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Société Publié le lundi 27 juin 2011 | L’intelligent d’Abidjan

Pr Touré Ténin Diabaté, sociologue : ‘’La Côte d’Ivoire doit s’inspirer du modèle des mécanismes en RDC, au Burundi et au Rwanda’’

© L’intelligent d’Abidjan
Commission Vérité-réconciliation
Le président Alassane Ouattara et l`ancien Premier ministre Charles Konan Banny, président de la Commission Vérité-réconciliation
Dans l’acte de notre dossier, le Pr Ténin Diabaté-Touré, Enseignante-Chercheur, Formatrice en négociation, médiation et résolution des conflits et Présidente du Réseau des Femmes Leaders Musulmanes d’Afrique-Section Côte d’Ivoire (REFMA-CI), relève les données sociologiques des conflits rwandais, congolais et burundais… pour apprécier si la Côte d’Ivoire doit exporter le modèle sud-africain en matière de justice transitionnelle, à savoir Vérité-Pardon-Réconciliation ou les mécanismes des pays sus mentionnés. Avec pour modèle Justice-Vérité-Réconciliation.

L’investiture du Chef de l’Etat SEM Alassane Ouattara en qualité de Président de la République de Côte d’Ivoire le 21 mai 2011, dans une ambiance d’osmose collective, plus d’un mois après l’arrestation de l’ex-Président Laurent Gbagbo, précisément le 11 avril 2011, marque l’épilogue de la crise postélectorale dans notre pays. Une crise qui a affecté les fondements sociologiques et économiques de la Côte d’Ivoire. Dans son adresse solennelle à la nation, le Président Ouattara a dégagé les deux axes majeurs de son mandat. A savoir, la reconstruction post-crise et la réconciliation nationale. Mais comment réconcilier tous les Ivoiriens, après un passé aussi divisé, une crise sans précédent ayant fait pas moins de 3000 morts ? Comment engager tous les Ivoiriens vers un avenir commun ? Tel me semble être le débat que l’Intelligent d’Abidjan ouvre et pose à la conscience nationale, à travers son dossier sur la Justice transitionnelle en Côte d’Ivoire. Sociologue, ayant servi pour le compte de certains organismes du système des Nations Unies dans des pays fragiles en Afrique, notamment la RDC, le Rwanda, le Burundi…, il me paraît important de procéder à une analyse sociologique comparative des conflits dans ces pays, avec celle de la Côte d’Ivoire pour voir si les mécanismes de justice transitionnelle qui y ont été appliqués sont exportables chez nous ou s’il faut procéder à des réaménagements, pour relever le pari de notre cohésion.

Données sociologiques des conflits Rwandais, Congolais et Burundais…

Le premier dénominateur commun des crises au Rwanda, au Congo (RDC) ou au Burundi est la question identitaire, la haine viscérale inter-communautaire. A cela s’ajoutent le vice, la violence, la paresse et les violences postélectorales. Les mécanismes de justice transitionnelle qui ont été activés dans ces pays, ont été liés à la résolution de ces problèmes. Pour le cas du Burundi, j’ai hébergé ici à Abidjan, un ami burundais avec qui j’ai travaillé lors d’une mission dans ce pays. Il était un haut cadre de l’administration en place à l’époque au Burundi. C’était peu après l’élection du Président Hutu Habriarimana. Une première dans ce pays où les Hutus, quoique majoritaires, n’occupaient pas les hautes fonctions de l’Etat. Ils étaient plutôt dans l’agriculture, le commerce et le secteur informel. Et c’étaient les Tutsi qui étaient les hauts cadres pour avoir été aux côtés des Belges pendant la colonisation. Entre ces deux communautés, la haine est viscérale. Mon ami en question se moquait de son patron, le ministre Hutu en disant qu’il ne sait même pas mettre une cravate ou encore des chaussettes, que c’est un ‘’gaou’’ comme on le dit ici à Abidjan. D’ailleurs, ce ministre a trouvé la mort lors du bombardement de l’avion présidentiel. Il était aux côtés du Président Habriarimana, lorsque l’avion en partance pour Kigali a explosé. Les Tutsi de l’administration acceptaient difficilement d’avoir pour ministre un Hutu. Un jour en fin de journée, sa secrétaire est venue me dire que son patron venait de signer son arrêt de mort, en quittant le parti Tutsi pour celui des Hutu. Elle a ajouté qu’on le ménageait parce qu’il est ‘’mélangé’’ (son père étant Tutsi et sa mère ainsi que sa femme sont Hutu). Mais que le jour où tout allait se gâter, il serait assassiné. Le lendemain, l’ami en question m’a dit qu’il compose avec celui qui est au pouvoir et que dans son pays, on s’élimine tous les trente ans. Qu’il ait fait allégeance au régime Hutu ou pas, il serait un jour éliminé. Le soir de cet échange, il s’est rendu dans un bar. Tous ceux avec qui ils avaient l’habitude de boire, l’ont fui. Il était devenu un paria. Peu après, il a reçu la visite de ses beaux parents à son domicile. Ceux-ci lui ont signifié qu’il venait de choisir son camp et qu’il devrait assumer. En clair, bien qu’il soit l’époux de leur fille, dès que la situation allait exploser, ils s’occuperaient de lui. Et le jour où la situation s’est dégradée, ceux avec qui ils buvaient habituellement, sont allés dans son village qui a été incendié. Tous ses parents ont été brûlés vifs. Et leurs restes, découpés à la machette. Lui-même n’a eu la vie sauve, que grâce à son premier mariage avec une belge. Il a été ainsi exfiltré par les forces Belges, à destination de Louvain où il a bénéficié d’une bourse pour des études pendant son exil. Le directeur s’est donc retrouvé du jour au lendemain, Etudiant à l’Université de Louvain et sans famille. Voyez-vous, jusqu’où la haine peut entraîner les hommes. En RDC, où j’ai également servi, c’est pareil. A l’époque, il y avait une bière très prisée, qui s’appelait Primus. Avec pour trame publicitaire « la bière qui fait mousser la vie ». Pour dire que les gens vivent. Et les Congolais, sous l’effet de cette bière, vivaient dans l’impudicité, la violence et le vice. Or, un peuple qui vit dans la violence et le vice sans aucune vertu, n’a pas d’avenir. Le Congo est un pays très riche, mais il est dans un état de pauvreté extrême. Au Katanga, région très riche en ressource minière (35 qualités de matières premières), les populations ne mangeaient que des feuilles. J’avais mal lorsque j’entendais des Ivoiriens souhaité cela dans leur pays. « Nous allons manger nos feuilles de manioc et de patates », a-t-on entendu dire ici. En voulant être comme ces pays qui ne travaillent pas et qui évoluent dans la haine, la violence, le vice et la danse, on ne résiste pas à la guerre ! Hélas c’est ce qui est plus ou moins arrivé.

La Côte d’Ivoire, une terre d’hospitalité devenue terre de guerre…

Mais, la Côte d’Ivoire n’est pas un pays de la guerre. C’est plutôt un pays de l’hospitalité. « La Côte d’Ivoire est attaquée. On est en guerre. Rien que Nous ! Il faut y aller. On n’est pas obligé de vivre ensemble. Pour une fois, mesurons nos forces, que le vainqueur s’impose et que le vaincu s’efface, etc.! »… Ces diatribes, nous les avons entendues dans des pays africains (Burundi, Congo et le Rwanda), qui malheureusement n’ont pas échappé à la spirale de la guerre civile. De la haine, des rancœurs, la soif d’en finir avec l’autre, et puis après ? Il est vrai que les tensions communautaires n’ont pas cessé d’augmenter dans notre pays ces dernières années. Mais disons le tout haut, la Côte d’Ivoire n’a pas une tradition de Guerre. Ma grand-mère me racontait que lorsque Samory Touré est arrivé dans le V-Baoulé, il y a rencontré un Peuple pacifiste, dont l’allure des hommes et des femmes (tous coiffés généralement à la garçonnière), n’incitaient pas le conquérant qu’il était, de s’en prendre à eux. Ainsi, pour justifier sa retenue : « il s’est écrié en disant : comment puis-je faire la guerre à un peuple dont on ne peut distinguer l’homme de la femme. Ils ont la même coiffure ! Ainsi, le peuple Baoulé a été épargné des frasques de la guerre. Prenons aussi l’exemple légendaire de la Reine Abla Pokou, qui a épargné à son peuple une guerre fratricide en sacrifiant son fils. Les enseignements de l’histoire témoignent que la Côte d’Ivoire n’est pas une terre de guerre. Mais, hélas, nous avons connu la guerre, parce que notre pays a renié les valeurs qui ont fait sa grandeur et sa fierté avec le repli identitaire et surtout la violence qui remonte aux années 1990.

Et de la faillite morale

Depuis cette date, la violence et les jeunes cohabitent dans la rue, dans les écoles, dans les amphithéâtres, etc. On assiste souvent médusé et écœuré aux agissements anti-sociaux des jeunes, ayant pris parti pour tel ou tel groupe politique. Des groupes de jeunes gèrent la sécurité des citoyens de leur bord, les autres sont leurs ennemis. Nous sommes aujourd’hui dans un pays de faillite morale. Il n’y a plus de repères. Depuis plus d’une décennie, tout ce qui dénature la dignité humaine est célébré. C’est le triomphe de la médiocrité, de la facilité et de l’impudicité. Des enfants consomment l’alcool, pis la drogue dans les écoles, bastonnent leurs enseignants, viennent sur le campus en Humer, manipulent des armes à feu alors qu’ils sont incapables de manipuler l’outil informatique. Un peuple sans repère et en faillite morale est dangereux. La Côte d’Ivoire d’avant la crise postélectorale marchait sur la tête. Il faut la remettre sur ses pieds. Sur ses valeurs d’antan. Il est question aujourd’hui de redevenir cette terre de fraternité. Ce qui nécessite la mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle. Ce qui a été fait ailleurs, peut-il marcher chez nous ? Comment la réconciliation doit-elle se faire ?

Justice et réconciliation pour rompre avec l’impunité

Au Rwanda, au Burundi tout comme en RDC, les mécanismes les plus connus, à savoir, la mise en place d’une Commission de réconciliation, l’ouverture de procès des auteurs de crimes et l’octroi de réparation aux victimes ont été activés. A l’exception du cas sud-africain où la justice positive dans l’esprit d’une commission de Réconciliation a pris le pas sur la pénalisation des faits de la période Apartheid, dans ces pays ci-dessus cités, les vrais meneurs des tueries ont été arrêtés et jugés. Certains acteurs se sont même retrouvés devant la justice internationale hors de leur pays. Comme c’est le cas pour le Libérien Charles Taylor, le Congolais Jean-Pierre Bemba et plusieurs Rwandais dont le cas a nécessité la mise en place d’un Tribunal Pénal International spécial. Chez nous, le débat a pris forme. Justice et réconciliation, font-ils bon ménage ? Nous estimons qu’il faut que la justice fasse son chemin. Les bourreaux d’hier se sont-ils repentis ? Se sont-ils ramollis ou préparent-ils une revanche ? Le camp en face, est-il prêt à pardonner ? Dans tous les camps, les esprits ne sont pas encore au pardon. A preuve, les perdants d’hier pour la majorité, ne sont pas dignes dans la défaite et ne sont pas prêts à tendre la main fraternelle de la réconciliation. Concernant les vainqueurs, j’étais dans un supermarché de la place où j’ai surpris des échanges entre des amis. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il y a une dame qui a dit : « votre gros français que vous dites à longueur de journée à la télévision, à savoir réconciliation, je ne veux pas en entendre parler. Ceux qui m’ont fait souffrir, vont payer». Un autre a dit : «Votre réconciliation-là, c’est pour les politiques. Nous allons régler les comptes dans les quartiers à ceux qui nous ont fait du mal, à ceux qui ont appelé à la haine dans ce pays, ceux qui se sont illustrés dans les opérations 125 encore appelé supplice du collier, qui consistait à mettre du pneu usé au cou et braiser des gens avec du pétrole 100 F et de l’allumette 25 F ». Ces propos achèvent de convaincre, que tous les esprits ne sont pas prêts pour la réconciliation. C’est pourquoi, il faut des mots justes pour apaiser les cœurs et les meurtrissures. Il faut expliquer la réconciliation. Il faut prendre des images de chez nous, mener des démarches historiques et sociologiques de notre culture. La réconciliation ne veut pas dire, je reconnais ma faute, excuse-moi. Mais, si déjà, on ne se fait pas excuser et qu’on est crispé dans son coin en attendant la réalisation d’une prophétie, cela veut dire qu’on n’accepte toujours pas la réalité, que celui qui a gagné le scrutin gouverne. Regardez dans les écoles, des parents refusent que les enfants reprennent le chemin de leurs écoles parce qu’ils ne reconnaissent pas le ministre de tutelle qui n’est pas de leur camp. Cela montre à nouveau que tous les Ivoiriens ne pensent pas la réconciliation et ne sont pas prêts à s’y engager. C’est dramatique. Chacun doit faire un flash-back. Chaque Ivoirien doit revenir à lui-même et faire une rétrospection. Ai-je bien agi ? Pourquoi ai-je agi ainsi ? Si tous les Ivoiriens arrivent à cet exercice personnel, à cette remise en cause, la réconciliation va se présenter sous de meilleurs auspices. Nous avons vécu longtemps avec la violence, au point qu’elle était devenue banale. La mort était devenue banale. Et cette banalisation de la dignité humaine a débouché sur l’article 125 F. Tout cela doit attirer notre attention et nous amener à allier Justice et Réconciliation pour rompre avec l’impunité. Les données sociologiques des crises dans les pays ayant opté pour le modèle Justice-Vérité-Réconciliation étant quasiment les mêmes, la Côte d’Ivoire doit avoir recours à ce modèle. La Côte d’Ivoire doit s’inspirer du modèle des mécanismes en RDC, au Burundi et au Rwanda mais en veillant à les parfaire sur la base du bon, du beau et du bien fait, pour renouer avec les valeurs de Justice et de fraternité.

Propos recueillis par M Tié Traoré
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