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Politique Publié le samedi 4 juin 2011 | Le Mandat

Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation et Justice Charles Konan Banny: quelle valeur ajoutée?

La Côte d’Ivoire vit une crise sans précédent depuis le décès, en 1993, de son premier Président de la République et Père de la Nation Félix Houphouët-Boigny. Fruit d’une succession difficile et d’une crise économique et sociale galopante depuis la fin des années 1970, la tension qui persiste a, depuis lors, plongé le pays dans un cycle d’événements malheureux, approfondissant chaque jour, un peu plus la fracture sociale. Terre d’accueil et d’hospitalité pour les pays de la Sous-Région ouest-africaine, la Côte d’Ivoire, naguère considérée et respectée en raison de son climat de paix et de stabilité, et surtout en raison de ses progrès économiques remarquables, baigne aujourd’hui dans un climat de méfiance, de haine, de violence et de pauvrété accrue. Compte tenu de cette réalité nouvelle et inédite dans l’histoire de la jeune Nation ivoirienne, la gestion du pouvoir d’Etat est devenue difficile, pis tentaculaire.

La Réconciliation Nationale comme une nécessité vitale pour le pays

Conscients des conséquences néfastes qu’une telle situation peut engendrer, les acteurs politiques ivoiriens se sont ouverts à des dialogues inter-ivoiriens tous azimuts. Il s’agissait pour eux, en l’occurrence, de mettre en avant l’intérêt supérieur du pays en se prêtant à des cadres de discussions parfois directes ou sous l’arbitrage de médiations étrangères. Déjà, fin 2000-début 2001, les résultats des travaux d’un Atelier organisé à Grand-Bassam sur la problématique de la Réconciliation Nationale, de même les rapports de tournées initiées par les membres du Gouvernement de l’époque, par les Préfets de Régions, ainsi que les comptes rendus d’audiences accordées par l’ancien Chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, aux partis politiques, aux confessions religieuses, aux Organisations Non Gouvernementatales et à la Société Civile ivoirienne ont permis d’identifier clairement les maux qui affectent la société ivoirienne. Ces étapes intermédiaires ont, par ailleurs, orienté les objectifs du Forum pour la Réconciliation Nationale (FRN) créé par Décret n° 2001-510 du 28 août 2001. Ce Forum, on s’en souvient, avait pour mission d’analyser en profondeur les causes des tensions socio-politiques qui prévalent en Côte d’Ivoire et de proposer au Président de la République d’alors, Laurent Gbagbo, des solutions en vue de résorber la crise sociale, politique et économique, aux fins de réconcilier entre elles, toutes les composantes de la société ivoirienne. À la fin de ses travaux, le Forum devrait soumettre au Président de la République les solutions et mesures que requiert l’examen de l’état de la Nation, en vue d’une réconciliation nationale, sinon définitive, durable à tout le moins. Malheureusement, ni la tenue de ce Forum, ni la mise en œuvre des différents accords de paix signés après le déclenchement de la guerre en 2002, ni même la création d’un ministère de plein exercice en charge de la Réconcialiation Nationale n’ont pu faire baisser la tension sociale. Conséquence, les élections qui étaient censées conduire la Côte d’Ivoire à une sortie de crise apaisée ont débouché sur la guerre; une guerre sans précédent dans le pays, avec, à la clé, de nombreux morts et des dégâts matériels considérables, occasionnant beaucoup de meurtrissures. Alors, au moment où le Président de la République, SEM Alassane Ouattara, crée par Ordonnance la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation, il apparaît plus qu’impérieux de jeter un regard critique [rétrospectif] sur le Forum pour la Réconciliation Nationale (FRN). Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, malgré les moyens énormes déployés, pour que le Forum échoue à rassembler les Ivoiriens autour de la réconciliation attendue? Il semble que, c’est en examinant l’échec de cette vaste tribune que l’on peut circonscrire dans le temps et dans l’espace, les attentes et objectifs de la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation, et donc, être en droit d’en attendre des résultats positifs. Peut-être, s’agira-t-il de corriger et d’adapter le mode opératoire du défunt Forum. Peut-être, va-t-il falloir insister cette fois-ci, sur la qualité et la personnalité des Hommes cooptés pour conduire ce vaste chantier national. Il est vrai que le contexte a évolué depuis que la guerre est venue meurtrir le peuple ivoirien au plus profond de lui-même (…)

Le Forum: une initiative préventive qui a manqué de méthodologie

Initié par l’ancien Président de la République, Laurent Gbagbo, le Forum pour la Réconciliation Nationale (FRN) fut le premier véritable cadre de concertation dès 2001 pour tenter d’aplanir les différences entre Ivoiriens. Laurent Gbagbo voulait donner l’occasion à tous ses compatriotes de se parler, de s’écouter et de s’exprimer sur toutes les causes possibles des tensions sociales, politiques et économiques en Côte d’Ivoire. Les critères de participation à cette tribune nationale prenaient en compte l’équilibre des opinions avec une large ouverture aux partis politiques, aux différentes composantes du corps social et à la participation de chacun des quatre grands leaders politiques à cette époque : le Président Laurent Gbagbo, le Président Henri Konan Bédié, le Premier ministre Alassane Ouattara, aujourd’hui Président de la République et feu le Général Robert Guéi. Ce Forum s’est tenu à Abidjan, deux mois durant [du 09 octobre au 10 décembre 2001], sous la conduite de l’ancien Premier ministre Seydou Elimane Diarra, nommé président du Directoire. Au Forum pour la Réconciliation Nationale, des problèmes de divers ordres ont été soulevés. La priorité était accordée aux problèmes politiques. Dans le paragraphe politique, ont été traitées, les questions liées au coup d’Etat de décembre 1999, à l’unité nationale et à la réconciliation des principaux leaders politiques, à la culture démocratique dans le pays et à la maîtrise des mécanismes électoraux. D’autres paragraphes comme la gouvernance, les problèmes socioculturels, les problèmes fonciers, les problèmes de sécurité, la politique nationale d’immigration et les rapports avec les pays voisins ont été discutés. En outre, le Forum a fait des propositions pour redorer l’image de la Côte d’Ivoire au sein de la Communauté internationale. Après validation, les travaux et recommandations ont été transmis au Président Laurent Gbagbo qui, en étant le dépositaire, se devait de leur donner les suites en faveur de la réconciliation nationale. En dépit de tous les efforts consentis pour son organisation, le Forum n’a pas apporté la paix. La tension sociale dans le pays est restée vive et peut expliquer diverses tentatives de prise du pouvoir d’Etat par les armes. La dernière tentative déjouée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 s’est muée en une rébellion armée qui a coupé le pays en deux : la rébellion armée des Forces Nouvelles (FN) contrôlant la partie Nord, tandis que le Sud était resté sous l’autorité de l’Etat. Pourquoi le Forum n’a donc pas produit le résultat attendu, c’est-à-dire, la réconciliation de l’ensemble des Ivoiriens autour de la Nation ? A notre avis, plusieurs raisons pourraient expliquer cet échec. Primo, le modèle de l’"arbre à palabre" n’a pas fonctionné. Une lecture cursive du manuel de procédures et du texte d’orientation générale permet de se rendre compte que le souci majeur des initiateurs du Forum, au départ, c’était de singer le modèle - bien de chez nous - de "l’arbre à palabre". Les communications, les témoignages, l’intermédiation entre les participants et l’Assemblée Plénière etc. justifient éloquemment ce choix. Or, s’il est vrai que l’"arbre à palabre" est perçu dans nos sociétés africaines comme une forme psychodramatique de régulation sociale, on oublie souvent qu’il intègre surtout une dimension judiciaire [ou, à la limite juridique] qui vise justement à rétablir l’ordre social troublé par la dénonciation et le jugement publics des fauteurs de trouble et leurs actes. Ce qui a manqué à cette tribune du Forum, c’est bien ce rituel judiciaire de la palabre africaine qui, dans le cas d’espèce, aurait permis de mettre sur la place publique les fautes des uns et des autres. Et l’exercice final aurait consisté en la destruction conséquente de ces fautes en une sorte de catharsis individuelle et collective. On s’est malheureusement contenté de faire défiler à cette importante tribune, des participants plutôt soucieux de faire respecter leurs états d’âme et leurs desiderata. La vérité qui ne pouvait jaillir que de la confrontation des arguments des uns et des autres pour justifier leurs agissements est alors restée étouffée par ce déni flagrant de responsabilité et de culpabilité. Au regard de leur rôle dans la crise, il aurait fallu, par exemple, amener les principaux acteurs politiques ivoiriens à vider leurs griefs les uns envers et contre les autres. Cette méthodologie aurait eu le mérite de présenter à la face de la Nation, la psychologie de chacun d’entre ces leaders à l’heure de l’absolution des fautes commises. Secundo, l’absence d’une vraie justice a été plus que handicapante. En considérant le coup d’Etat de 1999 et les événements de 2000 qui ont occasionné de nombreux charniers, les acteurs politiques ivoiriens auraient dû déjà se rendre compte que le pays était engagé sur une pente dangereuse. A propos du coup d’Etat, aucune information judiciaire n’avait été ouverte à l’effet de permettre une enquête qui aurait pu situer les responsabilités, ne serait-ce que pour le devoir de vérité historique. Quant aux événements meurtriers de 2000, les enquêtes diligentées à cet effet, n’ont jamais abouti et le travail de mémoire n’a pas été fait. Dans un tel contexte, marqué par une absence totale de justice, et donc une culture flagrante de l’impunité, le Forum pour la Réconciliation Nationale ne pouvait avoir aucune marge de manœuvre sérieuse. Aussi, le Premier ministre Diarra et son équipe se sont-ils sentis presque obliger de ménager les susceptibilités des principaux acteurs politiques ivoiriens. En voulant absolument passer, pour ainsi dire, toutes les fautes et les crimes commis par pertes et profits. Les initiateurs de ce Forum ont tout simplement caressé l’abcès chaud et laisser les douleurs et les meurtrissures se fixer durablement dans les vilains sentiments de la haine et de la vengeance. Lesquels sentiments allaient constituer, par la suite, le terreau fertile sur lequel les affrontements et la guerre ont pu facilement prospérer. Cette justice en amont qui a manqué a constitué la principale tare du Forum.

Tertio, il faut dire que le Forum a également manqué de caution populaire et d’autonomie réelle. Organisé à l’initiative de la Présidence de la République, il n’a pas pu bénéficier - c’est le lieu de le souligner - d’un cadre institutionnel réel qui aurait sans doute amené le peuple ivoirien à se l’approprier véritablement (…)

Banny peut-il apporter la réconciliation et la paix définitives?

En nommant l’ancien Premier ministre, Charles Konan Banny, à la tête de la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation, le Président Alassane Ouattara veut sans doute d’abord pouvoir compter sur un homme de confiance pour conduire ce vaste chantier de la réconciliation nationale. Les deux hommes se connaissent bien en effet, s’estiment et se respectent. Mais davantage que des arguments affectifs, il me semble que ce sont les qualités personnelles de M. Banny et surtout son positionnement dans le paysage politique national qui ont guidé le choix du Président de la République. D’abord, Charles Konan Banny est connu pour être un homme foncièrement intègre, doublé d’un travailleur infatigable. Il aime lui-même à se définir comme étant un homme de missions. A la tête de la Banque Centrale pendant plus de 15 années, où il a construit sa bonne réputation, Charles Konan Banny,

selon les spécialistes, demeure le Gouverneur qui a opéré les réformes utiles ayant permis à l’institution bancaire sous-régionale de se hisser au niveau des meilleures au monde. Nommé à la tête du Gouvernement de transition de décembre 2005 à mars 2007, l’action de Charles Konan Banny avait permis de décrisper véritablement l’atmosphère sociale et rapprocher les parties belligérantes. C’est donc, en un homme de devoir que le Président de la République a mis sa confiance. Ensuite, de l’Homme et de la Nation, ce sexagénaire banquier à la retraite a une certaine idée sacrée. Il a su, pour cela, se forger une morale dans le bouillonnant marigot politique ivoirien; morale qui, du reste, cadre bien avec la forte personnalité qui le caractérise: toujours des compromis mais jamais de compromission. Pendant sa primature, M. Banny n’avait jamais cessé de répéter que le compromis en matière de réconciliation ne peut avoir un sens réel que s’il permet d’aller de l’avant. C’est ce qu’il appelle “Le compromis dynamique”. Même s’il milite ouvertement au PDCI-RDA, même s’il nourrit certainement des ambitions politiques personnelles - quoi de plus normal pour un citoyen libre -, Charles Konan Banny a toujours su observer une réelle équidistance et une impartialité bien à propos vis-à-vis des chapelles politiques et surtout des opinions partisanes tranchées qui, selon lui, sont plutôt des germes de la division. C’est cette remarquable indépendance d’esprit qui lui a permis de rester jusqu’ici étranger aux intrigues qui ont fini par déchirer le pays. Un autre atout - et non le moindre - qui devrait aider l’ancien Premier ministre à réussir sa mission, ce sera l’indépendance de la justice. Si le rôle dévolu à la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation va être de créer les conditions pour des retrouvailles entre Ivoiriens, il est clair que cette fois-ci, le travail de la justice sera un facteur déterminant dans le succès de cette mission. A condition qu’elle se fasse dans la reconnaissance des droits des prévenus, cette justice permettra à la vérité de jaillir. Enfin, au-delà de ses qualités intrinsèques qui constituent des atouts importants dans cette mission, Charles Konan Banny devra également adopter le savoir agir qui résulte de la bonne mobilisation et de l’utilisation efficace des moyens d’action. Dans un contexte de réconciliation où il s’agit, avant tout, de guérir des blessures intérieures, M. Banny doit faire appel aux valeurs du mérite, de la moralité, de la responsabilité, de la respectabilité, de la solidarité, de la probité etc. Dans tous les cas, du bon choix des Hommes et de la bonne utilisation des autres ressources mobilisées pour la mise en place et le fonctionnement de la Commission Dialogue-Vérité-Réconciliation va dépendre, pour beaucoup, le succès de cette mission citoyenne et républicaine de réconciliation nationale. Et Charles Konan Banny, grâce à son sens de la mesure et à son intelligence, est bien capable de relever ce grand défi de catharsis national qui permettra - c’est le vœu de tous - à la société ivoirienne de se guérir de ses fantasmes et de ses psychoses. Puisse le Tout-Puissant inspirer encore et encore le Président de la République, SEM Alassane Ouattara dans le choix de ses collaborateurs!

Daniel Kouakou KOUADIO
Universitaire,
Journaliste-Communicateur
[Analyste politique,
Conseiller en Relation
Presse et Relations Publiques]
01 BP 2900 Abidjan 01
E-mail: kouadiodaniel2000@yahoo.fr
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