Yamoussoukro, durant trois jours, est devenue la capitale du monde. La ville bâtie par le président Félix Houphouët-Boigny n’a pas connu une telle animation il y a bien longtemps. Depuis la mort du « vieux », le 7 décembre 1993, Yamoussoukro était l’ombre d’elle-même. Mais, à l’occasion de l’investiture du président de la République, la capitale politique a refusé du monde. Hommes et femmes venus de toute la Côte d’Ivoire et du monde ont pris littéralement d’assaut la cité de la paix. En l’espace d’un week-end, Yamoussoukro a vu sa population se multiplier par dix. Si bien qu’il n’y avait plus de chambres d’hôtel dans la ville et dans les villes qui l’entourent. De Dimbokro, Toumodi, Tiébissou, Bouaflé jusqu’à Daloa, les réceptifs hôteliers affichaient complet. La mobilisation démentielle de ces derniers jours a poussé les habitants à louer leurs chambres ou appartements pour permettre aux centaines de milliers de visiteurs qui ont envahi la ville de vivre les événements dans de meilleures conditions. Mais là encore, cette sollicitude et générosité n’ont pas suffi pour satisfaire le monde fou qui a fait le déplacement dans la cité des caïmans. Malgré les difficultés au plan de l’hébergement et du transport, les visiteurs venus de partout n’ont pas boudé leur joie d’être là. Les restaurants, les maquis, les bars et autres lieux de réjouissance ont été submergés par la marée humaine qui a déferlé sur la ville. La frénésie qui s’est emparée de la ville, de mémoire des populations de Yamoussoukro, était sans précédent. « Même lorsque le président Giscard d’Estaing et le Pape Jean-Paul II sont arrivés à Yamoussoukro, on n’a jamais vu autant de monde et une telle ambiance », a témoigné le vieux Kouassi, notable à Assabou. Yamoussoukro a, pendant trois jours, ravi à Abidjan la palme des embouteillages. Les larges artères de la capitale politique se sont avérées exiguës pour la circonstance. Il fallait plus d’une heure pour parcourir la voie principale alors qu’en temps normal, cinq petites minutes suffisent. Les trottoirs et aux autres lieux publics sont devenus des dortoirs à ciel ouvert tellement la ville avait du mal à absorber le monde fou qui a fait le déplacement. Pendant les 72 heures qu’ont duré les festivités, Yamoussoukro est restée éveillée 24 heures sur 24. Quand certains allaient se coucher, d’autres prenaient la relève. Vendredi dernier, jusqu’à 2 heures du matin, les délégations continuaient d’affluer dans la ville. De toutes les villes, d’Abidjan et même de la sous-région pour prendre part la grande fête de la fraternité et de la victoire de la démocratie sur la dictature. Yamoussoukro, comme au temps du « vieux sage d’Afrique », avait retrouvé son prestige d’antan. Et son nom de capitale de l’Afrique de l’ouest. Comme au temps de l’apôtre de la paix, le monde entier, à travers tous les pays et organisations qui comptent dans le concert des nations, était présent. Le ballet impressionnant des 4x4, des motards et les gyrophares ont sorti la ville chère à Félix Houphouët-Boigny, de sa situation non enviée de grande bourgade perdue dans la savane. « Yamoussoukro la délaissée », « Yamoussoukro l’abandonnée » est redevenue « Yamoussoukro la lumineuse », « Yamoussoukro la grouillante », « Yamoussoukro l’internationale », « Yamoussoukro la bienheureuse », Yamoussoukro la généreuse ». C’est comme si un souffle de vie s’est abattu sur la capitale politique. Donnant à celle qu’on a vite fait d’enterrer, une nouvelle jeunesse. Yamoussoukro a retrouvé le rôle que voulait lui assigner celui qui l’a conçue et bâtie. Faire de Yamoussoukro, la capitale de la paix, un pôle de la diplomatie internationale. Tel était le vœu de Félix Houphouët-Boigny. Qui ne se souvient pas des grandes négociations et les accords de paix signés au pied de la Basilique Notre Dame d’Afrique ? Qui n’a pas encore en mémoire les grands colloques sur la paix et la recherche de règlement pacifique des conflits en Afrique comme dans le monde ? Qui a oublié le ballet des chefs d’Etat aux bords des lacs aux caïmans pour s’abreuver à la source de sagesse qu’était le président Houphouët ? Il est vrai que la conception n’a pas beaucoup de chance à survivre au concepteur. Mais, il faut reconnaître qu’en l’espace d’un week-end, Yamoussoukro s’est sentie revivre comme au temps de Nanan Boigny. Car ses filles et ses fils, à l’appel du gouvernement, ont voulu fêter avec faste et grandeur, celui qu’ils ont choisi de mettre à la tête de l’Etat pour conduire la Côte d’Ivoire les cinq prochaines années. Yamoussoukro a retrouvé sa jeunesse et sa véritable place grâce à la volonté du président Alassane Dramane Ouattara d’honorer la mémoire du « vieux ». En organisant l’investiture dans la ville natale de Félix Houphouët-Boigny, le président de la République a non seulement voulu témoigner sa gratitude à son père spirituel, mais surtout montrer aux uns et aux autres, ce qu’il entend faire de la ville qu’il a bâtie. Yamoussoukro était dans une léthargie profonde. Une situation qu’Alassane Ouattara, un digne fils du « sage de Yamoussoukro », ne pouvait accepter. Car, pour lui, la mort de Yamoussoukro consacre la seconde mort du père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne. C’est donc en toute lucidité qu’il a décidé d’organiser les festivités de son investiture à Yamoussoukro. Ouattara savait qu’en le faisant, il pérennise l’œuvre du père. Il ressuscite Houphouët-Boigny. Et il l’a bien fait. Parce que dans la période difficile que traverse le peuple ivoirien, il sait plus que tout le monde qu’il a besoin de la bénédiction et de l’esprit de celui qui a conduit la Côte d’Ivoire, pendant 33 ans, sur la voie de la prospérité et du développement. Dans la paix
Jean-Claude Coulibaly, envoyé spécial
Jean-Claude Coulibaly, envoyé spécial