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Politique Publié le samedi 25 juin 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Dossier / Poursuites judiciaires, Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation… (ACTE III)

La Côte d’Ivoire à l’épreuve de la Justice transitionnelle
Dans l’acte 3 de notre dossier sur la justice transitionnelle en Côte d’Ivoire, deux femmes-leaders Mmes Nathalie Koné-TRAORE, Vice Présidente du Forum des organisations de la société civile de l’Afrique de l’ouest (Foscao) et Marie-Laure Kindo, Ambassadeur de la Paix, présidente de la Fondation de Terre d’Espérance livrent leurs regards croisés sur les mécanismes en vigueur à ce jour, leur impact sur la réconciliation nationale ainsi que les éventuelles propositions en vue du succès de ce chantier.


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Mme Marie-Laure Kindo, Ambassadeur de la Paix, présidente de la Fondation Terre d’Espérance :
‘’Dans une situation d’exception, il faut poser des actes d’exception’’
En votre qualité de leader d’opinion qui a pris part à diverses rencontres internationales sur des pays sortant de crise, quel regard jetez-vous sur le concept de justice transitionnelle que votre pays, la Côte d’Ivoire, expérimente actuellement ?
Il faut dire d’emblée que la justice transitionnelle est la synthèse de la justice ordinaire, qui se réfère aux tribunaux et la justice traditionnelle, elle, fait référence aux mécanismes de gestion communautaire des conflits, aux outils traditionnels de règlement des conflits. C’est pour moi, une synthèse de ces deux types de justice qui a donné jour à ce concept, que les Etats qui sortent de crise s’activent à mettre en place. Je pourrais ajouter aussi la justice alternative. En Côte d’Ivoire, il y a eu une succession de crises, notamment de tentatives de coup de force militaire, de prise du pouvoir d’Etat par les armes jusqu’aux élections controversées de novembre 2010. C’est donc salutaire que les nouvelles autorités aient pensé à activer ce concept. Toutefois, tous les mécanismes de la justice transitionnelle ne sont pas exportables chez nous ici eu égard à nos spécificités, à la nature de notre crise et aux rapports de force sociale. Il s’agit d’une crise sur le long terme qui a abouti à la fracture sociale, à une explosion de la cohésion intercommunautaire et intracommunautaire. Il faut beaucoup de sagesse dans les décisions à prendre. C’est pourquoi, il faut d’abord analyser les mécanismes de la justice transitionnelle avant de les activer ou appliquer au cas ivoirien.

Entre autres mécanismes, les poursuites judiciaires et une commission baptisée, Dialogue, Vérité et Réconciliation (DVR) sont à ce jour en cours d’activation. Ces deux outils sont-ils appropriés au cas ivoirien ?
Je salue certes l’initiative d’activer ces mécanismes de la justice transitionnelle. Mais, je suis troublée par cette vague d’arrestations. Des citoyens sont mis aux arrêts sans qu’on ne sache pourquoi. D’autres sont par euphémisme en résidence surveillée dans un hôtel d’Abidjan (La Pergola de Marcory) sans que leur situation ne soit clarifiée. A côté, des personnalités proches de l’ancien pouvoir sont détenus dans plusieurs localités du Nord du pays sans que leurs familles et proches n’aient de leurs nouvelles. Dans son discours du 11 avril 2011, date de la chute de son prédécesseur, le Président de la République SEM Alassane Ouattara a pris l’engagement solennel de réconcilier tous les Ivoiriens. Il s’agit d’amener les Ivoiriens à vivre à nouveau ensemble comme le proclame le credo de son parti, le RDR. Mieux, à travailler ensemble à la reconstruction du pays, à s’unir les uns les autres sans rancœurs, sans dénigrements et sans récriminations du passé douloureux pour tous. Aujourd’hui, dans leur grande majorité, les Ivoiriens s’inscrivent dans le processus de paix. Sans la paix, le développement est compromis. Tout bon et puissant docteur en économie que soit le Président Ouattara, il ne pourra pas mettre à exécution son ambitieux projet de société, sans la réconciliation des Ivoiriens, sans le pardon, sans un climat de confiance, de sérénité et de cohésion entre les Ivoiriens. Sans cela, ce sera difficile voire impossible.

Si on vous suit bien, le processus semble être quelque peu mal engagé…
Absolument. On ne peut pas mettre en place une commission DVR et activer des poursuites judiciaires sur des faits pour lesquels la commission doit travailler. C’est la déchirure du tissu social qui nous a amené à la guerre. Alors que la commission doit recoudre ce tissu, on actionne les poursuites judiciaires de manière concomitante. On procède à des arrestations sans expliquer au peuple les raisons. J’ai bien lu la dénomination de la commission présidée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny. C’est Dialogue-Vérité-Réconciliation. Cela veut dire que nous devons nous asseoir avec nos différences et nous parler.

Les procédures judiciaires gênent-elles les travaux de la commission DVR ?
Il y a eu des cas où ces deux mécanismes ne s’excluaient pas. Mais, chez nous, les premiers éléments nous amènent à croire que les procédures judiciaires gênent la mission de la commission DVR. A savoir, réconcilier tous les Ivoiriens. On ne peut pas réconcilier tous les Ivoiriens, quand certains pour leur prise de position politique, sont privés de leurs droits élémentaires, quand d’autres sont en prison et leurs biens gelés. Je pense que nous sommes dans une situation d’exception. A ce moment précis, il faut poser des actes d’exception. Je ne voudrais pas tomber dans l’apologie de l’impunité mais, il faut écouter le peuple et entendre la voix du peuple. Que veut le peuple ? Pour moi, la réponse, c’est la paix, c’est le développement économique et social qui est lié à la réconciliation qui, lui-même, est adossé au pardon. Sans pardon donc, il n’y aura pas de réconciliation. Ce qui revient à dire que la paix et le développement sont compromis. Que faire ? Telle est la problématique. De manière globale, il faut créer un climat d’apaisement. Nous avons de nombreux compatriotes qui ont leurs comptes bloqués sans explications. C’est un problème. Des arrestations se font bien souvent au mépris des procédures en la matière. Dans un camp, c’est la panique alors qu’on nous dit que ceux qui ont commis des violations des droits humains se retrouvent dans toutes les deux forces belligérantes. Comment voulez-vous dans ce contexte que les gens puissent venir parler avec leurs cœurs et se réconcilier avec les autres ? Si on reste dans ce contexte de stress, pour des milliers d’Ivoiriens, la réconciliation sera maquillée. Ce sera comme soigner une plaie sur la croûte. On est plus serein et responsable de ce que l’on dit ou de ce que l’on fait, sans la peur d’être persécuté. Si on est obligé de venir parler, on viendra dire ce que les gens veulent entendre et espérer par la suite une amnistie. C’est pourquoi, j’insiste que le processus de justice transitionnelle doit être exécuté dans un climat de sérénité, de confiance et non de méfiance ou de peur d’une justice des vainqueurs sur les vaincus. Il faut rompre avec cet environnement de psychose qui dessert le processus de réconciliation. Sinon, on va droit dans le mur.

Vous militez pour la suspension des poursuites judiciaires engagées contre des pro-Gbagbo qu’ils soient civils ou militaires. Une telle décision ne va-t-elle pas heurter les consciences des victimes et de leurs proches et faire d’eux les sacrifiés de la réconciliation ?
Sacrifier la réconciliation pour la justice et vice versa est un débat qui a été posé dans tout pays sortant de crise et la décision se prend, selon les spécificités du pays en question. Si je me réfère au cas sud-africain, le Président Nelson Mandela a opté pour la vérité et le pardon par la suite. Donc il n’y a pas eu de justice pour ne pas entraver le processus de réconciliation nationale. Et ce fut un succès éclatant. Nelson Mandela pouvait faire mettre en prison tous ses adversaires, tous ceux qui l’ont brimé et leurs proches. Mais, soucieux de l’équilibre de sa société, il a opté pour le pardon. C’est ce cas qui colle le mieux au nôtre. Après l’analyse de la situation, si nous voulons redécoller comme l’Afrique du Sud qui est sortie de l’apartheid plus forte et plus unie que jamais, il faut un climat serein pour tous, sinon ce sera le chaos dont le peuple ivoirien ne veut plus. Il faut un nouveau départ. Tous les Ivoiriens ont été victimes de cette crise qui tire son origine des poussées de fièvres antérieures de 1993, 1999, 2000, 2002 et 2010-2011 comme j’ai eu à le dire à la délégation des Elders venus en Côte d’Ivoire pour soutenir l’œuvre de réconciliation. C’est une question de volonté politique de sortir de la crise avec tous les citoyens réunis autour de la patrie. Quand on hérite d’une situation pareille, il faut de la sagesse, de l’humilité dans les actes et décisions à prendre.

Si vous devriez lancer un appel, lequel serait-il ?
Il faut un signal fort. Chacun doit être à sa place. L’armée, son travail, c’est la défense du territoire, la guerre en cas d'agression et aussi pour les calamités. La guerre est terminée, il faut donc que les militaires rentrent en caserne et que nous ne voyons plus à chaque bout de rue ou dans nos quartiers, des hommes lourdement armés. La Côte d’Ivoire, cette ‘’Terre de l’Espérance promise à l'Humanité’’, ne doit pas devenir un pays quelconque. Nous voulons vivre dans un pays d’état de droit et non de psychose. Les Ivoiriens ne produisent plus aujourd’hui leur plein potentiel. Quand on hérite d’une cohésion sociale qui a explosé, il faut prendre des décisions d’exception. Si la communauté internationale s’est engagée à soutenir la Côte d’Ivoire pour imposer la démocratie, elle gagnerait à poursuivre son travail de veille et d’alerte. Aux nouvelles autorités, je les invite à accélérer le désarmement de tous ceux qui détiennent illégalement des armes. Si on veut des législatives dans un climat de confiance et de sérénité, il faut le désarmement des ex-combattants. La Côte d’Ivoire est notre héritage commun et chacun doit poser une brique pour sa reconstruction. Chaque citoyen doit œuvrer à être la bonne brique par des actes qui concourent à la paix, à la cohésion sociale et à la fraternité vraie et non plus à l’adversité. Je demande à chacun d’être un agent de paix, quelle que soit l’épreuve qu’on a pu traverser sur cette route. Nous avons perdu tous, des êtres chers. La meilleure façon d’honorer la mémoire des disparus, c’est d’éviter d’être un acteur de la reprise de la belligérance pour faire couler à nouveau le sang. Personne ne viendra créer ce climat de paix à notre place. Nous sommes chacun à son niveau, les garants de la survie de la Côte d’Ivoire et de son redressement économique et social. Chaque fois que nous allons avoir à poser un acte, il faut se poser la question de savoir, si cela va amener le pays à avancer ou à reculer. Pensons à nos enfants dont la guerre a violé tous les droits. Mettons-nous au travail sans rancœurs, ni récriminations. Au Président de la République et tous ses collaborateurs, je lance l’appel suivant : quand on hérite d’une Côte d’Ivoire en lambeaux sur une liste de cinq Chefs d’Etat dont la liste s’est ouverte par un homme d’exception (Félix Houphouët-Boigny), il faut surprendre le peuple par des décisions qui apaisent et rassurent tout le monde. On se réconcilie avec ses adversaires et non avec ses amis. C’est en cela que nous verrons en lui, le vrai digne fils du Président Félix Houphouët-Boigny. Paix en Côte d'Ivoire !
M Tié Traoré
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