de fonds seuls qui peuvent nous contraindre à la vraie démocratie. « Je te donne l’argent pour ton développement et je te certifie, c’est à prendre ou à laisser » Combien, depuis vingt ans, des partis politiques, des leaders ont gagné des élections que des résultats nationaux ont fait perdre ? Combien sont élus sachant qu’ils ont perdu ? Dieu voit tout. Vite la certification.
Toutefois, je reste un adepte du régime parlementaire. Le régime présidentiel ressemble trop au pouvoir africain d’avant la colonisation. Le chemin de la vraie culture démocratique en Afrique passe par le régime parlementaire. Quand les grandes puissances et les bailleurs de fonds le comprendront-ils ? Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Par Isaïe Biton Koulibaly